CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 7 mai 2025, n° 23/06476
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Société Générale (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly
Vice-président :
M. Braud
Conseiller :
Mme Sappey-Guesdon
Avocats :
Me Gautier, SCP Lussan
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Au début de l'année 2008, [X] et [G] [Z] (ci-après les consorts [Z]) ont vendu le contrôle de la société Manufacture de chaussures Jean Cabireau à la société Seurlin Immobilier (ci-après Seurlin). Les cédants et l'acquéreur ont signé une convention de garantie d'actif et de passif. Le 16 avril 2008, les consorts [Z], Seurlin et la société Crédit du Nord (ci-après CDN) ont également signé une convention de séquestre tripartite visant à contre-garantir ladite convention de garantie d'actif et de passif avec le dépôt par Seurlin d'une somme de 93 226 euros dans les livres de CDN et retenue sur le prix de vente jusqu'à l'expiration de la garantie.
Interrogé le 5 février 2021 par les consorts [Z] au sujet de la détention de ces fonds, le CDN a répondu qu'il s'étonnait de leur demande tardive et ne trouvait pas trace dans ses livres d'un éventuel compte de dépositaire correspondant à la convention du 16 avril 2008, et les invitait en conséquence à s'adresser au médiateur de la banque, ce qui fut fait par courrier du 9 avril 2021. Après plusieurs échanges, le médiateur du CDN a indiqué par courrier du 28 octobre 2021 que la banque lui avait fait observer que la convention prévoyait une date de fin au 10 janvier 2011 et qu'elle entendait s'en tenir à sa position initiale, ce qui a conduit à la fin de la médiation.
Par exploit en date du 9 mars 2022, [X] [Z] et [G] [Z] ont assigné le Crédit du Nord devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de remise des fonds séquestrés.
À la suite d'une fusion-absorption intervenue le 1er janvier 2023, la Société générale s'est présentée aux droits et obligations du Crédit du Nord.
Par jugement contradictoire en date du 23 mars 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
' Dit la fin de non-recevoir au titre de la prescription de l'action de [X] [Z] et [G] [Z] à l'égard de la Société générale venant aux droits et obligations du Crédit du Nord recevable mais infondée ;
' Dit que le moyen de la Société générale venant aux droits et obligations du Crédit du Nord relatif à l'inexistence du séquestre est inopérant ;
' Débouté [X] [Z] et [G] [Z] de leur demande de restitution de la somme de 93 226 euros séquestrée dans les livres de la Société générale venant aux droits et obligations du Crédit du Nord ;
' Condamné solidairement [X] [Z] et [G] [Z] à payer à la Société générale venant aux droits et obligations du Crédit du Nord la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;
' Condamné in solidum [X] [Z] et [G] [Z] aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,94 euros dont 14,94 euros de taxe sur la valeur ajoutée.
Par déclaration du 3 avril 2023, [X] et [G] [Z] ont interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 22 juin 2023, [X] [Z] et [G] [Z] demandent à la cour de :
- DECLARER Messieurs [X] et [G] [Z] recevables et bien fondés en leur appel ;
- CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a dit que l'action des consorts [Z] n'était pas prescrite et que l'existence du séquestre était avérée ;
- INFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a débouté les consorts [Z] de leurs demandes de paiement ;
Et statuant à nouveau :
- CONDAMNER la SOCIETE GENERALE à payer à Messieurs [X] et [G] [Z], créanciers solidaires, une somme de 93.226 ' correspondant au principal des fonds séquestrés et déposés dans les livres de l'établissement bancaire le 16 avril 2008 ;
- CONDAMNER la SOCIETE GENERALE à payer à Messieurs [X] et [G] [Z], créanciers solidaires, une somme de 15.000 ' à titre de dommages et intérêts, à défaut pour la SOCIETE GENERALE d'être en mesure de justifier des résultats et produits de l'investissement des fonds séquestrés en SICAV monétaires ou leur équivalent éventuel futur, entre le 16 avril 2008 et aujourd'hui ;
- CONDAMNER la SOCIETE GENERALE à payer à Messieurs [X] et [G] [Z], créanciers solidaires, une somme de 7.000 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- STATUER ce que de droit sur les dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 23 août 2023, la société anonyme Société générale demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement rendu le 23 mars 2023 par le Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a dit la fin de non-recevoir au titre de la prescription de l'action de Messieurs [Z] à l'égard de SOCIETE GENERALE venant aux droits du CREDIT DU NORD recevable mais infondée
Et statuant à nouveau,
- DECLARER l'action de Messieurs [Z] irrecevable comme étant prescrite
- INFIRMER le jugement rendu le 23 mars 2023 par le Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a dit inopérant le moyen de SOCIETE GENERALE relatif à l'inexistence du séquestre ;
- CONFIRMER le jugement rendu le 23 mars 2023 par le Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a :
' Débouté Messieurs [Z] de leur demande de restitution de la somme de 93.226 euros séquestrée dans les livres de SOCIETE GENERALE venant aux droits et obligations du CREDIT DU NORD
' Condamné solidairement Messieurs [Z] à payer à SOCIETE GENERALE venant aux droits et obligations du CREDIT DU NORD la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
' Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires
' Condamné in solidum Messieurs [Z] aux dépens
- CONDAMNER solidairement Messieurs [Z] à payer à SOCIETE GENERALE, venant aux droits du CREDIT DU NORD, une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- LES CONDAMNER aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2025 et l'audience fixée au 4 mars 2025.
