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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 avril 2025, n° 23/06483

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hiruak (SASU)

Défendeur :

Candido Miro (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Hinoux, Me Frassati, Me Teytaud, Me Meyrier

T. com. Bordeaux, du 3 févr. 2023, n° 20…

3 février 2023

FAITS ET PROCEDURE

La société Remigil Distribution (ci-après « la société Remigil ») exerçait une activité de commerce de gros, aux droits de laquelle est venue la société Hiruak depuis le 4 juillet 2019 après dissolution sans liquidation et transmission universelle de son patrimoine à cette dernière.

La société Candido Miro, de droit espagnol, a pour activité la production et la commercialisation d'olives en conserve sous la marque Serpis.

Une relation commerciale a été initiée en 2003 entre la société Remigil, grossiste, établi dans la région basque, et la société Candido Miro pour la commercialisation de ses produits en France.

Le 30 avril 2003, la société Candido Miro a établi une attestation en ces termes :

« A qui peut intéresser,

Par la présente nous informons que notre société Candido Miro vend seulement nos produits de la marque EL SERPIS à la société SARL REMIGIL à l'intérieur du territoire français.

SARL REMIGIL est la société unique en France qui est en train de commercialiser produits EL SERPIS avec notre autorisation. »

En 2011, la société Candido Miro a décidé d'octroyer à la société Comptoir France Espagne (ci-après « la société CFE ») l'exclusivité de la commercialisation des produits Serpis sur l'ensemble du territoire français. Néanmoins, selon la société Candido Miro, elle demeurait désireuse de maintenir ses relations commerciales avec la société Remigil, et dit avoir organisé une réunion tenue en 2011, avec les sociétés Remigil et CFE pour arrêter les secteurs et types de clients dévolus à chaque partenaire distributeur :

- CFE se chargeant des ventes au niveau national auprès des centrales d'achats des grandes et moyennes surface (GMS)

- Rémigil conservant les ventes aux points de vente dans le sud-ouest, sauf GMS (soit seulement les petites surfaces).

Cette répartition n'a pas été formalisée par écrit.

En 2017, la société Remigil a conclu un accord de distribution des produits Serpis avec trois centrales d'achat de l'enseigne E. Leclerc du sud-ouest.

En octobre de la même année, la société Candido Miro a notifié à la société Remigil son obligation de cesser la distribution des produits Serpis à compter de janvier 2019, y compris auprès des centrales régionales E. Leclerc du sud-ouest, en raison des accords d'exclusivité conclus avec CFE.

Par courriel du 5 avril 2018, la société Remigil a informé la société Candido Miro de son impossibilité de mettre un terme à la fourniture d'olives sous marque Serpis à ses clients GMS à cette échéance, invoquant des engagements contractuels en cours jusqu'en avril 2019.

En réponse, la société Candido Miro a accepté de prolonger le préavis jusqu'au 31 décembre 2019. Ainsi, la société Remigil a été autorisée à continuer la vente d'olives sous marque Serpis aux trois centrales régionales E. Leclerc concernées jusqu'à cette date.

Par courriel du 10 juin 2021, la société Candido Miro a rompu la relation commerciale au motif que la société Hiruak distribuait ses produits à la centrale d'approvisionnement des magasins sous enseigne Carrefour et lui refusait une commande le 21 juillet suivant.

Par acte du 26 novembre 2021, la société Hiruak a assigné la société Candido Miro devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour obtenir réparation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 3 février 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Débouté la société Hiruak de l'intégralité de ses demandes,

- Débouté la société Candido Miro de sa demande reconventionnelle,

- Condamné la société Hiruak à verser à la société Candido Miro la somme de 4.000,00 ' (quatre mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Hiruak SASU aux dépens.

La société Hiruak a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 3 avril 2023, intimant la société Candido Miro.

Aux termes de ses conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 30 juin 2023, la société Hiruak demande à la Cour de :

Vu les articles L.420-1 et suivants, L.442-1 et suivants du Code de commerce,

Vu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne

Vu les lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces,

Réformer le jugement du tribunal de commerce du 3 février 2023 en ce qu'il :

- déboute la société Hiruak SASU de l'intégralité de ses demandes.

