CA Versailles, ch. civ. 1-6, 7 mai 2025, n° 24/00489
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
La Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Île-de-France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pages
Conseillers :
Mme Michon, Mme Nerot
Avocats :
Me Arena, Me Planchon, Me Gosset, Me Coulon, Me Bernard-Dussaux
EXPOSÉ DU LITIGE
Exposant qu'il est titulaire d'un compte bancaire dans les livres de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France (ci-après : le Crédit Agricole), monsieur [U] [M] relate qu'à la suite d'un démarchage téléphonique, en janvier 2020, par des personnes se présentant comme courtiers d'une société AGF Placement lui proposant de faire fructifier son épargne par des placements sur une plateforme de courtage www.agf-placement.com , il a investi ses économies en procédant à sept virements depuis ledit compte entre le 16 janvier et le 19 mars 2020, pour un montant total de 65.000 euros, au profit de comptes ouverts dans des banques portugaises.
Plus précisément :
le 16 janvier 2020 : 3.000 euros, banque destinataire : Novo Banco SA, titulaire du compte : AGF Benefit Tendency,
le 17 janvier 2020 : 2.000 euros, banque destinataire : Novo Banco SA, titulaire du compte : AGF Benefit Tendency,
le 27 janvier 2020 : 2.500 euros, banque destinataire : Novo Banco SA, titulaire du compte : AGF Benefit Tendency,
le 28 janvier 2020 : 2.500 euros, banque destinataire : Novo Banco SA, titulaire du compte : AGF Benefit Tendency,
le 03 mars 2020 : 15.000 euros, banque destinataire : Banco Comercial Portuguès, titulaire du compte : AGF-Zebra Zelosa,
le 06 mars 2020 : 25.000 euros, banque destinataire : Banco Comercial Portuguès, titulaire du compte : AGF-Zebra Zelosa,
le 19 mars 2020 : 15.000 euros, banque destinataire : Banco Comercial Portuguès, titulaire du compte : AGF-Zebra Zelosa.
S'étant aperçu que ces fonds n'avaient pas été investis mais détournés, que le site n'était que virtuel et l'existence du compte de trading fictif, qu'il avait donc perdu l'intégralité de son investissement, il a déposé plainte, le 08 avril 2020, pour des faits d'escroquerie.
Ayant, par ailleurs, vainement mis en demeure la banque, le 10 décembre 2021, de lui rembourser cette somme, il l'a assignée en responsabilité par acte du 08 janvier 2022.
Par jugement contradictoire rendu le 22 décembre 2023 le tribunal judiciaire de Versailles a :
condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 16.250 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier,
condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,
condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France à payer les entiers dépens dont distraction au profit de maître Anne Bernard-Dussaulx, avocat au barreau de Paris,
condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
rejeté les autres demandes plus amples ou contraires.
Par dernières conclusions notifiées le 15 octobre 2024, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France, appelante de ce jugement selon déclaration reçue au greffe le 22 janvier 2024, demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1104 (anciennement 1134), 1231-1 et 1231-3 (anciennement 1147 et 1150) du code civil et L 133-1 et suivants du code monétaire et financier :
de recevoir le Crédit Agricole IDF en ses conclusions, l'y déclarer bien fondé,
d'infirmer le jugement (entrepris) en ce qu'il a : condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 16.250 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier // condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral // condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France à payer les entiers dépens dont distraction au profit de maître Anne Bernard-Dussaulx, avocat au barreau de Paris // condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile // débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Paris Ile-de-France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile // rejeté les autres demandes plus amples ou contraires,
en conséquence, statuant à nouveau
de juger que la responsabilité du Crédit Agricole IDF n'est absolument pas engagée sur quelque fondement que ce soit en l'espèce,
de juger que monsieur [M] a, de surcroît, fait preuve d'une particulière négligence,
de débouter en conséquence monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
de condamner monsieur [M] à verser au Crédit Agricole IDF la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (et) aux entiers dépens.
Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées le 17 juillet 2024, monsieur [U] [M], visant l'article 1231-1 du code civil, prie la cour :
à titre principal
de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à indemniser monsieur [U] [M] au titre du préjudice financier résultant du manquement du Crédit Agricole de Paris et d'Ile-de-France à son obligation de vigilance,
d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 16.250 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier,
et, statuant à nouveau
de condamner le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 65.000 euros, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure adressée à ce dernier, en réparation de son préjudice financier,
à titre subsidiaire
de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à indemniser monsieur [U] [M] au titre du préjudice financier résultant du manquement du Crédit Agricole de Paris et d'Ile-de-France à son obligation de vigilance,
d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 16.250 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier, estimant la perte de chance à 25%,
et, statuant à nouveau
de condamner le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 52.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier né de la perte de chance,
en tout état de cause
de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à indemniser monsieur [U] [M] de son préjudice moral,
de l'infirmer en ce qu'il l'a condamné à payer à monsieur [U] [M] la somme de 1.000 euros au titre de son préjudice moral,
et statuant à nouveau
de condamner le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice moral,
en tout état de cause
de condamner le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France à payer à monsieur [U] [M] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
de débouter le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France de l'entièreté de ses demandes,
de condamner le Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Anne Bernard-Dussaulx, avocat au barreau de Paris.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 février 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'engagement de la responsabilité de la banque
Il convient de rappeler que pour retenir la responsabilité de la banque, le tribunal a rejeté les moyens du demandeur portant sur un manquement au devoir de mise en garde, dès lors que celle-ci ne commercialisait pas les produits litigieux, ou sur l'obligation de vigilance imposée par les articles L 561-4 et suivants du code monétaire et financier dont il a jugé que la seule finalité, d'intérêt général, est la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Portant son appréciation sur le devoir de vigilance et de surveillance de la banque dans le cadre de ces virements volontaires dont celle-ci ne contestait pas le caractère frauduleux, il a considéré qu'ils n'étaient pas en eux-mêmes constitutifs d'anomalies mais qu'eu égard à leur très courte période de réalisation, de leur montant cumulé disproportionné en regard des revenus de monsieur [M] et inhabituel en contemplation du montant des virements précédant la période considérée ou à la pratique de placements sécurisés de ce client, il a retenu un manquement de la banque à son devoir de vigilance mais aussi l'imprudence de monsieur [M] à confier son épargne à un courtier inconnu pour fixer sa perte de chance à 25%.
Il a indemnisé son préjudice moral par l'allocation d'une somme de 1.000 euros en retenant les tracasseries nécessairement causées par la perte de son épargne.
Au visa des articles précités, la banque appelante se prévaut d'abord de son devoir de non-immixtion, soutenant que la gestion des avoirs de son client était laissée à sa totale discrétion, qu'il avait effectué des opérations aux montants similaires à ceux des virements litigieux dans les périodes antérieures ou concomitantes, que son âge (soit : 66 ans) ne saurait être érigé en critère d'appréciation de la normalité d'une opération bancaire et qu'elle n'était qu'un simple prestataire de services de paiement.
Elle relève les incohérences de la motivation du tribunal énonçant que ces virements 'n'étaient pas en eux-mêmes constitutifs d'anomalies' mais retenant toutefois une 'apparence d'anomalie' et un devoir de mise en garde pourtant précédemment écarté en l'absence de commercialisation des produits financiers ; elle ajoute que le libellé des virements ne lui permettait pas d'en connaître l'objet et que le pays de leur destination, le Portugal, fait partie de l'espace SEPA (Single Euro Payment Area).
Elle oppose à monsieur [M] sa détermination, son imprudence et sa négligence en faisant valoir qu'à supposer qu'elle ait eu une obligation d'alerte, elle eût été dérisoire ; elle se prévaut, en outre, du caractère autorisé et irrévocable de ces virements SEPA au sens des dispositions du code monétaire et financier et comme cela ressort de leur convention de compte de dépôt ; elle estime , de plus, que le tribunal aurait dû se borner à appliquer les dispositions de ce code et non rechercher une prétendue responsabilité sur le fondement d'un prétendu devoir de vigilance et de surveillance, entendant, sur ce point, voir appliquer la jurisprudence européenne disant pour droit qu'est exclusif le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi par la directive 2007/64 transposée dans ledit code, ce dont il résulte, comme jugé par la Cour de cassation (Cass com 27 mars 2024, pourvoi n° 22-21200, publié au bulletin) que 'sont incompatibles avec ladite directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d'un même fait générateur qu'un régime de responsabilité concurrent'.
Et réfute l'argumentation adverse fondée sur le devoir de contrôle des articles L 561-1 et suivants du code monétaire et financier.
Elle conclut, enfin, au rejet de ses entières demandes en l'absence de faute, en présence de la particulière imprudence de son client et en raison du défaut de lien de causalité entre son intervention et le préjudice subi qui ne résulte que des agissements frauduleux de tiers, observant incidemment que le n'a été inscrit sur la liste noire de l'Autorité des Marchés Financiers que le 31 mars 2020, soit postérieurement au dernier virement litigieux.
