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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 6 mai 2025, n° 24/00932

POITIERS

Arrêt

Autre

CA Poitiers n° 24/00932

6 mai 2025

ARRET N°160

N° RG 24/00932 - N° Portalis DBV5-V-B7I-HAUO

C.L / V.D

[M]

C/

[C]

Loi n° 77-1468 du30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire

Le à

Le à

Le à

Copie gratuite délivrée

Le à

Le à

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 06 MAI 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00932 - N° Portalis DBV5-V-B7I-HAUO

Décision déférée à la Cour : jugement du 07 décembre 2023 rendu(e) par le Tribunal de Commerce de SAINTES.

APPELANTE :

Madame [I] [N] [P] [M]

née le 30 Novembre 1967 à [Localité 4] (16)

[Adresse 3]

[Localité 5]

ayant pour avocat plaidant Me Yann MICHOT de la SCP ERIC TAPON - YANN MICHOT, avocat au barreau de POITIERS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024-001060 du 02/04/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de POITIERS)

INTIMEE :

Madame [O] [C]

née le 01 Mars 1998 à [Localité 6] (17)

[Adresse 2]

[Localité 1]

Défaillante bien que régulièrement assignée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Lydie MARQUER, Présidente

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

- DEFAUT

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par Madame Lydie MARQUER, Présidente, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

************

Le 5 août 2022, Madame [I] [M] a consenti une promesse de vente de son fonds de commerce de restaurant-pizzeria-bar sis [Adresse 3] à [Localité 5] exploité sous le nom commercial 'La Petite Champagne' à Madame [O] [C].

La promesse de cession a été consentie pour une durée expirant le 20 septembre 2022.

Le 25 juillet 2023, Madame [M] a assigné Madame [C] devant le tribunal de commerce de Saintes.

Dans le dernier état de ses demandes, Madame [M] a demandé de :

- condamner Madame [C] à indemniser l'eirl [I] [M] pour le non-respect de son engagement d'achat du fonds de commerce situé à [Localité 5], [Adresse 3], à titre d'indemnité la somme de 21.000 euros ;

- outre la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Madame [C], quoique régulièrement assignée à sa personne, n'a pas comparu ni n'a été représentée.

Par jugement réputé contradictoire en date du 7 décembre 2023, le tribunal de commerce de Saintes a :

- débouté Madame [M] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,

- laissé à la charge respective des parties les frais irrépétibles engagés par elles dans la présente

procédure.

Le 12 avril 2024, Madame [M] a relevé appel de ce jugement, en intimant Madame [C].

Le 13 mai 2024, le greffe a avisé Madame [M] d'avoir à procéder par voie de signification à l'égard de Madame [C], intimée non constituée.

Le 4 juin 2024, Madame [M] a signifié sa déclaration d'appel à Madame [C] à étude de commissaire de justice.

Le 5 juillet 2024, Madame [M] a déposé ses premières conclusions au fond.

Le 26 juillet 2024, Madame [M] a signifié ses premières conclusions au fond à Madame [C] à étude de commissaire de justice.

Le 3 février 2025, Madame [M] a demandé la réformation intégrale du jugement déféré, et statuant à nouveau, de :

- condamner Madame [C] à lui payer la somme de 26.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis ;

- condamner Madame [C] à payer à la Scp Eric Tapon et Yann Michot la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi n° 91-747 du 10 juillet 1991 ;

- débouter Madame [C] de toute demande plus ample ou contraire aux présentes.

Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures précitées des parties déposées aux dates susdites.

Le 4 février 2025, a été ordonnée la clôture de l'instruction de l'affaire.

Par message sur le réseau privé virtuel avocat en date du 4 mars 2025, la cour a invité les parties à présenter pour le 18 mars 2025 au plus tard leurs observations sur le moyen relevé d'office, tenant à l'irrecevabilité de l'action de Madame [M] engagée le 25 juillet 2023 comme tendant à la réparation d'un préjudice personnel, au regard des articles 30 et suivants, 122 et 125 du code de procédure civile, et L. 622-20 du code de commerce, par suite de son placement en redressement judiciaire depuis le 5 janvier 2023.

