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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 6 mai 2025, n° 23/04438

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Martin de la Moutte, M. Norguet

Avocats :

Me Dulon, Me Benoit-Palaysi, SCP Acteis

T. com. Montauban, du 5 déc. 2023, n° 20…

5 décembre 2023

Faits et procédure :

La Sas [10], créée le 1er mars 2017, a une activité dans le bâtiment, principalement de façadier-chauffagiste-électricien, avec installation d'équipements thermiques et de climatisation. La majeure partie de son chiffre d'affaires provenait de l'installation de pompes à chaleur au domicile de particuliers dans le cadre de la réglementation sur la rénovation énergétique.

Ses parts étaient à l'origine détenues selon la répartition suivante :

- 45% par [J] [H], président,

- 45% par [V] [T], directeur général,

- 10% par [R] [Z].

En octobre 2018, [R] [Z] a cédé ses parts à ses deux co-associés, qui sont devenus associés égalitaires en conservant leurs postes respectifs.

Le 11 juin 2021, [V] [T] a racheté les parts sociales de [J] [H] et est devenu associé unique et président de la Sas, désormais Sasu, [10].

Le 2 novembre 2021, [V] [T], en tant que représentant légal de la Sasu [10], a sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire auprès du tribunal de commerce avec indication d'une date de cessation des paiements au 26 octobre 2021, en avançant une absence d'activité depuis le 5 novembre 2021. Le passif alors déclaré était de 800 000 euros dont 285 960 euros de passif exigible. La société employait 13 salariés.

Par jugement du tribunal de commerce de Montauban en date du 9 novembre 2021, la Sasu [10] a été placée en liquidation judiciaire avec fixation de la date de cessation des paiements au 26 octobre 2021 et désignation de la Selarl [7], prise en la personne de Maître [D], en qualité de liquidateur judiciaire.

Par ce même jugement, faute de production des comptes arrêtés au 31 décembre 2020 par le dirigeant, le tribunal a nommé [X] [I], expert judiciaire avec mission de dater l'origine des difficultés de la Sasu [10], de déterminer les causes de sa défaillance et fixer la date définitive de cessation de paiement. L'expert a remis son rapport le 20 septembre 2022.

En janvier 2023, le liquidateur judiciaire a déposé un rapport en sanction aux termes duquel il apparaissait qu'une plainte avait été déposée au pénal à l'encontre de la Sasu [10] pour escroquerie commise au préjudice de la [6], par émission de 70 200 euros de chèques sans provision. Le liquidateur judiciaire indiquait également que le passif déclaré entre ses mains se montait à la somme totale de 1 413 074,85 euros, dont 87 082,78 euros de passif superprivilégié, au lieu des 764 969,51 euros de passif déclaré par le dirigeant à l'ouverture de la procédure. Enfin, il mettait en avant des irrégularités dans la gestion de la Sasu [10].

Par jugement du 6 juin 2023, le tribunal de commerce de Montauban a prorogé le terme initial de clôture de la procédure de liquidation judiciaire d'un an, l'amenant au 4 juin 2024.

Par acte du 26 juin 2023, la Selarl [7], es qualités, a assigné [V] [T] devant le tribunal de commerce de Montauban sur le fondement de l'article L651-2 du code de commerce afin qu'il soit condamné à lui verser la somme de 1 513 222,27 euros à titre de dommages et intérêts en raison des fautes de gestion caractérisées à son encontre et de leur lien avec l'insuffisance d'actif de la Sasu [10].

Le juge commissaire saisi a déposé son rapport.