Pour voir confirmer le jugement en ce qu'il retient la responsabilité de la banque mais, sur appel incident, voir réévaluer sa perte de chance, l'intimé précise d'abord qu'il recherche la responsabilité contractuelle de la banque pour avoir failli à son devoir général de vigilance et de surveillance sur le seul fondement des dispositions de l'article 1231-1 du code civil et non point sur les articles L 133-1 et suivants du code monétaire et financier car il n'a jamais contesté être à l'origine des virements litigieux.
Il consacre des développements au devoir de vigilance, obligeant le banquier à déceler des anomalies apparentes en contemplation du comportement objectif du client, ceci avec d'autant plus d'acuité que le client est âgé et vulnérable et présente, en évoquant diverses jurisprudences de juges du fond, le détail de ses applications concrètes tenant au montant élevé et inhabituel de virements, aux destinataires inconnus ou à leur caractère suspect, à la localisation à l'étranger des comptes destinataires, aux fraudes répandues ou connues des banques (comme celle dite 'de la fraude au président'), à la multiplicité des transferts, à leur brièveté ou encore à leur disproportion en regard des paiements usuels ou du patrimoine des clients ; et il entend préciser que le devoir de non-immixtion de la banque cède devant son obligation de vigilance et de surveillance, ce qui doit la conduire, selon lui, à s'informer sur les opérations que son client souhaite réaliser pour refuser, au besoin, de prêter son concours en cas de risque de fraude ou, à tout le moins, à informer son client.
Factuellement, soutenant que la banque avait connaissance des risques d'escroquerie aux investissements, comme cela ressortait déjà d'un rapport de l'organisme Tracfin de 2015 et comme en atteste une sensibilisation de longue date du secteur bancaire, il se prévaut du caractère anormal des virements en cause ; il invoque cumulativement l'aspect exorbitant du montant total de ces virements (soit 65.000 euros représentant trois fois son revenu annuel), leur 'déconnexion' du fonctionnement normal de son compte (critiquant la banque qui se prévaut d'opérations de compte à compte et non point destinées à l'étranger), la très courte période de leur réalisation, le transit de ces sommes virées sur des comptes ouverts au Portugal (la banque ne pouvant tenter d'échapper, selon lui, à sa responsabilité en se prévalant de l'espace SEPA alors qu'elle ne pouvait ignorer que les escrocs détiennent fréquemment des comptes au Portugal); il ajoute que l'on sait qu'un retraité est une cible idéale des courtiers frauduleux et que la banque aurait dû réagir devant la dilapidation de son patrimoine.
Invoquant le devoir de mise en garde et de conseil, il reproche au Crédit Agricole de n'avoir jamais pris contact avec lui pour l'interroger sur la nature et l'objet des opérations en cause en dépit de ces anomalies apparentes 'incontestables' et fait état de la pratique de formulaires de mise en garde ou de décharges de responsabilité observée par d'autres établissements bancaires, tels la Banque Postale, la CRCAM Rhône-Alpes, Boursorama ou le Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
Il se prévaut enfin d'un lien de causalité direct et certain entre le défaut de vigilance de la banque et la dissipation des fonds transférés et se défend de toute imprudence, la banque oubliant qu'il a été victime d'une escroquerie en bande organisée depuis l'étranger.
Il poursuit principalement l'indemnisation totale du préjudice financier subi à hauteur de ses pertes (soit : 65.000 euros) en soulignant qu'il ne sollicite pas un remboursement mais fonde son action sur l'article 1231-1 du code civil, subsidiairement une évaluation de sa perte de chance de ne pas investir ses fonds du fait d'un défaut de mise en garde à hauteur de 80% (soit : 52.000 euros).
Ceci étant rappelé et sur le droit applicable qui divise les parties, il ne saurait être contesté que la responsabilité de droit commun n'est pas applicable en présence d'un régime de responsabilité exclusif.
Il résulte, en effet, de l'interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne, selon un arrêt dit Beobank rendu le 16 mars 2023 (C-351/21), de la directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur que :
'37 - (...) le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu à l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu'aux articles 58 et 59 de cette directive a fait l'objet d'une harmonisation totale. Cela a pour conséquence que sont incompatibles avec ladite directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d'un même fait générateur qu'un régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l'utilisateur de services de paiement d'engager cette responsabilité sur le fondement d'autres faits générateurs (...).
38 - En effet, le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 ne saurait être concurrencé par un régime alternatif de responsabilité prévu dans le droit national reposant sur les mêmes faits et le même fondement qu'à condition de ne pas porter préjudice au régime ainsi harmonisé et de ne pas porter atteinte aux objectifs et à l'effet utile de cette directive'.
