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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 6 mai 2025, n° 24/02147

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Thabor (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pellefigues

Conseiller :

M. Darracq

Conseiller :

Mme Guiroy

Avocats :

Me Coto, Me Maixant, Me Gachie

TJ Dax, du 3 juill. 2024

3 juillet 2024

FAITS-PROCEDURE -PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

Selon un acte sous seing privé du 26 mars 2016, signé entre la SCI Thabor et M. [R] [L], celui-ci figurant à l'acte sous son enseigne commerciale « Mana Tahiti Tatau », la première a donné à bail commercial au second des locaux situés [Adresse 4], à [Localité 2], moyennant un loyer annuel de 9.600 euros HT, révisable annuellement.

Le 9 juin 2023, la SCI Thabor a fait délivrer à M. [L] un commandement de payer, visant la clause résolutoire, la somme de 28.530 euros au titre des loyers et charges impayés d'un montant mensuel de 1.550 euros échus entre novembre 2021 et avril 2023, outre un reliquat de loyer 2020 de 630 euros.

Le 12 juillet 2023, la SCI Thabor a fait délivrer à M. [L] un commandement, visant la clause résolutoire, de justifier d'une assurance et de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

Suivant exploit du 25 août 2023, la SCI Thabor a fait assigner M. [L] par devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Dax aux fins de voir constater la résiliation du bail, avec expulsion et provision.

Par ordonnance contradictoire du 3 juillet 2024, le juge des référés a :

- dit n'y avoir lieu à référé

- débouté la SCI Thabor de l'ensemble de ses demandes

- condamné la SCI Thabor au paiement de la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 22 juillet 2024, la SCI Thabor a relevé appel de cette ordonnance.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 février 2025.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2024 par la SCI Thabor qui a demandé à la cour de réformer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de :

- constater à titre principal l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers et des charges locatives

- constater à titre subsidiaire l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut d'assurance locative et défaut d'immatriculation au RCS

- condamner M. [L] à lui verser à titre provisionnel la somme de 28.765,52 euros au titre des loyers et charges visés dans le commandement du 9 juin 2023

- dire que cette somme sera assortie du taux d'intérêt légal

- ordonner dans les deux cas la libération des lieux par M. [L] et la remise des clés après établissement d'un état des lieux de sortie

- ordonner dans les deux cas, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les 15 jours de la signification de la présente, l'expulsion de M. [L], de ses biens et de tout occupant de son chef des lieux loués et ce avec le concours éventuel de la force publique et d'un serrurier

- dire dans les deux cas, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et à défaut, seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les articles L 433-1 et R 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution

- dire soit qu'à compter du 9 juillet 2023, soit à compter du 12 août 2023, M. [L] est redevable jusqu'à la parfaite libération et remise des clés d'une indemnité d'occupation égale aux loyers et charges si le contrat n'avait pas été résilié par l'effet de la clause résolutoire

- condamner M. [L] à lui payer à titre provisionnel une indemnité d'occupation à compter soit du 9 juillet 2023, soit du 12 août 2023

- condamner M. [L] à lui verser la somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, en ce compris les frais de poursuite, de mesures conservatoires, de frais de levée d'état et de notification prévus par l'article L143-2 du code de commerce.

* Vu les dernières conclusions notifiées le 29 octobre 2024 par M. [L] qui a demandé à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise et, y ajoutant, de condamner la SCI Thabor à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

MOTIFS

L'appelant fait grief à l'ordonnance entreprise d'avoir dit n'y avoir lieu à référé au motif que les engagements conclus entre les parties ne sont pas clairs et nécessitent une interprétation du juge du fond alors que, selon l'appelante :

- les parties ne peuvent être liées que par un bail commercial

- M. [L] ne peut se contredire aux dépens de la SCI Thabor en revendiquant une location-vente alors que dans l'instance en référé suivie contre l'association « Mana Tahiti Tabau », celle-ci a fait valoir, avec succès, que M. [L] était le titulaire du bail commercial du 26 mars 2016

- la location-vente alléguée est inexistante, M. [L] ne pouvant justifier d'un acte authentique publié au fichier immobilier, comme l'exige l'article 4 de la loi n° 84-595 du 12 juillet 1984 sur la location-accession

L'appelante en déduit que ses demandes ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.

M. [L] fait valoir que les demandes de l'appelante se heurtent à une contestation sérieuse tenant à la question de la nullité du bail commercial du 26 mars 2016 pour absence de cause de l'obligation de paiement des loyers alors que les parties avaient signé, concernant le même local, un contrat de location-vente dans le prolongement duquel ils ont régularisé la vente du pas de porte et que, au surplus, la location-vente est corroborée par les montants réglés depuis 2016 qui excèdent très largement les loyers censés devoir être versés en vertu du bail du 26 mars 2016.

Cela posé, en application de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, ordonner l'expulsion du locataire qui, en se maintenant dans les lieux sans droit ni titre, crée un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser.

Et, en application du second alinéa, le juge des référés peut, dans le cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder au bailleur une provision à valoir sur les loyers et charges.

En l'espèce, les parties sont contraires sur la nature juridique des accords conclus entre elles en exécution desquelles sont intervenus les paiements réalisés depuis 2016.

A cet égard, l'appelante ne peut opposer à M. [L] le principe selon lequel nul ne peut se contredire aux dépens d'autrui dès lors que, d'une part, ce principe s'applique au cours d'une même instance entre les mêmes parties, et, d'autre part, que M. [L] n'était pas partie à l'instance en référé-expulsion engagée par la SCI Thabor contre l'association Mana Tahiti Tatau, présidée par son épouse.