Par jugement du 5 décembre 2023, le tribunal de commerce de Montauban a :

pris acte des fautes de gestion commises par [V] [T] dans le cadre de son mandat de gestion de la Sasu [10],

pris acte de l'insuffisance d'actif de la Sasu [10] à la date de la décision,

pris acte du lien de causalité entre les fautes de gestion commises par [V] [T] et l'insuffisance d'actif constatée à la date de la décision,

en conséquence, condamné [V] [T] à payer à la Selarl [7], es qualité de liqudateur de la Sasu [10] :

- la somme principale de 377 000 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal de cette somme à compter de l'assignation jusqu'à parfait paiement : mémoire,

- la somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné [V] [T] aux entiers dépens de l'instance outre les frais de saisies conservatoires pratiquées tant sur les biens meubles et immeubles de [V] [T] qu'ils soient ou non avancées par le Trésor Public,

ordonné l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution.

Par déclaration du 21 décembre 2023, [V] [T] a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce aux fins de le voir réformé en intégralité.

La clôture est intervenue le 3 février 2025. L'affaire a été fixée à l'audience du 10 février 2025.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions n°2 notifiées le 20 janvier 2025, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles [V] [T] sollicite, au visa l'article L651-2 du code de commerce :

l'infirmation du jugement du tribunal de commerce de Montauban en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau, le rejet de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions de la Selarl [7] es qualité de liquidateur de la Sasu [10],

subsidiairement, la réduction de toute condamnation d'[V] [T] à de plus justes proportions,

en tout état de cause, la condamnation de la Selarl [7] es qualité de liquidateur de la Sasu [10] à payer à Mr [T] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'Article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

En réponse, vu les conclusions d'intimée N°2 notifiées en date du 3 février 2025, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la Selarl [7], es qualités, demande, au visa des articles articles L651-2 du code de commerce et 564 du code de procédure civile :

le rejet des prétentions et moyens nouvellement produits par [V] [T] dans le cadre de l'appel,

la confirmation dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Montauban dont appel,

le rejet de toutes les demandes, fins et prétentions d'[V] [T],

en conséquence, la condamnation d'[V] [T] à payer à la Selarl [7], ès qualités,

- la somme principale de 377 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal de cette somme à compter de l'assignation devant le tribunal de commerce de Montauban jusqu'à parfait paiement : mémoire,

- la somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

la condamnation d'[V] [T] aux entiers dépens de la présente instance, outre les frais de saisie conservatoire pratiquée sur les biens meubles et immeubles de [V] [T], qu'ils soient ou non avancés par le Trésor Public.

Par avis signifié aux parties par RPVA le 6 février 2025, le Ministère public a sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré [V] [T] partiellement responsable de l'insuffisance d'actifs de la Sasu [10] mais son infirmation sur le quantum de la condamnation prononcée. Estimant que seul le compte courant associé débiteur du dirigeant et la distribution de dividendes fictifs sur un exercice comptable où l'ensemble du résultat bénéficiaire avait été affecté aux réserves par résolution d'AGE pouvaient être retenus en faute à l'égard du dirigeant, le Ministère Public sollicite sa condamnation à la seule somme de 95 063,20 euros.

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir

La Selarl [7], es qualités, sollicite le rejet des prétentions et demandes nouvelles de l'appelant non soumises aux débats de première instance, à savoir la demande du rejet de l'intégralité de ses demandes et la demande de réduction de la condamnation d'[V] [T] à de plus justes proportions.

[V] [T] soutient que ces demandes ne sont que des moyens de défense, qu'il les a exposées oralement devant le tribunal de commerce en première instance et que, même à considérer ces moyens comme des prétentions nouvelles, n'étant destinés qu'à écarter les prétentions adverses, ils sont parfaitement recevables.

La procédure suivie devant le tribunal de commerce est régie par les dispositions des articles 853 à 878-1 du code de procédure civile. L'article 860-1 dudit code dispose que devant le tribunal de commerce, la procédure est orale de sorte qu'[V] [T], qui était présent et non assisté d'un conseil, pouvait faire valoir ses moyens et prétentions oralement à l'audience du 7 novembre 2023.

En application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelle prétentions ['] si ce n'est pour faire écarter les prétentions adverses ['].

