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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 30 avril 2025, n° 24/04494

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/04494

30 avril 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 30 AVRIL 2025

RENVOI APRÈS CASSATION

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/04494 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJBLY

Sur arrêt de renvoi de la Cour de cassation en date du 29 novembre 2023 (pourvoi n°C 22-15.753) prononçant la cassation de l'arrêt rendu le 2 mars 2022 par le pôle 5 chambre 6 de la cour d'appel de Paris (RG n°20/01446) sur appel du jugement rendu le 3 septembre 2019 par le tribunal de commerce de Meaux (RG n° 2018005143)

DEMANDERESSE À LA SAISINE

Madame [C] [G] épouse [F]

née le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477

DÉFENDERESSE À LA SAISINE

S.A. BANQUE CIC EST

[Adresse 4]

[Localité 5]

N°SIREN : 754 800 712

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Emmanuel CONSTANT de la SELARL CB Avocats, avocat au barreau de Paris, toque : C0639

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Vincent BRAUD, président de chambre, chargé du rapport et Mme Laurence CHAINTRON, conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Vincent BRAUD, président de chambre

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

Mme Sandrine BOURDIN, conseillère appelée d'un autre chambre afin de compléter la composition de la cour selon les dispositions de l'article R. 312-3 du code d el'organisation judiciaire

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société à responsabilité limitée [F] Travaux publics a pour objet le transport public de marchandises et la location de véhicules industriels pour le transport routier de marchandises avec conducteur.

[C] [F] née [G] est co-gérante de la société [F] Travaux publics.

Selon actes sous seing privé, la Banque CIC Est a accordé à la société [F] Travaux publics les prêts professionnels ci-dessous afin de financer des véhicules Volvo :

' Le 22 mars 2011

- No 00036760520 d'un montant en principal de 78 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,87 % l'an,

- No 00036760521 d'un montant en principal de 78 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,87 % l'an,

- No 00036760522 d'un montant en principal de 78 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,87 % l'an,

- No 00036760523 d'un montant en principal de 78 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,87 % l'an,

- No 00036760524 d'un montant en principal de 78 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,87 % l'an,

' Le 23 mai 2012

- No 00036760528 d'un montant en principal de 20 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,85 % l'an,

- No 00036760529 d'un montant en principal de 65 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,85 % l'an,

- No 00036760530 d'un montant en principal de 63 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,85 % l'an,

- No 00036760531 d'un montant en principal de 63 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,85 % l'an,

- No 00036760532 d'un montant en principal de 63 000 euros, remboursable en 60 mensualités et assorti d'un intérêt au taux de 2,85 % l'an.

Le 15 novembre 2013, [C] [F] née [G] s'est portée caution solidaire en garantie de l'ensemble des engagements accordés à la société [F] Travaux publics par la Banque CIC Est pour un montant de 200 000 euros en principal, frais et intérêts.

La société [F] Travaux publics a été déclarée en redressement judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de Meaux du 18 juillet 2016 et a fait l'objet d'un plan de redressement arrêté selon jugement du tribunal de commerce de Meaux en date du 2 octobre 2017.

Le 5 août 2016, la Banque CIC Est a déclaré ses créances à titre privilégié pour la somme de 98 129,21 euros outre intérêts et 209 913,21 euros outre intérêts entre les mains du mandataire, la société Garnier-Guillouet.

Le 25 juillet 2017, les créances de la Banque CIC Est ont été admises à titre privilégié pour la somme de 90 702,36 euros et à titre chirographaire pour la somme de 160 313,45 euros.

Le 8 février 2017, par lettre recommandée avec accusé de réception, la Banque CIC Est a mis [C] [F] née [G] en demeure de lui régler la somme de 200 000 euros au titre de son engagement de caution.

Par exploit en date du 6 juin 2018, la Banque CIC Est a assigné [C] [F] née [G] devant le tribunal de commerce de Meaux.

Par jugement contradictoire en date du 3 septembre 2019, le tribunal de commerce de Meaux a :

' Reçu la société Banque CIC Est en sa demande, au fond l'a dite bien fondée ;

' Reçu [C] [F] née [G] en ses demandes, au fond les a dites mal fondées et l'en a déboutée ;

' Condamné [C] [F] née [G] à payer à la société Banque CIC Est la somme de 200 000 euros en principal ;

' Condamné [C] [F] née [G] à payer à la société Banque CIC Est la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, nonobstant appel et sans caution ;

' Condamné [C] [F] née [G] en tous les dépens qui comprendront le coût de l'assignation qui s'élève à 67,85 euros toutes taxes comprises, ainsi que les frais de greffe liquidés à 73,24 euros toutes taxes comprises, en ce non compris le coût des actes qui seront la suite du présent jugement auquel elle demeure également condamnée.

