CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 13 mai 2025, n° 23/17923
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
S AB
Défendeur :
Entrepreneur Europe Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barlow
Conseillers :
M. Le Vaillant, Mme Ghorayeb
Avocats :
Me Etevenard, Me Langlais, Me Boccon Gibod, Me Courtois
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie de l'appel d'un jugement rendu le 25 mai 2023 par le tribunal de commerce de Paris (3e chambre) dans un litige opposant la société de droit suédois [S] AB (ci-après, « [S] »), venant aux droits de la société European SaaS Solutions, à la société de droit anglais Entrepreneur Europe Limited (ci-après, « Entrepreneur Europe »).
2. European SaaS Solutions a été créée en 2006. Devenue [S] à la suite d'une fusion opérée en 2021, elle propose divers services d'assistance à l'intention des autoentrepreneurs français via son site www.portail-autoentrepreneurs.fr (ci-après, « Portail auto-entrepreneur »).
3. Créée en 2018, Entrepreneur Europe édite un site de conseils aux autoentrepreneurs, accessible à l'adresse https://espace-autoentrepreneur.com (ci-après, « Espace auto-entrepreneur »).
4. Estimant qu'Entrepreneur Europe s'est livré à des actes de parasitisme en copiant et en imitant les éléments de structure et de contenu du site portail-autoentrepreneur.fr, European SaaS a, par acte introductif d'instance du 26 octobre 2020, fait assigner cette société devant le tribunal de commerce de Paris afin qu'il lui soit fait injonction d'avoir à cesser ses agissements et pour obtenir réparation.
5. Entrepreneur Europe ayant soulevé une exception d'incompétence matérielle au profit du tribunal judiciaire, le tribunal de commerce de Paris a retenu sa compétence par décision du 4 octobre 2021, confirmée en appel par un arrêt du 12 avril 2022 devenu définitif.
6. Puis, par jugement du 25 mai 2023, ce tribunal a statué en ces termes :
« a) Constate la fusion entre la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS et fa société [S] AB du 19 janvier 2021,
b) Ordonne que la société [S] AB soit substituée à la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS dans l'instance à l'encontre de la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED et déclare recevable et bien fondée la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, en l'ensemble de ses demandes ;
c) Déboute la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, de sa demande d'enjoindre à la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED, dans un délai de 24 heures à compter de la présente décision, de cesser de copier/imiter les éléments de structure et de contenus du site www.portail-autoentrepreneur.fr notamment sa Knowledge Base et son Centre d'aide ou tout autre élément qui serait servilement repris, sur son propre site www.espace-autoentrepreneur.com sous astreinte de 1.000 euros par violation constatée et par jour,
d) Déboute la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, de sa demande de condamner la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à payer à la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS la somme de 75.000 euros au titre de son avantage commercial indu au préjudice de la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS,
e) Déboute la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, de sa demande de condamner la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à payer à [a SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS la somme de 293.266 euros au titre du manque à gagner de la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS,
f) Déboute la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, de sa demande de condamner la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à payer à la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, la somme de 30.000 euros à titre de réparation du préjudice moral subi par la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS du fait de ses actes de concurrence parasitaire,
g) Déboute la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, de sa demande d'ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir précédé du titre " Publication judiciaire " (dans une taille 12 minimum de police) sur le haut de la page d'accueil du site www.espace-autoentrepreneur.com pendant une durée de trente (30) jours, dans un délai de 24 heures à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,
h) Condamne la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS à payer à la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
i) Condamne la Société de droit suédois [S] AB venant aux droits de la SARL de droit suédois EUROPEAN SAAS SOLUTIONS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 ' dont 11,60 ' de TVA. »
7. [S] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 6 novembre 2023.
8. La clôture a été prononcée le 18 février 2025 et l'affaire appelée à l'audience 4 mars 2025 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.
