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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 9 avril 2025, n° 23/137116

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Koopman International B.V.

Défendeur :

Tinnus Enterprises LLC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Bohée, Mme Barutel

Avocats :

Me Pochart, Me Pallut, SCP August & Debouzy, SELARL Pellerin, SELARL De Maria, SELARL Guerre, Me De Mitry, Me Di Borgo

21 avril 2023

21 avril 2023

contradictoire ;

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par M. Soufiane HASSAOUI, greffier présent lors de la mise à disposition et auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu la décision du 25 juin 2015 par laquelle le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) a prononcé la restauration des droits attachés à la demande de brevet ayant pour titre « Appareil, système et procédé de remplissage de récipients avec des fluides » déposée le 7 avril 2015 au nom de la société de droit américain Tinnus Enterprises (Tinnus) sous le n° 15 52 946,

Vu la décision d'opposition du 21 avril 2023 par laquelle le directeur général de l'Inpi a dit justifiée l'opposition formée le 3 décembre 2021 par la société de droit néerlandais Koopman International (Koopman) à l'encontre du brevet français déposé le 7 avril 2015 sous le n° 15 52 946 par la société Tinnus, délivré sous le n° FR 3 017 381 (FR 381) et publié le 5 mars 2021,

Vu la déclaration de recours du 17 juillet 2023 de la société Koopman contre la décision du directeur général de l'Inpi du 25 juin 2015 statuant sur le recours en restauration des droits attachés à la demande de brevet n° 15 52 946 et contre la décision implicite du directeur général de l'Inpi du 21 avril 2023 rejetant le recours gracieux à l'encontre de la décision du 25 juin 2015 statuant sur le recours en restauration des droits attachés à la demande de brevet n° 15 52 946,

Vu les conclusions n°3 transmises par Rpva par la société Koopman le 21 janvier 2025 et régulièrement notifiées à l'Inpi ;

Vu les conclusions n°2 transmises par Rpva le 19 décembre 2024 par la société Tinnus, intervenante volontaire, et régulièrement notifiées à l'Inpi ;

Vu les dernières observations écrites récapitulatives du directeur général de l'Inpi transmises le 28 décembre 2024 ;

Les conseils des parties et la représentante de l'Inpi entendus en leurs observations orales reprenant leurs écritures ;

Le Ministère public ayant été avisé de la date d'audience,

SUR CE,

La société Tinnus a déposé le 7 avril 2015 la demande de brevet français n° 15 52946, qui a été publiée le 14 août 2015 sous le n° FR 3017381 dans le Bulletin officiel de la propriété industrielle (Bopi) n° 15/33. La demande de brevet revendiquait la priorité de trois demandes de brevets américains respectivement datées des 7 février 2014 n° US61/937083 (P1), 20 février 2014 n° US61/942193 (P2) et 22 septembre 2014 n°US14/492487 (P3).

Le dépôt de la demande de brevet ayant été effectué plus de douze mois après les demandes P1 et P2, la société Tinnus, faisant valoir une excuse légitime sur le fondement de l'article L. 612-16-1 du code de la propriété intellectuelle, a déposé, le 7 avril 2015, concomitamment au dépôt de la demande de brevet, un recours en restauration de son délai de priorité.

Par décision du 25 juin 2015, le directeur de l'Inpi, considérant que le recours est recevable, comme formé dans les conditions et les délais prescrits, et qu'il est fondé, les circonstances invoquées, dont la réalité a été établie, constituant l'excuse légitime prévue à l'article L. 612-16-1 susvisé, a restauré les priorités revendiquées.

La demande de brevet a été publiée le 14 août 2015 sous le numéro FR 3 017 381 dans le bulletin officiel de la propriété industrielle (Bopi) n°15/33.

Le brevet a été délivré le 5 mars 2021, la mention de sa délivrance étant publiée au Bopi 2021/09 du 5 mars 2021 sous le titre « Appareil et procédé de remplissage de ballons à eau avec de l'eau ».

Le 3 décembre 2021, la société Koopman a formé une opposition à l'encontre du brevet FR 3 017 381.

Par décision du 21 avril 2023, le directeur général de l'Inpi a déclaré l'opposition justifiée et révoqué totalement le brevet. Cette décision fait l'objet d'un recours formé par la société Tinnus enregistré à la présente cour dans une procédure parallèle sous le n° RG < 23/14096.