Par déclaration du 13 janvier 2020, [C] [G] épouse [F] a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt contradictoire en date du 2 mars 2022, la cour d'appel de Paris a :

' Infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

' Dit que la société Banque CIC Est ne peut se prévaloir du cautionnement donné à son profit, par [C] [G] épouse [F], le 15 novembre 2013 pour un montant de 200 000 euros ;

' Condamné la société Banque CIC Est à payer à [C] [G] épouse [F] la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irépétibles exposés par elle tant en première instance qu'en appel ;

' Débouté la société Banque CIC Est de sa propre demande formulée sur ce même fondement ;

' Condamné la société Banque CIC Est aux entiers dépens de l'instance.

La société Banque CIC Est a formé un pourvoi no C 22-15.753 contre l'arrêt.

Par arrêt no 760 F-D en date du 29 novembre 2023, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a :

' Cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

' Remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

' Condamné [C] [G] épouse [F] aux dépens ;

' En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par [C] [G] épouse [F], et l'a condamnée à payer à la société Banque CIC Est la somme de 3 000 euros ;

' Dit que sur les diligences du procureur général près de la Cour de cassation, le présent arrêt serait transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.

Pour écarter la prise en compte, dans l'actif du patrimoine de la caution, des parts qu'elle détenait dans la société Egas ainsi que dans les sociétés Sage et [F] et fils, dont il a constaté qu'elles étaient mentionnées dans la fiche de renseignements signée par la caution, l'arrêt retient que la valeur nette des biens détenus par les sociétés dans lesquelles [C] [G] épouse [F] détient des parts n'est pas significative.

La Cour de cassation a jugé qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi cette valeur nette n'aurait pas été significative, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 455 du code de procédure civile selon lequel tout jugement doit être motivé.

[C] [G] épouse [F] a saisi la cour d'appel de ce siège par déclaration du 22 février 2024, et aux termes de ses dernières conclusions déposées le 16 janvier 2025, elle demande à la cour de :

À titre principal,

- DIRE ET JUGER recevable et bien fondée Madame [C] [G] épouse [F] en son appel ;

- INFIRMER le jugement rendu le 3 septembre 2019 par le Tribunal de Commerce de MEAUX en ce qu'il a écarté les moyens soulevés par Madame [F], l'a condamnée à régler au profit de la BANQUE CIC EST la somme de 200.000 ', l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la Société BANQUE CIC EST et l'a condamnée à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens de première instance ;

Et, statuant à nouveau,

- PRONONCER la nullité de l'acte de cautionnement des engagements de la société [F] TP, souscrit par Madame [C] [G] épouse [F] au profit de la société BANQUE CIC EST, à hauteur de 200.000 ', pour une durée de cinq ans ;

- DÉBOUTER la Société BANQUE CIC EST de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER la société BANQUE CIC EST à payer à Madame [C] [G] épouse [F], la somme de 200.000 ', à titre de réparation du préjudice subi par elle du fait du manquement de la société BANQUE CIC EST à son devoir de mise en garde ;

A titre subsidiaire :

- JUGER l'acte de cautionnement des engagements de la société [F] TP souscrit par Madame [C] [G] épouse [F] au profit de la société BANQUE CIC EST, à hauteur de 200.000 ', pour une durée de cinq ans, inopposable à Madame [C] [G] épouse [F] par la BANQUE CIC EST qui ne peut s'en prévaloir ;

- DÉBOUTER la société BANQUE CIC EST de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre très subsidiaire :

- LIMITER à la somme de 125.508 ' le montant des condamnations qui seraient prononcées contre Madame [F] ;

- ORDONNER la compensation des créances réciproques de Madame [C] [G] épouse [F] et de la société BANQUE CIC EST jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ;

- ACCORDER à Madame [C] [G] épouse [F] un différé de paiement de deux ans des sommes qui seraient mises à sa charge au profit de la BANQUE CIC EST, ou à tout le moins les délais de paiement les plus larges ;

En tous les cas :

- CONDAMNER la société BANQUE CIC EST à payer à Madame [C] [G] épouse [F] la somme de 18.000 ' en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- CONDAMNER la société BANQUE CIC EST aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions des articles 695 et 696 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux sommes retenues par l'Huissier instrumentaire en application des dispositions 10 du Décret du 8 mars 2001 en cas de défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir et en cas d'exécution par voie extra-judiciaire ;

- DÉBOUTER la Société BANQUE CIC EST de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 4 juin 2024, la Banque CIC Est demande à la cour de :

JUGER Madame [C] [F] mal fondée en son appel.