II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES
9. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 janvier 2025, [S] demande à la cour, au visa des articles 1240 et suivants du code civil, de bien vouloir :
- DIRE ET JUGER la société [S] AB recevable et fondée en son appel de la décision du 25 mai 2023 rendue par le tribunal de commerce de Paris
En conséquence,
- INFIRMER la décision du 25 mai 2023 en ce qu'elle a :
' Débouté la société [S] AB de sa demande d'enjoindre à la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED de cesser de copier/imiter les éléments de structure et de contenus du site www.portail-autoentrepreneur.fr, notamment sa Knowledge Base et son Centre d'aide ou tout autre élément qui serait servilement repris ;
' Débouté la société [S] AB de sa demande de condamner la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à lui payer la somme de 75 000 euros au titre de son avantage commercial indu au préjudice de la société [S] AB ;
' Débouté la société [S] AB de sa demande de condamner la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à lui payer la somme de 293 266 euros au titre du manque à gagner de la société [S] AB ;
' Débouté la société [S] AB de sa demande de condamner la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de réparation du préjudice moral subi par la société [S] AB ;
' Débouté la société [S] AB de sa demande d'ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir sur le site www.espace-autoentrepreneur.com ;
' Condamné la société [S] AB à payer à la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamné la société [S] AB aux dépens.
Et, statuant à nouveau :
- DÉBOUTER l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED.
- DÉCLARER recevable et bien fondée la société [S] AB, venant aux droits de la société EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, en l'ensemble de ses demandes,
- CONDAMNER la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED pour ses actes de concurrence parasitaire qu'elle a réalisé en copiant/imitant de nombreux éléments de la structure et du contenu du site www.portail-autoentrepreneur.fr, notamment sa Knowledge Base et son Centre d'aide, sur son www.espace-autoentrepreneur.com
En conséquence,
- ENJOINDRE à la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED, dans un délai de 24 heures à compter de la décision à intervenir, de cesser de copier/imiter les éléments de structure et de contenus du site www.portail-autoentrepreneur.fr, notamment sa Knowledge Base et son Centre d'aide ou tout autre élément qui serait servilement repris, sur son propre site www.espace-autoentrepreneur.com , sous astreinte de 1.000 euros par violation constatée et par jour,
- SE DÉCLARER compétent pour liquider l'astreinte,
- CONDAMNER la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à payer à la société [S] AB venant aux droits de EUROPEAN SAAS SOLUTIONS la somme de 75.000 euros au titre de son avantage commercial indu au préjudice de la société [S] AB, venant aux droits de la société EUROPEAN SAAS SOLUTIONS,
- CONDAMNER la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à payer à la société [S] AB venant aux droits de société EUROPEAN SAAS SOLUTIONS la somme de 293.266 euros au titre du manque à gagner de la société [S] AB, venant aux droits de la société EUROPEAN SAAS SOLUTIONS,
- CONDAMNER la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à payer à la société [S] AB, venant aux droits de la société EUROPEAN SAAS SOLUTIONS, la somme de 30.000 euros à titre de réparation du préjudice moral subi par la société [S] AB, venant aux droits de la société EUROPEAN SAAS SOLUTIONS du fait de ses actes de concurrence parasitaire,
- ORDONNER la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir précédé du titre « Publication judiciaire » (dans une taille 12 minimum de police) sur le haut de la page d'accueil du site www.espace-autoentrepreneur.com pendant une durée de trente (30) jours, dans un délai de 24 heures à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 1000 euros par jour de retard.,
- CONDAMNER la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED à verser à la société [S] AB, venant aux droits de la société EUROPEAN SAAS SOLUTIONS la somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 CPC,
- CONDAMNER la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED aux entiers dépens.