- condamne la société Hiruak SASU à verser à la société Candido Miro la somme de 4.000,00 euros (quatre mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamne la société Hiruak SASU aux dépens.

Et, statuant à nouveau :

Juger que la société Hiruak n'a pas commis de manquement contractuel de nature à justifier que la société Candido Miro soit fondée à ne respecter aucun préavis au titre de la cessation de ses relations avec la société Hiruak

Condamner la société Candido Miro pour rupture brutale des relations commerciales établies avec la Société Hiruak

Condamner la société Candido Miro à payer à la société Hiruak une somme de 192.679,88 ' à titre de dommages et intérêts consécutifs à la rupture brutale de leurs relations commerciales, augmentée des intérêts au taux légal depuis le 20 septembre 2021, date de la mise en demeure de livrer ;

Condamner la société Candido Miro à payer à la société Hiruak une somme de 18.376,00 ' à titre d'indemnisation de la perte de marge brute sur les produits « manquants », augmentée des intérêts au taux légal depuis le 20 septembre 2021, date de la mise en demeure de livrer ;

Condamner la société Candido Miro à payer à la société Hiruak une somme de 4.412,18 ' HT en remboursement des pénalités appliquées à cette dernière par la centrale d'achat Scalandes ;

Débouter la société Candido Miro de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris de ses demandes relatives aux frais d'instance ;

Y ajoutant,

Condamner la société Candido Miro à payer à la Société Hiruak la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société Candido Miro aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Lexavoue Paris-Versailles.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 21 novembre 2023, la société Candido Miro demande à la Cour de :

Vu les textes, la jurisprudence et les pièces cités,

1/ Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

2/ En tout état de cause :

- débouter Hiruak de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, au besoin en leur opposant une fin de non-recevoir ou en constatant que la Cour n'est saisie d'aucune demande ;

- ordonner la suppression des passages outrageants et diffamatoires figurant en page 18 de ses conclusions d'appelante :

« CFE n'a pas donc pas été informée d'une vente conclue par la Société Hiruak méconnaissant les prétendus droits de distribution exclusive de CFE par l'un de ses clients à enseigne Carrefour comme elle le prétendait dans son courriel du 22 octobre 2021 mais s'est tout simplement constitué des preuves (à elle-même) en vue d'évincer son unique concurrent sur le marché français pour les produits SERPIS, la Société Hiruak, ce qui constitue une escroquerie flagrante au Jugement en violation de l'article 313-1 du Code pénal.

La jurisprudence la plus récente illustre les conditions de caractérisation d'une telle infraction :

« C'est à tort que les juges retiennent qu'un simple mensonge, même produit par écrit, ne peut constituer une man'uvre caractéristique du délit d'escroquerie au Jugement, la production d'un document simplement mensonger étant susceptible de caractériser l'élément matériel de ce délit ».

La société Candido Miro a gravement manqué à ses obligations en ne vérifiant pas la véracité des allégations de CFE.

En tout état de cause, il est permis de sérieusement douter de l'impartialité de CFE de sorte que des courriels émanant d'elle ne sauraient suffire à rapporter la preuve d'une faute imputable à la Société Hiruak » ;

- la condamner à 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour ces propos ;

- réserver l'action publique et l'action civile de Candido Miro ;

- condamner en outre Hiruak à la somme de 10.000 euros pour procédure abusive ;

- aviser ce que de droit quant à sa condamnation en sus à une amende civile ;

- la condamner en outre à la somme de 15.725 euros au titre des frais irrépétibles et à tous les dépens d'appel dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l'article 699.

Par message RPVA du 21 janvier 2025, la société intimée Candido Miro a demandé la fixation de ce dossier.

Par bulletin du 26 février 2025, les parties ont été avisées par RPVA de la clôture de l'instruction pour le 5 mars suivant et de la fixation du dossier à l'audience du 18 mars 2025.

