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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 13 mai 2025, n° 24/03797

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Composants Technologies Electronique (SAS)

Défendeur :

Ingun Prufmittelbau GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barlow

Conseiller :

M. Le Vaillant

Conseiller :

Mme Ghorayeb

Avocats :

Me Lugosi, Me Boisnard, Me Dassonville

T. com. Paris, 3e ch., du 1er févr. 2024…

1 février 2024

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris (3ème chambre) le 1er février 2024, dans un litige opposant la SAS Composants Technologies Électronique (ci-après « Cotelec ») et la SARL Ingun Prüfmittelbau Gmbh (ci-après " Ingun ").

2. Le différend à l'origine de cette décision porte sur la rupture des relations commerciales entre les parties.

3. Ingun est une société de droit allemand spécialisée dans la fabrication et la conception de pointes de test, interfaces de test et accessoires de test, servant à tester les cartes imprimées, les faisceaux de câbles, les connecteurs et d'autres composants électroniques utilisés notamment dans les secteurs de l'automobile et des télécommunications. Cotelec est une société de droit français spécialisée dans la commercialisation de matériel électronique et de lubrifiants.

4. Pendant une trentaine d'années, Ingun et Cotelec ont mis en 'uvre un partenariat commercial, qui n'a jamais été formalisé par écrit, aux termes duquel il n'est pas contesté par les parties que :

- Cotelec était le distributeur exclusif des produits Ingun en France et bénéficiait à ce titre de tarifs préférentiels ;

- Ingun s'interdisait tout démarchage actif vers la France ;

- En tant que distributeur de ses propres produits dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, Ingun pouvait faire des ventes passives vers des clients français (c'est-à-dire lors de prises de contact directes de clients Français auprès d'Ingun sans démarchage de cette dernière), sur le montant desquelles Ingun versait une commission de 10 % à Cotelec.

5. Dans un marché en très forte croissance, Ingun a souhaité, dès 2019, revoir sa stratégie globale, notamment pour prendre un virage digital sur le marché français sur lequel elle constatait un manque de dynamisme des ventes. Les parties ne sont pas parvenues à un accord pour revoir les modalités de leur partenariat afin de l'adapter à la nouvelle stratégie souhaitée par Ingun.

6. Par une lettre recommandée avec accusé de réception du 12 mai 2021, Ingun a mis un terme à sa relation commerciale avec Cotelec avec un préavis de deux ans, en précisant dans sa lettre qu' « Ingun maintiendra les conditions actuelles de vente et d'achat de ses produits pendant la période de préavis de deux ans et compte sur votre société pour se conformer également à ses obligations légales de faire ses meilleurs efforts pour maintenir l'activité réelle dans des conditions similaires pendant cette longue période de préavis ».

7. Le 4 juin 2021, Cotelec, accusant réception de cette notification, a sollicité auprès d'Ingun une indemnisation, arguant de sa dépendance économique à son égard. Différents échanges sont intervenus par la suite, dans lesquels Cotelec reproche à Ingun de ne pas respecter ses engagements, ce que cette dernière conteste.

8. Le 2 février 2022, Cotelec a annoncé sur les réseaux sociaux et par voie de presse la conclusion d'un partenariat exclusif avec Feinmetall, groupe allemand principal concurrent d'Ingun.

9. Le 15 mars 2022, Ingun a notifié à Cotelec une réduction du préavis initialement accordé pour en avancer le terme au 31 mars 2022, affirmant constater une baisse drastique des commandes de Cotelec sur les mois de février et mars 2022 et considérant que Cotelec n'exécutait pas loyalement son préavis.

10. Cotelec en prenait acte le 17 mars 2022, en reprochant à INGUN une rupture brutale des relations commerciales.

11. Ingun a découvert par la suite de multiples publications sur les réseaux sociaux faites par Cotelec mentionnant Ingun, dont plus de la moitié faisait référence à la qualité de distributeur exclusif d'Ingun. De même, le site internet de Cotelec faisait toujours mention de sa qualité de distributeur exclusif d'Ingun.

12. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 avril 2022, Ingun a mis Cotelec en demeure de cesser ces agissements, constitutifs selon elle de concurrence déloyale.

13. Le 16 mai 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a autorisé Cotelec à assigner Ingun à bref délai.

14.Par acte introductif d'instance du 1er décembre 2022, Cotelec a assigné Ingun devant le tribunal de commerce de Paris, sollicitant sa condamnation pour rupture brutale du contrat de distribution qui les liait et concurrence déloyale.

15. Par jugement du 1er février 2024, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

« Le tribunal, statuant publiquement par un jugement contradictoire en premier ressort,

- Déboute la SAS Composants Technologies Électronique-Cotelec de l'ensemble de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies, du non-respect de l'exclusivité de distribution consentie et de la commission d'actes de concurrence déloyale,

- Condamne la SARL de droit allemand Ingun Prüfmittelbau GmbH à payer à la SAS Composants Technologies Electronique-Cotelec la somme de 6 923 euros au titre des commissions résiduelles dues sur ventes passives réalisées avec le client Teknis avant le 31 mars 2022,

- Condamne la SAS Composants Technologies Electronique-Cotelec à payer à la SARL de droit allemand Ingun Prüfmittelbau GmbH la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral consécutif à des actes de parasitisme,

- Condamne la SAS Composants Technologies Electronique-Cotelec à payer à la SARL de droit allemand Ingun Prüfmittelbau GmbH la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 CPC,

- Condamne la SAS Composants Technologies Electronique-Cotelec aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86' dont 11,60' de TVA. »

16. Cotelec a interjeté appel de cette décision par déclaration du 16 février 2024.

17. La clôture a été prononcée le 18 février 2025 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 4 mars 2025, au cours de laquelle les parties ont été entendues.