En suite, il ressort des production que les parties ont formalisé plusieurs engagements successifs portant sur les mêmes locaux occupés par M. [L].

Le 11 mars 2016, la SCI Thabor et M. [L] ont signé un document manuscrit par lequel la SCI Thabor a : « déclaré avoir reçu la somme de 10.000 euros en espèces de la part de « mana tahiti tatau » : 1er versement du contrat de location-vente qui porte sur un montant de 300.000 euros sur 10 ans, soit 30.000 euros par an avec une location mensuelle de 1.550 euros par mois et ce durant 10 ans ».

Le 26 mars 2016, les mêmes parties ont signé un document dactylographié qui expose que : « il a été convenu entre les deux parties, le bailleur, SCI Thabor, et le preneur Mana Tahiti Tatau d'un contrat de vente du pas-de-porte en plusieurs échéances pour le bien situé au [Adresse 4], [Localité 2], qui porte sur un montant de 30.000 euros. Ce règlement sera échelonné sur 2 années (du 1er avril 2016 au 31 septembre 2017) avec une location mensuelle de 1.000 euros TTC. Un premier acompte de 10.000 euros a été versé le 11 mars 2016 à la SCI Thabor afin d'entériner le processus de vente du pas de porte accepté par les deux parties [...].

Et, le même jour, les mêmes parties ont signé un bail commercial d'une durée de 9 années moyennant un loyer annuel de 9.600 euros HT, soit 11.520 euros TTC, soit un loyer mensuel de 960 euros TTC, révisable annuellement.

Il est acquis aux débats que, dans ces actes, que « mana tahiti tatau » est l'enseigne commerciale de M. [L], qui est personnellement partie à ces actes.

Ensuite, les actes se contredisent notamment sur « l'acompte » de 10.000 euros versé le 11 mars 2016 et les conditions de la jouissance des locaux par M. [L].

M. [L] a réglé, personnellement ou par l'intermédiaire d'un tiers pour son compte, les sommes suivantes :

- 2016 : 25.950 euros,

- 2017 : 25.710 euros,

- 2018 : 34.610 euros,

- 2019 : 23.419 euros,

- 2020 : 9.000 euros,

- 2021 : 11.000 euros

En application de la location-vente dont se prévaut l'intimé, et au-delà de la question de l'existence ou de la validité d'un tel contrat, M. [L] aurait dû régler une redevance mensuelle de 2.500 euros complétée par un loyer de 1.550 euros, soit 4.050 euros, soit 48.600 euros par an.

Force est de constater que ces modalités financières n'ont pas reçu d'exécution.

Selon l'appelante, qui conteste toute location-vente, le contrat de vente du pas-de-porte et le bail commercial forment un ensemble contractuel dont découlent les droits et obligations des parties.

En application du premier contrat, M. [L] devait régler entre le 1er avril 2016 et le 31 décembre 2017, un loyer mensuel de 1.000 euros et la somme de 30.000 euros, soit la somme totale de 51.000 euros (9.000 + 12.000 + 30.000 euros), puis, à compter du 1er janvier 2018, payer un loyer mensuel de 960 euros.

Il peut être constaté que M. [L] a réglé 51.660 euros au 31 décembre 2017, ce qui tend à corroborer l'exécution, en tout cas, du contrat dit de vente de pas-de-porte.

Cependant, les sommes versées en 2018 et 2019 sont très largement supérieures au loyer fixé dans le bail commercial du 26 mars 2016.

L'appelante n'a apporté aucune explication sur ces montants.

En 2020, M. [L] a versé 11.000 euros et le commandement de payer du 9 juin 2023 vise un solde impayé de 630 euros, au titre de cette, année, soit un total de 11.630 euros qui, correspondant, à peu près, au montant du loyer fixé dans le bail du 26 mars 2016.

Cependant, le commandement de payer vise encore le non-paiement des loyers mensuels de 1.550 euros échus entre octobre 2021 et avril 2023.

L'appelante n'a donné aucune justification sur le montant de ce loyer qui n'est pas celui fixé dans le bail du 26 mars 2016, portant le loyer annuel à 15.650 euros et le loyer annuel 2022 et 2023 à 18.600 euros, sans aucune cohérence apparente.

Il n'a été justifié d'aucune indexation annuelle ni de réclamation des charges, au demeurant non déterminées dans le bail du 26 mars 2016.

Il ressort de l'ensemble des constatations qui précèdent que la délivrance même d'un commandement de payer ou d'exécuter les causes du bail du 26 mars 2016 est sérieusement contestable alors que les relations financières établies entre les parties n'ont pas de lien apparent avec un tel bail et sont susceptibles de révéler des accords différents, éventuellement novatoires, dont le sens et la portée nécessitent une interprétation des actes et des faits de la cause ressortissant à la connaissance exclusive du juge du fond afin de déterminer les droits et obligations des parties, quand bien même serait caractérisé in fine un bail commercial.

Le commandement délivré le 12 juillet 2023 est exposé à la même contestation sérieuse, outre la justification de l'assurance locative et de l'immatriculation au RCS dès le 7 août 2023, étant relevé que, sauf clause contraire, l'inscription au RCS n'est pas une condition du bail commercial mais de son renouvellement.

Par conséquent, le maintien de M. [L] dans les lieux loués ne caractérise pas un trouble manifestement illicite et la demande de provision se heurte à une contestation sérieuse.

L'ordonnance entreprise sera donc entièrement confirmée, y compris sur les dépens et les frais irrépétibles.

La SCI Thabor sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à M. [L] une indemnité complémentaire de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,

y joutant,

CONDAMNE la SCI Thabor aux dépens d'appel,

CONDAMNE la SCI Thabor à payer à M. [L] une indemnité complémentaire de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Catherine SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.

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