La société Hiruak a déposé et notifié par RPVA le 4 mars 2025 à 18h19 de nouvelles conclusions au fond.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance rendue le 5 mars 2025 à 10 h et notifiée aux parties par RPVA à 15h09.

Par conclusions de procédure, déposées et notifiées par RPVA le 5 mars 2025 à 12h27, la société Candido Miro demande à la Cour de déclarer irrecevables, et en tout état de cause, de rejeter des débats les conclusions et la pièce n°22 tardivement notifiées par la société Hiruak le 4 mars 2025.

Par message RPVA du 5 mars 2025 à 15h26, le conseil de la société Hiruak a sollicité le report de la clôture de l'instruction.

Par conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 7 mars 2025, la société Hiruak demande à la Cour de déclarer recevables ses dernières conclusions.

***

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

I- Sur la recevabilité des conclusions « de dernière heure » de la société Hiruak

Positions des parties,

La société Candido Miro fait valoir que, selon une jurisprudence constante (notamment Com.31 octobre 2006 n°04-18.667), ses conclusions déposées après le prononcé de la clôture et avant sa notification aux parties, sollicitant le rejet des conclusions de dernière heure de la société Hiruak sont recevables. Elle soutient que les conclusions de cette dernière, notifiées par RPVA, la veille au soir de clôture de l'instruction prévue pour le lendemain à 10h dont elle était informée par avis du 26 février 2025, et alors qu'elle n'avait pas conclu depuis le 21 novembre 2023, date des dernières conclusions de l'intimée, n'ont pas été notifiées à son contradicteur en temps utile pour y répondre.

En réponse, la société Hiruak soutient que ses conclusions notifiées le 4 mars ne constituent qu'une simple réplique aux dernières écritures de la société Candio Miro, et ne comportent ainsi aucun moyen nouveau, ni prétention nouvelle, en fait ou en droit, appelant une réplique de la part de la société intimée.

Réponse de la Cour,

Selon l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. Selon l'article 135, le juge peut écarter des débats les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.

Il résulte de ces textes et de l'article 954 du même code que si les juges du fond apprécient souverainement si des conclusions ou des pièces ont été déposées en temps utile au sens du premier de ces textes, ils sont tenus de répondre à des conclusions qui en sollicitent le rejet, qu'elles soient déposées avant ou après le prononcé de l'ordonnance de clôture (en ce sens 2e Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 19-21.970 ; Com. 31 octobre 2006, pourvoi n° 04-18667, bull. n° 213).

La société Hiruak a déposé et notifié par RPVA ses dernières conclusions, le 4 mars 2025 à 18h19, soit la veille au soir du prononcé de l'ordonnance de clôture, alors qu'elle était avisée du calendrier de procédure par bulletin du 25 février 2025 à la suite de la demande de fixation de l'intimée le 21 janvier 2025 et que les dernières conclusions de l'intimée avaient été notifiées depuis le 21 novembre 2023.

Il ressort de l'examen de ces conclusions de dernière heure de la société Hiruak, que celles-ci comportent de très nombreuses modifications par rapport aux conclusions notifiées le 30 juin 2023, et sont accompagnées de la production d'une nouvelle pièce n°22. Quand bien même, les modifications ne porteraient que sur une réplique en fait et en droit aux moyens de la société Candido Miro, l'importance de ses modifications à plusieurs endroits des écritures, supposait de la part de cette dernière un temps minimum pour en prendre connaissance, les analyser pour en mesurer la portée, et apprécier les nécessités d'une réplique ou non. Par ailleurs, la Cour constate que la société Hiruak a modifié sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile passant de 10 000 euros au dispositif de ses écritures du 30 juin 2023 à 15 000 euros au dispositif de ses écritures du 4 mars 2025.

Aussi, la Cour estime qu'en notifiant à 18h19 le 4 mars en prévision d'une clôture de l'instruction le lendemain à 10heures, ses dernières écritures comportant modification de son argumentation sur de nombreux points et du montant de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la société Hiruak n'a pas mis son adversaire en mesure d'organiser sa défense en temps utile.