II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES

18. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 décembre 2025, Cotelec demande à la cour, au visa de l'article L .442-6 du code de commerce et des articles 1240 et suivants du code civil, de bien vouloir :

« - Dire et juger la société COTELEC recevable et bien fondée en ses demandes.

- Infirmer le jugement du 1er février 2024 sauf en ce qu'il a condamné INGUN à payer à COTELEC la somme de 6 293.00 au titre d'un solde de commission sur les ventes passives réalisées par TEKNIS.

Statuant à nouveau du chef des autres demandes,

- Dire et juger que la société INGUN a engagé sa responsabilité en mettant brutalement un terme au contrat de distribution exclusive la liant à la société COTELEC.

- Condamner la société INGUN à payer à la société COTELEC la somme de 483 505.24 euros en réparation de la perte de marge du fait de l'impossibilité pour COTELEC de s'approvisionner aux tarifs appliqués dans le cadre du contrat de partenariat pendant la durée du préavis.

- Condamner la société INGUN à payer à la société COTELEC la somme de 200 000.00 euros correspondant à la marge sur les clients perdus.

- Condamner la société INGUN à payer à la société COTELEC la perte de marge sur les ventes faites par INGUN à TEKNIS depuis 2020 et jusqu'au 30 mai 2023 soit la somme globale de 401 636 euros.

- Dire et juger que la société INGUN a commis des actes de concurrence déloyale en captant et en tentant de capter les clients de la société COTELEC.

- Condamner la société INGUN à payer une somme de 500 000.00 euros en réparation du préjudice subi.

- Condamner la société INGUN à payer à la société COTELEC la somme de 30 000.00 euros en application de l'article 700 du CPC au titre des frais irrépétibles de première instance et 30 000.00 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

- Rejeter les demandes reconventionnelles de la société INGUN. Condamner INGUN aux dépens. »

19. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 janvier 2025, Ingun demande à la cour, au visa des articles 9 et 700 du code de procédure civile, de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, des articles 1211 et 1240 du code civil et de l'article 4, c) du Règkement (UE) n°330/2010, de bien vouloir :

« A titre principal :

- CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 1er février 2024 en ce qu'il a débouté COTELEC de l'ensemble de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, du non-respect de l'exclusivité et de la commission d'actes de concurrence déloyale afférentes à une quelconque rupture brutale ;

- INFIRMER le jugement du 1er février 2024 rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné INGUN à payer la somme de 6.923 euros au titre des commissions sur les ventes passives à TEKNIS et les ramener a maxima à 3.500 euros ;

En conséquence, et statuant à nouveau :

- CONSTATER que COTELEC ne rapporte pas la preuve de la brutalité de la rupture ou du montant de son préjudice allégué ;

- CONSTATER que les calculs de préjudice proposés sont particulièrement éloignés de la réalité ;

- CONSTATER que COTELEC ne rapporte pas la preuve d'actes déloyaux ou du montant de son préjudice allégué ;

- DEBOUTER l'ensemble des demandes, fins et conclusions de COTELEC à défaut de bien-fondé ;

A titre reconventionnel :

- CONFIRMER le jugement du 1er février 2024 rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné COTELEC au titre du préjudice moral consécutif à des actes de parasitisme et concurrence déloyale ;

- INFIRMER le jugement du 1er février 2024 rendu par le Tribunal de commerce de Paris sur le quantum des dommages et intérêts auxquels COTELEC a été condamné au titre du préjudice moral consécutif à des actes de parasitisme et concurrence déloyale ;

En conséquence, et statuant à nouveau :

- CONDAMNER COTELEC à verser à INGUN des dommages et intérêts à hauteur de 100.000 ' en réparation de ses agissements parasitaires et de concurrence déloyale ;

En tout état de cause :

- CONFIRMER le jugement du 1er février 2024 rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné COTELEC à verser 25.000' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance ;

- CONDAMNER COTELEC à verser à INGUN la somme de 35.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel ;

- CONDAMNER COTELEC aux entiers dépens de l'instance. »

III/ MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur la responsabilité d'Ingun pour rupture brutale des relations commerciales

i. Position des parties

20. Cotelec fait grief au tribunal de commerce de ne pas avoir retenu le caractère brutal de la rupture des relations commerciales par Ingun, alors que :

- Les relations contractuelles étaient très anciennes, constantes et établies ;

- La brutalité est établie par la réduction du préavis, initialement notifié de 24 mois et qui devait prendre fin le 31 mai 2023, pour en avancer le terme, quelques jours auparavant, au 31 mars 2022 ;

- Cotelec n'est pas la seule société envers laquelle Ingun a brutalement rompu les relations ;

- Ingun n'a pas loyalement informé Cotelec de ses ambitions pour le marché français ;

- En proposant elle-même une durée de préavis de 24 mois, Ingun avait conscience de l'impossibilité pour Cotelec de la remplacer dans un laps de temps moins important ;

