CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 13 mai 2025, n° 22/14196
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bright Star Business Corp Do Brasil Ltda (Sté)
Défendeur :
Beauté Prestige International (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barlow
Conseillers :
M. Le Vaillant, Mme Ghorayeb
Avocats :
Me Meyrieux, Me Guerre, Me Ponthieu
FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie de l'appel d'un jugement rendu le 12 mai 2022, par le tribunal de commerce de Paris (3e chambre), dans un litige opposant la société de droit français Beauté Prestige International (ci-après, « BPI ») à la société de droit brésilien Bright Star Business Corp. Do Brazil Ltda (ci-après, « Bright Star ») et la société de droit étatsunien Bright Star Business LLC (ci-après, « Bright Star Delaware » - ensemble « les sociétés Bright Star »).
2. BPI fait partie du groupe Shiseido dont elle commercialise des produits en qualité de licencié exclusif. Pour les besoins de cette commercialisation au Brésil, elle a passé quatre contrats de distribution exclusive avec la société Bright Star :
- les contrats Issey Miyake et Narciso Rodriguez, conclus le 20 octobre 2006, amendés par avenants des 25 septembre 2008, 1er décembre 2012 et 1er février 2014,
- le contrat Elie Saab, conclu le 1er avril 2011, amendé par avenants des 1er décembre 2012 et le 1er février 2014, et
- le contrat Dolce & Gabbana, conclu le 15 décembre 2016.
3. Ces contrats sont soumis au droit français. Les contrats Issey Miyake et Narciso Rodriguez comportent une clause compromissoire en faveur de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce international (CCI). Les contrats Elie Saab et Dolce & Gabbana stipulent une clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Paris.
4. Le 20 octobre 2006, BPI a par ailleurs conclu un contrat de service avec Bright Star Delaware, non partie en cause d'appel. À l'instar des conventions signées le même jour avec Bright Star, ce contrat est expressément soumis au droit français et comporte une clause compromissoire en faveur de la CCI.
5. Se plaignant du non-paiement de factures pour un montant cumulé de 12 379 244,58 USD, BPI a, le 19 novembre 2020, mis en demeure Bright Star d'avoir à lui payer cette somme dans un délai de 60 jours, sous peine de résiliation. Une mise en demeure était adressée à Bright Star Delaware, le même jour, lui réclamant un paiement de 3 666 889,14 USD.
6. Par courrier en réponse de son avocat, Bright Star dénonçait l'arrêt brutal de la relation commerciale établie et le risque de faillite qui en résultait.
7. BPI a notifié à Bright Star la résiliation des contrats le 2 février 2021.
8.Par acte introductif d'instance des 10 et 15 mars 2021, BPI a fait assigner les sociétés Bright Star devant le tribunal de commerce de Paris en sollicitant le paiement des factures échues ainsi que leur condamnation à lui payer des dommages et intérêts.
9. Elle a concurremment saisi le président de ce même tribunal d'une demande de provision, qui sera rejetée par ordonnance du 24 septembre 2021.
10. Saisi par les sociétés Bright Star d'une exception d'incompétence, le tribunal de commerce de Paris, par un jugement du 9 décembre 2021, s'est dit compétent pour juger des contrats Elie Saab et Dolce & Gabbana, et incompétent pour juger des contrats Issey Miyake et Narciso Rodriguez, ainsi que du contrat de service, pour lesquels il a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.
11. Puis, par jugement du 12 mai 2022, ce tribunal a statué en ces termes :
a) Met hors de cause la société Brightstar Business LLC, de droit des États-Unis (Delaware) et dit n'y avoir lieu à l'article 700 du CPC;
b) Condamne la société Bright Star Business Corp. do Brasil à payer à la SAS Beauté Prestige International la somme totale de 8.613.005,08 dollars US (après conversion en euros en appliquant le taux de conversion suivant : 1,1234 dollar US pour un euro), dont, pour le CONTRAT ELIE SAAB, la somme de 250.723,48 dollars US, et pour le CONTRAT DOLCE & GABBANA, la somme de 8.362.282,60 dollars US ;
c) Déboute la SAS Beauté Prestige International de sa demande de 22.431.903,16 euros au titre du préjudice commercial et d'image ;
d) Condamne la société Bright Star Business Corp. do Brasil à payer à la SAS Beauté Prestige International la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
e) Condamne la société Bright Star Business Corp. do Brasil à payer à la SAS Beauté Prestige International aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 211,56 ' dont 34,83 ' de TVA.
f) Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
g) Rappelle que l'exécution provisoire est de droit.
