Livv
Décisions

CA Rennes, 4e ch., 30 avril 2025, n° 24/04827

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Zurich Insurance Public Limited Company (Sté)

Défendeur :

Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de Loire (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Desalbres

Conseillers :

Mme Malardel, M. Belloir

Avocats :

Me Nativelle, SCP Jean-David Chaudet, Me David, SELARL Quadrige Avocats

CA Rennes n° 24/04827

29 avril 2025

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

La société Eco Bio Concept (EBC), assurée en garantie décennale par la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Bretagne Pays de Loire (la Crama), a installé sur le toit de plusieurs maisons d'habitation des tuiles photovoltaïques fabriquées par la société System Photonics, assurée auprès de la société Zurich Insurance.

Les sociétés EBC et System Photonics ont fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire.

Se plaignant d'une décoloration des tuiles photovoltaïques laissant supposer un défaut d'étanchéité, de nombreux maîtres d'ouvrage ont déclaré le sinistre à la Crama.

Après la réalisation d'expertises amiables, la Crama a versé des indemnisations à ceux-ci.

Par acte dont la date est débattue par les parties, la Crama a assigné la société Zurich Insurance devant le tribunal judiciaire de Rennes afin d'obtenir le remboursement des sommes versées ou exposées, à verser ou à exposer.

La Crama a augmenté ses prétentions en cours d'instance portant désormais sur 24 chantiers, outre 4 autres encore en cours d'instruction.

Suivant des conclusions d'incident du 18 février 2022, la société Zurich a saisi le juge de la mise en état d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande présentée à son encontre.

Par ordonnance du 13 juin 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rennes a :

- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription,

- déclaré la Crama irrecevable à agir contre la société Zurich, faute de qualité et d'intérêt, au titre des chantiers [Localité 5], [I], [Localité 4], [F],

- réservé les dépens,

- rejeté les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 9 janvier 2025, pour derniers échanges de conclusions, tous les deux mois minimum, en vue de la clôture, avec avis sur les modalités de fixation.

La société Zurich Insurance Public Limited Company a relevé appel de cette décision le 20 août 2024.

Conformément aux articles 904-1 et 905 du code de procédure civile, l'avis de fixation à bref délai du 17 septembre 2024 a fixé la clôture et l'examen de l'affaire au 18 février 2025.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures du 11 décembre 2024, la société Zurich Insurance Public Limited Compagny demande à la cour de la recevoir en ses écritures et les déclarer fondées, et, y faisant droit :

- d'infirmer l'ordonnance rendue en ce qu'elle a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription, réservé les dépens et rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de débouter la Crama de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Et statuant à nouveau :

- de déclarer irrecevables comme forcloses ou prescrites toutes les demandes de la Crama à son encontre pour les 6 chantiers suivants : [T], [K], [D], [I], [E], [Y] et [G],

- condamner la Crama au paiement de la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens incluant les dépens de l'incident en première instance, dont distraction au profit de maître Chaudet, avocat aux offres de droit.

Aux termes de ses dernières conclusions du 12 novembre 2024, la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Bretagne Pays de la Loire, dite Groupama Loire Bretagne, demande à la cour de :

A titre principal, au visa des articles 1641 et 1648 du code civil,

Subsidiairement, au visa de l'article L 421-1 du code de la consommation, Encore plus subsidiairement, au visa des articles L 422-1 du code de la consommation, 1604 du code civil et 1147 ancien code devenu 1231-1 du code civil :

- de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et en ce qu'elle a rejeté les demandes présentées par l'appelante au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevable son action s'agissant du chantier [F], réservé les dépens et rejeté sa demande de frais irrépétibles,

Statuant à nouveau :

- de débouter l'appelante de toutes ses demandes fins et conclusions,

- déclarer recevable son action à l'encontre de l'assureur pour ce qui concerne le chantier [F],

- de condamner la compagnie Zurich Insurance au paiement d'une indemnité de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens incluant les dépens de l'incident en première instance, dont distraction au profit de la Selarl Quadrige Avocats, par application de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Il sera observé à titre liminaire que la déclaration d'appel mentionne la société Zurich Insurance Public Limited Company en qualité d'appelante mais les conclusions de celle-ci mentionnent 'la société Zurich Insurance Public Limited Compagny'. Il sera tenu compte des dernières écritures de l'appelante.

