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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 2 mai 2025, n° 22/17990

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Five Nines (SAS)

Défendeur :

Lutessa (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme l'Eleu de la Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Etevenard, Me Duverne-Hanachowicz, Me Pachalis, Me Tamnga, SELARL Recamier Avocats Associes

T. com. Paris, du 29 sept. 2022, n° 2021…

29 septembre 2022

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Selon un contrat du 28 avril 2014, la société Lutessa, spécialisée dans le conseil et les prestations en systèmes et logiciels informatiques et dirigée par M. [T] [Y], a confié la sous-traitance de prestations informatiques à M. [P].

A compter de 2016, M. [P] a participé au développement d'une unité opérationnelle ('Business Unit Cloud') de la société Lutessa autour des services informatiques ouverts sur internet (services de 'cloud computing'), puis la relation commerciale s'est poursuivie entre les parties sans contrat formalisé sur la base d'un partage entre les parties de 50 % de la marge brute générée par la mise à disposition des collaborateurs de la société Lutessa affectés aux missions, avec déduction d'un coefficient de salaire 1,7% sur la marge brute des rémunérations et des charges. Pour la rémunération des prestations de placement des collaborateurs, M. [P] a régulièrement émis les factures mentionnées au titre 'd'apporteur d'affaires'.

En mars 2019, M. [P] a échoué dans le projet de vente de l'unité opérationnelle qu'il a soumis à la société Orange Cyber Défense au prix de deux millions d'euros, puis en avril 2019, M. [P] a proposé à la société Lutessa le rachat de la Business Unit Cloud pour une somme comprise entre 250.000 euros et 400.000 euros, offre de prix que la société Lutessa a refusée.

Alors que M.[Y] s'est ensuite opposé sur les conditions de départ de M.[P] de la société Lutessa, il a suspendu le 18 avril 2019 son accès à l'application 'Boond' dédiée au suivi des clients de la société Lutessa ainsi qu'à la facturation à partir des informations sur l'emploi des consultants - taux journalier, salaires, formations, absences - nombre de jours vendus et chiffre d'affaires de production et calcul de la marge à répartir.

M. [P] a constitué le 25 mai 2019 une société Five Nines, concurrente de celle de la société Lutessa tout en poursuivant la relation avec cette dernière.

Après que M. [P] a émis le 25 novembre 2019 une facture n°FY19-11-LTS de 83.186,40 euros TTC au titre des affaires des mois de juin, juillet, septembre et octobre 2019, il a vainement mis en demeure le 5 décembre 2019 la société Lutessa de régulariser le paiement de cette facture avant de dénoncer le 19 décembre 2019 sa prise d'acte de la rupture du contrat d'agent commercial et de réclamer une indemnité compensatrice de 360.192 euros outre le paiement de la facture n°FY19-11-LTS ainsi que celle n°FY19-12-LTS émise le 10 décembre 2019 pour la somme de 7.229,98 euros TTC titre des affaires de novembre 2019.

* *

Par acte du 6 juillet 2020, M. [P] a assigné la société Lutessa devant le tribunal de commerce de Paris en paiement d'une indemnité de 306.736 euros outre la somme de 90.1416,37 euros au titre du solde des commissions restant dues, puis par acte du 25 février 2021, la société Lutessa a assigné en intervention forcée la société Five Nines et, reprochant à cette dernière, ainsi qu'à M. [P], des faits de détournement de clientèle et de parasitisme, la société Lutessa a obtenu de la juridiction commerciale par jugement avant dire droit du 10 novembre 2021, l'injonction faite à M. [P] et à sa société Five Nines la communication confidentielle des informations, depuis mai 2019, sur le chiffre d'affaires réalisé ainsi que la liste de l'intégralité des collaborateurs anciens salariés de la société Lutessa.