En l'espèce, si le jugement frappé d'appel n'expose que très brièvement la position adoptée à l'audience par [V] [T], il ressort de ses propos, tels que repris dans le corps du jugement, et prévenant la juridiction de ce qu'il entendait faire appel de la décision rendue si elle ne lui était pas favorable, qu'il a nécessairement sollicité du tribunal de commerce de ne pas trancher en faveur du liquidateur judiciaire et de ne pas accueillir ses demandes.

Dès lors, les prétentions de l'appelant, reprenant en partie les prétentions déjà soutenues devant le premier juge, et, pour le surplus, ne visant qu'à écarter les prétentions de l'intimée, sont bien recevables.

La fin de non-recevoir formulée par la Selarl [7], es qualités, est rejetée.

Sur l'insuffisance d'actifs, les fautes de gestion et le lien de causalité

Selon les dispositions de l'article L651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Il appartient au liquidateur qui poursuit la responsabilité du dirigeant sur ce fondement d'établir l'existence d'une insuffisance d' actif, d'une faute de gestion imputable au dirigeant, antérieure à l'ouverture de la procédure et distincte d'une simple négligence, ainsi que l'existence d'un lien de causalité entre la faute et l'insuffisance alléguée.

La cour conserve la simple faculté de condamner. Pour cela, elle apprécie la réalité des fautes reprochées et évalue souverainement le montant de la condamnation éventuelle qui doit être proportionnée aux seules fautes retenues.

- sur l'insuffisance d'actifs

L' insuffisance d'actif ayant vocation à être réparée par l'action est égale à la différence entre le montant du passif antérieur admis et le montant de l'actif de la personne morale débitrice. Seules les dettes antérieures au jugement d'ouverture peuvent être prises en compte au titre du passif.

L' insuffisance d'actif s'apprécie au jour où la cour statue. En l'espèce au vu du rapport du liquidateur, le passif déclaré s'élève à 1 513 222,27 euros, dont 87 082,78 euros de passif superprivilégié, et les actifs recouvrés à 22 134,32 euros.

L' insuffisance d'actif s'établit donc à la somme de 1 491 087,95 euros.

[V] [T] ne conteste pas l'existence de l'insuffisance d'actifs.

- sur les fautes de gestion

Le liquidateur relève les fautes de gestion suivantes, qu'il impute à [V] [T] en ses qualités successives de directeur général puis de président de la personne morale :

a) augmentation de 70% des créances clients non recouvrées pour l'année 2021 (696 119 euros) par rapport au montant inscrit en comptabilité pour l'année 2020 (233 235 euros),

b) bascule en débit du compte courant bancaire de la Sas à 10 reprises entre les mois d'avril 2019 et de juin 2021, pouvant aller jusqu'à la somme de 163 241,45 euros alors que la Sas [10] ne disposait que d'un découvert autorisé de 100 000 euros,

c) recours massif à des chèques éco-énergie dont la plupart ont été encaissés par la Sas [10] avant que les chantiers afférents ne débutent,

d) émission de nombreux avoirs clients sans explications,

e) compte courant d'associé d'[V] [T] débiteur pour un montant de 51 629,20 euros au 31 mars 2021,

f) compte « dividendes pris d'avance » présentant un solde de 43 434 euros non comptablement placés en compte courant associé et non appuyés sur un bilan intermédiaire et la validation d'un commissaire aux comptes,

g) émission par [V] [T] de quatre chèques depuis l'un des comptes bancaires de la Sas à destination d'un autre compte bancaire de la Sas, tenu dans les livres de la [8] et rejetés pour défaut de provision,

h) rémunération excessive du dirigeant alors que la Sas était en difficulté financière,

i) déclaration très tardive par le dirigeant de la cessation des paiements avec poursuite d'une exploitation déficitaire à compter de l'exercice 2020 sans recherche d'obtention de mesures de prévention des difficultés.