10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 février 2025, Entrepreneur Europe demande à la cour, au visa des articles 6, 9, 32 et 122 du code de procédure civile et de l'article 1240 du code civil, de bien vouloir :
« ' S'agissant du jugement attaqué :
o À titre principal :
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 25 mai 2023 en toutes ses dispositions ;
o À titre subsidiaire et en cas d'infirmation du jugement entrepris :
- Juger que les procès-verbaux produits par [S] AB en pièces nos 3 et 10 ont été établis de manière déloyale, ou sont à tout le moins entachés d'irrégularités ;
En conséquence :
- Prononcer la nullité des procès-verbaux déloyaux produits par [S] AB en pièces nos 3 et 10, ou à tout le moins les écarte des débats ;
- Prononcer la carence de [S] AB dans l'administration de la preuve de la matérialité des actes litigieux reprochés à Défenderesse ;
En conséquence :
- Débouter la société [S] AB de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
o À titre très subsidiaire et en cas d'infirmation du jugement entrepris :
- Juger que la société [S] AB échoue à identifier et à rapporter la preuve de l'existence d'une valeur économique individualisée qui résiderait dans « la structure et [le] contenu du site www.portail-autoentrepreneur.fr, notamment sa Knowledge Base et son Centre d'aide » ;
- Juger que la société [S] AB échoue à identifier et à rapporter la preuve de la reprise fautive par la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED d'une quelconque valeur économique individualisée qui résiderait dans « la structure et [le] contenu du site www.portail-autoentrepreneur.fr, notamment sa Knowledge Base et son Centre d'aide » ;
En conséquence :
- Débouter la société [S] AB de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
o À titre infiniment subsidiaire et en cas d'infirmation du jugement entrepris :
- Juger que la société [S] AB n'établit pas la moindre preuve du préjudice économique qu'elle allègue à hauteur de 56.700 euros (cinquante-six mille sept cent euros) avant de l'arrondir à 75.000,00 ' (soixante-quinze mille euros) au titre de l'« avantage commercial indu » qui aurait été réalisé à son détriment ;
- Juger que la Pièce n° 50 produite par la société [S] AB est dénuée de toute force probante quant à l'évaluation de son prétendu « manque à gagner » dans la mesure où elle se fonde sur des données inopérantes et sans lien avec le dommage allégué ;
- Juger que la société [S] AB n'établit pas la moindre preuve du préjudice économique qu'elle allègue à hauteur de 195.511 ' (cent quatre-vingt-quinze mille cinq cent onze euros) avant de l'arrondir à 293.266,00 ' (deux cent quatre-vingt-treize mille deux cent soixante-six euros) au titre de son prétendu « manque à gagner » ;
- Juger qu'il ne peut être fait droit aux demandes de la société [S] AB consistant à réparer à la fois l'« avantage commercial indu » qui aurait été réalisé à son détriment et son prétendu « manque à gagner », ces demandes revenant à indemniser deux fois le même préjudice qui résulterait d'un détournement de clientèle ;
- Juger que la société [S] AB ne rapporte pas la preuve du préjudice moral qu'elle allègue ;
En conséquence :
- Débouter la société [S] AB de l'intégralité de ses demandes tendant à la réparation du préjudice économique qu'elle allègue, ou à tout le moins limiter la réparation octroyée à ce titre à 2.199,00 ' (deux mille cent quatre-vingt-dix-neuf euros) ;
- Débouter la société [S] AB de l'intégralité de ses demandes tendant à la réparation du préjudice moral qu'elle allègue, ou à tout le moins limiter la réparation octroyée à ce titre à l'euro symbolique ;
- Débouter la société [S] AB de ses demandes sous astreinte d'interdiction et de publication ;
o En tout état de cause et en cas d'infirmation du jugement entrepris :
- Condamner la société [S] AB à payer à la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED la somme de 20.000,00 ' (vingt mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société [S] AB aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Louis de GAULLE, avocat au Barreau de Paris, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
' S'agissant de la présente instance :
- Condamner la société [S] AB à payer à la société ENTREPRENEUR EUROPE LIMITED la somme de 30.000,00 ' (trente mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société [S] AB aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Louis de GAULLE, avocat au Barreau de Paris, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
11. En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux conclusions susvisées pour le complet exposé des moyens des parties.
III/ EXAMEN DES DEMANDES
A. Sur la nullité du procès-verbal de constat d'huissier produit par l'appelante
i. Position de l'intimée
12. Entrepreneur Europe conclut à la nullité des procès-verbaux de constat produits par l'appelante en pièces n° 3 et 10 qu'elle considère avoir été établis de manière déloyale et être entachés d'irrégularités. Elle demande à la cour de constater en conséquence la carence de [S] dans l'administration de la preuve de la matérialité des actes qu'elle invoque au soutien de ses prétentions.