A la lecture des conclusions respectives des parties, les fins de non-recevoir portent uniquement sur la prescription des recours de la CRAMA envers la société Zurich Insurance Public Limited Compagny au titre des chantiers [T], [K], [D], [I], Lefeuvre, [Localité 4], [Localité 5] et [F].

Les observations qui suivent concernent l'ensemble des chantiers.

Le juge de la mise en état a retenu que l'action directe dirigée contre la société Zurich Insurance Public Limited Compagny se prescrivait par le même délai que celle en responsabilité contre l'assuré. Il a considéré que l'action intentée par la CRAMA est une action récursoire en garantie des vices cachés dont le point de départ est, à défaut d'assignation délivrée par les victimes du vice ou par leurs assureurs respectifs, la date de leur indemnisation. Il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Zurich Insurance Public Limited Compagny.

L'appelante considère que l'action intentée à son encontre est nécessairement et exclusivement fondée sur les dispositions des articles 1641 et 1648 du code civil, de sorte qu'elle est soumise au délai biennal de prescription. Elle reproche au premier juge la fixation de la date du point de départ de la prescription à la date de l'indemnisation par la CRAMA des différentes victimes alors que seule doit être prise en considération la date à laquelle elle a eu connaissance du vice caché en application des dispositions de l'article 2224 du Code civil. Elle dénie en outre à l'intimée la possibilité de se prévaloir des règles du Code de la consommation par effet de la subrogation. Elle sollicite en conséquence l'infirmation de la décision entreprise ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

En réponse, la CRAMA entend rappeler qu'elle a indemnisé les différents maîtres d'ouvrage en sa qualité d'assureur décennal de l'installateur des panneaux photovoltaïques. Se prévalant de l'existence d'une subrogation et des dispositions protectrices du code de la consommation, elle considère que le point de départ de son recours fondé sur l'action en garantie des vices cachés à l'encontre de l'assureur du fabricant est la date de l'indemnisation de chaque victime dans la mesure où elle n'a jamais été elle-même assignée par chaque client de la société EBC.

Les éléments suivants doivent être relevés :

Aux termes des dispositions de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Selon l'article 1648 du Code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Les parties ne contestent pas que les panneaux photovoltaïques fabriqués par la société System Photonics et installés par la société EBC ont tous présenté un vice caché les rendant impropres à l'usage auquel ils étaient destinés.

L'appelante admet dans ses dernières conclusions que l'assignation introductive d'instance lui a été délivrée par la CRAMA le 7 juillet 2020, date interruptive du délai de prescription de deux ans.

S'agissant de la fixation du point de départ, il doit être relevé que la CRAMA n'a jamais été assignée par l'une ou l'autre des victimes des vices cachés affectant les panneaux photovoltaïques ou par leurs assureurs respectifs. Justifiant avoir procédé à l'indemnisation de certaines d'entre-elles, son action à leur encontre est nécessairement fondée sur la subrogation prévue à l'article L121-12 du Code des assurances. Elle peut donc agir à l'encontre de l'assureur du fabricant desdits panneaux en invoquant les dispositions des articles 1641 et 1648 du Code civil.

En l'absence d'assignation de l'assureur de la société EBC, le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date où le paiement d'une somme d'argent lui est réclamé et non au jour de la révélation du vice (Cass. Civ. 3ème, 2 juin 2016, n°15-17.728).

Il convient donc d'examiner la situation chantier par chantier.

En ce qui concerne le chantier [T]

Après une déclaration de sinistre adressée par M. et Mme [T] à la CRAMA le 25 juin 2012, diverses expertises (plusieurs amiables et une judiciaire) ont été réalisées pour établir d'une part l'éventuel caractère décennal du désordre, d'autre part l'existence d'un vice des panneaux et enfin le coût des travaux de reprise.