Dans son avis, le ministère public, retenant une situation antérieure saine de la Sasu [10] et des manquements se rattachant plus à de la négligence, écarte toute faute de gestion imputable à [V] [T] à l'exception des deux éléments suivants :

l'abus de bien social caractérisé par l'existence au 31 mars 2021 d'un compte courant associé débiteur d'un montant de 51 629,20 euros,

et la distribution de dividendes fictifs au 31 mars 2021 à hauteur de 43 434 euros alors que la résolution d'AGE afférente indiquait que l'ensemble du résultat bénéficiaire avait été affecté en réserves.

Le Ministère Public souligne que ces fautes de gestion ont participé directement à l'insuffisance d'actif à hauteur de 95 063,20 euros et qu'[V] [T] doit être condamné à verser ce montant au liquidateur judiciaire désigné.

En réplique, [V] [T], qui conteste toute faute de gestion pouvant lui être reprochée, notamment du fait qu'il n'était pas le président de la Sas avant le 11 juin 2021, impute l'origine des difficultés rencontrées à la pandémie de 2020 en soulignant que l'activité de la Sas [10] était auparavant bénéficiaire depuis l'année 2018.

Il souligne que la Selarl [7], es qualités, ne produit aucune des factures qu'il affirme avoir été émises par la Sas [10] dans le seul but d'encaisser les aides pour des chantiers non exécutés et qu'au demeurant les dispositifs d'aides étatiques ou régionales visés n'interdisent ni la perception d'avances ou d'acomptes de la part des clients, ni le paiement des subventions sous forme d'avances pour éviter le paiement par le client de la part des travaux subventionnables. Il ajoute que la liste des créances déclarées ne comprend aucune créance déclarée par l'Etat ou la Région au titre de la perception d'aides indues.

Enfin, il affirme qu'il n'est pas interdit de diriger une société en utilisant jusqu'à leur plafond l'ensemble des moyens financiers dont elle dispose et qu'il n'a commis aucune faute en déposant les 4 chèques d'un compte bancaire de la société à un autre, ayant simplement voulu les équilibrer.

En l'espèce, au vu des documents transmis par la Selarl [7], es qualités, notamment le projet de rapport de l'Expert, sa note technique N°1 et sa note technique N°2 en réponse aux observations d'[V] [T], la cour retient que la majeure partie des difficultés rencontrées par l'entreprise et ayant précipité la cessation des paiements est imputable à la pandémie du COVID 19 et notamment à l'arrêt total des activités de la Sas [10] pendant le 1er confinement de mars 2020 alors que l'entreprise avait une situation auparavant économiquement saine. Ces documents, ainsi que le rapport du juge commissaire saisi, indiquent notamment que malgré plusieurs PGE consentis, la Sas [10] n'a pas pu redresser sa situation.

Dès lors, s'agissant des manquements a), b) et g), l'existence de créances clients irrécouvrables, notamment en l'absence de production par le liquidateur d'éléments relatifs à leur éventuelle compensation comptable par inscription de leur dépréciation, ou l'usage inadapté des comptes courant bancaires ne traduisent que les tentatives maladroites et malavisées de la direction de l'entreprise pour soutenir une activité qui n'était déjà plus viable. L'augmentation minime de la rémunération du Directeur général devenu Président, manquement h), pour l'aligner sur la rémunération perçue par l'ancien Président, si elle n'apparaît pas comme une décision d'administration pertinente compte tenu des difficultés rencontrées par la société, se rattache plus à une négligence dans la gestion de l'entité qu'à une réelle faute intentionnelle, compte tenu de son montant très mesuré.

S'agissant du manquement i), s'il est exact que la Sas [10] eût bénéficié à se placer sous la protection d'un régime de procédure collective, le fait de ne pas y avoir procédé plus tôt, dans le contexte décrit et alors que le nouveau président a déclaré la cessation des paiements 5 mois seulement après avoir repris l'entreprise, ne peut caractériser la faute de gestion alléguée par le liquidateur.