Selon un second jugement du 22 septembre 2022, la juridiction commerciale a :

- fait droit à la demande de M. [P] et requalifié le contrat commercial d'apporteur d'affaires, qui lie la société Lutessa et M. [P], en contrat d'agent commercial,

- dit que la société Lutessa, en sa qualité de mandant, a commis une faute en coupant l'accès de M. [P] au logiciel Boond, ne respectant pas son engagement contractuel à l'égard de M. [P] ,

- dit que M. [P] ne peut pas prétendre que le contrat a été rompu rétroactivement à effet du 17 avril 2019, aux torts exclusifs de la société Lutessa, mais que M. [P] en a pris l'initiative à la date, et avec effet, du 19 décembre 2019,

- dit que M. [P] n'a pas respecté ses engagements contractuels d'agent commercial à l'égard de la société Lutessa, notamment de loyauté en créant une société concurrente de la société Lutessa,

- dit qu'en matière de règlement de factures, la société Lutessa n'a pas manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de M. [P],

- débouté M. [P] de sa demande d'indemnité de 308.736 euros au titre de la rupture du contrat d'agent commercial intervenue à son initiative,

- condamné la société Lutessa à payer à M. [P] la somme de 86.224,22 euros TTC, et l'en a déboutée pour le surplus,

- condamné la société Lutessa à payer à M. [P] la somme de 2.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement sans caution,

- condamné la société Lutessa aux dépens.

Le 19 octobre 2022, M. [P] et la société Five Nines ont interjeté appel du jugement du 22 septembre 2022.

PRÉTENTIONS EN APPEL :

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 4 juillet 2023 pour M. [O] [P] et la société Five Nines afin d'entendre, en application des articles 1103, 1104, 1194, 1217, 1219, 1226, 1188 du code civil, L.134-1, R.134-2, L.134-7, L.134-9, L.134-12, L.134-13, L. 441-10 et L.441-16 du code de commerce :

- confirmer le jugement du 22 septembre 2022 en ce qu'il a jugé que la société Lutessa avait commis plusieurs manquements à ses obligations contractuelles, condamné la société Lutessa à payer à M. [P] les factures de commissions qu'elle restait lui devoir à hauteur de 90.416,37 euros TTC, dit que le contrat qui liait les parties est un contrat d'agent commercial,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que M. [P] serait redevable envers la société Lutessa de la somme de 4.192,15 euros TTC au titre de charges, laquelle somme a été déduite du montant dû par la société Lutessa, refusé de juger que le contrat avait été rompu rétroactivement à effet du 17 avril 2019 aux torts exclusifs de la société Lutessa, jugé que M. [P] avait manqué à son obligation de loyauté en créant la société Five Nines, débouté M. [P] de sa demande de versement d'une indemnité de rupture, débouté la société Lutessa de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce inclus son appel incident,

en conséquence, et statuant à nouveau,

- condamner la société Lutessa à payer la somme de 4.192,15 euros TTC déduite des factures dues de manière erronée,

- condamner la société Lutessa à payer la somme de 308.736 euros au titre de l'indemnité de rupture,

en tout état de cause,

- condamner la société Lutessa à payer à M. [P] et la société Five Nines la somme de 10.000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Lutessa aux entiers dépens ;

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 31 octobre 2024 pour la société Lutessa afin d'entendre :

- recevoir la société Lutessa en ses demandes et la déclarer bien fondée,

- débouter M. [P] de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. [P] ne peut pas prétendre que le contrat a été rompu rétroactivement à effet du 17 avril 2019, aux torts exclusifs de la société Lutessa, mais que M. [P] en a pris l'initiative à la date, et avec effet, du 19 décembre 2019, dit que M. [P] n'a pas respecté ses engagements contractuels d'agent commercial à l'égard de la société Lutessa, notamment de loyauté en créant une société concurrente de la société Lutessa, dit qu'en matière de règlement de factures, Lutessa n'a pas manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de M. [P], débouté M. [P] de sa demande d'indemnité de 308.736 euros au titre de la rupture du contrat d'agent commercial intervenue à son initiative,

en toutes hypothèses,

- juger que la facturation de M. [P] ne respecte pas les dispositions de l'article L. 441-9 du code de commerce,

- juger que la société Lutessa n'a pas manqué à son obligation de paiement au regard des dispositions de l'article L. 441-10 I° du code de commerce,