12. Bright Star a interjeté appel de cette décision par déclaration du 26 juillet 2022.
13. La clôture a été prononcée le 11 février et l'affaire appelée à l'audience du 11 mars 2025 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus.
II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES
14. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 août 2023, Bright Star demande à la cour, au visa des articles 9 et 15 du code de procédure civile, de l'article 1315 du code civil, de l'article 1103, 1104, 1217 et 1231-1 du code civil, des articles L. 442-1,11 et L. 442-6, 5 du code de commerce, de l'article 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :
- INFIRMER le jugement rendu le 12 mai 2022 par le Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a :
o Condamné la société Bright Star Business Corp. do Brasil à payer à la SAS BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL la somme totale de 8.613.005,08 dollars US (après conversion en euros en appliquant le taux de conversion suivant : 1,1234 dollar US pour un euro), dont, pour le CONTRAT ELIE SAAB, la somme de 250.723,48 dollars US, et pour le CONTRAT DOLCE & GABBANA, la somme de 8.362.282,60 dollars US
o Condamné la société Bright Star Business Corp. do Brasil à payer à la SAS BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
o Condamné la société Bright Star Business Corp. do Brasil aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 211,56 ' dont 34,83 ' de TVA
o Débouté la société Bright Star Business Corp. do Brasil de ses demandes autres, plus amples ou contraires
o Débouté la société Bright Star Business Corp. do Brasil de sa demande de condamnation de la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL à lui verser la somme de 8.888.500,00 USD (sauf à parfaire), ou sa contre-valeur en euros au jour du paiement, en raison des manquements réguliers dans l'exécution de ses obligations contractuelles
o Débouté la société Bright Star Business Corp. do Brasil de sa demande de condamnation de la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL à lui verser 2 années de marge brute, soit la somme de 35.553.552 USD, ou sa contre-valeur en euros au jour du paiement, au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies
o Débouté la société Bright Star Business Corp. do Brasil de sa demande de condamnation de société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL à lui verser la somme de 1.000.000 d'euros au titre du préjudice d'image subi
o Débouté la société Bright Star Business Corp. do Brasil de sa demande de condamnation de la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL à lui verser la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
o Débouté la société Bright Star Business Corp. do Brasil de sa demande de condamnation de la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL au paiement des dépens
o Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Statuant à nouveau :
- DÉBOUTER la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL de ses demandes formées à l'encontre de la société BRIGHT STAR BUSINESS BRASIL
À titre subsidiaire, si par extraordinaire,
- RÉDUIRE le quantum de la dette de la société BRIGHT STAR BUSINESS BRASIL à la somme de de 7.409.569,3 USD pour les produits à la marque DOLCE & GABANA et 118.724,36 USD pour les produits à la marque ELIE SAAB.
- CONDAMNER la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL à verser à la société BRIGHT STAR BUSINESS BRASIL la somme de 8.888.500,00 USD (sauf à parfaire), ou sa contre-valeur en euros au jour du paiement, en raison des manquements réguliers dans l'exécution de ses obligations contractuelles
- CONDAMNER la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL à verser à la société BRIGHT STAR BUSINESS BRASIL 2 années de marge brute, soit la somme de 35.553.552 USD, ou sa contre-valeur en euros au jour du paiement, au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies
- CONDAMNER la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL à verser à la société BRIGHT STAR BUSINESS BRASIL la somme de 1.000.000 d'euros au titre du préjudice d'image subi
- CONFIRMER le jugement rendu le 12 mai 2022 par le Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a débouté la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL de sa demande au titre du préjudice commercial et d'image
En tout état de cause,
- CONDAMNER la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL à verser à la société BRIGHT STAR BUSINESS BRASIL la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du CPC CONDAMNER la société BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL aux dépens.