En conséquence,

CONFIRMER le jugement déféré en toutes ses dispositions.

DEBOUTER Madame [C] [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

JUGER N'Y AVOIR LIEU à responsabilité.

En tout état de cause,

CONDAMNER Madame [C] [F] à payer à la BANQUE CIC EST la somme de 14.000' au titre de l'article 700 du CPC.

CONDAMNER Madame [C] [F] en tous les dépens de première instance et d'appel par application de l'article 696 du CPC dont le montant sera recouvré par la SEL CB AVOCATS, Avocats associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 janvier 2025 et l'audience fixée au 18 février 2025.

CELA EXPOSÉ,

Sur la nullité du cautionnement :

Aux termes de l'article 1109 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.

Aux termes de l'article 1112 du même code, il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.

[C] [F] prétend que son consentement au cautionnement litigieux a été extorqué par violence parce qu'elle n'avait pas d'autre choix pour assurer la survie économique de la société [F] Travaux publics, dont elle tirait tous ses revenus.

Seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement.

La Banque CIC Est fait valoir à raison que la banque qui finance une entreprise peut légitimement solliciter l'engagement de caution de son dirigeant, sans que l'obtention d'une telle sûreté constitue en soi l'exploitation abusive de l'intérêt que le dirigeant peut trouver à préserver le crédit de son entreprise.

Il n'est du reste pas établi que la Banque CIC Est subordonnât l'octroi de chacun de ses concours financiers au cautionnement de [C] [F], comme le prétend celle-ci, puisque l'engagement du 15 novembre 2013 est postérieur de plus d'un an aux concours précédemment accordés à la société [F] Travaux publics.

Au regard même du montant de l'engagement pris par la caution, la banque ne saurait tirer aucun avantage excessif du cautionnement ainsi obtenu puisque, comme le fait d'ailleurs valoir [C] [F] à titre subsidiaire, un créancier professionnel ne peut de par la loi se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

L'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique n'est donc pas caractérisée en l'espèce. Aussi le jugement critiqué sera-t-il confirmé en ce qu'il déboute [C] [F] de sa demande de nullité de son engagement.

Sur le devoir de mise en garde :

Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Il résulte de ce texte que la banque est tenue lors de la conclusion du contrat, à l'égard d'une caution dont elle n'a pas constaté le caractère averti, d'un devoir de mise en garde à raison des capacités financières de la caution et des risques d'endettement né de l'octroi du prêt en cas de mise en 'uvre de son engagement (1re Civ., 14 oct. 2015, no 14-14.531).

En l'espèce, [C] [F] était âgée de près de 46 ans au jour de son engagement de caution. Elle était la gérante de la société à responsabilité limitée [F] depuis le 11 juin 1990, avant de s'adjoindre un co-gérant en la personne de [Y] [F], âgé de 20 ans, le [Date naissance 3] 2012 (pièce no 52 de [C] [F]). Elle était également la gérante de la société à responsabilité limitée [F] Travaux publics depuis le 21 août 2000, avant de s'adjoindre un co-gérant en la personne de [Y] [F] le 31 octobre 2012. Elle dirigeait aussi la société [F] et fils, et quatre sociétés civiles immobilières (pièce no 14 de la Banque CIC Est). Elle a déclaré qu'elle gérait effectivement, avec son mari, les sociétés du groupe familial (pièce no 15 de la Banque CIC Est). Elle est d'ailleurs co-signataire des prêts en cause, et expose qu'elle avait déjà souscrit de nombreux cautionnements en garantie des sociétés du groupe (pièces nos 5 à 13 de [C] [F]).

Il ressort de ces éléments que [C] [F] n'est pas une caution profane et connaissait tant la situation financière de la société qu'elle avait décidé de cautionner que le risque de l'endettement auquel elle s'exposait (Com., 17 fév. 2009, no 07-20.935). Dans ces circonstances, la Banque CIC Est n'était tenue à son égard d'aucun devoir de mise en garde. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il déboute [C] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de mise en garde.

