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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 avril 2025, n° 25/00079

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eurofins Hydrologie Est (SAS)

Défendeur :

Assistance pour la Recherche et le Traitement des Polluants (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Richaud

Conseillers :

Mme Dallery, Mme Bussiere

Avocats :

Me Bouzidi-Fabre, Me Lugosi, Me Breteche, Me Tournade, SELARL Moreau Guillou Vernade Simon Lugosi

T. com. Nancy, du 8 janv. 2024

8 janvier 2024

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Julien Richaud, conseiller faisant fonction de président et par Damien Govindaretty, greffier, présent lors de la mise à disposition.

Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de Nancy le 23 janvier 2024 puis par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de Paris le 22 avril 2024, la SAS Assistance pour la Recherche et le Traitement des Polluants (ci-après, « la SAS ARTP ») a interjeté appel du jugement rendu le 8 janvier 2024 par le tribunal de commerce de Nancy dans le litige l'opposant à la SAS Eurofins Hydrologie Est (ci-après, « la SAS Eurofins »).

Par ordonnance du 2 juillet 2024, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Nancy prononçait la caducité du premier appel.

Par ordonnance du 28 janvier 2025, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris a rejeté la fin de non-recevoir opposée par la SAS Eurofins tirée du défaut d'intérêt à former le second appel.

Par requête notifiée par la voie électronique le 10 février 2025, la SAS Eurofins a déféré cette ordonnance à la Cour. Dans ses dernières écritures notifiées par la même voie le 3 avril 2025, elle lui demande, au visa des articles 546, 700 et 908 et 916 (dans sa version applicable) du code de procédure civile :

de déclarer recevable la requête et de juger la SAS Eurofins recevable et bien fondée en ses demandes ;

d'infirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 28 janvier 2025 en ce qu'elle a :

rejeté la fin de non-recevoir de la SAS Eurofins ;

condamné la SAS Eurofins aux dépens de l'incident ;

rejeté la demande de la SAS Eurofins et condamné cette dernière à verser à la SAS ARTP la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau, de constater que l'appel du jugement rendu le 8 janvier 2024 par le tribunal de commerce de Nancy formé par la SAS ARTP devant la cour d'appel de Paris a été interjeté avant l'ordonnance prononçant la caducité du premier appel formé devant la cour d'appel de Nancy ;

en conséquence, de juger irrecevable l'appel du jugement rendu le 8 janvier 2024 par le tribunal de commerce de Nancy interjeté le 22 avril 2024 par la SAS ARTP devant la cour d'appel de Paris ;

en tout état de cause, de :

débouter la SAS ARTP de l'ensemble de ses demandes ;

condamner la SAS ARTP à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la SAS ARTP aux entiers dépens ;

à titre subsidiaire, si la Cour entendait confirmer l'ordonnance entreprise elle la reformerait du chef de la condamnation à un article 700 et débouterait la SAS ARTP de ses demandes à ce titre.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 24 mars 2025 par la voie électronique, la SAS ARTP demande à la cour, au visa des articles L 442-2 et suivants et L 442-6 du code de commerce, 2241 du code civil et 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après, « la CEDH »), de :

confirmer l'ordonnance de la mise en état du 28 janvier 2025 en ce qu'elle a :

rejeté la fin de non-recevoir de la SAS Eurofins ;

condamné la SAS Eurofins aux dépens de l'incident ;

rejeté, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la demande de la SAS Eurofins et a condamné celle-ci à verser à la SAS ARTP la somme de 1 000 euros ;

en conséquence, débouter la SAS Eurofins de sa demande d'irrecevabilité ;

juger que l'appel du 22 avril 2024 devant la cour d'appel de Paris du jugement rendu le 8 janvier 2024 par le tribunal de commerce de Nancy est recevable ;

débouter la SAS Eurofins de l'ensemble de ses demandes ;

condamner la SAS Eurofins à verser à la SAS ARTP la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la SAS Eurofins aux entiers dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

MOTIVATION

1°) Sur la recevabilité de l'appel

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Eurofins expose que l'action est fondée sur l'article L 442-1 du code de commerce, que seule la cour d'appel de Paris était compétente pour en connaître et que, depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2023, la sanction afférente à la saisine d'une juridiction non désignée par les articles L 442-4 III et D 442-2 du code de commerce pour traiter des litiges portant sur les pratiques restrictives de concurrence n'est plus une fin de non-recevoir mais une exception d'incompétence. Elle ajoute qu'ainsi, la saisine de la cour d'appel de Nancy était régulière, ce qui explique que le conseiller de la mise en état ait constaté sa caducité par ordonnance du 2 juillet 2024. Elle en déduit que le second appel interjeté le 22 avril 2024 avant le prononcé de cette décision était irrecevable faute d'intérêt à le former.

En réponse, la SAS ARTP explique que, au regard de l'arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2023 qui est destiné à protéger les actions des justiciables engagées devant une juridiction dépourvue du pouvoir de juger, le fait que la sanction soit une exception d'incompétence et non une fin de non-recevoir ne peut avoir pour conséquence de rendre inopérante la saisine de la juridiction compétente. Elle ajoute que la cour d'appel de Nancy n'a pas été régulièrement saisie puisque l'action était, devant elle, vouée à l'échec et qu'elle aurait dû se déclarer incompétente, son erreur de droit consistant à prononcer la caducité de l'appel ne pouvant lui être imputée. Elle soutient que son intérêt à agir demeurait au jour du second appel destiné à régulariser la procédure. Elle en déduit la recevabilité de son recours.

