CA Versailles, ch. com. 3-2, 6 mai 2025, n° 24/01715
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Guerlot
Vice-président :
Roth
Conseiller :
Cougard
Avoué :
Reboul
Avocats :
Dontot, Rapp, Reboul
EXPOSE DU LITIGE
La SARL [10], créée en 2018, avait pour gérante Mme [G].
Le 30 septembre 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de la société [10], a désigné M. [N] [O] en qualité de liquidateur judiciaire et a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 3 juillet 2020.
Le 1er août 2023, considérant que les opérations de la procédure collective avaient mis en évidence un certain nombre de fautes de gestion imputables à Mme [G], M. [N] [O], ès qualités, a attrait celle-ci en comblement de l'insuffisance d'actif et sanctions personnelles devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Le 23 février 2024, par jugement réputé contradictoire, le tribunal de commerce a :
- condamné Mme [G] à payer la somme de 300 000 euros entre les mains de M. [N] [O], ès qualités, avec intérêts calculés au taux légal à compter de la signification du présent jugement ;
- prononcé la faillite personnelle de Mme [G] pour une durée de 10 ans ;
- condamné Mme [G] à payer à M. [N] [O], ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement sur l'ensemble des condamnations prononcées ;
- condamné Mme [G] aux dépens, à l'exception des frais de greffe lesquels seront avancés par la procédure ou à défaut par le trésor public sur les fondements de l'article L. 663-1 du code de commerce, le recouvrement des sommes étant dans ce cas assuré à la diligence du trésor public à l'encontre de la personne sus-désignée.
Le 11 mars 2024, Mme [G] a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.
Le 13 août 2024, par ordonnance de référé, le juge du référé a arrêté l'exécution provisoire attachée au jugement du 23 février 2024 du tribunal de commerce de Nanterre.
Par dernières conclusions du 23 octobre 2024, Mme [G] demande à la cour de :
A titre principal,
- annuler le jugement du 23 février 2024 en ce qu'il a violé le principe de la contradiction ;
- annuler le jugement du 23 février 2024 en ce qu'il n'est pas motivé ;
Statuant à nouveau :
- rejeter les demandes formées par le liquidateur en première instance en ce qu'elles ne sont pas fondées ;
- infirmer le jugement du 23 février en tous ses chefs de disposition ;
En tout état de cause :
- débouter le liquidateur judiciaire de ses demandes ;
- condamner la société [O], prise en la personne de M. [N] [O], à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 de code de procédure civile ainsi que les entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 29 août 2024, la société [O], prise en la personne de M. [N] [O], agissant ès qualités, demande à la cour de :
- déclarer Mme [G] recevable mais mal fondée en son appel ;
En conséquence :
- confirmer le jugement du 23 février 2024 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeter la demande de Mme [G] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le 12 juillet 2024, le ministère public a émis un avis tendant à ce que la cour confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 23 février 2024.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 novembre 2024.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la demande d'annulation du jugement
Sur la violation du principe de la contradiction
Mme [G] soutient que le jugement doit être annulé pour violation de la contradiction, au visa des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et 14 à 17 du code de procédure civile. Elle dit ne pas avoir été touchée personnellement par l'assignation à comparaître devant le tribunal de commerce de Nanterre, alors qu'elle n'était pas à son domicile pour des raisons de santé, ce que le liquidateur n'ignorait pas. Elle prétend que le jugement laisse à penser qu'elle était présente à l'audience et qu'elle n'a opposé aucun argument en défense. Elle déplore l'absence de renvoi, ce d'autant que cette affaire ne pouvait passer inaperçue auprès des médias et connaîtrait une certaine publicité. Elle affirme n'avoir eu connaissance de l'action du liquidateur qu'une fois le jugement rendu.
Le liquidateur, ès qualités, répond qu'il n'a pas été informé d'un changement d'adresse de Mme [G], qui ne démontre pas que son hospitalisation se serait prolongée jusqu'en mai 2023 ; que l'assignation a été délivrée dans les conditions de l'article 658 du code de procédure civile, l'adresse de la défenderesse ayant été confirmée. Il rappelle les termes de l'ordonnance de référé du 13 août 2024, selon laquelle il n'est ni justifié ni même prétendu d'une irrégularité de la signification, faite à la même adresse.