CELA EXPOSÉ,
Sur la prescription :
Aux termes de l'article L. 110-4, paragraphe premier, du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
La Société générale oppose aux consorts [Z] la prescription de leur action, faisant valoir que sa mission de séquestre a pris fin le 10 janvier 2011.
Les appelants lui objectent les dispositions de l'article 2266 du code civil, selon lesquelles ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit.
L'action introduite par les consorts [Z] tend, d'une part, à la remise des fonds séquestrés, d'autre part, à l'octroi de de dommages et intérêts.
L'action en restitution fondée sur un contrat de dépôt, de prêt ou de mandat constitue une action mobilière distincte de l'action en revendication (1re Civ., 24 nov. 2021, no 20-13.318), de sorte que la demande de remise des fonds séquestrés formée par les consorts [Z] est soumise à la prescription commerciale de droit commun relative aux obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants. Il en va de même de leur demande en indemnisation des accessoires attendus de leur créance principale.
Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
La convention de séquestre signée le 16 avril 2008 entre les trois parties (pièce no 1 des appelants) stipule d'une part en préambule que « l'acquéreur [Seurlin] et le cédant [les consorts [Z]] ont convenu de constituer un dépôt séquestre jusqu'au 10/01/2011 de 93 226 euros en vue de contre-garantir une convention de garantie annexée à la présente convention » ; d'autre part en son article 4 que « la présente convention viendra à expiration dès libération de l'intégralité des sommes séquestrées comme indiqué ci-avant ».
Sans préjudice de la poursuite de la mission du séquestre jusqu'à la libération des fonds, l'obligation pour les consorts [Z] de constituer le dépôt de séquestre a pris fin le 10 janvier 2011. Les appelants affirmant que la convention de garantie d'actif et de passif n'a jamais été mise en 'uvre, ils pouvaient dès cette date demander que le solde du prix de vente leur fût remis, majoré des produits financiers provenant de son placement comme le prévoyait la convention de séquestre.
Les appelants expliquent qu'ayant pris leur retraite après avoir vendu leur société Manufacture de chaussures Jean Cabireau, ils étaient entièrement retirés des affaires lorsque la garantie de passif expira en janvier 2011, et qu'ils n'ont tout simplement plus pensé, un temps, aux sommes séquestrées parce qu'ils ne recevaient plus de conseils de leur avocat et de leur expert-comptable qui n'exerçaient plus. Ils ne démontrent pas de la sorte qu'ils aient pu légitimement ne pas réclamer le versement du séquestre de 93 226 euros, accru des fruits de son placement.
Les consorts [Z] connaissaient ainsi à partir de cette date les faits leur permettant d'exercer leur action en restitution et en indemnisation. L'instance n'ayant été introduite que le 9 mars 2022, soit plus de cinq ans après le 10 janvier 2011, ils seront déclarés irrecevables pour être prescrits en leur action. Le jugement critiqué sera réformé en conséquence.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les appelants en supporteront donc la charge.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1o À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2o Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.
La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.
Il n'y a pas lieu en équité à condamnation sur ce fondement.
LA COUR, PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement en ce qu'il a :
' Dit la fin de non-recevoir au titre de la prescription de l'action de [X] [Z] et [G] [Z] à l'égard de la Société générale venant aux droits et obligations du Crédit du Nord recevable ;
' Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;
' Condamné in solidum [X] [Z] et [G] [Z] aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,94 euros dont 14,94 euros de taxe sur la valeur ajoutée ;
L'INFIRME pour le surplus ;
Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant,
DÉCLARE irrecevable l'action de [X] [Z] et [G] [Z] comme étant prescrite ;
DIT n'y avoir lieu en équité à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum [X] [Z] et [G] [Z] aux entiers dépens.
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