En conséquence, les conclusions de la société Hiruak, déposées et notifiées par RPVA le 4 mars 2025 ainsi que la pièce nouvelle n°22 communiquée simultanément seront déclarées irrecevables.

Dès lors, il sera statué sur les conclusions et le bordereau de communication de pièces de la société Hiruak, déposés et notifiés sur RPVA le 30 juin 2023 et précitées.

II- Sur la rupture de la relation commerciale

L'article L.442-1 II du code de commerce dispose que :

« II- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »

Il résulte de ce texte qu'un manquement suffisamment grave de l'une des parties à ses obligations autorise l'autre à mettre fin à la relation commerciale sans préavis (en ce sens Com., 8 novembre 2017, pourvoi n° 16-15.296 ; Com., 5 juin 2019, pourvoi n° 18-10.359, 17-26.119).

En l'espèce, les parties ne remettent pas en cause le caractère établi, au sens des dispositions précitées, de la relation commerciale nouée entre elles depuis 2003 et portant sur la distribution en France des produits Serpis par la société Remigil, aux droits de laquelle vient la société Hiruak.

Il est également constant que cette relation commerciale a pris fin à l'initiative de la société Candido Miro à la suite de son courriel du 10 juin 2021 et de son refus d'honorer une commande de la société Hiruak le 21 juillet suivant.

En revanche, les parties s'opposent sur l'existence d'une faute grave de nature à justifier une rupture sans préavis de la relation commerciale établie.

1- Sur l'existence d'un manquement grave

Exposé des moyens,

La société Hiruak soutient que la rupture des relations commerciales, après 18 ans de collaboration, est intervenue sans préavis en violation de l'article L.442-1 II du code de commerce. Se fondant sur la jurisprudence, elle estime qu'un préavis de 22 mois aurait dû lui être accordé et réclame réparation du préjudice en résultant.

Elle conteste l'existence d'un manquement de sa part à ses obligations autorisant la société Candido Miro à rompre leur relation commerciale sans préavis. Elle expose que cette rupture résulte de la volonté de la société Candido Miro de se conformer à un engagement d'exclusivité accordé à la société CFE en fraude des droits exclusifs de distribution accordés à la société Remigil depuis 2003. Selon elle, la notification de rupture du 10 juin 2021 mentionne une « incompatibilité des ventes » dans le sud-ouest, révélant que la problématique était liée à sa présence sur ce territoire et non à une prétendue faute. Un courriel du 21 juillet 2021 vient confirmer que la rupture résulte des pressions exercées par CFE insistant pour que soient appliqués ses droits de distribution exclusive. Concernant les reventes supposées à une centrale Carrefour, la société Hiruak conteste ces faits et fait remarquer que la société Candido Miro n'a fourni aucune preuve antérieure à la rupture, se basant uniquement sur des courriels de CFE datant de plusieurs mois après la cessation des relations commerciales. La société Hiruak en déduit que la rupture a été opérée en méconnaissance des exigences légales, et que l'argument d'une inexécution contractuelle est invoqué a posteriori pour justifier une décision prise pour d'autres raisons.

À titre subsidiaire, la société Hiruak soutient que, même si la Cour venait à retenir la preuve de la revente des produits de la marque Serpis par Hiruak à une centrale Carrefour, la faute alléguée ne présente pas un caractère suffisamment grave pour justifier la résiliation sans préavis de la relation commerciale, dès lors que ce manquement est invoqué comme étant « de longue date » et qu'aucune mesure immédiate n'a été prise par cette dernière en poursuivant les échanges avec son partenaire.