15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 juillet 2024, BPI demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1104 du code civil, de l'article L. 721-3 du code de commerce, de l'article 3 (1) du règlement (CE) n° 593/2008, de l'article 1448 du code de procédure civile, de bien vouloir :
- CONFIRMER le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 12 mai 2022 en ce qu'il a condamné la société BRIGHT STAR BUSINESS CORP DO BRAZIL à payer à la SAS BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL la somme totale de 8.613.006,08 dollars US (après conversion en euros en appliquant le taux de conversion suivant : 1,1234 dollar US pour un euro), dont pour le CONTRAT ELIE SAAB, la somme de 250.723,48 dollars US, et pour le CONTRAT DOLCE & GABBANA, la somme de 8.362.282,60 dollars US,
- INFIRMER le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 12 mai 2022 en ce qu'il a débouté la SAS BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL de sa demande au titre du préjudice commercial et d'image et, statuant à nouveau sur ce point, condamner la société BRIGHT STAR BUSINESS CORP DO BRAZIL à payer à la SAS BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL la somme totale de 17.640.000 dollars US (en appliquant le taux de conversion suivant : 1,1234 dollar US pour un euro),
- CONDAMER la société BRIGHTSTAR BRAZIL au paiement à la SAS BEAUTE PRESTIGE INTERNATIONAL de la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
16. En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à ces écritures pour le complet exposé des moyens des parties.
III/ EXAMEN DES DEMANDES
A. Sur la demande en paiement de factures
i. Position de l'appelante
17. Bright Star fait grief au jugement attaqué de l'avoir condamnée au paiement des factures réclamé par BPI alors que :
- c'est à tort que le tribunal de commerce a considéré que les créances correspondantes étaient certaines, liquides et exigibles ;
- BPI n'apporte pas la preuve que les produits correspondant aux factures litigieuses ont été livrés et réceptionnés ;
- les déclarations d'exportation produites par BPI ne concernent pas les créances litigieuses mais d'anciennes créances ;
- BPI ne prouve pas avoir adressé les factures avant le 19 novembre 2020, de sorte qu'il n'est pas établi que Bright Star en avait connaissance ;
- subsidiairement, le quantum de la dette doit être réduit, BPI ne produisant pas les déclarations d'exportation relatives à certaines factures.
ii. Position de l'intimée
18. BPI réplique que :
- les livraisons des produits ont bien été effectuées, les délais de paiement de l'ensemble des factures litigieuses étant échus ;
- il incombe à Bright Star de prouver que les produits n'ont pas été mis à sa disposition au sein de l'entrepôt de [Localité 3] en France ;
- en vertu de l'incoterm ExWorks stipulé aux contrats, BPI n'avait pas à livrer les marchandises mais uniquement à les mettre à disposition du transporteur de Bright Star dans ses hangars ;
- BPI s'est systématiquement acquittée de cette obligation, Bright Star n'ayant jamais émis de réserve sur la livraison des produits ;
- la flexibilité dont BPI a pu faire preuve concernant les lenteurs de paiement de Bright Star ne peut pas lui être imputée à faute.
iii. Réponse de la cour
19. La cour relève, à titre liminaire, que les contrats en exécution desquels les factures litigieuses ont été émises sont expressément régis par le droit français, en application de leur article 23.
20. Conformément à l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103, les conventions ou contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
21. Au cas présent, les conditions relatives aux commandes, livraisons et paiements sont définies à l'article 6 des contrats.
22. L'article 6.3, pris dans les versions applicables à la période de référence des factures litigieuses, stipule que la vente des produits par BPI se fera « EX WORKS, [Localité 3] » (contrat Elie Saab) ou « EXW, [Localité 3] » (contrat Dolce & Gabbana) conformément aux Incoterms 2010 EXW, soit une mise à disposition de la marchandise par le vendeur à son usine de [Localité 3] (pièces Bright Star n° 6, 7 et 8 - pièce BPI n°4).
23. L'article 6.6 prévoit un paiement à 60 jours de la date de facturation, pour le contrat Elie Saab, et un paiement à 120 jours de la date de facture correspondant à 60 jours maximum de réception des produits en douane au Brésil, pour le contrat Dolce & Gabbana. Ce même article stipule, pour l'ensemble des contrats, le versement d'intérêts au taux de 1% par mois en cas de retard de paiement.