Enfin, la cour constate, s'agissant des manquements c) et d), que le liquidateur judiciaire ne produit pas les pièces permettant de vérifier l'encaissement d'aides étatiques ou de la Région avant le démarrage des chantiers concernés, de sorte que ces fautes de gestion ne sont pas plus caractérisées.

En revanche, pour les manquements e) et f) : l'existence au 31 mars 2021 d'un compte courant associé d'[V] [T] débiteur d'un montant de 51 629,20 euros, alors que cette pratique est strictement interdite par les dispositions des articles L225-43 du code de commerce, auquel renvoie l'article L227-12 s'agissant des Sas, constitue une faute de gestion. Si [V] [T] s'en défend en avançant avoir remis de l'argent aux fins de comblement de ce compte, le liquidateur judiciaire indique que le compte courant a été remis en position débitrice postérieurement à ce dépôt.

Enfin, constitue également une faute de gestion la présence d'une somme de 43 434 euros inscrite au crédit du compte « dividendes pris d'avance » sans qu'il ne soit rapporté par l'appelant, en défense, la preuve du dépôt d'un bilan intermédiaire pendant l'exercice clos au 31 mars 2021, une autorisation d'un commissaire aux comptes validant l'opération ainsi qu'une délibération de l'AGE de la Sas [10] approuvant ces acomptes. Il doit être relevé au contraire que la délibération de l'AGE correspondante a validé l'affectation de l'ensemble des bénéfices de l'année aux réserves. Faute de production par [V] [T] de ces divers documents et au vu du contenu de la délibération susmentionnée, l'inscription de ces sommes crédit du compte « dividendes pris d'avance » doit être requalifiée en distribution de dividendes fictifs conformément aux dispositions de l'article L232-12 du code de commerce, ce qui constitue à l'évidence une seconde faute de gestion.

[V] [T] se défend en contestant sa qualité de dirigeant de la Sasu [10] pour la période antérieure au rachat des parts sociales à [J] [H], soit au 11 juin 2021, en avançant qu'il n'était alors que Directeur général de la personne morale.

Cependant, il a été jugé que le directeur général délégué d'une société anonyme a bien la qualité de dirigeant de droit au sens de l'article L.651-2 du Code de commerce mais que l'étendue de la responsabilité pour insuffisance d'actif du directeur général d'une société anonyme dépend de l'étendue des pouvoirs de gestion qui lui ont été effectivement délégués.

En l'espèce, comme l'expose le Ministère Public, les statuts de la Sas [10], produits par le liquidateur, mentionnent à l'article 21 du Titre V, « Administration de la société », que « sauf limitation fixée par la décision de nomination [...] Le Directeur général [.. dispose] des mêmes pouvoirs de direction que le Président ».

La Selarl [7], es qualités, rapporte donc la preuve qu'au sein de la Sas [10], [V] [T] disposait des mêmes pouvoirs d'administration que [J] [H], alors président.

Il revient à [V] [T], aux fins de s'exonérer de cette responsabilité, de rapporter la preuve que les pouvoirs de gestion délégués en tant que Directeur général de la Sas [10] étaient limités, ce que l'appelant ne fait pas.

La cour en conclut donc que, conformément aux statuts de la Sas [10], en tant que Directeur général, [V] [T] possédait les mêmes pouvoirs que ceux dévolus au Président dans l'administration de la personne morale et que, partant, sa responsabilité pour fautes de gestion, et en l'espèce la détention d'un compte courant associé débiteur et la distribution de dividendes fictifs, peut être recherchée même si les faits sont antérieurs au 11 juin 2021.

- sur le lien de causalité

Le liquidateur judiciaire affirme que les fautes ainsi reprochées à [V] [T] ont à la fois augmenté considérablement le passif mais également sensiblement diminué l'actif de la société.