Le 12 mars 2025, Madame [M] a déposé une note en délibéré.

MOTIVATION

Selon l'article 122 du code de procédure civile,

Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel que le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Selon l'article 125 du code de procédure civile,

Les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public, notamment lorsqu'elles résultent de l'inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l'absence d'ouverture d'une voie de recours.

Le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

Lorsqu'une fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir dans le même jugement, mais par des dispositions distinctes. Sa décision a l'autorité de la chose jugée relativement à la question de fond et à la fin de non-recevoir.

Selon l'article 30 du même code,

L'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée.

Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention.

Selon l'article 31 du même code, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Selon l'article 32 du même code,

Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

L'intérêt et la qualité à agir s'apprécient au moment de l'introduction de l'action.

Selon l'article L. 622-20 du code de commerce,

Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seule qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.

Les préjudices subis par des associés d'une société en liquidation, tenant à des pertes de rémunération, de valeur de leurs parts sociales et actions ainsi que des fonds de commerce et autres biens possédés par la société, sont subis indistinctement et collectivement par tous les créanciers ayant déclaré leur créance ; une action individuelle en indemnisation engagée par les associés, en application de l'article 46 de la loi du 25 janvier 1985, est dès lors irrecevable (Cass. com., 14 décembre 1999, n°97-14.500, Bull. 1999, IV, n°230).

L'action individuelle introduite par un créancier pour demander réparation d'un préjudice qui n'est pas distinct de celui causé aux autres créanciers est irrecevable (Cass. com., 4 mars 2003, Bull. 2003, IV, n°37).

La recevabilité de l'action engagée par un créancier d'un débiteur en procédure collective contre un tiers dépend uniquement du point de savoir s'il justifie d'un préjudice spécial et distinct de celui évoqué par les autres créanciers (Cass. Soc., 14 novembre 2007, n°05-21.239, Bull. 2007, V, n°188).

Seul le liquidateur d'une société soumise à une procédure de liquidation judiciaire a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers en vue de reconstituer le patrimoine social. La perte de valeur des actions ou parts ne constitue pas un dommage personnel distinct de celui subi collectivement par tous les créanciers du fait de l'amoindrissement ou de la disparition de ce patrimoine (Cass. com., 28 janvier 2014, n°12-27.901, Bull. 2014, IV, n°22).

Et encore, les demandes d'un associé en remboursement de son apport en capital et de son compte courant d'associé, ayant trait à une fraction du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers, sont distinctes de celles tendant à l'indemnisation de préjudices personnels (Cass. com., 21 juin 2016, n°15-10.028, diffusé).

Il en va de même de la perte de sommes en compte courant (Cass. com., 10 mars 2009, n°07-21.410, diffusé).

N'invoque pas un préjudice distinct le dirigeant social qui se prévaut des difficultés et tourments sur le plan financier et moral, résultant de la liquidation judiciaire d'une société consécutive à la rupture abusive d'un contrat de franchise (Cass. com., 3 avril 2012, n°11-11.943, diffusé).

Mais en souscrivant un engagement de caution, la caution justifie d'un préjudice personnel consistant notamment en une perte de chance de ne pas avoir à exécuter son engagement, lequel est distinct de sa part dans le capital social (Cass. com., 11 janvier 2005, n°02-12.370, diffusé).

Saisie par un associé d'une société mise en liquidation judiciaire, d'une demande tendant à la réparation du préjudice résultant de la perte de ses apports et de la perte pour l'avenir de ses rémunérations, une cour d'appel prive sa décision de base légale en déclarant l'ensemble des demandes recevables, sans distinguer entre la perte des apports réalisés en qualité d'associé, qui n'est qu'une fraction du préjudice subi par l'ensemble des associés, et la perte pour l'avenir des rémunérations qu'il aurait pu percevoir en tant que dirigeant social, à l'origine d'un préjudice distinct, qui lui est personnel (Cass. com., 29 septembre 2015, n°13-27.587, Bull. IV, n°137).