13. Elle fait valoir à ce titre que :
- l'huissier mandaté a dépassé son rôle en formulant des avis subjectifs au lieu de se limiter à des constatations matérielles. Il a notamment entouré des éléments sur les captures d'écran, pour orienter la lecture du juge, et omis de joindre des annexes essentielles, privant ainsi la juridiction d'une appréciation complète ;
- l'huissier a, de surcroît, procédé par interprétation, assortissant ses constats de commentaires péremptoires et, pour certains, mensongers ;
- les captures d'écran réalisées ne sont pas produites dans leur intégralité, l'huissier s'étant borné à isoler certains éléments.
ii. Position de l'appelante
14. [S] réplique que :
- les constatations opérées par l'huissier sont purement matérielles et dépourvues de qualification juridique, ainsi que l'ont retenu les premiers juges ;
- l'utilisation de termes descriptifs tels que « ressemblants » ou « similaires » relève de simples constatations matérielles et ne caractérise pas des qualifications juridiques ;
- la Cour de cassation a récemment validé ce type de constats dès lors qu'ils portent sur des éléments publics et objectifs ;
- Entrepreneur Europe ne démontre aucune déloyauté ni aucun préjudice.
iii. Appréciation
15. Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
16. En application du 2° du II de l'article 1er de l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016, les commissaires de justice peuvent effectuer, lorsqu'ils sont commis par justice ou à la requête de particuliers, des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire.
17. En l'espèce, l'appelante produit, au soutien de ses demandes, deux procès-verbaux de constat d'huissier dressés le 28 février 2020 (pièces [S] n° 3, et 10), se rapportant aux informations mises en ligne sur les sites portail-autoentrepreneur.fr et espace-autoentrepreneur.com.
18. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, ces procès-verbaux exposent de façon explicite la méthodologie suivie par le commissaire de justice afin d'accéder aux informations mises en ligne sur ces sites.
19. Le fait pour le commissaire de justice instrumentaire d'entourer en rouge certains éléments figurant sur les captures d'écran reproduites dans le corps de son procès-verbal de constatation ne peut être regardé comme un comportement déloyal ou manifestant un défaut d'impartialité de ce professionnel, ce procédé n'ayant d'autre finalité que de souligner l'objet des constatations opérées, sans influencer en rien l'appréciation de la cour quant aux conséquences à tirer de ces constatations.
20. Il en va de même de l'emploi des termes et expressions « similaires », « fortement ressemblants », « exactement les mêmes » ou « exactement identiques », qui procèdent de constatations de fait dont le commissaire de justice n'a, en l'espèce, tiré aucune conclusion ni formulé aucun avis quant aux conséquences de fait ou de droit qui pourraient en résulter.
21. Contrairement à ce qu'avance la société intimée, ces expressions ne peuvent être considérées comme mensongères, les éléments auxquels elles renvoient correspondant aux descriptions retenues qui, en toute hypothèse, ne lient pas la cour dans son appréciation des faits ainsi constatés.
22. Enfin, si les captures d'écran mentionnées comme figurant en annexes à ces procès-verbaux n'y sont pas jointes et n'ont pas été versées aux débats par l'appelante, elles n'en sont pas moins reproduites dans le corps du procès-verbal de constat, ces reproductions faisant foi jusqu'à preuve contraire, laquelle n'est pas rapportée par Entrepreneur Europe.
23. Rien ne justifie, dans ces conditions, que ces procès-verbaux soient déclarés nuls ou écartés des débats. Les demandes formulées en ce sens par l'intimée seront en conséquence rejetées.
B. Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire
i. Position de l'appelante
24. [S] fait grief au jugement querellé d'avoir écarté l'existence d'acte de concurrence déloyale et parasitaire, alors que :
- elle disposait d'un avantage concurrentiel, tant de par sa notoriété que par ses investissements, ainsi que l'a relevé le tribunal de commerce, le site Portail auto-entrepreneurs ne constituant pas une copie du site Legalstart ;
- la prétendue banalité des éléments repris est indifférente ;
- Entrepreneur Europe a repris de façon servile et systématique la plupart des éléments de la partie publique du site Portail auto-entrepreneur, pour ce qui concerne la « Knowledge Base », en particulier une centaine de fiches métiers et d'articles de l'Académie des auto-entrepreneurs, ainsi que l'arborescence et la structuration des pages du site ;
- Entrepreneur Europe a également repris des éléments de la partie réservée aux clients, dite « centre d'aide », tant pour ce qui concerne la présentation et le tableau de bord que le contenu et le message de confirmation d'abonnement ;
- ces reprises généralisées sont le fruit d'une volonté parasitaire visant à créer une confusion ;
- Entrepreneur Europe s'est ainsi immiscée dans le sillage de [S], leader sur le marché, en s'économisant toute dépense et tout investissement.