Réponse de la cour
L'article 542 du code de procédure civile prévoit que « l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel. »
Les motifs d'annulation d'un jugement reposent sur la violation des prescriptions des articles 455 (alinéa 1) et 456 sur le fondement des stipulations de l'article 458 du code de procédure civile ou l'irrespect d'une formalité substantielle, tenant au respect des principes directeurs du procès ou au droit au procès équitable.
L'article 14 du code de procédure civile dispose que « nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée. » La méconnaissance de cette disposition peut justifier l'annulation du jugement pour méconnaissance du principe de la contradiction.
Mme [G] a régulièrement été assignée à comparaître devant le tribunal de commerce à l'adresse déclarée au liquidateur. Si elle prétend que ce dernier avait connaissance de son état de santé, elle n'établit pas l'avoir avisé qu'elle résidait à une autre adresse à la période à laquelle l'assignation lui a été signifiée.
Ainsi, il ne résulte pas des circonstances de l'espèce que cette règle essentielle de la procédure civile ait été violée.
Par ailleurs, l'assignation a été délivrée selon les règles prescrites par l'article 658 du code de procédure civile, à l'étude du commissaire de justice, l'adresse de Mme [G] ayant été confirmée à cette occasion. Comme le fait de plus observer le liquidateur, l'appelante verse à hauteur d'appel un courrier sur lequel l'adresse mentionnée est la même que celle à laquelle la signification a été délivrée.
Mme [G] échoue à établir qu'elle aurait résidé à la date de délivrance de l'assignation en un autre lieu et qu'elle en aurait avisé le liquidateur.
Le jugement fait mention de l'absence de Mme [G] à l'audience et aucun élément de la décision ne donne à penser qu'elle aurait été présente, sans présenter d'argument de défense, comme elle le laisse entendre à l'occasion de son appel.
Le jugement n'encourt en conséquence aucune nullité pour manquement au principe de la contradiction.
- Sur le défaut de motivation
Mme [G] fait ensuite grief au tribunal une motivation légère et se contentant de reprendre la thèse du liquidateur, sans argumentation supplémentaire ; elle ajoute que ce manquement apparaît plus clairement encore s'agissant de la décision du prononcé de l'exécution provisoire, exception au principe légal.
Le liquidateur, ès qualités, observe que l'appelante fait état d'une motivation légère, alors que la lecture de la décision démontre au contraire une motivation précise, le tribunal analysant les pièces communiquées par le liquidateur. Il ajoute que son absence de réponse lui est totalement imputable.
Réponse de la cour
L'article 455 du code de procédure civile prévoit notamment que le jugement doit être motivé. Cette prescription est prévue à peine de nullité, selon l'article 458 du même code.
La décision entreprise rappelle les textes applicables, et le tribunal a examiné les griefs au soutien de l'action initiée par le liquidateur, ès qualités. Il a déduit des éléments invoqués par ce dernier, et au soutien desquels il a estimé les pièces produites aux débats probantes, que des fautes étaient imputables à Mme [G], justifiant le prononcé de sanctions pécuniaire et personnelle, qu'il a décidées en considérant la nature des faits retenus. Il motive la décision d'assortir le jugement de l'exécution provisoire au regard de la gravité des faits qu'il vient d'examiner.
Le jugement répond aux prescriptions des textes susvisés et n'encourt pas l'annulation.
Sur les sanctions pécuniaires
1 - Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Sur l'insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. (')
En l'espèce, le tribunal a considéré que l'insuffisance d'actif s'élevait à 599 643,65 euros dont 29 424,76 euros à titre super privilégié, 305 826,05 euros et 40 800 euros à titre de passif privilégié, et 223 592,84 euros à titre chirographaire. L'actif recouvré s'est élevé à 0 euro, selon le rapport du liquidateur.
Ce montant n'étant pas contesté, il convient de retenir le montant arrêté par le tribunal.
Sur les fautes de gestion
Il n'existe pas de définition légale de la faute de gestion prévue à l'article L. 652-1 précité. Sauf à méconnaître l'objet du litige, les juges ne peuvent retenir de faute de gestion qui n'ait été invoquée par la partie poursuivant une sanction (Com, 28 juin 2017, n°16-11.475).