24. Dans le cadre ainsi défini, BPI verse aux débats :
- un ensemble de factures émises entre le 28 mai 2019 et le 21 octobre 2019, pour un montant cumulé de 12 379 244,58 USD, correspondant à la vente de produits Dolce & Gabbana, Elie Saab, Issey Miyake et Narciso Rodriguez, et dont les dates d'échéance s'étalent entre le 25 septembre 2019 et le 18 février 2020 (pièce BPI n° 6) ;
- une lettre de mise en demeure d'avoir à payer ces factures, datée du 19 novembre 2020, adressée à Bright Star avec les factures litigieuses et un récapitulatif détaillé (ibid.) ;
- une analyse de la répartition par marque des sommes dues, faisant apparaître un total cumulé de 8 362 282,60 USD pour les produits Dolce & Gabbana et de 250 723,48 USD pour les produits Elie Saab (pièce BPI n° 16) ;
- des demandes d'enlèvement des marchandise à l'entrepôt de [Localité 3] (pièce BPI n° 20) ;
- les déclarations d'exportation du transitaire, non partie à la cause, ainsi qu'un tableau de concordance entre les factures litigieuses et les déclarations (pièces BPI n° 21, 21 bis et 24) ;
- les listes de colisage (pièce BPI n° 23).
25. Si Bright Star soutient que BPI n'apporte pas la preuve de la livraison et de la réception des produits litigieux, pas plus que celle de l'envoi des factures, la cour relève que :
- conformément aux Incoterms 2010 EXW, applicables en vertu des contrats liant les parties, BPI n'était nullement responsable de la livraison et de la réception des marchandises ;
- les documents précités (demandes d'enlèvement à l'entrepôt de [Localité 3], déclarations d'exportation et listes de colisage) établissent le respect par l'intimée de ses obligations contractuelles de mise à disposition des produits ;
- la mise en demeure du 19 novembre 2019 comportait en annexe l'ensemble des factures litigieuses, accompagnées d'un récapitulatif ;
- l'appelante ne saurait sérieusement prétendre n'avoir pas reçu ces factures, alors même que son avocat a répondu à cette mise en demeure en justifiant les retards de paiement de la société appelante par des considérations tenant à une succession d'événements et à la dégradation de la situation économique au Brésil, sans contester en rien le principe de l'obligation à la dette, la réception des factures ou la livraison des marchandises ;
- à aucun moment de la relation contractuelle Bright Star n'a mis en cause son obligation au paiement, alors même que les parties ont négocié et mis en place des échéanciers pour l'apurement de ses dettes.
26. Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont dit les créances revendiquées par BPI certaines, liquides et exigibles, et ont condamné Bright Star au paiement des sommes correspondantes pour les contrats Dolce & Gabbana et Elie Saab seuls concernés par la présente procédure.
27. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur ce point.
B. Sur les manquements contractuels imputés à BPI au cours de la relation commerciale
i. Position de l'appelante
28. Bright Star fait grief au jugement attaqué de l'avoir déboutée de sa demande d'indemnisation au titre des manquements qu'elle impute à BPI dans l'exécution de ses obligations contractuelles alors que :
- BPI a méconnu les obligations résultant des articles 8 et 10 des contrats en refusant d'adapter sa politique de prix à l'environnement spécifique du Brésil alors que la monnaie brésilienne a connu une dévaluation considérable par rapport au dollar américain, à l'origine d'une distorsion entre ce qui était imposé à Bright Star et la réalité du marché brésilien ;
- cette situation a entrainé des pertes financières pour Bright Star ;
- en ne réclamant pas le paiement des factures pendant plus d'un an tout en continuant à négocier avec Bright Star la reprise de son activité en Argentine, BPI a laissé croire à Bright Star qu'elle avait la volonté de régler globalement la situation en cours.