Il s'en déduit, certes, que lorsque la responsabilité d'un prestataire de services de paiement, comme l'est ici le Crédit Agricole, est recherchée en raison d'une opération de paiement, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier transposant les directives telles que modifiées concernant les services de paiement dans le marché intérieur à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national, comme celui régi par l'article 1231-1 du code civil.
Mais encore faut-il que l'on soit en présence d'une opération non autorisée ou mal exécutée et tel n'est pas le cas dans la présente espèce ; il n'est, en effet, pas contesté que monsieur [M] a consenti aux sept virements litigieux et que la banque a exécuté les ordres qu'il autorisait comme il lui était demandé.
Par suite, la responsabilité du Crédit Agricole peut être recherchée sur le fondement de la responsabilité de droit commun ; tenu à une obligation de surveillance dans le fonctionnement des comptes de son client limitée par son devoir de non-ingérence dans ses affaires, il lui appartient, lors des opérations qu'il exécute, de détecter les anomalies apparentes, autrement dit aisément décelables pour un banquier normalement vigilant, qui peuvent être matérielles ou intellectuelles.
S'agissant de l'appréciation du contexte des opérations effectuées dont fait état monsieur [M], il ressort des éléments de la procédure qu'indépendamment de ses revenus, il disposait d'une épargne suffisante pour procéder aux opérations litigieuses, à telle enseigne qu'en dépit de leur montant total le solde de son compte est resté créditeur ; qu'il ne peut se prévaloir du montant excessif de chacune de ces opérations, prises isolément, en regard de ses dépenses courantes dès lors que la banque établit, par la production de ses relevés de comptes, qu'en janvier, février, avril et juin 2019, il a pu débiter de son compte les sommes, respectivement, de 2.500 euros, 2.427,83 euros, 4.300 euros et 3.124,08 euros .
La persistance dont monsieur [M] a fait montre deux mois durant a pu apparaître à la banque comme la simple traduction du financement d'un projet qu'il pouvait avoir au Portugal ou bien encore comme une décision de réorienter son épargne vers des placements qui lui paraissaient plus fructueux que les placements davantage sécurisés qu'elle lui offrait (livret A ou livret de développement durable), ceci dans l'exercice du libre arbitre de son client et sans qu'il lui appartienne de s'y ingérer, d'autant que simple prestataire de services de paiement tenu d'exécuter les ordres donnés par son client, elle n'avait pas mandat de le conseiller ; à cet égard, monsieur [M] ne démontre ni même ne soutient qu'il ait interrogé la banque sur l'opportunité ou la fiabilité du courtier auquel il confiait son épargne.
Ces virements successifs, par leur nature et dans leur contexte, ne révélaient donc pas, par eux-mêmes, une anomalie telle qu'elle ne pouvait qu'éveiller la suspicion de la banque et le fait qu'ils aient eu pour destinataires deux banques implantées dans un pays de l'Union européenne, le Portugal, à la faveur d'opérations s'inscrivant dans l'espace de paiement SEPA (dont l'objectif affiché est de faciliter et sécuriser les paiements transfrontaliers en réduisant coûts et délais dans la zone euro et quelques pays tiers), n'était pas davantage de nature à l'alerter.
Par suite, monsieur [M] qui s'est imprudemment laissé séduire par des promesses de rendements mirifiques faites par des interlocuteurs le démarchant par téléphone et sur la fiabilité desquels il ne prétend pas s'être renseigné, ceci malgré la diffusion d'informations accessibles au public sur des intervenants usurpant l'activité d'acteurs régulés et leur modus operandi , ne peut imputer à faute à la banque le fait de n'avoir pas décelé le caractère, selon lui, à l'évidence anormal des éléments extrinsèques dont il fait état devant la cour.
Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il en décide autrement et monsieur [M] débouté de son appel incident.
Sur les frais de procédure
Il s'évince de ce qui précède que le jugement doit également être infirmé en ses dispositions sur les frais non répétibles et les dépens.
En cause d'appel, l'équité commande de condamner monsieur [M] à verser à l'appelante la somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Débouté de ce dernier chef de demande, l'intimé qui succombe supportera les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement entrepris et, statuant à nouveau ;
Déboute monsieur [U] [M] de son action en responsabilité à l'encontre de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France et de ses entières demandes indemnitaires ;
Condamne monsieur [U] [M] à verser à la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile-de-France la somme de 2.000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Présidente et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.