- Ingun a brutalement mis un terme à ce préavis par lettre du 17 mars à effet du 31 mars soit une durée de moins de 10 jours ouvrés ;

- Pendant ce délai, Ingun a fait des ventes passives vers des clients français, mais a aussi livré dans des conditions contraires à l'exclusivité un certain nombre de clients et notamment la société Teknis ;

- La réduction du préavis était injustifiée en ce que :

o La conclusion d'un nouveau partenariat avec Feinmetall en février 2022, qu'Ingun ne peut reprocher à Cotelec, ne rend pas le préavis raisonnable et n'est pas de nature à affranchir Ingun de ses obligations ;

o Dans sa lettre du 10 juin 2021, le conseil de la société Ingun écrivait « au vu, d'une part du préavis de 2 ans tenant compte de la durée et de la nature de la relation commerciale et d'autre part du maintien des conditions antérieures (dont l'exclusivité) aucun manquement n'est (sic) à constater et aucune indemnisation n'est due ». Cela démontre, a contrario, que le raccourcissement du délai est bien constitutif d'un manquement et qu'une indemnisation est due à la société Cotelec ;

o La réduction de la durée de préavis ne se justifie que par la volonté d'Ingun de proposer directement aux clients de Cotelec un accès facilité à ses produits ;

o Il ne peut être reproché à Cotelec de ne pas avoir maintenu un niveau équivalent de chiffre d'affaires, alors qu'elle n'avait pas d'objectif de chiffre d'affaires ;

o Le niveau de chiffre d'affaires réalisé au cours du premier trimestre 2022 était équivalent à celui du premier trimestre 2021 (v. pièce 13 Cotelec).

21. Ingun répond que :

- Cotelec ne caractérise pas la brutalité de la rupture et y fait à peine mention, alors même que celle-ci constitue le fondement d'une demande d'indemnisation à hauteur de 1.106.064,24 ' ;

- Il lui appartient, en application de l'article 9 du code de procédure civile, de rapporter la preuve du caractère insuffisant du préavis de dix mois et demi. Cotelec ne produit aucun élément commercial ou financier à cet égard ;

- Cotelec prétend à tort qu'Ingun ne l'aurait pas avisée de son mécontentement sur l'évolution du chiffre d'affaires, alors que cela a été l'objet des réunions de juillet 2019 et mars 2020, auxquelles les nouveaux dirigeants ont assisté comme le montrent les photos prises lors de la réunion ;

- Cotelec ne peut valablement invoquer comme élément de preuve la rupture de la relation commerciale d'Ingun avec son distributeur brésilien de l'époque, Supratec, après un préavis de trois mois : cette relation n'est pas soumise au droit français, aucun contentieux n'est en cours et que les allégations contenues dans l'attestation produite (dont la véracité est sujette à caution puisqu'elle n'est ni manuscrite, ni signée et que son auteur ne parle pas français) ne sont pas étayées par la moindre pièce.

- Sur le préavis « raisonnable » :

o Au vu du remplacement d'Ingun par un partenaire équivalent, qui est très vraisemblablement à l'origine de la chute brutale des commandes réalisées par Cotelec auprès d'Ingun, Cotelec manquant ainsi à son obligation de maintenir le niveau de commande pendant la durée de préavis, Ingun a été contrainte d'anticiper la fin du préavis compte tenu des conditions du déroulement de celui-ci ;

o En droit, le préavis doit permettre à la victime de la rupture de se réorganiser et de retrouver d'autres partenaires lui permettant de remplacer la perte de chiffre d'affaires résultant de la rupture des relations commerciales ;

o En l'espèce, Cotelec a annoncé sur le réseau social LinkedIn et dans un communiqué de presse la conclusion d'un partenariat exclusif avec le principal concurrent d'Ingun, Feinmetall. Le préavis était donc raisonnable ;

- Sur le non-respect par Cotelec de ses obligations :

o La société qui s'est vue notifier la résiliation du contrat et qui n'exécute pas son préavis de bonne foi, par exemple en ne faisant pas le nécessaire pour distribuer les produits conformément au contrat, peut être tenue pour responsable de la rupture (Com., 10 février 2015, n°13-26.414 et CA Paris, 19 septembre 2018, n°18/08183) ;

o En l'espèce, Ingun a rappelé à Cotelec qu'il lui appartenait de maintenir l'activité dans des conditions similaires dès la résiliation du partenariat en mai 2021 ;

o Concomitamment à l'annonce de son partenariat avec le concurrent d'Ingun, le niveau de commandes de Cotelec en février 2022 a chuté de 43,07% par rapport au niveau de commande de février 2021 et de 26,19% par rapport au niveau de commande de février 2020 (soit environ 35% en moyenne). Lors de la première quinzaine du mois de mars 2022, le montant des commandes baissait de 64,76% par rapport au mois de mars 2021 et de 74,70% par rapport au mois de mars 2020.

o Les chiffres de commande pour le mois de mars 2022 sont trompeurs car non détaillés puisqu'à compter de l'annonce de la réduction du préavis et sa prise d'effet, un flot de commandes sans précédent a été passé par Cotelec, manifestement pour sauver les apparences et/ou bénéficier des prix plus avantageux lors des derniers jours du partenariat et constituer des stocks ;

o Cette chute brutale est assimilable à une rupture du préavis par Cotelec : Ingun ne pouvait se permettre de laisser son distributeur exclusif laisser le marché français se tarir pendant encore 14 mois. Ingun a donc été contrainte de réduire le préavis à 10 mois et demi, tenant compte de ce que le préavis déjà écoulé avait d'ores et déjà permis la réorganisation de Cotelec.