La société Koopman a formé un recours par déclaration du 17 juillet 2023 contre la décision du directeur général de l'Inpi du 25 juin 2015 statuant sur le recours en restauration des droits et contre la décision implicite du directeur général de l'Inpi du 21 avril 2023 rejetant le recours gracieux à l'encontre de la décision du 25 juin 2015.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives n°3 notifiées par RPVA le 21 janvier 2025, la société Koopman demande à la cour de :

Annuler les décisions du directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle :

en date du 25 juin 2015 statuant sur un recours en restauration des droits attachés à la demande de brevet français n° 15 52 946 ; et

en date du 21 avril 2023 rejetant le recours gracieux à l'encontre de la décision du 25 juin 2015 statuant sur un recours en restauration des droits attachés à la demande de brevet français n° 15 52 946 ;

En conséquence :

Déclarer nulles les revendications des droits de priorité attachés aux demandes de brevet

US61/937083 déposée le 7 février 2014, et

US61/942193 déposée le 20 février 2014

par le brevet FR 3 017 381 ;

En tout état de cause :

Juger irrecevables toutes les pièces produites par la société Tinnus Enterprises LLC à l'exception des pièces 16, 17, 18, 18Bis, 19, 19Bis, 25, 25Bis ;

Débouter la société Tinnus Enterprises LLC de l'ensemble de ses demandes ;

Condamner la société Tinnus Enterprises LLC à payer à la société Koopman International BV la somme de quinze mille (15 000) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Tinnus Enterprises LLC aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives n°3 notifiées par RPVA le 11 février 2025, la société Tinnus demande à la cour de :

DÉBOUTER la société Koopman International BV de sa demande tendant au rejet des Pièces Gide 20 à 24bis produites en défense devant la Cour d'appel par la société Tinnus Entreprises LLC ;

À défaut, si la Cour devait par extraordinaire faire droit à cette demande de rejet des pièces,

REJETER les Pièces AD 2.10 à 2.12, 2.13 et 2.14 produites par la société Koopman International BV devant la Cour d'appel ;

Sur le recours :

REJETER le recours en annulation formé par la société Koopman International BV à l'encontre de la décision du 25 juin 2015 du Directeur Général de l'INPI;

REJETER le recours en annulation formé par la société Koopman International BV à l'encontre de la décision du Directeur Général de l'INPI du 21 avril 2023, en ce qu'elle a rejeté le recours gracieux formé par la société Koopman International BV contre la décision du 25 juin 2015 du Directeur Général de l'INPI ;

En tout état de cause :

DÉBOUTER la société Koopman International BV de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER la société Koopman International BV à payer à la société Tinnus Enterprises LLC la somme de quinze mille (15.000) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civil ;

CONDAMNER la société Koopman International BV aux entiers dépens de l'instance.

Sur la recevabilité du recours en annulation de la société Koopman

La société Tinnus soutient en premier lieu que la société Koopman ne dispose d'aucun intérêt à agir puisqu'elle n'était pas partie à la procédure de restauration en droit de priorité et qu'elle n'était de ce fait pas destinataire de l'acte administratif individuel sous la forme d'une décision en date du 25 juin 2015 restaurant la priorité ; que le recours à l'encontre de cette décision ne lui est pas ouvert ; qu'elle ne démontre aucun intérêt à agir alors que cette décision ne l'a pas empêchée de s'opposer à la délivrance du brevet ni potentiellement d'agir en nullité ; que faute de justifier d'un intérêt légitime et personnel son recours est irrecevable.

Elle ajoute qu'un recours gracieux ne pouvait pas être formé à l'oral pendant la procédure d'opposition par la société Koopman, et que pour les mêmes raisons que précédemment développé son recours à l'encontre de la décision de l'Inpi du 21 avril 2023 en ce qu'elle constitue une décision implicite de rejet d'un recours gracieux est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.

La société Koopman fait valoir que les articles L.411-4, L. 441-5 et R.411-19 et suivants du code de la propriété intellectuelle ne limitent pas les personnes qualifiées pour agir en annulation d'une décision du directeur de l'Inpi prise à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres ; que l'intérêt à agir ne dépend pas de la personne à qui est notifiée la décision mais de l'intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ; qu'elle a un intérêt légitime à agir en annulation des deux priorités contestées puisque sans ces deux priorités le brevet peut être déclaré nul pour défaut de nouveauté du fait de divulgations antérieures intervenues entre les dates de priorité et le dépôt français ; qu'elle est une société importatrice de jouets ayant fait l'objet d'une retenue douanière par la société Tinnus ; qu'elle a donc intérêt non seulement à voir annuler le brevet, mais aussi à voir annuler la décision ayant restauré les droits de priorité sur les demandes P1 et P2.

La société Koopman prétend en outre que rien n'empêche de former un recours gracieux par voie orale lors de la phase écrite et orale de l'opposition, et soutient les mêmes moyens au soutien de son intérêt à agir en annulation de la décision du directeur de l'Inpi du 21 avril 2023 ayant rejeté son recours gracieux à l'encontre de la décision du 25 juin 2015 statuant sur un recours en restauration des droits attachés à la demande de brevet.

Le directeur de l'Inpi s'en remet à l'appréciation de la cour sur la recevabilité du recours à l'encontre de la décision du 25 juin 2015. S'agissant du recours contre la prétendue décision implicite en date du 21 avril 2023 de rejet du recours gracieux, l'Inpi soutient qu'un recours gracieux nécessite d'être formalisé afin de saisir l'Inpi d'une demande et de moyens au soutien de cette demande, et qu'en l'espèce l'Inpi n'a pas été saisi d'un tel recours sur la question de la restauration des droits de priorité du brevet contesté.