ii. Position de l'intimée
25. Entrepreneur Europe conclut à l'absence de reprise fautive des éléments du site édité par [S] en faisant valoir que :
- les allégations de reprise indue des parties publique et non-publique du site sont infondées, tant pour ce qui concerne la structure que le graphisme ou le fonds documentaire, le centre d'aide et le courriel de confirmation de la commande ;
- [S] ne justifie d'aucun investissement, les éléments de son site étant largement repris du site Legalstart ;
- les comparatifs produits sont trompeurs, les éléments d'appropriation invoqués étant usuels et communs aux opérateurs de marchés, ou dénués de valeur économique individualisée procurant un avantage concurrentiel ;
- la structure du site et son arborescence sont dictées par une logique élémentaire et sont utilisées par les autres opérateurs du marchés, comme par des acteurs institutionnels ;
- les graphismes présentent des différences substantielles ;
- les sites en cause présentent tous deux du contenu inédit qui n'apparait pas sur l'autre site considéré, les thématiques communes étant communes à tous les opérateurs du marché, ces thèmes donnant en toute hypothèse lieu à un contenu rédactionnel différent ;
- l'appelante, qui cherche à s'approprier des fonctionnalités standardisées, usuelles, qui doivent rester de libre parcours, ne démontre pas que la partie non-publique du site aurait une valeur économique individualisée.
iii. Appréciation
26. Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601, Bull. 1995, IV, n° 193 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694, Bull. 2018, IV, n° 87 ; Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535). Il résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion (Com., 20 mai 2014, pourvoi n° 13-16.943 ; Com., 27 janvier 2021, pourvoi n° 18-20.702).
27. Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque (Com., 20 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.131, Bull. 2016, IV, n° 116 ; Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535), ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage (Com., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-23.236, Bull. 2001, IV, n° 132 ; Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535).
28. Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 14-20.310, Bull. 2017, I, n° 152). Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent par ailleurs se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation d'un produit.
29. En l'espèce, les actes de parasitisme allégués par [S] résident dans la reprise par Entrepreneur Europe, sur le site espace-autoentrepreneur.com, de la structure, de l'arborescence, de la présentation et d'éléments de contenu de son site portail-autoentrepreneur.fr.
Sur l'existence d'une valeur économique individualisée
30. L'appelante produit un ensemble de factures établissant les dépenses qu'elle a engagées, entre le 22 mai 2017 et le 29 mars 2021, pour le développement de ce site, à hauteur de 244 434 euros (pièces [S] n° 42 et 42bis), ainsi qu'une série de factures, émises entre le 4 juillet 2017 et le 29 janvier 2020, se rapportant à la rédaction d'articles qui y ont été mis en ligne, pour un montant total de 56 700 euros (pièces [S] n° 23 et 47). Elle démontre, ce faisant, la réalité et le caractère substantiel des investissements, tant humains que financiers, consacrés à ce site, auquel les factures produites sont directement rattachées par leur libellé et leurs références.
31. Les pièces versées aux débats établissent par ailleurs la notoriété du Portail auto-entrepreneur. Régulièrement cité par la presse économique dans des articles relatifs à l'activité d'auto-entrepreneur, entre 2020 et 2022, et présenté comme une source d'informations sur le sujet (pièces [S] n° 4 et 73), ce site est également reconnu par les pouvoirs publics comme constituant une référence en la matière, ainsi qu'il résulte d'une intervention du ministère de l'économie en séance publique à l'Assemblée nationale en 2018 (pièce [S] n° 4), de publications de la Direction générale des finances publiques sur les réseaux sociaux de 2018 et 2020, et du site du ministère de l'économie renvoyant en 2019 les usagers vers ce portail (ibid.). Cette notoriété se trouve confortée par les données de fréquentation des sites dédiés à l'auto-entreprenariat qui placent systématiquement portail-autoentrepreneur.fr en tête du nombre de consultations (pièce [S] n° 86).