La faute doit avoir été commise avant l'ouverture de la procédure (Com., 29 novembre 2016, n° 15-10.466).
Sur le grief de déclaration tardive d'état de cessation de paiements
Mme [G] affirme qu'une déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, alors que celui-ci était connu du dirigeant, peut être considérée comme une simple négligence ; que la date de cessation des paiements a été fixée au 3 juillet 2020 par le jugement d'ouverture, à une période à laquelle elle n'était pas tenue, en vertu de l'ordonnance du 27 mars 2020, de déclarer son état de cessation des paiements.
Le liquidateur, ès qualités, rappelle que la date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal à plus d'un an avant l'ouverture de la procédure collective. Il observe que l'examen des créances conforte l'antériorité de la cessation des paiements, constatant que la société ne procédait pas au règlement régulier de ses charges, notamment de ses créances fiscales et sociales depuis de nombreux exercices. Il relève que la référence aux dispositions exceptionnelles liées à la crise sanitaire est surprenante, le gel de l'état de cessation des paiements n'ayant été prévu que jusqu'au 23 août 2020, et l'assignation par la société [9] n'est intervenue que le 7 septembre 2021, soit plus d'un an après ; il relève qu'en outre l'appelante ne conteste pas l'état de cessation des paiements.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 640-4 du code de commerce, l'ouverture de la procédure collective doit être demandée au tribunal par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements de la société dont il est le dirigeant.
Si l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal est susceptible de constituer une faute de gestion, le juge ne peut décider de faire à ce titre supporter, en tout ou partie, le montant de l'insuffisance d'actif sur le dirigeant que si cette abstention fautive a contribué à aggraver le montant du passif de la société. Le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal est donc établi.
C'est à raison que le tribunal a considéré qu'aucune déclaration de cessation des paiements n'a été formalisée par la gérante de la société liquidée, l'ouverture de la procédure collective étant la conséquence de l'assignation d'un créancier de la société.
L'argument invoqué par Mme [G] quant au gel des déclarations de cessation de paiement pendant la période de crise sanitaire n'est pas sérieux, le tribunal ayant fixé la date de cessation des paiements au mois de juillet 2020, et l'assignation du créancier ayant été délivrée au mois d'août 2021, plus d'un an après la date retenue. L'appelante avait tout loisir dans ce laps de temps de déclarer la situation de cessation des paiements.
Au cours de la période écoulée entre la date de cessation des paiements fixée par le tribunal au 3 juillet 2020 et le délai de 45 jours posé par la loi, il est indéniable que le passif s'est sérieusement aggravé, a minima à hauteur de 400 000 euros, montant des créances sociales, situation qui a causé préjudice aux créanciers et constitue une faute de gestion.
Le grief de déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, qui n'est pas une simple négligence au regard de l'aggravation de l'insuffisance d'actif, est donc caractérisé.
Sur le grief de défaut de tenue de la comptabilité
Mme [G] soutient que le simple fait de ne pas tenir de comptabilité régulière ne suffit pas à caractériser le dirigeant gravement négligent, et qu'il ne saurait y avoir de responsabilité pour insuffisance d'actif lorsque les difficultés rencontrées par la société sont la conséquence d'éléments externes à la gestion du dirigeant, en l'espèce liés à la conjoncture économique.
Elle affirme que la comptabilité existait, ajoutant que le fait de ne pas avoir communiqué les comptes n'établit pas l'absence de comptabilité ; elle dit avoir fait preuve d'une complète transparence à l'égard de l'expert-comptable.
Le liquidateur, ès qualités, réplique qu'aucun document comptable ne lui a été remis en dépit des demandes adressées à la dirigeante et à l'expert-comptable. Il observe de plus qu'aucun document comptable n'a été communiqué à l'occasion de la présente procédure.
Réponse de la cour
L'article L. 123-12 du code de commerce dispose que « toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.
Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable. »
Selon l'article L. 123-14 du même code, « les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise.
Lorsque l'application d'une prescription comptable ne suffit pas pour donner l'image fidèle mentionnée au présent article, des informations complémentaires doivent être fournies dans l'annexe.