o Rien n'empêche aujourd'hui Cotelec de continuer à commander des produits Ingun à des conditions tarifaires normales pour les revendre sur le marché français, ce que ne fait pas Cotelec puisqu'il lui est préférable de commander des produits Feinmetall substituant à la perfection les produits Ingun.

o Le fait pour Cotelec d'avoir établi un nouveau partenariat exclusif avec un fournisseur comparable n'est pas la raison de la rupture anticipée : celle-ci tient à la chute drastique des commandes de produits Ingun par Cotelec, qui constitue un manquement contractuel et qui a vraisemblablement un lien avec le nouveau partenariat de Cotelec, comme l'a retenu le tribunal de commerce.

ii. Réponse de la cour

22. En application de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

23. La loi érige en faute, non pas la rupture des relations commerciales établies elle-même, mais sa brutalité, qui résulte d'un défaut de préavis ou d'un préavis insuffisant.

24. Sauf circonstances particulières, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures (Com, 10 février 2015, 13-26.414). Le préavis suffisant au sens de l'article L. 441-2, II, du code de commerce s'entend du temps nécessaire au partenaire évincé pour réorienter son activité en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures. Il s'apprécie au terme d'une analyse concrète de la relation commerciale, tenant compte de sa durée, du volume d'affaires réalisé, de la notoriété du client, du secteur concerné, du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire et des circonstances de la rupture.

25. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. L'application de cette disposition nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate.

26. En l'espèce, les parties s'accordent sur l'existence entre elles de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce.

27. Contrairement à ce que soutient Cotelec, il résulte des pièces produites qu'elles ont, dès l'été 2019, échangé sur l'évolution des modalités de leur partenariat pour tenir compte de la nouvelle stratégie globale de digitalisation d'Ingun (pièces Ingun n°3 et 4 constituant les présentations supports des réunions de juillet 2019 et mars 2020). La rupture des relations commerciales entre les parties est ainsi intervenue faute pour elles d'être parvenues à un accord sur l'avenir de leur partenariat dans le contexte de la nouvelle stratégie commerciale d'Ingun, ce qu'évoquent Ingun comme Cotelec dans leurs lettre et courriel respectifs (pièces Ingin n° 5 et 6).

28. Dans sa lettre du 12 mai 2021, Ingun a initialement notifié une période de préavis de rupture de plus de deux ans à Cotelec, devant prendre fin le 31 mai 2023.

29. Cotelec, dans son courriel du 4 juin 2021 (pièce Ingun n°06), en prenait acte, tout en indiquant que la rupture des relations commerciales lui causait un préjudice important compte tenu du fait qu'elle réalisait 70 % de son chiffre d'affaires grâce aux produits Ingun. Elle y sollicitait une indemnisation avant le 30 juin, sous peine d'agir en justice aux fins d'indemniser son préjudice. Cotelec conteste donc depuis la notification initiale, le principe même de la rupture des relations commerciales, indépendamment de la durée du préavis.

30. Le courriel du conseil de Cotelec adressé par la suite au conseil d'Ingun le 25 juin 2021 fait état de ce que Cotelec aurait reproché à Ingun un manquement à son obligation d'exclusivité, sans pour autant étayer cette affirmation de faits précis.

31. Il résulte de ces échanges une volonté de Cotelec d'obtenir une indemnisation d'Ingun avant même la réduction du préavis initial de deux ans, étant rappelé à cet égard que la loi ne permet pas de rechercher la responsabilité de l'auteur de la rupture pour préavis insuffisant dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

32. Par lettre du 16 mars 2022, Ingun a notifé à Cotelec la réduction du préavis à une durée de 10,5 moisavec effet au 31 mars 2022, en invoquant le manquement par Cotelec à son obligation de maintenir la relation commerciale dans les conditions antérieures.

33. Cotelec considère que la brutalité de la rupture résulte du non-respect par Ingun pendant la durée du préavis de l'exclusivité qu'elle lui avait consentie et de l'absence de caractère raisonnable du préavis réduit à 10 mois et demi.

34. Sur le premier point, elle affirme qu'Ingun n'a pas simplement fait des ventes passives vers des clients français mais « a livré dans des conditions contraires à l'exclusivité un certain nombre de clients et notamment la société TEKNIS ».

35. Les pièces produites par Cotelec relatives à Teknis sont les suivantes :

- Un échange de courriels de mars 2022 entre une société Intertesco et Teknis pour connaître l'offre de prix de cette dernière sur des produits Ingun (pièce Cotelec n° 30) ;

- Un courriel du 28 mars 2022 de la société Seico à Cotelec indiquant à la dirigeante de celle-ci et à sa demande que lors de sa dernière visite commerciale le représentant de Teknis lui avait indiqué être en mesure de lui fournir des produits Ingun (pièce Cotelec n°31) ;

- Un courriel d'un autre client de Cotelec confirmant que Teknis proposait des produits Ingun en 2022 (pièce Cotelec n°32). Cotelec argue à cet égard que la société Ingun a « fini par régler des commissions à la société Cotelec » sur les produits achetés en direct par cette société (pièce Cotelec n° 16).

