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Décisions

CA Riom, 1re ch., 6 mai 2025, n° 23/00888

RIOM

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Valleix

Vice-président :

M. Acquarone

Conseiller :

Mme Bedos

Avoué :

SCP Villatte-Dessert

Avocats :

Me Dessert, Me Gutton Perrin, SELARL LX Riom-Clermont

TJ Aurillac, du 5 mai 2023, n° 21/00333

5 mai 2023

I. Procédure

Suivant devis du 6 novembre 2018, Mme [R] [K] a confié à M. [L] [V] des travaux de couverture sur la charpente de sa maison. Elle en a réglé le prix pour au total 16 690 EUR.

Mécontente du résultat, Mme [K] a obtenu du juge des référés la désignation d'un expert en la personne de M. [E] [M], qui a remis son rapport le 2 octobre 2020.

Mme [K] a ensuite assigné au fond M. [V] devant le tribunal de grande instance d'Aurillac, afin d'obtenir la réparation des désordres sur le fondement soit de la garantie décennale, soit de la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur. M. [V] s'opposait à toutes les demandes de Mme [K], les considérant infondées.

À l'issue des débats, par jugement du 5 mai 2023, le tribunal judiciaire d'Aurillac a rendu la décision suivante :

« Le Tribunal statuant par jugement contradictoire, en audience publique et en premier ressort,

DÉBOUTE Madame [R] [K] de l'intégralité de ses demandes,

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit,

DIT n'y avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et DÉBOUTE les parties de leurs demandes à ce titre,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE Madame [R] [K] aux entiers dépens de l'instance. »

Dans les motifs de sa décision le tribunal judiciaire d'Aurillac a notamment écrit, en considération de l'expertise réalisée par M. [M], que les conditions de mise en 'uvre de la « responsabilité décennale » n'étaient pas réunies dans la mesure où la possibilité d'un préjudice pouvant apparaître à terme « ne suffit pas à rendre l'immeuble impropre à sa destination ». Estimant par ailleurs qu'il était bien démontré que M. [V] « a manqué à ses obligations », le tribunal a néanmoins rejeté la demande de Mme [K] fondée sur la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur, au motif que « l'expert ne retient qu'un préjudice futur hypothétique ».

***

Mme [R] [K] a fait appel de cette décision le 6 juin 2023, précisant :

« Objet/Portée de l'appel : L'appel tend à obtenir la nullité ou, à tout le moins, la réformation de la décision susvisée en ce qu'elle a : débouté Mme [R] [K] de l'intégralité de ses demandes ; rappelé que l'exécution provisoire est de droit ; dit n'y avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile et débouté les parties de leurs demandes à ce titre ; débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; condamné Mme [R] [K] aux entiers dépens de l'instance. »

Dans ses conclusions suite du 7 août 2024, Mme [R] [K] demande à la cour de :

« Vu l'article1792 du Code Civil,

Vu l'article 1231-1 du Code civil,

IL est demandé à la Cour de :

DÉCLARER l'appel interjeté par Mme [K] recevable et bien fondé.

INFIRMER le jugement rendu le 05 mai 2023 par le Tribunal judiciaire d'AURILLAC, en ce qu'il a :

- Débouté Mme [R] [K] de l'intégralité de ses demandes ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- Dit n'y avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes à ce titre ;

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- Condamné Mme [R] [K] aux entiers dépens de l'instance.

Statuant à nouveau,

À TITRE PRINCIPAL : SUR LA RESPONSABILITÉ DE MONSIEUR [V] AU TITRE DE LA GARANTIE DÉCENNALE

Déclarer Monsieur [V] responsable des désordres sur le fondement de l'article 1792 du code civil.

Condamner Monsieur [V] à payer et à porter à Madame [K] la somme de 18.865 ' au titre des travaux de reprise dus aux désordres relevant de la responsabilité décennale des constructeurs.

Condamner Monsieur [V] à payer et à porter à Madame [K] la somme de 4.000 ' à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance.

Condamner Monsieur [V] à payer et à porter à Madame [K] la somme de 3.000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner Monsieur [V] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise et le coût du procès-verbal de constat établi par Maître [S] le 13 juin 2019.

À TITRE SUBSIDIAIRE : SUR LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE DE MONSIEUR [V]

Déclarer que Monsieur [V] a manqué à ses obligations contractuelles.

Déclarer que la responsabilité contractuelle de Monsieur [V] est engagée.

Condamner Monsieur [V] à payer et à porter à Madame [K] la somme de 18.865 ' à titre de dommages et intérêts correspondant aux travaux de reprise.