Si, dans un cas exceptionnel, l'application d'une prescription comptable se révèle impropre à donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ou du résultat, il doit y être dérogé. Cette dérogation est mentionnée à l'annexe et dûment motivée, avec l'indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et le résultat de l'entreprise. »
Constitue une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 précité le fait, pour un dirigeant, de contrevenir à cette obligation de tenir une comptabilité et de dresser des comptes annuels réguliers, sincères et donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, dès lors que l'absence de comptabilité ou la tenue d'une comptabilité irrégulière prive l'entreprise d'un outil permettant de connaître l'évolution réelle de sa situation financière et de déceler les difficultés (Com, 12 janv. 2010, n° 08-14.342 ; 6 mars 2019, n°17-26.495) ; l'absence de tenue de toute comptabilité peut être déduite de la non-production de la comptabilité au liquidateur (Com, 6 févr. 2001, n° 98-11.239).
Le tribunal a exactement analysé les faits constitutifs de cette faute, en ce qu'en dépit de la convocation par lettre recommandée avec accusé de réception de Mme [G] par M. [N] [O], ès qualités, en son étude, en vue de lui remettre les documents comptables, parmi lesquels les bilans, les grands livres et balances des exercices 2018, 2019 et 2020, la gérante n'a remis aucun des documents sollicités.
Elle ne peut prétendre que la comptabilité était régulièrement tenue par un expert-comptable, alors qu'aucun des documents réclamés par le liquidateur, ès qualités, n'a été remis à ce dernier.
Le défaut de remise d'une comptabilité au liquidateur établit suffisamment, comme l'a retenu le tribunal, à juste titre, une absence de comptabilité.
Au sens de l'article L. 651-2 du code de commerce, Mme [G] a commis une faute de gestion, en ne tenant pas de comptabilité, et en se privant ainsi d'un outil essentiel qui lui aurait permis de contrôler de façon permanente la situation de son entreprise.
Ce grief est constitué, ainsi que l'a jugé le tribunal.
' Sur le non-paiement des dettes fiscales et sociales
Le liquidateur, ès qualités, expose que les dettes fiscales et sociales sont nombreuses et anciennes, certaines remontant même au début de l'exploitation de la société, démontrant ainsi que la dirigeante a pris le parti de ne pas régler de façon systématique les créanciers étatiques.
Réponse de la cour
Le liquidateur, ès qualités, reproche à Mme [G] le non-paiement des dettes fiscales et sociales.
Ce grief ne fait l'objet d'aucune contestation de la part de Mme [G]. Il est suffisamment démontré que Mme [G] n'a pas réglé les dettes fiscales et sociales, qui composent l'essentiel du passif retenu au titre de l'insuffisance d'actifs.
' Sur le détournement d'actifs
Mme [G] conteste avoir cédé la totalité du stock de la société [10], affirmant que le liquidateur aurait dû réaliser les actifs et obtenir le paiement des stocks de marchandises. Elle ajoute que le stock a été vendu à la société [8] ([8]), pour lequel le prix de cession n'a pas été payé, et que cette vente a été assortie d'une clause de réserve de propriété, de sorte que le liquidateur aurait dû le vendre à un tiers.
Le liquidateur, ès qualités, indique que la facture émise le 4 février 2021 pour un montant de 118 680 euros n'a pas été réglée, aucune diligence en vue de recouvrer cette somme n'ayant été justifiée par l'appelante ; il observe que la société [8] a été constituée en mars 2021 concomitamment à l'émission de la facture six mois avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, de sorte qu'il faut s'interroger sur la finalité de cette opération ; que cette cession de stocks n'a fait l'objet d'aucun paiement, et surtout que la société vendeuse n'a effectué aucune démarche pour tenter de récupérer sa créance, ce qui doit s'analyser comme un détournement d'actifs pur et simple au profit d'une société liée. Il ajoute que cette opération ne pouvait qu'entraîner la liquidation de la société [10] ; qu'il est d'ailleurs significatif que la société n'ait plus aucun actif à l'ouverture de la procédure ; que ce détournement des stocks constitue un appauvrissement substantiel de la société liquidée et constitue une grave faute de gestion.