36.Cotelec affirme également qu'Ingun a « tout fait pour tenter de trouver directement un accord avec les sociétés Vitesco et Continental n'hésitant pas à réclamer à la société Cotelec des demandes d'information sur les prix pratiqués auprès de ces sociétés », et invoque au soutien de cette affirmation ses pièces n° 33 et 34.

37. S'agissant de la société Teknis, outre que les courriels produits par Cotelec ont tous été adressés pendant la deuxième quinzaine de mars 2022, pendant la période de préavis mais juste après la notification de rupture du préavis par Ingun, aucune pièce n'établit une quelconque démarche à l'initiative d'Ingun. Teknis confirme au demeurant dans une attestation versée aux débats qu'Ingun ne l'a jamais démarchée (pièce Ingun n°21). Le courriel de Seico à Cotelec précise d'ailleurs que le représentant de Teknis ne s'est pas présenté à eux comme un représentant d'Ingun. Enfin, le paiement de commissions en lien avec Teknis atteste tout au plus de l'existence de ventes passives, autorisées au titre du partenariat commercial entre les parties.

38.Les pièces 33 et 34 produites par Cotelec, sont des courriels de juin 2021 adressés par un représentant d'Ingun aux dirigeants de Cotelec pour obtenir des informations sur les ventes réalisées ainsi que des informations concernant Conti et Vitesco afin de commencer les négociations avec ces sociétés et « de soutenir [Cotelec] à la fin avec les nouveaux prix pour Conti ». Ces pièces n'établissent nullement une violation de l'obligation d'exclusivité d'Ingun.

39. De même, Cotelec ne peut arguer de ce que la réduction du préavis s'expliquerait en réalité par la volonté d'Ingun de proposer directement aux clients de Cotelec un accès facilité à ses produits et une réduction de 10 % à compter du 1er avril 2022 sur le lancement de leur boutique en ligne, en se fondant sur des pièces qui constituent en réalité de simples échanges faisant état de la fin des relations commerciales entre les parties à compter du 1er avril 2022 (pièce Cotelec n°42) et qui n'établissent donc en rien une intention ni des agissements répréhensibles d'Ingun.

40. Ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, Cotelec n'apporte en conséquence la preuve d'aucune violation par Ingun de l'exclusivité à laquelle elle s'était engagée à l'égard de Cotelec.

41. S'agissant ensuite de la réduction du préavis à 10 mois et demi, Cotelec soutient à juste titre que le fait d'avoir retrouvé un partenaire n'était pas de nature à affranchir la société Ingun de ses obligations.

42. Il résulte toutefois de la lettre d'Ingun du 16 mars 2022 que la réduction du préavis était motivée par le manquement de Cotelec à ses obligations contractuelles de maintien des ventes, matérialisé par une chute brutale de ses ventes de 35% au mois de février 2022, cette chute coincidant avec le nouveau partenariat conclu par Cotelec avec Feinmetall, concurrent d'Ingun.

43. A cet égard, Cotelec invoque n'avoir été tenue par aucun objectif chiffré et soutient qu'Ingun prétend à tort que Cotelec devait « faire le nécessaire pour maintenir l'activité dans des conditions similaires à celles existantes ».

44. Le maintien de l'exclusivité consentie par Ingun ne pouvait toutefois s'entendre que dans la mesure où Cotelec maintenait son activité sur les produits Ingun.

45. Or, ainsi que le relève le tribunal de commerce, les chiffres produits (pièce Ingun n°12) montrent une chute des commandes début 2022, concentrée sur le mois de février 2022 (-43%) et la première quinzaine de mars (-65%), c'est-à-dire de manière concomitante à l'annonce par Cotelec de son partenariat avec un concurrent d'Ingun, la société Feinmetall.

46. S'il ne peut être reproché à Cotelec d'avoir conclu un nouveau partenariat à la suite de la notification de la rupture des relations commerciales par Ingun, puisque l'objectif du préavis est précisément de permettre au cocontractant de se redéployer, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures, ce qu'Ingun n'avait pas manqué de notifier à Cotelec en lui indiquant qu'il lui appartenait de faire ses meilleurs efforts pour maintenir l'activité dans des conditions similaires pendant le préavis (pièce Ingun n°5) puis en lui confirmant, dans un courrier du 10 juin 2021 (pièce Ingun n°7), que le maintien des conditions antérieures de vente et d'achat comprenait l'exclusivité de la relation.

47. Le constat de la chute brutale des commandes, corrélé à l'annonce par Cotelec d'un nouveau partenariat commercial, caractérise un manquement délibéré de Cotelec à ses obligations pendant la durée du préavis, qui présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate du préavis notifiée par Ingun à Cotelec le 16 mars 2022.

48. Cotelec ne peut à cet égard valablement arguer d'une précédente rupture des relations commerciales d'Ingun avec un distributeur brésilien pour démontrer la brutalité de la rupture, sans établir en quoi ce fait serait en lien avec la rupture litigieuse ni étayer cette assertion par le moindre élément de comparaison pertinent.

49. Par suite, le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale entre Ingun et Cotelec n'est pas établi. Le jugement du tribunal de commerce de Paris sera en conséquence confirmé sur ce point, Cotelec ne pouvant ainsi prétendre à aucune indemnisation à ce titre.