Sur ce,

L'article 31 du code de procédure civile dispose que « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

L'intérêt à agir doit être légitime, personnel, né et actuel.

L'article 122 du code de procédure civile énonce que : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

En l'espèce, la société Koopman qui a exercé en juillet 2023 un recours à l'encontre de la décision du directeur de l'Inpi du 25 juin 2015 restaurant les droits de priorité de la société Tinnus sur sa demande de brevet déposée le 7 avril 2015 relativement à deux dépôts américains antérieurs P1 et P2, fait valoir, sur le fondement de l'article 31 du code de procédure civile, qu'elle a intérêt et qualité à agir en annulation de ladite décision en ce qu'elle est importatrice de jouets ayant fait l'objet d'une retenue douanière par la société Tinnus, qu'elle a donc intérêt non seulement à voir annuler le brevet FR 381, ce qui est l'objet de la procédure parallèle d'opposition, mais aussi à voir annuler la décision ayant restauré les droits de priorité dudit brevet puisque sans la décision de restauration du 25 juin 2015, elle disposerait d'un argument supplémentaire au titre du défaut de nouveauté, sur la base d'un usage antérieur du titulaire, pour attaquer la validité du brevet qui pourrait lui être opposé.

La cour constate cependant que la société Koopman a formé opposition le 3 décembre 2021 à l'encontre du brevet FR 381, et qu'elle a pu, dans le cadre de cette procédure d'opposition, contester la validité dudit brevet en faisant valoir divers griefs, notamment le défaut de nouveauté, et en contestant les dates de priorité relatives aux demandes P1 et P2 des 7 et 20 février 2014, le directeur de l'Inpi ayant au demeurant fait droit à son argumentation de ce chef en écartant le bénéfice de la revendication du droit de priorité fondé sur les dépôts P1 et P2, de sorte que la société Koopman, qui ne subit aucun grief du fait de la décision du 25 juin 2015 puisqu'elle a pu contester les dates de priorités du brevet FR 381 dans le cadre de la procédure d'opposition, comme elle le fait devant la présente cour au soutien de son attaque en défaut de nouveauté du brevet dans la procédure parallèle de recours, intentée par la société Tinnus, à l'encontre de la décision d'opposition du directeur général de l'Inpi du 21 avril 2023, échoue à démontrer son intérêt à agir en 2023 à l'encontre de la décision du 25 juin 2015 du directeur de l'Inpi statuant sur un recours en restauration sur le fondement de l'article L. 612-16-1 du code de la propriété intellectuelle, lequel est ouvert au seul titulaire de la demande de brevet.

Il suit des développements qui précèdent, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, que le recours de la société Koopman à l'encontre de la décision du 25 juin 2015 est irrecevable.

S'agissant du recours de la société Koopman contre la décision de l'Inpi du 21 avril 2023 en ce qu'elle constituerait une décision implicite de rejet du recours gracieux à l'encontre de la décision du 25 juin 2015 que la société Koopman aurait formé pendant la procédure d'opposition, la cour constate que la société Koopman ne justifie pas de l'existence d'un tel recours gracieux, la seule mention dans le procès-verbal d'audition lors de la phase orale devant la commission de l'Inpi, à la fin de la procédure d'opposition, de ce que « L'opposant estime qu'il peut présenter son recours gracieux contre la décision du directeur général de l'INPI devant la commission d'opposition » et que « L'opposant demande à la commission d'opposition de se référer à la section du mémoire d'opposition où il est indiqué que le délai de priorité n'a pas été respecté, et ajoute que si la commission considère que le recours n'a pas encore été fait, il le fait aujourd'hui » ne suffisant à établir la saisine de l'Inpi d'un recours gracieux à l'encontre de la décision du 25 juin 2015 statuant sur un recours en restauration de la société Tinnus. Il convient en conséquence de rejeter, comme sans objet, le recours de la société Koopman à l'encontre de la décision de l'Inpi du 21 avril 2023 en ce qu'elle constituerait une décision implicite de rejet du recours gracieux à l'encontre de la décision du 25 juin 2015.

Le recours de la société Koopman étant pour partie irrecevable et pour partie sans objet, il n'y a pas lieu de statuer sur sa demande de juger irrecevables les pièces produites par la société Tinnus.

La procédure de recours contre une décision du directeur général de l'Inpi ne donne pas lieu à condamnation aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant contradictoirement,

Déclare irrecevable le recours de la société Koopman International à l'encontre de la décision du 25 juin 2015,

Rejette, comme sans objet, le recours de la société Koopman International à l'encontre de la décision de l'Inpi du 21 avril 2023 en ce qu'elle constituerait une décision implicite de rejet du recours gracieux à l'encontre de la décision du 25 juin 2015.

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