Sur la disproportion du cautionnement :

En application des dispositions de l'article L. 341-4 ancien du code de la consommation devenu l'article L. 332-1 du même code, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Il appartient à la caution qui entend opposer au créancier les dispositions des textes précités du code de la consommation, de rapporter la preuve du caractère disproportionné de son engagement par rapport à ses biens et revenus. La disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit suppose que

la caution se trouve, lorsqu'elle le souscrit, dans l'impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus (Com., 28 fév. 2018, no 16-24.841). Cette disproportion s'apprécie lors de la conclusion de l'engagement, au regard du montant de l'engagement, de l'endettement global, des biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.

L'endettement s'apprécie donc, en premier lieu, au jour de l'engagement de caution, soit en l'espèce au 15 novembre 2013, date du cautionnement solidaire de [C] [F] en garantie de tous engagements de la société à responsabilité limitée [F] Travaux publics à l'égard de la Banque CIC Est.

Ce cautionnement a été donné à concurrence de la somme de 200 000 euros couvrant le payement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard, pour la durée de cinq ans à compter de sa signature.

[Z] [F], son mari, y a donné son accord exprès.

[C] [F] prétend qu'au 15 novembre 2013, ses engagements de caution atteignaient la somme totale de 1 501 300 euros, dont le cautionnement souscrit le même jour, au profit de la même banque, pour un montant de 105 000 euros (les engagements de caution de [Z] [F] étant quant à eux d'un montant total de 1 377 300 euros), avec pour y faire face des revenus annuels personnels de 4 848 euros, ce alors qu'elle devait supporter les mensualités de 2 737 euros (la moitié) du prêt ayant permis de financer les biens propriété de la société civile immobilière Egas.

À cette fin probatoire, [C] [F] produit, pour justifier de sa situation financière à cette date, en particulier l'avis d'impôt sur les revenus 2013 du couple et ses engagements de caution antérieurs.

La banque pour sa part verse aux débats un document intitulé « Fiche patrimoniale caution » comportant une annexe détaillée (pièce no 11 de la Banque CIC Est et pièce no 46 de [C] [F]), signé par [C] [F], daté du 15 novembre 2013, jour même de l'engagement de caution litigieux.

Il ressort de ce document uniquement les éléments suivants :

' le couple est propriétaire de sa résidence principale, d'une valeur estimée à 400 000 euros, et de deux résidences secondaires valant 130 000 euros et 85 000 euros, soit un patrimoine immobilier de 615 000 euros ;

' [C] [F] détient la moitié des parts de la société civile immobilière Sainte-Geneviève (l'autre moitié étant entre les mains de son mari) propriétaire d'un terrain d'une valeur de 150 000 euros, la moitié des parts de la société civile immobilière Egas (idem) propriétaire d'un terrain et d'un chalet d'une valeur de 135 000 euros et 550 000 euros, et également 2 % des parts d'une société civile immobilière Sage constituée avec son mari (2 %) et ses enfants (96 %), propriétaire d'une ferme d'une valeur de 50 000 euros ;

' [C] [F] détient 2 % des parts de la société par actions simplifiée [F] et fils aux côtés de son mari (2 %) et de ses enfants (96 %) propriétaire d'un bâtiment dont la valeur est estimée à 3 300 000 euros ;

' seuls les biens appartenant à la société civile immobilière Egas et à la société [F] et fils supportent des crédits en cours de remboursement :

- en ce qui concerne le terrain : un crédit de 135 000 euros souscrit auprès de la banque HSBC en août 2008 pour une durée de 120 mois, avec des mensualités de 1 441,14 euros,

- en ce qui concerne le chalet : deux prêts de 450 000 et 99 000 euros contractés auprès de la banque SNVB (nouvellement dénommée Banque CIC Est) en avril 2010 et janvier 2011, chacun d'une durée de 180 mois, avec des mensualités de 3 298,18 et 734,36 euros,

- en ce qui concerne le bâtiment commercial : deux prêts de 1 500 000 euros chacun, contractés auprès de CIC et d'OSEO en novembre 2013, chacun d'une durée de 180 mois, avec des mensualites de 12 198,01 euros et 11 148,01 euros ;

' [C] [F] ne déclare aucun crédit personnel, ni aucune autre charge en cours.