Réponse de la cour

Conformément à l'article 916 du code de procédure civile dans sa version applicable à l'appel litigieux, les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond. Toutefois, elles peuvent être déférées par requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsqu'elles ont pour effet de mettre fin à l'instance, lorsqu'elles constatent son extinction ou lorsqu'elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps. Elles peuvent être déférées dans les mêmes conditions lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure, sur un incident mettant fin à l'instance, sur une fin de non-recevoir ou sur la caducité de l'appel.

Et, en application de l'article 546 du code de procédure civile, le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n'y a pas renoncé.

En vertu de l'article L 442-4 III du code de commerce, les litiges relatifs à l'application des articles L 442-1, L 442-2, L 442-3, L 442-7 et L 442-8 du même code sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. A cet égard, aux termes de l'article D 442-2 du code de commerce, pour l'application de cette disposition, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du livre IV qui désigne les juridictions spécialisées de Marseille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes. La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris.

La règle d'ordre public découlant de l'application combinée de ces textes institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir (en ce sens, opérant revirement, Com., 18 octobre 2023, n° 21-15.378, puis Com. 29 janvier 2025, n° 23-15.842), cette solution s'appliquant aux demandes formées à titre principal mais également à celles présentées à titre subsidiaire ou reconventionnel.

Il est constant que le tribunal de commerce de Nancy était exclusivement compétent pour connaître de l'action intentée par la SAS ARTP et que la cour d'appel de Paris est exclusivement compétente pour statuer sur l'appel formé contre le jugement qu'il a rendu le 8 janvier 2024. Ce recours a été formé le 23 janvier 2024, à tort, devant la cour d'appel de Nancy puis, avant que ne soit prononcé sa caducité le 2 juillet 2024 faute de respect des délais de l'article 908 du code de procédure civile, le 22 avril 2024 devant la Cour.

En vertu de l'article 546 du code de procédure civile, lorsque la cour d'appel est régulièrement saisie par une première déclaration d'appel dont la caducité n'a pas été constatée, est irrecevable le second appel, faute d'intérêt pour son auteur à interjeter un appel dirigé contre le même jugement entre les mêmes parties (en ce sens, 2ème Civ., 11 mai 2017, n° 16-18.464, et 2ème Civ., 30 septembre 2021, n° 19-23.423, qui précise au visa de l'article 6§1 de CEDH qu'une telle restriction du droit d'accès au juge ne constitue pas un formalisme excessif).

Cependant, ce principe, qui vaut pour une saisine régulière, n'est pas applicable quand la première cour d'appel a été irrégulièrement saisie. La notion d'irrégularité doit être appréhendée en considération de la fonction de l'adage « appel sur appel ne vaut », essentiellement destiné à prévenir les contournements par l'appelant du délai pour conclure en l'absence de signification du jugement entrepris, hypothèse étrangère au litige, et du concept d'intérêt à agir. Ce dernier, qui réside dans l'avantage que procurerait à l'auteur du recours la reconnaissance du bien-fondé de sa prétention, doit être appréhendé en considération des dispositions de l'article 911-1 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige. Selon ce texte en effet, la partie dont la déclaration d'appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l'appel a été déclaré irrecevable n'est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l'égard de la même partie. La notion d'irrégularité s'applique en ce sens aux recours effectués par erreur en ce qu'ils saisissent une juridiction juridiquement inapte à juger, telle celle immédiatement reconnue par la SAS ARTP, car, à la différence d'une saisine régulière, la saisine d'une juridiction incompétente n'épuise pas l'intérêt à agir de l'appelant qui conserve un intérêt certain et actuel à régulariser la procédure en formant une nouvelle déclaration d'appel devant la cour compétente avant toute décision prononçant la caducité du premier appel, la régularisation étant entendue largement et non dans le sens technique de l'article 126 du code de procédure civile inapplicable.

Dans cette logique, la saisine d'une cour d'appel incompétente territorialement ou matériellement est irrégulière et laisse subsister l'intérêt à former appel : elle n'interdit pas à son auteur de former un second appel, même sans désistement préalable de son premier appel, sous réserve de l'absence d'expiration du délai d'appel, tant que le premier appel n'a pas été déclaré irrecevable et que sa caducité n'a pas été prononcée (à rapprocher, pour l'irrecevabilité de 2ème Civ., 1er octobre 2020, n° 19-11.490, 2ème Civ., 2 juillet 2020, n° 19-14.086 et 2ème Civ., 5 octobre 2023, n° 21-21.007, et, en matière de déchéance du pourvoi, de 2ème Civ., 27 juin 2019, n° 17-28.111). La Cour relève surabondamment à cet égard que l'impossibilité de toute régularisation constituerait un formalisme excessif au sens de l'article 6§1 de la CEDH.

Aussi, formé avant l'expiration du délai d'appel au sens des articles 528 et 538 du code de procédure civile, le second appel est recevable. L'ordonnance déférée, dont les justes motifs seront adoptés par la Cour en complément des siens, sera en conséquence confirmée.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'ordonnance entreprise sera confirmée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant, la SAS Eurofins, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens de l'incident. En revanche, au regard de la nature de celui-ci, qui est en partie le produit des évolutions de la jurisprudence en la matière, l'équité commande de rejeter la demande de la SAS ARTP en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette les demandes des parties au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS Eurofins Hydrologie Est à supporter les entiers dépens d'appel.

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