En réponse, la société Candido Miro expose que sur le marché français, elle a commencé à travailler avec la société basque Remigil qui n'était pas son distributeur exclusif, mais qui en 2003 était son seul partenaire. Considérant que ce partenaire ne disposait pas de l'expérience suffisante dans la grande distribution, elle a noué des contacts avec la société CFE à qui elle accordait une distribution exclusive de ses produits Serpis, tout en ménageant son partenaire historique. Elle explique avoir courant 2011 organisé une répartition du territoire français entre les deux distributeurs, la société Remigil conservant la vente dans le sud-ouest sauf GMS. Elle soutient que cette répartition du territoire a été respectée par ses partenaires jusqu'à ce que la société Remigil change de main, et que cette dernière conclu un accord de distribution pour les produits Serpis avec trois centrales d'achat de l'enseigne E.Leclerc dans le sud-ouest, en violation de l'accord de répartition précité. A la suite de divers échanges, la société Candido Miro explique avoir accepté que la société Remigil continue à vendre les olives sous marque Serpis aux trois centrale Leclerc du sud-Ouest jusqu'à la fin 2018, et ce à titre de dérogation temporaire et exceptionnelle à l'accord de répartition, la société Remigil devant ensuite se convertir à la marque Baïonade ou se limiter aux autres enseignes hors GMS. Elle précise que dans leurs ultimes échanges début avril 2018, il était convenu entre les parties qu'hormis les trois centrales E.Leclerc du sud-Ouest, la société Remigil avait l'interdiction de fournir une quelconque autre centrale de la même enseigne et a fortiori toute autre enseigne de GMS. Or, elle expose avoir été avertie par son distributeur CFE courant mai 2021 que celui-ci rencontrait des difficultés dans ses négociations avec l'enseigne Carrefour, en raison d'interférences de la société Hiruak proposant elle aussi à cette enseigne des produits Serpis. C'est dans ces circonstances qu'elle dit avoir rompu la relation commerciale avec la société Hiruak.

La société Candido Miro fait valoir que la gravité des manquements de la société Hiruak est manifeste, en raison de la violation des engagements contractuels relatifs à l'exclusivité de la distribution des produits Serpis à des enseignes GMS autres que les trois centrales E.Leclerc du sud-ouest. Elle souligne que ces manquements ne constituent pas une première infraction, mais s'inscrivent dans un contexte de réitération, compromettant ainsi la relation commerciale avec son partenaire CFE. Elle explique que la société Hiruak a enfreint l'accord de distribution en procédant à des ventes des produits Serpis à des enseignes telles que Carrefour et Casino, en violation flagrante de ses engagements contractuels et ce en dépit de multiples mises en garde, créant ainsi un conflit direct avec son partenaire exclusif CFE. Cette infraction, par sa gravité, a rendu la poursuite de la relation commerciale impossible. Dès lors, la référence à une « incompatibilité des ventes » dans la notification de rupture du 10 juin 2021 doit être interprétée dans le contexte plus large de cette violation manifeste des termes contractuels par Hiruak.

Réponse de la Cour,

Il est constant que la relation commerciale établie entre les parties a débuté en 2003 et qu'à cette époque la société Remigil était la seule à commercialiser les produits de la marque Serpis sur le territoire français, comme en atteste le document établi par la société Candido Miro le 30 avril 2003 (pièce n°5).

Puis courant 2011, il ressort des échanges de courriel entre les parties (pièces Candido Miro n° 4 à 10) que la société Candido Miro a également confié la distribution de ses produits Serpis à la société CFE sur le territoire français. Selon les explications de la société Candido Miro, un accord de répartition a été verbalement conclu à la suite d'une réunion en 2011 suivant lequel la société Remigil conservait la vente des produits Serpis dans le sud-ouest hors grandes et moyennes surfaces (GMS). La société Hiruak soutient que la distribution des produits Serpis a été confiée à la société CFE en « fraude »des droits exclusifs de distribution de la société Remigil. Or, la Cour constate que le document du 30 avril 2003 ne constitue pas un « accord » de distribution exclusive des produits Serpis confiée à la société Remigil et que manifestement la commercialisation de ces produits était répartie sur le territoire français entre les sociétés Remigil et CFE depuis 2011. Si la société Candido Miro n'est pas en mesure de documenter cette répartition, la Cour observe que la société Hiruak ne produit pas davantage d'éléments concernant le flux d'affaires généré avec les produits Serpis avant 2017. Il n'est toutefois pas contesté que la relation commerciale entre les parties sur cette période est demeurée stable et sans incident particulier.