- infirmer le jugement en ce qu'il a requalifié le contrat commercial d'apporteur d'affaires en contrat d'agent commercial et dit que la société Lutessa a commis une faute en coupant l'accès de M. [P] au logiciel Boond, condamné la société Lutessa à payer à M. [P] la somme de 86.224,22 euros TTC, outre 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger que les factures n°FY19-11-LTS et FY19-12-LTS de M. [P] doivent être imputées de la charge à déduire conformément aux engagements contractuels convenues entre la société Lutessa et M. [P],

- condamner M. [P] à payer la somme de 86.224,22 euros TTC,

- condamner M. [P] à payer la somme de 4.192,15 euros TTC au titre de la charge à déduire sur les factures n°FY19-11-LTS et FY19-12-LTS,

- condamner M. [P] à payer une somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction dans les conditions de l'article 699 dudit code.

SUR CE, LA COUR,

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs conclusions et au jugement suivant la prescription de l'article 455 du code de procédure civile.

1. Sur le bien fondé des factures n°FY19-11-LTS et n°FY19-12-LTS

La société Lutessa entend voir infirmer le jugement en ce qu'il a retenu le bien fondé de la part de marge brute que M. [P] a réclamée dans sa première facture n°FY19-11-LTS mise en paiement le 25 novembre 2019 pour la somme de 83.186,40eurosTTC au titre des affaires des mois de mai, juin, juillet, août, septembre et octobre 2019 ainsi que dans sa seconde facture n°FY19-12-LTS mise en paiement le 10 décembre 2019 pour la somme de 7.229,98 euros TTC titre des affaires de novembre 2019.

Néanmoins, il ne se déduit ni des conclusions de la société Lutessa, ni d'aucune des pièces qu'elle met aux débats, les preuves pertinentes et contraires au détail du placement de ses salariés et du prix de vente de leurs prestations auprès des clients apportés par M. [P], et que ce dernier détaille dans ses tableaux extraits de l'application Boond reproduits dans sa pièce n°20 qu'il avait communiqués avec ses deux factures au soutien de ses demandes en paiement, en sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.

M. [P] prétend quant à lui voir infirmer le jugement en ce qu'il a retranché de ces deux factures la somme de 4.192,15 euros TTC représentant les charges à déduire des collaborateurs M. [G], M. [U] et Mme [H] et dont M. [P] soutient que l'affectation de ces consultants a été effacée de la base des données de l'application Boond sans justification ainsi qu'il entend le déduire des extractions de cette application réaliosée par une constant d'huissier qu'il a fait établir le 24 janvier 2020.

Toutefois, les constatations de l'huissier ne sont pas de nature à contredire les preuves que ces salariés n'étaient pas affectés à des missions ainsi que cela est établi par les bulletins de paie que la société Lutessa met aux débats, et dont M. [P] ne pouvait par ailleurs pas soutenir avoir été entretenu dans cette ignorance, alors que la société Lutessa produit l'attestation de chacun d'entre eux par laquelle il indique avoir été en contact avec M. [P] jusqu'en décembre 2019.

Le jugement sera par conséquent aussi confirmé de ce chef.

2. Sur la qualification du statut d'agent commercial

Il est rappelé les termes de l'article L. 134-1, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2023, selon lesquels :

L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Il est par ailleurs rappelé qu'aux termes de ses points 33 et 34, l'arrêt de la CJUE du 4 juin 2020, Trendsetteuse (C-828/18,) interprétant l'article 1 , paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, énonce que les tâches principales d'un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant et à développer les opérations avec les clients existants et que l'accomplissement de ces tâches peut être assuré par l'agent commercial au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération de vente des marchandises pour le compte du commettant, même si l'agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix desdites marchandises. Il résulte de la généralité de ces termes qu'il n'est pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les conditions des contrats conclus par le commettant pour être agent commercial.

Pour entendre infirmer le jugement en ce qu'il a reconnu à M. [P] le statut d'agent commercial, et pour conclure que son concours à l'activité était limité à celui 'd'apporteur d'affaires', ainsi que cela était mentionné sur les factures que M.[P] a émises du 21 septembre 2017 au 25 novembre 2019, la société Lutessa se prévaut de son activité consistant à externaliser son expertise et ses services dont elle soutient qu'elle est accomplie à partir de ses propres moyens 'locaux, ordinateurs, laboratoire, catalogue de formation', et que pour ses 'services de recrutement', elle 'vend les prestations de ses collaborateurs auprès de ses clients, pilote le service d'administration des ventes pour collecter les informations et émettre les factures.'