Il observe enfin que Mme [G] a prétendu que d'autres stocks auraient pu être cédés, ce alors même que le commissaire-priseur désigné par le tribunal a dressé un procès-verbal de carence sur attestation de cette dernière.
Réponse de la cour
Le détournement des actifs ou de la clientèle d'une société en liquidation judiciaire constitue une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 précité (Com, 6 octobre 1992, n°90-19.823, publié).
Il est établi que la société [10] a cédé la totalité de son stock de marchandises à une société [8], dont la gérante est Mme [G] ; ce stock a été cédé pour un montant de 118 680 euros, selon facture émise le 4 février 2021.
Le liquidateur, ès qualités, fait à juste titre grief à l'appelante de n'avoir effectué aucune diligence pour recouvrer le montant de cette créance, dont il n'est pas établi qu'elle a été payée par la société cessionnaire.
Il est justifié par la société [O] qu'elle a adressé à cette société une mise en demeure le 25 mars 2023 de façon infructueuse, le courrier étant revenu avec la mention « pli non réclamé ».
La cour observe que cette société [8] a été constituée au mois de mars 2021, soit de façon concomitante à l'émission de cette facture, et quelques mois seulement avant l'ouverture de la procédure collective.
Le liquidateur, ès qualités, fait remarquer à juste titre qu'en cédant son stock, la société [10] s'est dépossédée de son seul actif, sans en être payé, ce qui a particulièrement appauvri la société liquidée.
Un tel détournement de l'actif au profit d'une société constituée par Mme [G] quelques mois seulement avant la liquidation de la société [10] caractérise une grave faute de gestion.
De surcroît, la cour retient que Mme [G] est mal fondée de prétendre que d'autres actifs auraient pu être cédés alors même qu'elle a attesté qu'il n'en existait pas d'autre, conduisant le commissaire-priseur à établir un procès-verbal de carence le 27 octobre 2021 (pièce 18).
Dans ces circonstances, le grief de détournement d'actif est constitué.
Au vu de ces éléments, la cour retient l'existence de fautes de gestion, exclusives d'une simple négligence. Cette faute a contribué à aggraver l'insuffisance d'actif.
Sur le montant de la contribution de Mme [G] à l'insuffisance d'actif
Mme [G] dit avoir fait son possible pour maintenir l'activité de la société, en dépit de ses problèmes de santé, et estime que seule une négligence pourrait lui être reprochée, laquelle ne peut justifier l'ampleur des sanctions prononcées. Elle fait état du contexte dans lequel elle a été victime de harcèlement, de la plainte qu'elle a dû déposer, et que cette situation est l'élément déclencheur des difficultés de la société.
En réponse, le liquidateur, ès qualités, sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné Mme [G] à lui régler une somme de 300 000 euros.
Réponse de la cour
Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 précité même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et condamné à supporter en totalité ou en partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles (Com, 30 nov. 1993, n°91-20.554, publié ; 4 juillet 2018, n°17-14.575) ; le juge n'a pas à déterminer la part de l'insuffisance d'actif imputable à chacune des fautes retenues (Com, 25 mars 2020, n°18-21.841).
En l'espèce, les fautes de gestion imputables à l'appelante relevées ci-dessus sont en lien direct avec l'insuffisance d'actif constatée, qui est de 599 643,65 euros.
Mme [G] procède par affirmations lorsqu'elle prétend avoir fait tout son possible pour maintenir l'activité de sa société. Les éléments de la cause démontrent au contraire sa participation active à l'augmentation de l'insuffisance d'actif, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme [G] à prendre en charge l'insuffisance d'actif à hauteur de 300 000 euros.
Sur les sanctions personnelles
Mme [G] rappelle le principe de proportionnalité, et considère la sanction prononcée hors de mesure avec les faits reprochés. Elle ajoute que les difficultés rencontrées par sa société ont une cause exogène et ne saurait avoir pour origine ses prétendues fautes de gestion.
Le liquidateur, ès qualités, rappelle les fautes établies et estime que leur gravité justifie la confirmation de la sanction prononcée.
Réponse de la cour
L'article L. 653-4 du code de commerce dispose :
Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
Aux termes de l'article L. 653-5 de ce code, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;
4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée.
Il n'est pas contesté que Mme [G] était gérante de droit de la société [10], de sorte que les dispositions de l'article L. 653.1 du code de commerce lui sont applicables.