Condamner Monsieur [V] à payer et à porter à Madame [K] la somme de 4.000 ' à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance.

Condamner Monsieur [V] à payer et à porter à Madame [K] la somme de 3.000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner Monsieur [V] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise et le coût du procès-verbal de constat établi par Maître [S] le 13 juin 2019. »

***

En défense, dans des écritures du 19 octobre 2023, M. [L] [V] demande pour sa part à la cour de :

« Dire l'appel interjeté non fondé ;

Ce faisant ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté Mme [R] [K] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamné Mme [R] [K] aux entiers dépens de l'instance ;

Y ajoutant :

Condamner Madame [R] [K] à porter et payer à Monsieur [V] la somme de 3000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Madame [R] [K] aux dépens exposés en cause d'appel et faire application des dispositions de l'article 699 C.P.C. au profit de La SELARL LEXAVOUE [Localité 6] [Localité 4], prise en la personne de Maître [H] [C]. »

***

La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait ici expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées, étant précisé que le litige se présente céans de la même manière qu'en première instance.

Une ordonnance du 12 décembre 2024 clôture la procédure.

II. Motifs

1. Sur les désordres

L'expertise très claire de M. [E] [M] met en évidence les malfaçons commises par M. [V] lors de la réfection de la toiture de la maison de Mme [K]. L'expert décrit en effet de nombreux désordres : des flaches au niveau des versants nord et sud, ayant pour cause un manque de qualité technique et de mise en 'uvre du nivelage préalable à la pose de la nouvelle couverture ; les lattages et contre lattages ne sont pas correctement sectionnés, ni régulièrement tramés, « voire impropres à la mise en 'uvre pour offrir un support stable et résistant dans le temps à la surcharge en poids propre et climatique de la couverture (neige, vent, écir, pluies') » ; « Des calages par surépaisseur de petit bois de qualité et sections diverses sont constatés » ; les Velux ne possèdent pas de chevêtres et sont directement posés sans calage sur la volige préalablement découpée, « ce qui engendre de possibles préjudices à terme concernant la pérennité en étanchéité de la couverture par un désencrage progressif des ergots en soutien des tuiles mécaniques » (rapport pages 4 et 5).

2. Sur la responsabilité décennale du constructeur

Il n'y a pas eu de réception formelle des travaux. L'expert judiciaire mentionne dans son rapport que l'hypothèse d'une réception tacite et sans réserve « reste en attente pour un débat au fond ». M. [V] n'élève sur ce point aucune contestation ; dans ses conclusions à la cour il précise que ses prestations ont été intégralement payées « le solde faisant l'objet d'un virement du 6 avril 2019. » Il n'est pas contesté par ailleurs que Mme [K] a pris possession des lieux une fois les travaux terminés. En conséquence, il peut être considéré que les ouvrages construits par M. [V] ont été tacitement réceptionnés le 6 avril 2019, moyennant quoi la garantie décennale du constructeur court jusqu'au 6 avril 2029.

M. [V] plaide qu'il n'est pas tenu à la garantie décennale, en ce que les désordres étaient visibles à la réception. Cette analyse du dossier ne peut être sérieusement soutenue. Le caractère visible des défauts lors de la réception doit être apprécié in concreto en fonction du maître de l'ouvrage. Et quand bien même des désordres seraient visibles, encore faut-il prouver que le maître de l'ouvrage avait les compétences nécessaires pour en mesurer l'ampleur. Il n'est pas démontré que Mme [K], qui exerce la profession d'ambulancière, possédait les connaissances techniques suffisantes pour se rendre compte immédiatement, dès le 6 avril 2019, des défauts affectant l'ouvrage ni, le cas échéant, de comprendre leur gravité. Le procès-verbal de constat qu'elle a fait dresser par huissier le 13 juin 2019, est postérieur de plus d'un mois. Il doit donc être considéré que lorsque la réception tacite est intervenue sans réserve le 6 avril 2019, Mme [K] n'était pas à même de constater les désordres ni d'appréhender leur importance.

M. [V] fait également valoir qu'il est intervenu sur une toiture ancienne et n'a pas changé la totalité de la couverture. On observe cependant, sur le devis du 6 novembre 2018 produit au dossier, qu'il existe un poste « rattrapage charpente ». Dans son rapport M. [M] confirme que « l'artisan a signé par devis un nivelage de la toiture actuelle et de ce fait accepté le support en l'état de sa réfection ». L'acceptation du support par M. [V] ne l'exonère d'aucune responsabilité.