[C] [F] reproche aux premiers juges de s'être limités à reprendre les informations contenues dans la fiche patrimoniale pour constater que les engagements de caution atteignaient la somme exorbitante de 1 501 300 euros au 15 novembre 2013, sans en tirer les conséquences. Selon elle, la disproportion ressort des pièces mêmes de la banque, dont cette fiche, et surtout celle-ci doit être lue en tenant compte de l'ensemble des engagements de caution précédemment souscrits par [C] [F] auprès de la Banque CIC Est.

La cour observe que la rubrique de la fiche de renseignements relative aux revenus n'est pas remplie. Cela constitue une anomalie apparente que la banque, professionnel du crédit, aurait dû faire corriger.

Sur ce point, [C] [F] justifie, par la production de son avis d'imposition (sa pièce no 14) de revenus personnels de 4 848 euros, auxquels il convient d'ajouter ceux de son mari, de 65 202 euros, soit au total 70 050 euros annuels ou 5 837,50 euros par mois pour le couple.

Les époux [F] sont mariés sous le régime légal, et le consentement de [Z] [F] a été recueilli. Ainsi c'est l'ensemble des biens et revenus qui doivent être pris en considération pour apprécier une éventuelle disproportion.

À cet égard, le patrimoine immobilier sur lequel [C] [F] pouvait répondre du présent engagement de caution était donc de :

615 000 ' + 150 000 ' = 765 000 euros.

Quant au patrimoine mobilier du couple, il doit être estimé en tenant compte de l'endettement des sociétés considérées, tel qu'il a été déclaré par la caution.

Les deux biens de la société Egas étaient financés par trois emprunts en cours le 15 novembre 2013, sur lesquels restaient dus 446 914,06 euros selon l'appelante, soit un actif net de 238 085,94 euros.

Le bien de la société [F] et fils était financé par deux emprunts en cours le 15 novembre 2013, sur lesquels restaient dû 3 000 000 euros, soit un actif net de 300 000 euros. La participation du couple dans cette société peut par suite être estimée à :

2 × 2 % × 300 000 ' = 12 000 euros.

En définitive, le patrimoine mobilier sur lequel [C] [F] pouvait répondre du présent engagement de caution était donc de :

238 085,94 ' + 12 000 ' + (2 × 2 % × 50 000 ') = 252 085,94 euros.

La fiche patrimoniale ne mentionne aucun cautionnement antérieurement donné par [C] [F], qui pourtant à l'appui de ses écritures justifie de cautionnements antérieurs au profit de la Banque CIC Est en produisant les lettres d'information annuelle à caution s'y rapportant :

' le 21 mars 2009, un cautionnement dans la limite de 24 000 euros, en cours jusqu'en 2018,

' le 4 mai 2010, un cautionnement dans la limite de 95 700 euros, en cours jusqu'en 2015,

' le 4 mai 2010, un cautionnement dans la limite de 34 800 euros, en cours jusqu'en 2015,

' le 20 mai 2010, un cautionnement dans la limite de 39 000 euros, en cours jusqu'en 2015,

' le 1er juillet 2010, un cautionnement dans la limite de 82 800 euros, en cours jusqu'en 2015,

' le 10 juillet 2012, un cautionnement dans la limite de 375 000 euros, en cours jusqu'en 2027,

soit un total de 651 300 euros,

auquel il est encore possible d'ajouter d'une part, les cautionnements donnés au profit de CM-CIC Factor le 4 octobre 2013 et le 10 octobre 2013, dans la limite de 50 000 euros chacun ; d'autre part, le cautionnement tous engagements donné le même jour, 15 novembre 2013, au profit de la Banque CIC Est à concurrence de la somme de 105 000 euros. Il n'est en revanche pas possible d'y ajouter le cautionnement donné en 2012 au profit d'Oséo à concurrence de 375 000 euros pour [C] [F], dont il ne peut être présumé que la Banque CIC Est ait eu connaissance du seul fait qu'il venait garantir l'achat du bien de la société [F] et fils co-financé à parts égales par les deux établissements de crédit.

Le montant total des engagements de caution de [C] [F] est au 15 novembre 2013, alors qu'elle s'apprête à s'engager à nouveau, cette fois à concurrence de 200 000 euros, déjà de :

651 300 ' + 100 000 ' + 105 000 ' = 856 300 euros.