ii. Position de l'intimée
29. BPI réplique que :
- elle n'a jamais manqué à ses engagements au titre des articles 8 et 10 des contrats, qui font principalement peser des obligations sur Bright Star ;
- Bright Star ne prouve pas les manquements qu'elle allègue ;
- les demandes formulées à ce titre étant déconnectées du litige principal ;
- elles ont été rejetées dans le cadre de la procédure arbitrale relative aux contrats Issey Miyake et Narciso Rodriguez.
iii. Réponse de la cour
30. En vertu de l'article 8.1 des contrats, les parties devaient convenir chaque année, avant le 15 juillet, des objectifs de vente à atteindre par le distributeur pour l'année à venir, ainsi que du budget commercial, avec possibilité de réviser ces objectifs, d'un commun accord, lors de la révision du budget pour l'année en cours ('Each year, before July 15th, at the latest, B.P.I and the Distributor shall agree on sales objectives to be achieved by the Distributor for the coming year, together with the commercial annual budget. / The sales objectives may be modified after mutual agreement between the parties at the same time as the budget revision which may occur during the commercial year in considération ').
31. L'article 10.1 des contrats prévoyait par ailleurs l'obligation pour Bright Star de mettre à la disposition de BPI un budget d'exploitation, un projet de budget et un plan marketing. Le second alinéa de cet article précise que « BPI et le distributeur se consulteront afin de finaliser ce plan marketing et ce projet de budget, qui devront être soumis à BPI et approuvés au plus tard le 30 octobre » (' B.P.I. and the Distributor shall consult together in order to finalize this marketing plan and draft budget which should be submitted to B.P.I. and agreed upon on octobre 30th, at the latest ').
32. Bright Star, qui conclut au non-respect de ces stipulations par BPI, ne démontre en rien l'existence d'un tel manquement. Elle ne produit aucune pièce permettant de conclure que l'intimée aurait refusé de discuter des objectifs de vente ou de leur révision, ou qu'elle aurait fait obstacle ou se serait soustraite à la consultation relative à la finalisation du plan marketing. Elle ne démontre pas même avoir sollicité, au cours de la relation contractuelle, une révision des objectifs de vente ou du plan marketing eu égard aux circonstances économiques qu'elle invoque, les échanges versés aux débats portant sur les seuls délais de paiement et plans d'apurement des dettes (pièces Bright Star n° 26 et BPI n° 5). Si elle produit deux lettres, l'une de son conseil (pièce n° 10), l'autre de sa représentante (pièce n° 13), faisant état du refus du groupe Shiseido d'adapter sa politique de prix aux spécificités du marché brésilien, ces deux missives, toutes deux postérieures à la notification par BPI de sa mise en demeure d'avoir à payer les factures litigieuses sous peine de résiliation, ne sont pas documentées. Émanant de la partie appelante et de l'un de ses conseils, elles ne peuvent, comme telles, être regardée comme probantes, la cour relevant qu'en toute hypothèse, les contrats litigieux ne faisaient aucune obligation à BPI de moduler sa politique de prix, seules étant visées la fixation négociée d'objectifs de vente ainsi qu'une consultation sur le plan marketing et la finalisation du budget.
33. Bright Star ne saurait davantage faire grief à BPI de n'avoir pas sollicité le paiement des factures litigieuses pendant plus d'un an tout en négociant avec elle la reprise de son activité en Argentine, créant ainsi une croyance légitime dans le fait qu'elle souhaitait régler globalement la situation en cours, alors que :
- cette assertion ne se trouve, là encore, étayée par aucune pièce propre à établir que BPI aurait fait croire à Bright Star qu'elle lierait le sort des factures en souffrance à la cession, par celle-ci, de ses activités en Argentine, seules étant versées aux débats les lettres précitées de Bright Star et de son conseil postérieures à la mise en demeure (pièces Bright Star n° 10 et 13), que rien ne vient soutenir ;
- contrairement à ce que retient l'appelante, BPI a sollicité le paiement des factures dès avant sa mise en demeure du 19 novembre 2020, les parties ayant eu des échanges afin de parvenir à un règlement négocié des dettes de Bright Star, entre mars 2018 et novembre 2019, l'octroi de délais de paiement par le créancier ne pouvant être considéré comme fautif ou assimilé à une non-demande de paiement.