Un temps certain s'est donc écoulé pour établir le bien-fondé de la réclamation puis le montant définitif de l'indemnisation des époux [T] (assistés des MMA) de sorte qu'il n'est pas possible de considérer que la date du 25 juin 2012 ou celle de la demande présentée par leur assureur (courriel du 12 mai 2017) correspond à la date de la demande en paiement.

Par courrier du 12 décembre 2019, la CRAMA a adressé à l'assureur de la victime une indemnité d'un montant de 46 838,43 euros. Ce n'est qu'à compter de cette date que l'assureur a eu qualité pour agir et former son recours subrogatoire.

En conséquence, moins de deux années se sont écoulées entre le 12 décembre 2019 et le l7 juillet 2020. L'action n'est donc pas prescrite.

En ce qui concerne le chantier de Mme [K]

Dans le dispositif de ses premières conclusions d'appelante qui seules saisissent la cour eu égard à la date de l'appel, la société Zurich Insurance Public Limited Compagny a sollicité l'infirmation de l'ordonnance entreprise et le prononcé de l'irrecevabilité des demandes relatives à MM [T], [D], [I], Lefeuvre, [Y] et [Localité 5]. L'intimée soutient dès lors à raison que l'appelante a abandonné toute fin de non-recevoir à l'encontre du chantier de Mme [K] et ne peut régulariser son omission dans des conclusions postérieures, peu important l'augmentation des délais légaux pour conclure qui est accordée à une partie se trouvant à l'étranger.

Dès lors, l'ordonnance entreprise ne peut donc qu'être confirmée.

En ce qui concerne le chantier de Mme [D]

La CRAMA admet que son recours subrogatoire fondé sur les dispositions des articles 1641 et 1648 est prescrit. Elle estime à titre subsidiaire que son action fondée sur l'obligation de sécurité prévue aux articles L421-1 et suivants du Code de la consommation, dans sa version applicable au présent litige, est recevable car encadrée par un délai de prescription de cinq années. A titre infiniment subsidiaire, elle prétend pouvoir exercer son recours en invoquant la violation par le fabricant de son obligation de conformité ou les règles de la responsabilité contractuelle de droit commun.

L'appelante considère pour sa part que l'intimée ne peut invoquer les règles du code de la consommation pour prétendre bénéficier d'un délai de cinq ans pour agir. Elle soutient également que la sanction du non respect de l'obligation de sécurité est l'interdiction du produit concerné et non l'octroi d'une indemnisation. Pour le surplus, elle oppose aux demandes 'plus subsidiaires' le principe de non-cumul des différentes actions.

Les éléments suivants doivent être relevés :

Dans ses écritures, la CRAMA indique à de nombreuses reprises que les panneaux photovoltaïques sont atteints d'un vice caché, ajoutant que le litige y afférent présentant un caractère sériel.

L'appelante ne conteste pas l'existence de ce vice.

Dès lors, si le cumul du recours est parfois possible entre l'action fondée sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil et certaines autres, par exemple celle relative aux produits défectueux, cette dernière action n'est cependant pas invoquée par l'intimée. La CRAMA ne peut fonder son recours sur l'obligation de conformité de l'article 1604 du même Code ni sur les règles de la responsabilité de droit commun.

Quant à l'application des règles du Code de la consommation, il apparaît que le manquement aux dispositions de l'obligation de sécurité prévue au chapitre I du titre II dudit Code est l'interdiction du produit ou sa réglementation. Les règles y afférentes ne sauraient donc être invoquées par l'intimée pour fonder son recours à l'encontre de la société Zurich Insurance Public Limited Compagny.

En conséquence, l'ordonnance critiquée ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription sera infirmée.

En ce qui concerne le chantier de M. [I]

N'ayant pas indemnisé M. [I], la CRAMA ne conteste pas que son action fondée sur la garantie des vices cachés est atteinte de prescription. Elle estime en revanche recevable son action fondée sur l'obligation de sécurité à laquelle est tenue le fabricant des panneaux par application des articles L421-1 et suivants du Code de la consommation, dans sa version applicable au présent litige.