En revanche des discussions se sont engagées à compter de 2017 entre les parties. Par lettre du 9 novembre 2017 et courriel du 22 mars 2018 (pièces n° 4 et 6), la société Candido Miro a informé la société Remigil qu'elle ne souhaitait plus que cette dernière distribue ses produits avec trois centrales d'achat E.Leclerc dans le sud-Ouest à l'issue de l'année 2018, ni qu'elle entre en négociation avec des clients de grandes et moyennes surfaces, le but étant la sortie de la société Remigil de la distribution des produits Serpis pour ne plus être en conflit avec son autre distributeur CFE. Finalement la commercialisation des produits Serpis auprès des trois centrales d'achat E. Leclerc du sud-ouest a été accordée par la société Candido Miro à la société Remigil jusqu'en 2019 (pièces Candido Miro pièces n°4 à 9), puis « sans fin » comme rappelé dans le courriel du 22 mai 2020 (pièce Candido Miro n°13.1).

Toutefois, par courriel du 10 juin 2021, la société Candido Miro a notifié la fin de la relation commerciale à la société Hiruak en ces termes :

« Suite à la dernière conversation qu'on a eu et le problème que je t'ai transmis avec la compatibilité de vente dans la région Sud, je regrette te confirmer que dorénavant on ne pourra plus vous livrer de marchandise marque Serpis. Tu sais que le problème démarre avec les ventes chez Carrefour, que SARL Remigil ne pouvait ni ne devait faire selon l'information que je t'avais envoyée il y a un an, et qui m'a posé beaucoup de problèmes avec le distributeur de [Localité 4].

Le fait de vous croiser dans la même centrale, c'est vrai que ça ne bénéficie aucun. Si comme convenu avec SARL Remigil les ventes [s'étaient] faites uniquement dans les 3 centrales LECLERC accordées, la situation [serait restée] stable.

Crois-moi que ce n'est pas une décision facile à prendre pour nous et que devoir dire non à un client qui a une trajectoire positive nous fait [croire à] des sentiments très contradictoires.

Comme on a parlé, je sais que le but de votre société est de développer plus votre marque Baionade. Et pour ceci, vous pouvez compter sur nous pour développer d'autres produits ou packagings (boîtes métalliques ou sachets). Nous serons toujours prêts pour vous aider avec des nouvelles propositions.

Je regrette ces mauvaises nouvelles et reste à ta disposition pour en parler. »

Puis par courriel du 21 juillet 2021, la société Candido Miro a confirmé la fin de la relation commerciale concernant les produits Serpis en ces termes :

« Je t'ai communiqué en juin que, à cause de problèmes de compatibilité exclusive avec l'autre distributeur, nous ne pourrons plus honorer de commandes de Serpis. Nous avons tenté de convaincre l'autre distributeur, mais en vain. C'est regrettable, mais nous avons dû prendre une décision, même si ce n'est pas celle qui nous plaisait le plus » .

De l'ensemble de ces éléments, il ressort que depuis 2011 la société Candido Miro a fait le choix de conclure un contrat de distribution exclusive avec la société CFE, tout en ménageant sa relation commerciale historique avec la société Remigil aux droits de laquelle vient la société Hiruak, en tentant d'organiser une répartition de territoire et type de clients. Si le courrier de rupture du 10 juin 2021 évoque « un problème » avec les ventes chez Carrefour, la société Candido Miro non seulement n'explicite pas clairement ce manquement, mais encore ne produit aux débats aucun élément de preuve sérieux de la réalité d'un manquement imputable à la société Hiruak avant la notification de la rupture de la relation commerciale. En effet, les pièces versées aux débats sont des photos non datées, ni localisées jointes à un courriel du 22 octobre 2021 (pièce n°20), ou des extraits d'un site internet portant le logo Carrefour sur lesquels figurent les dates du 8 février 2022 ou 30 septembre 2023 (pièces n°21 à 25), un courriel de la société CFE de mars 2022 (pièces n°28) et des courriels non traduits de la société CFE des 1er et 2 juin 2021 (pièces n°14 et 15) ne permettant pas d'attester de faits précis antérieurs à la rupture.