La société Lutessa relève en outre que la relation contractuelle avec M.[P] n'a jamais été formalisée par écrit et qu'en tout état de cause, une relation d'agent commercial n'était pas envisagée alors que jusqu'au mois d'avril 2018, M. [P] était encore contractuellement engagé avec la société KTS pour la fourniture de prestations à la Société Générale, activité incompatible avec le statut d'agent commercial.

Elle déduit ainsi que M. [P] n'établit pas la preuve qu'il était indépendant, alors qu'il devait suivre les directives de la société Lutessa, qu'il n'a par ailleurs pas exercé son activité de façon permanente, alors que sur l'année 2019 il n'a négocié aucun contrat ni placé des collaborateurs.

Toutefois en premier lieu ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la qualification du contrat ne dépend pas de la seule définition que les parties en ont donnée, mais des conditions dans lesquelles leur convention est exécutée.

En deuxième lieu, la société Lutessa ne conteste pas ne avoir approuvé l'apport des prestations dédiées à la Société Générale par le truchement de la société KTS.

En troisième lieu, la société Lutessa n'établit pas la preuve qu'elle est à l'origine, à la place de M. [P], des placements des consultants et de la vente de leur prestations au nom et pour le compte de la société Lutessa dans les conditions de l'article L.134-1, alinéa 1er précité et dont l'initiative se déduit du détail des placements des collaborateurs et de la vente de leur prestations auprès des clients existants et que M.[P] a rapporté dans chacune des factures des commissions qu'il a mises en paiement de septembre 2017 à novembre 2019.

Enfin, à la suite des articles L. 134-5 et suivant du code de commerce, la rémunération variant avec le nombre ou la valeur des affaires constitue une commission que les parties sont libres de déterminer, l'article L. 134-6 disposant que :

Pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'application du statut d'agent commercial.

3. Sur les circonstances et les torts dans la rupture du contrat d'agent commercial

Pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande d'indemnité, la société Lutessa conteste en premier lieu avoir commis une faute dans la suspension de l'accès au compte Boond le 18 avril 2019, alors d'une part, que M.[P] ne démontre pas la réalité des moyens dont il a pu être privés pour la poursuite de ses missions sur la période de 15 jours de cette suspension et tandis, d'autre part, que M.[P] a convenu poursuivre son activité après le rétablissement de l'accès à l'application, ce dont il résulte par ailleurs qu'il est malfondé à revendiquer une rupture rétroactive du contrat au 17 avril 2019 ainsi que les premiers juges l'ont retenu.

En second lieu, la société Lutessa reproche à M. [P] les fautes graves qu'il a commises, d'une première part, dans la constitution de la société Five Nines le 25 avril 2019 sans obtenir l'autorisation de la société Lutessa en violation de dispositions de l'article L. 134-3 du code de commerce.

La société Lutessa reproche, de deuxième part, les actes de parasitisme de M.[P] qui sont résultés pendant la relation contractuelle du détournement des signes 'Five Nines' et 'Ffive9s' destinés, depuis leur création en 2018, à être exploités par la société Lutessa, alors que l'autorisation pour en disposer qu'il a sollicitée le 25 avril 2019 lui avait été refusée, M. [P] ayant au surplus procédé unilatéralement au dépôt des marques.

Elle reproche, de troisième part, la société les actes de parasitisme résultant de l'autorisation que M. [P] a donnée à son épouse d'établir des supports publicitaires reproduisant une description du groupe Lutessa dans le seul but d'entretenir une confusion illicite et parasitaire accréditant que la société Lutessa et Fives Nines constituaient une même entité.

De quatrième part, la société Lutessa reproche à M. [P] le débauchage de deux de ses collaborateurs, M. [D] en septembre 2019 et M. [S] en octobre 2019.