En réponse, l'appelante estime à raison que l'intimée, qui ne dispose pas d'une quittance subrogative, ne peut de même pas invoquer les dispositions du texte précité pour les motifs évoqués ci-dessus.

En conséquence, l'irrecevabilité retenue par le premier juge sera confirmée.

En ce qui concerne le chantier Lefeuvre

La quittance subrogative de la CRAMA est datée du 13 janvier 2019 de sorte que moins de deux années se sont écoulées entre cette date et celle de l'assignation de la société Zurich Insurance Public Limited Compagny. L'ordonnance entreprise sera donc confirmée.

En ce qui concerne le chantier [Localité 5]

Dans les motifs de ses dernières conclusions, la CRAMA critique l'ordonnance déférée ayant déclaré irrecevable son action en raison d'un défaut de qualité à agir. Cependant, dans le dispositif de celle-ci, elle ne formule aucune demande tendant à rejeter la fin de non-recevoir qui a été accueillie par le premier juge. La cour n'est donc pas saisie d'une demande d'infirmation sur ce point.

En ce qui concerne le chantier de Mme [Y]

Dans ses dernières conclusions, l'appelante sollicite l'infirmation de la décision entreprise et demande que les prétentions de l'intimée relatives au sinistre subi par Mme [Y] soient déclarées irrecevables. Or, l'ordonnance critiquée a déjà fait droit à cette fin de non-recevoir en raison du défaut de qualité à agir de la CRAMA.

L'intimée ne remettant également pas en cause la solution retenue par le premier juge de sorte que la décision de première instance ne peut qu'être confirmée sur ce point.

En ce qui concerne M. [F].

L'ordonnance attaquée a déclaré irrecevable la CRAMA en raison d'un défaut de qualité à agir.

Cette dernière forme appel incident et justifie avoir versé à M. [F] dès le 2 octobre 2019 la somme de 9 272,82 euros suite à sa proposition du 27 septembre 2019.

En réponse, l'appelante indique s'en rapporter.

La CRAMA justifie désormais d'un intérêt à agir en étant subrogé dans les droits de M. [F].

En outre, au regard des dates précitées (2 octobre 2019/17 juillet 2020), son recours formé à l'encontre de la société Zurich Insurance Public Limited Compagny n'est pas prescrit.

L'ordonnance déférée ayant fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société Zurich Insurance Public Limited Compagny sera dès lors infirmée.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'une ou l'autre des parties, tant au stade de la première instance qu'en cause d'appel, le versement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Succombant principalement en son appel, la société Zurich Insurance Public Limited Compagny sera condamnée aux dépens y afférents.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Infirme l'ordonnance rendue le 13 juin 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rennes (RG 20/02864) en ce qu'elle a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Zurich Insurance Public Limited Compagny pour ce qui concerne le chantier [D] ;

- déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir le recours formé par la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Bretagne Pays de Loire dite Groupama Loire Bretagne à l'encontre de la société Zurich Insurance Public Limited Compagny pour ce qui concerne le chantier [F] ;

et, statuant à nouveau dans cette limite :

- Fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société Zurich Insurance Public Limited Compagny et déclare dès lors irrecevable pour cause de prescription le recours formé à son encontre par la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Bretagne Pays de Loire dite Groupama Loire Bretagne au titre du chantier [D] ;

- Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Zurich Insurance Public Limited Compagny au titre du chantier [F] ;

- Déclare dès lors recevable le recours formé par la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Bretagne Pays de Loire dite Groupama Loire Bretagne à l'encontre de la société Zurich Insurance Public Limited Compagny pour ce qui concerne le chantier [F] ;

- Confirme l'ordonnance déférée pour le surplus ;

Y ajoutant ;

- Rejette les demandes présentées en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamne la société Zurich Insurance Public Limited Compagny au paiement des dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par les avocats qui en ont fait la demande en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site