B. Sur les autres demandes d'indemnisation formées par Cotelec

i. Position des parties

50. Cotelec sollicite la réformation du jugement attaqué ce qu'il a rejeté sa demande au titre de la perte de marge sur les ventes faites par Ingun à Teknis depuis 2020 et jusqu'au 30 mai 2023, soit la somme globale de 401 636 euros calculée comme suit :

o 117 552 euros par an, soit 235 104 euros pour les exercices 2020 et 2021, au cours desquelles Ingun aurait dû renvoyer Teknis à se fournir auprès de Cotelec qui aurait bien réalisé une marge sur la vente de ces produits ;

o une perte de marge complémentaire sur les ventes vraisemblablement équivalentes réalisées par Teknis en 2022 et pour les 5 premiers mois de 2023 (soit jusqu'au terme du préavis initialement notifié), évaluée à 166 532 euros (117 552/12 x 17).

- Cotelec considère qu'Ingun est débitrice des commissions non réglées, outre les 6 923 euros, correspondant à un chiffre d'affaires de 140 000 euros sur 14 mois, soit la somme de 14 000 euros.

51. Cotelec sollicite par ailleurs une indemnisation de 500 000 euros au titre de la captation de clientèle en raison de la concurrence déloyale d'Ingun, aux motifs qu'Ingun n'a pas hésité, pendant le préavis, à tout mettre en 'uvre pour capter les clients de Cotelec et a même choisi de mettre un terme au préavis qu'elle avait elle-même fixé aux motifs que Cotelec tentait de se réorganiser. Cotelec aurait ainsi perdu de très nombreux clients en raison de ces agissements.

52. Ingun conclut au rejet de ces demandes aux motifs que :

- Sur les demandes d'indemnisation au titre des ventes faites à Teknis :

o Sur la demande d'indemnisation de 401.636,00' sur la perte de marge sur les ventes faites par Ingun à Teknis : Cotelec ne peut prétendre qu'Ingun aurait dû indiquer à Teknis d'aller se fournir directement auprès de Cotelec et refuser de faire des ventes passives vers Teknis, cette demande étant contraire au droit européen et aux accords entre les parties aux termes desquels les ventes passives de produits Ingun vers des clients français fassent l'objet d'une commission de 10% ;

o Cette demande est incohérente car elle ne porte que sur les ventes passives faites à Teknis et pas sur celles faites à Airbus, Vitesco ou Continental.

o Si, par extraordinaire, la cour considérait que cette demande était fondée, le calcul du préjudice est absurde car il porte également sur l'indemnisation de perte de marge pour des ventes antérieures à la résiliation.

o Cotelec prétend par ailleurs, sans apporter d'éléments sur son taux de marge, que ces ventes à Teknis lui auraient causé une perte de marge de 117.552' par an. Pourtant, Cotelec ne donne toujours pas son taux de marge. Les demandes ne reflètent pas une indemnisation du strict préjudice.

o Sur la demande d'indemnisation de 20.923,00' pour la perte future de commissions sur les ventes passives dont Cotelec aurait bénéficié si le préavis était allé au terme initial :

' Cotelec se contredit puisqu'elle a reconnu en cours de procédure qu'elle percevait des commissions sur les ventes passives faites par Ingun vers la France et que ces ventes passives ont toujours existé, tout en prenant pour prétexte les commissions percçues par elle au titre des ventes faites à Teknis pour arguer d'une violation de l'exclusivité qui lui était concédée.

' Le calcul de Cotelec est erroné : la perte de commissions qu'aurait réellement subie Cotelec en moyenne - si le préavis était allé jusqu'à son terme et en admettant une commission de 10% au profit de Cotelec et en déduisant de ce montant les sommes déjà perçues par Cotelec au titre des commissions - serait de 4.903,00'.

o Tout au plus seraient dues les commissions non versées au titre des ventes passives d'Ingun à Teknis antérieurement à la lettre de rupture de mai 2021, qui s'élèvent à 3 500 ' et non à 6 923 ' euros comme l'a retenu le tribunal de commerce.

- Sur les actes de concurrence déloyale :

o Après le 31 mars 2022, date à laquelle l'exclusivité a pris fin, rien n'interdisait à Ingun de démarcher des clients dès lors qu'il ne s'agissait pas d'actes systématiques ou déloyaux.

o Cotelec ne peut reprocher à Ingun de communiquer sur le fait qu'elle peut désormais servir directement des clients en France alors que le préavis est terminé, et d'informer qu'elle n'a plus comme distributeur exclusif Cotelec sur le marché français.

o Enfin, Cotelec ne démontre pas avoir - avant le 31 mars 2022 - perdu des ventes du fait de ces démarchages afin de justifier le quantum des dommages-et-intérêts sollicité sur le fondement d' « actes de concurrence déloyales ».

ii. Réponse de la cour

' Sur les demandes d'indemnisation au titre des ventes faites à Teknis

53. En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

54. Conformément à l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

55. En l'espèce, il est constant que dans le cadre de leur partenariat les parties étaient convenues qu'Ingun pouvait conclure des ventes passives, c'est-à-dire sans démarche positive d'Ingun vis-à-vis des clients, sous réserve du paiement par cette dernière à Cotelec d'une commission de 10%.