Le Ministère Public indique que les prélèvements indus réalisés sur la trésorerie de la société ont participé directement à l'insuffisance d'actifs.

L'appelant assure qu'il n'est matérialisé aucun lien de causalité entre ses prétendues fautes et l'insuffisance d'actif.

La cour indique qu'en maintenant, alors que la Sasu [10] rencontrait de réelles difficultés financières, sur des comptes tiers appartenant aux associés, la somme de 95 063,20 euros, [V] [T] a bien contribué à l'insuffisance d'actifs caractérisée dans la présente procédure en privant la société de ressources précieuses lui appartenant.

Sur le montant de la condamnation

Le liquidateur sollicite la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a fixé le montant de la condamnation d'[V] [T] au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actifs à la somme de 377 000 euros.

[V] [T] réplique en affirmant n'avoir tiré aucun profit personnel de la Sasu [10], ne se versant qu'irrégulièrement son salaire, mais qu'il y a, au contraire, injecté la somme totale de 76 400 euros entre juin et octobre 2021.

La contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif peut être partielle ou totale. Pour fixer le montant de la contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif, il convient de prendre en compte, le nombre et la gravité des fautes de gestion retenues contre lui, l'état de son patrimoine, ainsi que, le cas échéant, les efforts qu'il a réalisé pour redresser la situation.

En l'espèce, après interrogation des services fiscaux, la Selarl [7], es qualités, indique qu'[V] [T] est propriétaire d'un bien sis [Adresse 4] à [Localité 11] (82) et titulaire de parts indivises d'un terrain à bâtir, situé également à [Localité 11]. Elle avance qu'il était également co-gérant de la SCI [5], créée en 2018 et inscrite au RCS de [Localité 9], dont il a revendu les parts en novembre 2022 pour la somme de 5 000 euros avec décision favorable de l'AGE de la SCI pour un remboursement de son compte courant associé créditeur d'un montant de 3 850 euros.

Le liquidateur produit deux annonces du BODACC démontrant enfin qu'[V] [T] a déjà été dirigeant de deux entreprises ayant fait l'objet de liquidations judiciaires en 2015 et 2021, toutes deux clôturées pour insuffisance d'actif.

[V] [T] ne fournit aucun élément sur sa situation personnelle.

Dès lors, la cour, considérant la gravité des deux fautes de gestion retenues et le montant de l' insuffisance d'actif en lien causal avec ces manquements, en application du principe de proportionnalité, fixe souverainement la contribution d'[V] [T] à l' insuffisance d'actif de la Sas [10] à la somme de à 90 000 euros. La cour le condamne à payer cette somme à la Selarl [7], es qualités.

Le jugement est donc confirmé sur le principe de la contribution d'[V] [T] à l'insuffisance d'actifs mais infirmé sur le quantum, ramené à la somme de 90 000 euros.

Sur les frais irrépétibles,

Au vu de la succombance à hauteur d'appel, le jugement de première instance est confirmé quant à ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

[V] [T], partie succombante, sera condamné aux dépens d'appel.

Les circonstances de l'espèce justifient qu'[V] [T] soit condamné à verser à la Selarl [7], es qualités, la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, lui-même étant débouté de sa demande formulée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Rejette la fin de non-recevoir formulée par la Selarl [7], es qualités,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné [V] [T] à payer à la Selarl [7], es qualités de liquidateur judiciaire de la Sasu [10], la somme principale de 377 000 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal de cette somme à compter de l'assignation jusqu'à parfait paiement,

Et, statuant à nouveau, du seul chef infirmé,

Condamne [V] [T] à payer à la Selarl [7], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sasu [10], la somme de 90 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et jusqu'à parfait paiement,

Y ajoutant,

Condamne [V] [T] aux dépens d'appel,

Condamne [V] [T] à verser à la Selarl [7], es qualités, la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute [V] [T] de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

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