Il s'ensuit, que si la société Candido Miro avait la liberté de décider de ne plus distribuer ses produits avec la société Hiruak pour préserver son partenaire CFE et de rompre en conséquence la relation commerciale, elle ne pouvait le faire sans préavis faute de caractériser et de démontrer un manquement suffisamment grave de la société Hiruak à ses obligations.

Dès lors, en rompant la relation commerciale établie avec la société Hiruak sans préavis, la société Candido Miro a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L.442-1 II précité.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la société Hiruak de l'intégralité de ses demandes.

2- Sur le préjudice

Exposé des moyens,

La société Hiruak fait valoir que compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale (18 ans) et suivant la pratique décisionnelle la plus récente elle devait bénéficier d'un préavis de 22 mois. Au titre d'un gain manqué, elle réclame la somme de 192 679,88 euros correspondant à la perte de marge brute estimée à une moyenne de 47,3 % sur une moyenne annuelle de chiffre d'affaires de 333 246,28 euros. Elle demande en outre la réparation d'une perte de marge du fait de la non livraison de ses marchandises commandées entre le 1er juin et le 30 septembre 2021, soit la somme de 18 376 euros. Enfin, elle sollicite l'indemnisation des pénalités appliquées par la centrale d'achat E.Leclerc du fait de la brutalité de la rupture avec son fournisseur à hauteur de 4 412,18 ' HT.

La société Candido Miro fait valoir que le prétendu préjudice est entièrement imputable à la société Hiruak et que toute indemnisation est exclue, se fondant sur le principe nemo auditur. Elle relève que les pièces produites relatives à la société Sudagro Distribution, sont sans lien avec la présente instance. Elle considère que la preuve du préjudice n'est pas rapportée en application de l'article 9 du code de procédure civile et que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Hiruak de toutes ses demandes, y compris indemnitaires.

Réponse de la Cour,

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis. Or le délai de préavis droit s'entendre du temps nécessaire au partenaire délaissé pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la perte de marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis éludé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (en ce sens Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940 publié).

Pour estimer la durée du préavis nécessaire pour rompre la relation commerciale à 22 mois, la société Hiruak se borne à se référer à la durée de celle-ci (18 années).

Elle ne verse aux débats aucun compte sociaux ni autre document comptable permettant d'apprécier la part de chiffre d'affaires au regard de son chiffre d'affaires global que représente le flux d'affaires généré avec les produits Serpis. La Cour constate qu'au travers des échanges entre les parties, il apparaît que le flux d'affaires avec les olives boîtes fer Serpis représentait en 2018 22% de la marge totale de Remigil (courriel des 5 et 6 avril 2018 pièces n°5 et 6 Candido Miro).

Par ailleurs, les parties ne livrent aucun élément concret sur la structure du marché sur lequel elles opèrent, et sur les possibilités de la société Hiruak de trouver de nouveaux partenaires, étant observé que le produit en cause ne présente a priori aucune spécificité.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Cour estime la durée nécessaire du préavis à 8 mois.

Pour l'évaluation du préjudice, la société Hiruak se borne à produire des tableaux attestés par le « D.A.F du groupe Sudagro » (pièces n°17 à 20). Elle ne produit aucun élément comptable.

A partir de ces tableaux, elle calcule sur les 18 mois précédent la rupture, soit entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021, un chiffre d'affaires de 333 246,28 euros sur la revente des produits Serpis achetés pour un montant de 175 599,10 euros, soit un taux de marge moyen de 47, 3% et une marge moyenne mensuelle de 8 758,17 euros.

La société Candido Miro, si elle relève que les pièces produites se réfèrent à une société sans rapport avec la présente instance, ne fournit aucune critique particulière sur les chiffres avancés par la société Hiruak, notamment le montant des achats des produits Serpis et la marge commerciale alléguée pour le calcul du préjudice.