56. Cotelec justifie sa demande d'indemnisation à concurrence de 401 636 euros au titre de la perte de marge sur les ventes faites par Ingun à Teknis depuis 2020 et jusqu'au 30 mai 2023 par le fait qu'Ingun aurait dû réorienter Teknis vers Cotelec. Elle calcule l'indemnisation sollicitée en simulant le chiffre d'affaires qu'elle aurait réalisé si elle avait conclu les ventes elles-mêmes (pièce n°24).

57. Pour prétendre à une telle indemnisation, il appartient à Cotelec de démontrer en quoi Ingun a manqué à ses obligations contractuelles à son égard, ce qu'elle échoue à faire en l'espèce. Ingun était en effet autorisée à faire des ventes passives, moyennant paiement d'une commission de 10% sur celles-ci. Or, Cotelec ne rapporte nullement la démontration de démarchage actif d'Ingun à l'égard de Teknis en violation de son obligation d'exclusivité et Teknis elle-même confirme dans l'attestation déjà évoquée que les ventes ont été réalisées à son initiative et non à celle d'Ingun.

58. Cotelec n'est donc pas fondée à solliciter le paiement de 401 636 euros au titre d'une perte de marge sur les ventes Teknis.

59. Par ailleurs, la demande d'indemnisation de Cotelec à concurrence de 14 000 euros correspondant au montant des commissions qui auraient été dues sur les ventes Teknis si les relations commerciales avaient perduré jusqu'au terme du préavis de deux ans initialement notifié ne peut qu'être rejetée en l'absence de rupture brutale des relations commerciales imputable à Ingun.

60. S'agissant en revanche des commissions dues au titre des ventes passives réalisées par Ingun avec Teknis avant la rupture des relations commerciales, Ingun ne peut soutenir qu'elles ne sont dues que jusqu'au 15 mai 2021.

61. Ainsi que l'a retenu le tribunal de commerce, les commissions contractuelles sont dues au titre des ventes passives réalisées jusqu'à la fin des relations contractuelles entre les parties, soit jusqu'au 31 mars 2022.

62. Cotelec indique, sans être contredite sur ce point, n'avoir perçu que la somme de 8858 euros au titre desdites commissions sur les ventes passives Teknis.

63.Il résulte par ailleurs du relevé des ventes réalisées avec Teknis produit par Ingun elle-même en pièce n°22 que le montant de ces ventes s'élève, de 2020 jusqu'au 31 mars 2022, à la somme de 154 811,15 euros, de sorte que le montant des commissions dues à Cotelec s'élève, comme l'a retenu le tribunal de commerce, à la somme de 15 481 euros.

64. Ingun est donc redevable à Cotelec de la somme de 6 623 euros au titre des ventes Teknis. Le jugement querellé, qui retient à tort une somme de 6 923 euros, sera réformé sur ce point.

'Sur la demande d'indemnisation du fait d'actes de concurrence déloyale d'Ingun

65. Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chaque partie ayant, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, la charge de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.

66. La concurrence déloyale, en tant que limite à la liberté du commerce et de l'industrie, doit être appréciée à l'aune de celle-ci. Elle suppose de démontrer des actes de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

67. Cotelec entend rapporter la preuve d'actes de concurrence déloyale imputables à Ingun en produisant des courriers ou documents par lesquels Ingun informe des clients de la fin du partenariat avec Cotelec ou du fait qu'elle procèdera en France à de la vente directe à compter du 1er avril 2022.

68. Elle soutient que la captation fautive de clients par Ingun résulte par ailleurs de la rupture du préavis qu'elle avait elle-même fixé.

69. Cotelec reproche en réalité à Ingun, sur le fondement de la concurrence déloyale, les mêmes agissements que ceux invoqués au soutien de sa demande d'indemnisation sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales.

70. Elle ne démontre pas la recherche de captation de clientèle qu'elle impute à Ingun, les pièces versées aux débats au soutien de cette thèse, postérieures à la notification de la résilitation du contrat, ne caractérisant pas une telle tentative.

71. En tout état de cause, Cotelec ne saurait reprocher à Ingun, à la suite de la rupture de leurs relations contractuelles et, partant, de la fin de la période d'exclusivité, d'informer les clients de la fin de leur partenariat commercial et du fait qu'Ingun procédait désormais à de la vente directe de ses produits.

72. Ainsi, comme l'a relevé le tribunal de commerce, Cotelec ne justifie ni de la matérialité des actes de concurrence déloyale qu'elle allègue, ni du quantum du préjudice qu'elle sollicite.

73. La demande d'indemnisation de Cotelec à cet égard sera en conséquence rejetée.

C. Sur la demande reconventionnelle de la société Ingun

i. Position des parties

74. Ingun sollicite l'octroi de 100 000 euros de dommages-intérêts en réparation du dommage causé par des actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par Cotelec, retenus dans leur principe par le tribunal de commerce dans son jugement. Elle fait valoir à ce titre que :

- Alors que Cotelec n'avait pas fait la moindre campagne de promotion des produits Ingun durant les 10 mois de préavis, Cotelec a, immédiatement après la rupture de l'exclusivité, publié 40 publications sur les réseaux sociaux mentionnant Ingun et dont plus de la moitié faisait état de la prétendue qualité de " distributeur exclusif " ou " fournisseur exclusif " de Cotelec pour les produits Ingun pour la France. Dans le même temps, des clients et prospects d'Ingun ont signalé des appels passés par la gérante de la société Cotelec qui avaient pour objet de dénigrer la société Ingun.