34. Aucune faute de BPI dans l'exécution contractuelle n'étant démontrée, la demande indemnitaire de Bright Star, qui n'est pas fondée, doit être rejetée.
C. Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie
i. Position de l'appelante
35. Bright Star fait grief au jugement attaqué de n'avoir pas retenu la rupture brutale de la relation commerciale alors que :
- l'arrêt total, soudain et brutal de toute prise de commandes par la société BPI en octobre 2019 caractérise une rupture brutale des relations contractuelles, laquelle ne doit pas être datée de la résiliation des contrats en janvier 2021 ;
- les contrats de distributions signés entre les parties n'érigent pas le respect des délais de paiement en élément essentiel des relations contractuelles, condition requise pour que le non-paiement soit retenu comme propre à justifier la rupture sans préavis ;
- la véritable raison de la rupture brutale de la relation commerciale est une réorganisation stratégique du groupe Shiseido.
ii. Position de l'intimée
36. BPI réplique que :
- la rupture est imputable à Bright Star, qui a commis une faute grave dans l'exécution contractuelle du fait de défauts de paiement répétés et importants, suivis de plusieurs plans d'échelonnement de la dette non respectés ;
- l'obligation au paiement est une obligation essentielle du contrat de vente ;
- la multiplication d'incidents de paiement justifiait une rupture sans préavis.
iii. Réponse de la cour
37. En application de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
38. Conformément au troisième alinéa du même article, ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. L'inexécution alléguée à ce titre doit toutefois présenter un caractère suffisamment grave pour justifier la rupture sans préavis de la relation commerciale.
39. Il résulte en l'espèce des débats et des pièces versées au dossier que :
- les relations contractuelles unissant les parties ont débuté en 2006, par la signature de contrats pour la distribution des marques Issey Miyake et Narciso Rodriguez, suivis de divers avenants et de deux contrats de distribution, conclus respectivement en 2011 et 2016, pour les marques Elie Saab et Dolce & Gabbana (pièces Bright Star n° 2 à 8 et BPI n° 4) ;
- par courrier du 18 janvier 2021, BPI a notifié à Bright Star la résiliation des contrats litigieux au 26 janvier 2021, sauf paiement dans l'intervalle d'une dette cumulée de 12 379 244,58 USD (pièce BPI n° 8) ;
- cette lettre était précédée d'un courrier de mise en demeure du 19 novembre 2020 faisant état du non-paiement de cette somme et enjoignant à Bright Star d'avoir à la régler, en lui accordant un « nouveau délai » de 60 jours, présenté comme « une période additionnelle » s'ajoutant aux délais précédemment accordés pour le règlement de cette dette (pièce BPI n° 6).
40. Les parties s'accordent sur le fait que les livraisons de marchandises de BPI à Bright Star ont été interrompues en octobre 2019, l'intimée justifiant cet arrêt par le non-paiement, en septembre 2019, de la dette précitée d'un montant total de plus de 12 millions de dollars américains.
41. Les courriels versés aux débats (pièces Bright Star n° 26 et BPI n° 5 et 17) révèlent que des échanges ont eu lieu entre les parties sur les retards de paiement du distributeur dès mars 2018. Un premier plan de paiement était élaboré en avril 2018 en vue de l'apurement d'une dette de plus de 7 millions USD au mois d'août de la même année. Une nouvelle version de ce plan était proposée par Bright Star le 13 juillet 2018, avec une échéance finale en juin 2019, suivie d'une demande d'aménagement de Bright Star en décembre 2018, puis d'un nouveau plan de paiement en février 2019. Ces mêmes échanges font apparaître des alertes de BPI à Bright Star, en aout 2019, sur le non-respect des échéances et le non-paiement des termes convenus, BPI informant son distributeur, le 5 novembre 2019, du blocage de ses comptes en raison d'une dette totale du « 12.5 MUSD ».