32. [S] établit ainsi la valeur économique individualisée attachée à son site. Si l'intimée relève, à juste titre, l'existence de plusieurs concurrents proposant des services comparables aux auto-entrepreneurs, par la diffusion d'informations légales, administratives et pratiques, et la mise à disposition d'outils destinés à faciliter leur exercice professionnel, lesquels ne constituent dès lors pas un savoir-faire exclusif dont [S] pourrait revendiquer en tant que tel la protection, la combinaison spécifique des informations mises en ligne sur le Portail auto-entrepreneur n'en présente pas moins une identité propre caractérisant cette valeur.
33. Il apparaît à cet égard que, contrairement à ce qu'avance Entrepreneur Europe, le Portail auto-entrepreneur ne peut être considéré comme la simple reprise des éléments du site Legalstart, à l'égard desquels il présente un caractère d'ensemble distinctif, ainsi qu'il ressort du rapprochement, à date, des deux sites (pièces [S] n° 87, 89 - pièces EE n° 15-5 à 15-7), la cour relevant que :
- Legalstart n'est pas spécifiquement dédié aux auto-entrepreneurs mais vise un domaine plus large, pour concerner les TPE et PME ;
- la structure d'ensemble comme la présentation des deux sites n'est pas la même ;
- l'existence d'informations communes sur le statut de l'auto-entreprenariat, comme la mise en ligne de fiches thématiques traitant de ce statut ou d'activités susceptibles d'être exercées sous ce régime, ne saurait faire conclure à l'absence de distinctivité du Portail auto-entrepreneur, laquelle doit être appréciée dans une perspective globale ;
- l'utilisation de la couleur verte de part et d'autre est de même indifférente, cette couleur, déclinée dans des nuances distinctes selon les sites, se faisant l'écho, pour Portail auto-entrepreneur, de la marque semi-figurative éponyme, dont le dépôt est antérieur à celui de la marque « Legalstart » (pièce [S] n° 87).
34. Les éléments de comparaison avec les autres sites dédiés à l'auto-entreprenariat produits par Entrepreneur Europe, qui font apparaître des éléments de rapprochement avec le Portail auto-entrepreneur, pour ce qui concerne la structure et le contenu (pièces EE n° 5-1 à 5-13), les encarts d'inscription (pièces EE n° 6-1 à 6-5), la présentation tarifaire (pièces EE n° 7-1 à 7-6), les lexiques (pièces EE n° 8-1 à 8-8) ou les outils d'aide à la comptabilité et à la facturation (pièces EE n° 9-1 à 9-8), ne sont, de même, pas de nature à remettre en cause la valeur économique individualisée de ce site, qui doit, là encore, être considérée dans une perspective globale, n'excluant pas des points de convergence, voire de similitude, structurels, informationnels et fonctionnels, inhérents à la nature et à l'objet des activités conduites par ce type d'opérateur.