Il convient enfin de noter que M. [V] n'était manifestement pas assuré pour effectuer ces travaux. À ce propos l'expert note dans son rapport page 4 : « M. [V] convient de la présence des désordres et des vices apparents en toiture, il fait part via son conseil de sa qualité précaire comme auto entrepreneur et du manque en assurance dommages ouvrage et décennale des travaux entrepris et réglés dans leur totalité. »

Il reste à déterminer si les conditions d'application de l'article 1792 du code civil sont ici réunies. D'après ce texte, le constructeur est responsable envers le maître de l'ouvrage des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou d'équipement, le rendent impropre à sa destination. L'article 1792-4-1 précise que la durée de la garantie est de dix ans après la réception des travaux. Selon une jurisprudence constante en la matière le délai décennal est un délai d'épreuve, ce qui signifie que pour relever de la garantie décennale le dommage doit nécessairement se manifester à l'intérieur de ce délai (3e Civ., 18 mai 2017, nº 16-16.006 ; 3e Civ., 28 février 2018, nº 17-12.460 ; 3e Civ., 15 mars 2018, nº 17-12.751). Il est également admis que la garantie décennale peut être mise en jeu s'il est certain que le désordre, non encore apparu, se manifestera à l'intérieur du délai de dix ans (3e Civ., 12 septembre 2012, nº 11-16.943).

Ceci étant précisé, il résulte du dossier les éléments suivants.

Selon M. [M], en l'état de son rapport, « des fuites et sinistres en eaux » n'ont pas été constatés. Il précise néanmoins que « le caractère pérenne de la couverture est engagé » (rapport page 6). Aucune précision n'est apportée par l'expert concernant le délai dans lequel des dommages sont susceptibles de se manifester. Cependant, avec ses conclusions récapitulatives du 7 août 2024 Mme [K] produit à son dossier de nombreuses photographies, non contestées par M. [V] qui n'a pas reconclu après ces écritures du 19 octobre 2023, où l'on voit précisément se manifester les fuites en toiture dont l'expert judiciaire pressentait l'apparition. Ces photographies montrent en effet qu'à l'intérieur de l'habitation, au niveau de la toiture, de l'eau s'infiltre, provoquant des taches en sous face des voliges et sur le mur où l'on constate même des coulures qui descendent jusqu'au plancher. Ces photographies ne sont pas datées, mais quoi qu'il en soit elles sont nécessairement antérieures à la date d'échéance de la garantie décennale. Il en résulte de manière certaine que la toiture posée par M. [V] n'est pas étanche et laisse passer l'eau de pluie en abondance à certains endroits. Il s'agit sans conteste de désordres rendant l'immeuble impropre à sa destination, et relevant par conséquent de la garantie décennale du constructeur.

2. Sur la réparation des désordres

Les désordres de construction étant établis, et la responsabilité décennale de M. [V] retenue, il convient de réparer le préjudice subi par Mme [K]. Nonobstant les protestations à ce titre de M. [V], il demeure que le dommage doit être intégralement réparé, sans considération pour le prix initial des travaux défectueux.

Dans son rapport page 5, M. [M] chiffre les travaux de reprise à la somme de 18 865 EUR TTC. La description qu'il en fait est comparable avec les ouvrages qui avaient été promis par M. [V] dans son devis du 6 novembre 2018. Mme [K] est donc parfaitement fondée à réclamer ce montant.

Concernant le préjudice de jouissance dont elle sollicite également réparation, il est établi en raison d'une part des coulures et infiltrations d'eau à l'intérieur de l'habitation ; d'autre part des travaux de reprise qui vont nécessairement entraîner des perturbations non négligeables dans sa vie quotidienne, et ce durant trois semaines selon l'expert. La somme de 1500 EUR (3 × 500) réparera ce préjudice.

3000 EUR sont justes pour l'article 700 du code de procédure civile.

M. [V] supportera les dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût de l'expertise judiciaire, étant précisé que le coût d'un procès-verbal de constat qui n'a pas été ordonné par une juridiction n'entre pas dans les dépens mais relève de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau :

Juge que M. [L] [V] est responsable des désordres consécutifs aux travaux qu'il a entrepris chez Mme [R] [K], en vertu d'un devis nº 39 du 6 novembre 2018, sur le fondement de la garantie décennale du constructeur ;

Condamne M. [L] [V] à payer en réparation à Mme [R] [K] la somme de 18 865 EUR TTC au titre des travaux de reprise et la somme de 1500 EUR en réparation de son préjudice de jouissance ;

Condamne M. [L] [V] à payer en outre à Mme [R] [K] la somme de 3000 EUR en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [L] [V] aux dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût de l'expertise judiciaire ;

Déboute les parties de leurs autres demandes.

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