42. Ces faits caractérisent une inexécution contractuelle de la part de Bright Star dont la gravité, attestée par l'importance de la dette accumulée, supérieure à 12 millions de dollars, et la non-tenue de ses engagements par le débiteur en dépit de plusieurs aménagements successifs et de délais accordés sur plus d'une année, justifiait la rupture de la relation contractuelle sans autre préavis que le délai de 30 jours, porté par l'intimée à 60 jours, prévu à l'article 16.6 des contrats, la cour relevant que :
- l'article 6.6 des contrats prévoyait une obligation pour le distributeur de payer les factures dans les 60 jours de leur émission, pour le contrat Elie Saab, et dans les 120 jours d'émission de la facture correspondant à 60 jours de la réception des produits, pour le contrat Dolce & Gabbana, avec possibilité de résiliation par BPI en cas de non-respect de cette obligation, conformément à l'article 16 ;
- Bright Star ne démontre pas, ni même allègue, avoir effectué le moindre paiement de sa dette entre octobre 2019 et novembre 2020, date de la mise en demeure précitée ;
- elle n'établit pas davantage avoir effectué un quelconque paiement après cette mise en demeure ;
- l'argument selon lequel BPI aurait laissé croire à Bright Star qu'elle avait la volonté d'un règlement global de la situation dans le cadre de négociations engagées pour la reprise des activités de Bright Star en Argentine ne se trouve étayé par aucune pièce propre à établir une quelconque prise de position du fournisseur en ce sens, seuls étant produits les courriers, non documentés, de Bright Star et de son conseil précités (pièces Bright Star n° 10 et 13) ;
- il en va de même de l'assertion selon laquelle la rupture trouverait son origine dans une réorganisation stratégique de BPI pour la distribution de ses produits, les articles de presse versés aux débats par l'appelante (pièce n° 23), qui font état de l'arrêt des relations commerciales entre Shiseido et Dolce & Gabbana en décembre 2021, étant à cet égard insuffisants, étant observé que BPI a poursuivi la distribution des produits Dolce & Gabbana au Brésil avec un autre distributeur (pièce Bright Star n° 23) et que la résiliation litigieuse portait sur l'ensemble des quatre contrats, couvrant donc d'autres marques ;
- cette résiliation trouve son origine directe dans les inexécutions contractuelles précédemment relevées.
43. Les demandes formées par Bright Star au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie sont dès lors infondées et doivent, comme telles, être rejetées.
D. Sur la réparation des autres préjudices allégués
i. Position de l'appelante
44. Bright Star sollicite la réparation de l'atteinte portée à sa réputation, en faisant valoir que le groupe Shiseido a confié la distribution de ses produits au Brésil à une autre société, en communiquant à l'ensemble de ses partenaires et clients.
45. Elle soutient que le tribunal de commerce a, à raison, rejeté les demandes de BPI au titre du préjudice commercial et du préjudice d'image en l'absence d'éléments de preuve.
ii. Position de l'intimée
46. BPI revendique un préjudice commercial et d'image en invoquant :
- l'absence de commande de produits de la part de Bright Star à compter d'octobre 2019 ;
- l'insuffisance de présentation des produits de BPI par Bright Star sur le territoire brésilien ;
- le préjudice d'image qui en est résulté.
iii. Réponse de la cour
47. En considération des manquements contractuels précédemment relevés, Bright Star ne saurait imputer à faute à BPI le changement de distributeur pour la vente de ses produits sur le territoire brésilien, la demande qu'elle forme à ce titre étant infondée.
48. C'est par de justes motifs, que la cour adopte, que les premiers juge ont par ailleurs rejeté les demandes indemnitaires de BPI au titre du préjudice d'image et du préjudice commercial, lesquelles ne se trouvent ni documentées, ni étayées ou justifiées dans leur quantum et leur mode de calcul.
49. En considération de l'ensemble de ces éléments, le jugement entrepris sera confirmé dans toutes ses dispositions soumises à la cour.
E. Sur les frais du procès
50. Bright Star, qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens, les demandes qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.
51. Elle sera en outre condamnée à payer à BPI la somme de 20 000 euros en application du même article, ce montant tenant compte du rejet de l'incident initié devant le conseiller de la mise en état par BPI, dont la demande de radiation a été rejetée.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
2) Condamne la société Bright Star Business Corp. Do Brazil Ltda aux dépens ;
3) La condamne à payer à la société Beauté Prestige International la somme de vingt mille euros (20 000,00 ') en application de l'article 700 du code de procédure civile.