En l'état des pièces produites et des explications des parties, la Cour retient pour le calcul du préjudice de la société Hiruak, une marge mensuelle moyenne de 8 000 euros, soit une perte de marge de 64 000 euros pour un préavis éludé de 8 mois.

En conséquence, la société Candido Miro sera condamnée à payer à la société Hiruak la somme de 64 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision d'appel en application de l'article 1231-7 aliéna 2 du code civil.

S'agissant de la demande d'indemnisation de la perte de marge sur les livraisons manquantes intervenues entre le 1er juin 2021 et le 30 septembre 2021, la seule pièce versée aux débats (pièce n°39) est manifestement insuffisante pour établir non seulement le montant du manque à gagner réclamé mais également le lien entre cette évaluation et la brutalité de la rupture et pas seulement la rupture elle-même. La société Hiruak sera déboutée de sa demande de ce chef de préjudice.

S'agissant des pénalités infligées par la centrale d'achat E.Leclerc « Scalandres » , la société Hiruak produit aux débats des factures de juillet 2021 adressées à Sudragro Distribution ( pièce n°21) et un tableau des pénalités pour des olives pas toutes libellées avec leur marque (pièce n°20), en sorte qu'il n'est pas établi que les pénalités réclamées ont été effectivement supportées par la société Hiruak pour des produits de marque Serpis de la société Candido Miro. La société Hiruak sera dès lors déboutée pour sa demande d'indemnisation de ce chef.

III- Sur les autres moyens de la société Hiruak

Dans ses conclusions, la société Hiruak développe des moyens tirés de la nullité de l'interdiction de revente pour pratique restrictive et d'un déséquilibre significatif.

Outre le fait que ces moyens sont présentés à titre subsidiaire, la société Hiruak ne formule dans son dispositif aucune demande autre que la réparation de préjudices subis du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Ces moyens ne sont donc pas examinés par la Cour.

IV- Sur les demandes de la société Candido Miro

Au regard du sens de la décision rendue, la société Candido Miro sera déboutée de sa demande au titre d'une procédure abusive et l'application de l'article 32-1 du code de procédure civile sera écartée.

La société Candido Miro demande dans le dispositif de ses conclusions déposées et notifiées le 21 novembre 2023, la suppression de passages " outrageants et diffamatoires figurant page 18 des conclusions d'appelante " faisant notamment référence à une « escroquerie au jugement ». Elle réclame en outre la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Il résulte de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 que c'est seulement s'ils sont étrangers à l'instance judiciaire que les passages de conclusions peuvent justifier une condamnation à indemnisation en raison de leur caractère prétendument diffamatoire (en ce sens 1re Civ., 28 mars 2008, pourvoi n° 06-12.996, Bull. 2008, I, n° 92 ; 1re Civ., 28 septembre 2022, pourvoi n° 20-16.139).

Or, la Cour observe que les passages litigieux des écritures de la société Hiruak dont il est demandé la suppression ne sont pas étrangers à l'instance judiciaire en cause, en sorte que la société Candido Miro sera déboutée de ses demandes.

V- Sur l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Hiruak aux dépens de première instance et à payer à la société Candido Miro la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Candido Miro, partie perdante sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Candido Miro sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Hiruak la somme de 10 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Déclare irrecevables les conclusions et la pièce n°22 de la société Hiruak, déposées et notifiées par RPVA le 4 mars 2025 ;

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a débouté la société Candido Miro de sa demande reconventionnelle ;

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la société Candido Miro a brutalement rompu la relation commerciale établie avec la société Hiruak et engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L.442-1 II du code de commerce ;

Condamne la société Candido Miro à verser à la société Hiruak la somme de 64 000 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute la société Hiruak du surplus de ses demandes d'indemnisation ;

Déboute la société Candido Miro de sa demande d'indemnisation au titre d'une procédure abusive et de ses demandes relatives à des propos diffamatoires ;

Condamne la société Candido Miro aux dépens de première instance et d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Candido Miro et la condamne à verser à la société Hiruak la somme de 10 000 euros.

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