Si la perte pour l'avenir des rémunérations que subit le dirigeant social et unique actionnaire d'une société du fait du placement de celle-ci en redressement puis en liquidation judiciaire, est à l'origine, pour celui-là, d'un préjudice distinct qui lui est personnel, la dépréciation du fonds de commerce consécutive à cette mise en liquidation judiciaire n'est qu'une fraction du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers du fait de l'amoindrissement ou de la disparition du patrimoine social, que seul le liquidateur à la liquidation judiciaire de la société a qualité pour demander réparation (Cass. 1ère civ., 3 février 2016, n°14-25.733 et 14-25.695, publiés).

Il résulte des articles 1382, devenu 1240, du code civil et 31 du code de procédure civile que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé contre un tiers est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, c'est-à-dire d'un préjudice qui ne puisse être effacé par la réparation du préjudice social. Le seul fait que cet associé agisse sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne suffit pas à établir le caractère personnel du préjudice allégué (Cass. com., 4 novembre 2021, n°19-12.342, publié).

Par assignation en date du 25 juillet 2023, Madame [M] a assigné Madame [C] en indemnisation des préjudices résultant de l'absence de réitération de la promesse de cession du fonds de commerce du 5 août 2022.

Madame [M] fait notamment valoir divers préjudices de nature financière, puisque ayant dû se séparer d'un salarié au terme d'une rupture conventionnelle, avoir dû procéder à l'annulation de diverses animations ayant généré une baisse de chiffre d'affaires, avoir subi l'annulation d'un certain nombre de réservations ayant généré des difficultés financières l'ayant obligée à déposer son bilan.

Elle soutient que la procédure collective en cours lui a nécessairement causé un préjudice moral et l'oblige à prendre en charge les émoluments du mandataire judiciaire.

Elle précise avoir fait l'objet d'un jugement d'ouverture de redressement judiciaire en date du 5 janvier 2023, et par jugement du 2 mars 2023, bénéficier d'un plan de redressement toujours en cours à la date de ses dernières conclusions.

Il résulte de ses écritures que Madame [M] recherche essentiellement la réparation des dommages résultant de la dépréciation de son fonds de commerce consécutifs de l'absence de suite donnée à la promesse de vente d'icelui par Madame [C], qui s'en était portée acquéreur.

Ces préjudices sont essentiellement de nature patrimoniale, et le préjudice moral sus évoqué ne constitue qu'un préjudice consécutif aux préjudices financiers sus développés.

Or, ces préjudices ont été subis indistinctement par l'ensemble des créanciers de Madame [M], de sorte qu'ils ne constituent pas des préjudices qui lui sont personnels.

La réparation de ses préjudices ne pouvait donc être poursuivie que par le mandataire judiciaire.

Dès lors, Madame [M], dessaisie de ses droits et actions à caractère patrimonial par l'effet de son redressement judiciaire prononcé le 5 janvier 2023, n'avait plus qualité et intérêt à agir en réparation des préjudices subis à compter de cette date.

Elle était donc malhabile à assigner Madame [C] à cette fin le 25 juillet 2023.

Il y aura donc lieu de déclarer irrecevable l'action engagée par Madame [M] à l'encontre de Madame [C], et le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la première de l'intégralité de ses 'demandes, fins et conclusions' (sic).

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a laissé à la charge respective des parties les frais irrépétibles de première instance.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Madame [M] aux dépens de première instance.

Succombante, Madame [M] verra rejetée sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel, et sera condamnée aux entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté Madame [I] [M] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions ;

Infirme le jugement déféré de ce seul chef ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Déclare irrecevable l'action engagée par Madame [I] [M] à l'encontre de Madame [O] [C] en réparation de ses préjudices résultant de la non-réalisation de la promesse de cession de fonds de commerce en date du 5 août 2022 ;

Rejette la demande de Madame [I] [M] au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne Madame [I] [M] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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