Sur le grief d'obstacle au déroulement de la procédure
Le liquidateur, ès qualités, affirme, sans être contesté par Mme [G], l'absence de participation de cette dernière aux opérations de liquidation. Il a déjà été démontré que la gérante n'a remis aucun document comptable, en dépit des demandes répétées du liquidateur. Elle ne réfute pas non plus ne pas avoir établi la liste des créanciers, ni ne discute avoir participé irrégulièrement aux opérations de vérification de passif.
Si ce comportement n'a pas mis le liquidateur en mesure d'apprécier la situation financière réelle de l'entreprise et d'appréhender de manière complète la consistance des actifs pouvant être réalisés, la cour ne peut cependant pas statuer sur ce grief, qui n'a pas été examiné par le tribunal, s'agissant d'une sanction de nature professionnelle, dont le conseil constitutionnel a estimé qu'il s'agissait d'une sanction ayant le caractère de punition (Cons. Const., 29 sept. 2016, n° 2016-570 QPC, consid. 5 ; Cons. Const., 29 sept. 2016, n° 2016-573 QPC, consid. 10 : « Compte tenu des conséquences qu'il a attachées à la faillite personnelle, ainsi que de la généralité, au regard du manquement en cause, de la mesure d'interdiction de gérer qu'il a retenue, le législateur a entendu, en instituant de telles mesures, assurer la répression, par le juge civil ou commercial, des manquements dans la tenue d'une comptabilité. Ces mesures doivent par conséquent être regardées comme des sanctions ayant le caractère de punition.»)
Sur l'absence de comptabilité
Il a été démontré qu'aucune comptabilité n'a été établie par Mme [G], et qu'elle a persisté dans son refus de communiquer le moindre document comptable au cours de la procédure collective, tout en affirmant encore à hauteur de cour avoir tenu une comptabilité régulière.
- Sur le détournement des actifs de la société [10]
Il a été démontré que l'appelante a commis une faute de gestion ayant entraîné le détournement de la partie essentielle de l'actif de la débitrice au profit de la société [8] créée à la même période et dirigée par Mme [G].
Sur l'absence de déclaration de cessation des paiements
La cour relève qu'un passif important, à l'égard des organismes fiscaux et sociaux notamment, a été accumulé en continu et pendant plusieurs exercices. Ce comportement témoigne de la parfaite connaissance de la gérante de sa carence, qui a persisté en ne procédant pas en temps utile à la déclaration de cessation des paiements, au point de contraindre un créancier à l'assigner devant le tribunal de commerce.
Cette attitude délibérée, qui reflète un acharnement à poursuivre une activité déficitaire a conduit à une nette aggravation du passif privant les créanciers de toute chance d'être désintéressés.
Ces faits constituent un comportement dolosif au sens des articles L. 653-4 et L. 653-5 précités.
Mme [G] est âgée de 44 ans comme née le [Date naissance 1] 1981 ; elle ne conclut pas sur sa situation financière ou de famille et ne verse aux débats aucune pièce afférente ; elle se contente de prétendre que les difficultés de sa société sont nées de causes exogènes et sont sans lien avec les fautes de gestion qui lui sont reprochées.
Le liquidateur, ès qualités, ne formule de son côté aucune allégation sur cette situation ni sur l'expérience de Mme [G] comme chef d'entreprise.
La gravité et la multiplicité des fautes de gestion de Mme [G], qui a fait preuve d'une inconséquence blâmable avant l'ouverture de la procédure collective, et qui a persisté au cours des opérations de liquidation en refusant de collaborer à la procédure en cours, imposent d'écarter Mme [G] de la direction de toute entreprise pendant un temps long.
La décision prise par le tribunal de prononcer une faillite personnelle d'une durée de 10 ans est particulièrement fondée, eu égard aux agissements délibérés et répétés sur plusieurs exercices, et sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
L'appelante qui succombe dans l'essentiel de ses prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel.
Mme [G] est également condamnée à payer la somme demandée par le liquidateur, ès qualités, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [G] aux dépens exposés à hauteur d'appel,
Condamne Mme [G] à payer à la société [N] [O], ès qualités, à payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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