Au regard des revenus des époux [F] (70 050 euros), de leur patrimoine immobilier évalué à 765 000 euros, de leur patrimoine mobilier évalué à 252 085,94 euros, et des précédents engagements de [C] [F] (856 300 euros), l'engagement de caution qu'elle a souscrit le 15 novembre 2013 pour un montant de 200 000 euros n'était alors pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il déboute [C] [F] de sa demande de déchéance de son engagement de cautionnement.

Sur le montant de l'obligation de la caution :

Aux termes de l'article 2290 ancien, alinéa premier, du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions plus onéreuses.

La Banque CIC Est a été admise au passif de la société à responsabilité limitée [F] Travaux publics pour un montant total de 251 015,81 euros.

[C] [F] fait valoir que les créances de la banque à l'endroit de la société [F] Travaux publics s'élèvent à ce jour à 125 508 euros compte tenu des règlements réalisés par le débiteur principal. Elle n'en justifie toutefois que par des attestations de l'expert-comptable de ladite société établies le 16 novembre 2021, le 4 février 2024 et le 11 janvier 2025 (ses pièces nos 42, 45 et 51), sous la responsabilité de la société [F] Travaux publics à partir des documents et informations transmis par celle-ci. La Banque CIC Est ne confirme pour sa part que la première de ces attestations, concédant que sa créance peut, compte tenu des règlements des dividendes effectués par la société [F] Travaux publics au titre du plan de redressement, être ramenée à 175 710 euros à la date du 16 novembre 2021, soit après le règlement du quatrième dividende prévu au plan. La caution reste donc redevable de cette somme, sous réserve des éventuels règlements réalisés postérieurement par le débiteur principal au titre du plan de redressement.

[C] [F] étant déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde, la compensation demandée est sans objet.

Sur les délais de payement :

[C] [F] sollicite un différé de payement de deux ans, à défaut les plus larges délais. Elle expose que :

' à la suite de l'accident vasculaire cérébral de [Z] [F], le couple perçoit très peu de revenus ;

' les époux [F] ont encore un enfant à charge ;

' la société à responsabilité limitée [F] Travaux publics bénéficie depuis le 2 octobre 2017 d'un plan de redressement judiciaire qu'elle honore, si bien que la caution personne physique ne peut être poursuivie ;

' [C] [F] consacre toutes ses ressources à la bonne exécution du plan de redressement par des avances en compte courant d'associé ;

' elle assume également la charge des emprunts consentis par la Banque CIC Est pour l'acquisition des biens de la société civile immobilière Egas.

L'article 1343-5 du code civil dispose :

« Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

« Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

« Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

« La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

« Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment. »

L'article L. 622-28, alinéa 2, du code de commerce dispose :

« Le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie. Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans. »

Par renvoi de l'article L. 631-14, alinéa premier, du même code, l'article précité est applicable à la procédure de redressement judiciaire.

Au regard de l'absence de perspective d'apurement de la dette par la caution, et du délai de plus de huit ans dont elle a bénéficié de facto depuis la mise en demeure du 8 février 2017, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande. Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l'article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

Il résulte de ce texte que la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée, le fût-elle partiellement (1re Civ., 21 sept. 2022, no 21-12.344).

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

[C] [F] en supportera donc la charge.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.

Sur ce fondement, [C] [F] sera condamnée à payer la somme de 5 000 euros à la Banque CIC Est.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 mars 2022 ;

Vu l'arrêt de cassation du 29 novembre 2023 ;

Statuant à nouveau dans les limites de la cassation ;

INFIRME PARTIELLEMENT le jugement en ce qu'il :

' Condamne [C] [F] née [G] à payer à la société Banque CIC Est la somme de 200 000 euros en principal ;

' Condamne [C] [F] née [G] à payer à la société Banque CIC Est la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

CONDAMNE [C] [F] née [G] à payer à la société Banque CIC Est la somme de 175 710 euros en principal arrêtée à la date du 16 novembre 2021, sous réserve des éventuels règlements réalisés postérieurement par le débiteur principal au titre du plan de redressement ;

CONDAMNE [C] [F] née [G] à payer à la société Banque CIC Est la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [C] [F] née [G] aux entiers dépens exposés devant les juridictions du fond, dont le montant sera recouvré par la société d'exercice libéral CB Avocats, avocats associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONFIRME toutes les autres dispositions non contraires.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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