De cinquième part, il est fait grief à M. [P] le détournement de chiffre d'affaires et la captation de ses clients alors, la société Lutessa concluant que 'depuis les agissements de monsieur [P], lutessa ne travaille plus avec Claranet et Lagardere, soit deux clients qui représentaient une part importante du chiffre d'affaires de la BU cloud Lutessa.'

Enfin, la société Lutessa reproche à M. [P] la gravité de la faute résultant de son désinterêt et de sa négligence dans son mandat de négocier des contrats et qu'il a interompu depuis janvier 2019.

Toutefois, à la suite des articles L. 134-12, alinéa 1, et L. 134-13 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Et selon le second, la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

Et à la suite des points 38, 42 et 43 de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 28 octobre 2010 (Volvo Car Germany GmbH, aff. C-203/09,) la chambre commerciale, financière et économique de la cour de cassation a, par son arrêt du16 novembre 2022 (n° 21-17.423), dit qu'en vertu des articles 17, § 3, et 18 de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, les articles L. 134-12 et L.134-13 du code de commerce, doivent être interprété en ce sens que 'l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité'.

Ainsi et en premier lieu, il est constant que la société Lutessa n'a pas dénoncé le contrat de M. [P] sur l'une ou l'autre des fautes qu'elle lui reproche, avant que son agent ne dénonce le 19 décembre 2019 leur contrat et revendique l'indemnité compensatrice de préavis, de sorte que la société Lutessa n'est pas fondée à opposer ces fautes à l'initiative de M. [P] de rompre le contrat.

En second lieu, et s'il est constant que la relation commerciale s'est poursuivie entre les parties après le rétablissement de l'accès à l'application Boond début mai 2019, de sorte que les premiers juges ont dûment déduit que la rupture ne pouvait être fixée à cette date ou à celle de la suspension de l'accès, M. [P] a cependant régulièrement dénoncé le 19 décembre 2019 avec 'effet à compter de ce jour' les manquements de la société Lutessa dans le versement des commissions facturées.

Sur les conditions d'exigibilité et de paiement des commissions, il est rappelé les prescriptions du code de commerce selon lesquelles :

à l'article L. 134-6

Pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l4opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre.

et à l'article L. 134-9 :

La commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécutée en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération.

La commission est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part. Elle est payée au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise.

Alors qu'il est constant que malgré la mise en demeure que M. [P] lui a délivrée le 5 décembre 2019 de régler sa facture n°FY19-11-LTS mise en paiement le 25 novembre 2019 comprenant la commission de 30.460 euros au titre des affaires des mois de mai et juin 2019 et celle de 15.441,50 euros au titre des affaires de juillet 2019 (pièce n°19 de M. [P]), la société Lutessa a délibérément refusé d'acquitter ces commissions après le délai prescrit par l'article L. 134-9 du code de commerce précité.

Ce manquement de la société Lutessa est de nature à imputer le bienfondé de la rupture du contrat à l'initiative de M. [P] de sorte que le jugement sera infirmé de ce chef.

4. Sur le montant de l'indemnité de rupture

Aux termes de ses conclusions, la société Lutessa ne conteste pas pertinemment la substance et la valeur des commissions de 360.194 euros hors taxes que M. [P] a facturées de septembre 2017 à novembre 2019 pour déterminer la moyenne mensuelle des commissions utile à la fixation de l'indemnité de deux ans qu'il réclame, de sorte qu'en application de l'article L. 134-12 du code de commerce, il sera fait droit à sa demande de condamnation de la société Lutessa à payer une indemnité de 308.736 euros.

5. Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Lutessa succombant à l'action, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a tranché les dépens et les frais irrépétibles, et statuant de ces chefs en cause d'appel, il convient de la condamner aux dépens ainsi qu'à payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf celle qui a débouté M.[O] [P] de sa demande en indemnité ;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

DIT bien fondé la rupture du contrat d'agent commercial à l'initiative de M.[O] [P] tiré du manquement de la société Lutessa dans son obligation au paiement des commissions ;

CONDAMNE la société Lutessa à payer à M. [O] [P] la somme de 308.736 euros au titre de l'indemnité de rupture sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce ;

CONDAMNE la société Lutessa aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la société Lutessa à payer à M. [O] [P] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

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