- Les agissements de Cotelec ont été organisés et prémédités. Par ces campagnes de promotion, Cotelec a tenté de susciter l'intérêt de sa clientèle pour des produits en se servant de la notoriété d'Ingun, pour la rediriger vers des produits concurrents équivalents.

75. Cotelec réplique que :

- C'est parce que la société Ingun n'apportait aucun élément pour justifier son préjudice que le tribunal de commerce a choisi de lui allouer la somme de 20 000 euros et non la somme de 100 000 euros sollicitée.

- Sur le fond, la demande d'Ingun est parfaitement injustifiée.

- Les agissements de Cotelec n'étaient rien d'autre que la promotion de Cotelec et d'Ingun auprès des clients de Cotelec, d'autant que Cotelec ne pouvait pas imaginer qu'Ingun reviendrait sur l'engagement de durée de préavis qu'elle avait pris.

- Cotelec apporte au soutien de ses arguments diverses attestations de responsables et présidents notamment de la société Seico selon lesquelles Cotelec n'aurait jamais dénigré les produits de la marque Ingun auprès d'eux (pièces Cotelec n°26, 27, 28, 29).

- Cotelec a mis fin aux publications sur les réseaux sociaux dès qu'elle a eu connaissance de la position particulièrement brutale de la société Ingun. Concernant les publications sur Google, le moteur maintient des liens vers des publications qui peuvent être anciennes, leur suppression est beaucoup plus difficile. La société Ingun ne peut en aucun cas s'en plaindre puisque l'essentiel de ces communications renvoyait directement vers elle.

ii. Réponse de la cour

76. La concurrence déloyale, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, est susceptible de couvrir des situations juridiques variées, parmi lesquelles la création d'un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur (Com., 10 févr. 2015, n°13-24.979) ou le dénigrement, qui consiste en la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (Com., 9 janv. 2019, n°17-18.350).

77. Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, également constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601, Bull. 1995, IV, n° 193 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694, Bull. 2018, IV, n° 87 ; Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535). Il résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion (Com., 20 mai 2014, pourvoi n° 13-16.943 ; Com., 27 janvier 2021, pourvoi n° 18-20.702).

78. En l'espèce, il résulte des éléments produits par Ingun dans sa pièce n° 16 (mise en demeure officielle du 19 avril 2022 du conseil d'Ingun au conseil de Cotelec), non contestés par Cotelec, que celle-ci s'est livrée à une campagne de communication d'une quarantaine de publications, diffusée immédiatement après la rupture des relations commerciales exclusives par Ingun le 31 mars 2022, dans laquelle elle indique être distributeur exclusif d'Ingun ou mentionne Ingun ou ses produits.

79. Il n'est pas davantage contesté que Cotelec n'avait pas diffusé de telles communications auparavant.

80. Dans le contexte de tension des relations entre les parties et immédiatement après la notification de la rupture du préavis, le tribunal de commerce a justement retenu que ces communications, diffusées entre le 31 mars 2022, jour de la fin de l'exclusivité, et le 5 avril 2022, tendaient manifestement à accréditer l'idée que Cotelec était toujours le distributeur exclusif d'Ingun et à profiter de la notoriété d'Ingun à son détriment, a fortiori alors que Cotelec venait de conclure un nouveau partenariat avec un concurrent d'Ingun.

81. Ces agissements de Cotelec, qui visaient manifestement à créer une confusion avec les produits ou services offerts par Ingun, avec laquelle l'exclusivité venait d'être rompue, constituent des actes de concurrence déloyale fautifs au sens de l'article 1240 du code civil.

82. Au soutien de sa demande d'indemnisation à concurrence de 100 000 euros, Ingun n'apporte en revanche aucun élément permettant d'évaluer son préjudice économique ou financier.

83. Si, en matière de concurrence déloyale, le préjudice s'infère nécessairement de la faute établie (Cass. Com. 12 février 2020, n° 17-31614), en l'absence de tout élément économique spécifique produit par Ingun, le tribunal de commerce a justement souverainement apprécié son préjudice moral à la somme de 20 000 euros, qui sera donc confirmée.

D. Sur les frais du procès

84. Cotelec succombant en ses demandes, elle sera condamnée aux dépens et à payer à Ingun la somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile, les condamnations prononcées en première instance à cet égard étant par ailleurs confirmées.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la société Ingun Prüfmittelbau GMBH à payer à la société Composants Technologies Électronique - COTELEC, la somme de 6 923 euros au titre des commissions résiduelles dues sur les ventes passives réalisées avec le client Teknis avant le 31 mars 2022 ;

Statuant à nouveau sur ce point,

2) Condanme la société Ingun Prüfmittelbau GMBH à payer à la société Composants Technologies Électronique - COTELEC, la somme de six mille six cent vingt-trois euros (6 623,00 ') au titre des commissions résiduelles dues sur les ventes passives réalisées avec le client Teknis avant le 31 mars 2022 ;

Y ajoutant,

3) Condamne la société Composants Technologies Électronique - COTELEC aux dépens ;

4) La condamne à payer à la société Ingun Prüfmittelbau GMBH la somme de trente mille euros (30 000,00 ') en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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