Sur les actes de parasitisme allégués
35. La cour relève que, si les sites litigieux se différencient par leur charte graphique, leur comparaison au 28 février 2020, date des constats d'huissier réalisés à la demande de [S], et les captures d'écran reprises dans les documents de synthèse et conclusions de l'appelante, font apparaître de nombreuses similitudes (pièces [S] n° 3, 9 et 11), pour ce qui concerne :
- la structure et la présentation de la page d'accueil et des onglets des deux sites, qui offrent une analogie visuelle et organisationnelle patente, les six rubriques du Portail auto-entrepreneur étant reprises par l'Espace auto-entrepreneur dans la même forme et suivant le même ordre, sauf l'insertion de deux rubriques intermédiaires ;
- la présentation des services proposés, en trois rubriques analogues (« Qui sommes-nous ' » / « Qui sommes-nous ' » ; « Un interlocuteur unique » / « Un seul interlocuteur » ; « Notre objectif : votre réussite » / « Notre objectif : la réussite de l'entreprenariat »), reprenant chacune des termes et expressions identiques (« démarrer facilement et rapidement », « des dossiers parfaitement constitués et complets », « simplifier l'ensemble du processus ») ;
- la structure et la présentation de la rubrique « S'informer », scindée, de part et d'autre, en deux sous-rubriques, consacrées, l'une, au statut de l'auto-entrepreneur, l'autre, à une base de données offrant aux intéressés un ensemble d'informations et de connaissances relatives à leur exercice professionnel, les dénominations de ces deux bases de données - « L'académie AE » pour le Portail auto-entrepreneur, « La ruche des Auto Entrepreneurs » pour l'Espace auto-entrepreneur - se faisant écho ;
- la présentation des rubriques : « Devenir auto-entrepreneur », « Modifier sa situation » et « Cesser son activité » / « Cesser l'activité » qui, sous réserve de différences induites par les chartes graphiques propres à chacun des deux sites et des photographies d'illustration, reprend systématiquement le même format et la même disposition ;
- les pages d'accueil des bases de données « L'académie » et « La ruche », qui adoptent une présentation identique et traitent des mêmes rubriques, dans le même ordre ;
- la présentation, la liste et les titres des articles généraux sur le statut de l'auto-entrepreneur et des rubriques sur le chiffre d'affaires, le régime fiscal et social, la comptabilité et les aides, qui reprennent la même architecture avec des intitulés proches, sinon analogues ;
- les questions fréquentes du « Centre d'aide », structurées selon les mêmes sous-thèmes, 22 questions étant reprises à l'identique, avec le même libellé et des réponses pareillement structurées, constituant, pour certaines, une reprise pure et simple ;
- le message de confirmation d'abonnement, dont la formulation est identique de part et d'autre.
36. Cette reprise quasi-systématique de la structure et de la présentation du Portail auto-entrepreneur par l'Espace auto-entrepreneur, ainsi que des éléments de contenu précités, atteste la volonté du second de se placer dans le sillage du premier, la cour observant que :
- les autres sites concurrents, qui présentent des rubriques et informations analogues, induites par l'objet même de leur activité et par des considérations fonctionnelles, restent dans une logique d'ensemble distinctive (pièces EE n° 5-1 à 5-13, et 6 à 9) ;
- s'ils comportent des « foire aux questions » et autres rubriques comparables, il n'est nullement établi par l'intimée que les questions et réponses qu'ils traitent reprendraient la même structure et le même contenu que celles mises en ligne sur le Portail auto-entrepreneur ;
- il en va de même pour le message de confirmation d'abonnement ;
- les éléments de présentation, de structure et d'architecture repris par Entrepreneur Europe ne sont dictées par aucune contrainte de substance ou de forme, leur similarité ne pouvant être considérée comme le fruit du hasard, d'une nécessité pratique de navigation ou liée à une information servile tenant au statut ou au régime de l'auto-entreprenariat.
37. Si l'intimée produit des factures attestant la réalisation d'investissements pour son site espace-autoentrepreneur.com, force est de constater qu'aucune de ces pièces ne se rapporte aux éléments de structure et de contenu précités, identifiés comme des reprises attestant la volonté d'Entrepreneur Europe de se placer dans le sillage du Portail auto-entrepreneur, les contributions et articles cités en référence de ces factures étant distinct de ces éléments ou, s'agissant du « statut de l'auto-entrepreneur », constituant des actualisations datées de 2022 (pièces EE n° 11-1 à 11-28).
38. Se trouvent ainsi caractérisés des actes de parasitisme économique commis par Entrepreneur Europe au détriment de [S].
39. Cette qualification ne peut en revanche être retenue pour la présentation des tarifs, le lexique et les services d'aide à la comptabilité et à la facturation, dont l'intimée démontre le caractère usuel au regard des pratiques des autres sites concurrents (pièces EE n° 7-1 à 7-6, 8-1 à 8-8, 9-1 à 9-8).
40. Elle sera, de même, écartée pour ce qui concerne les fiches-métiers, la cour retenant que :
- la mise en ligne de telles fiches est commune aux différents opérateurs du marché ;
- si nombre de fiches publiées par Entrepreneur Europe porte sur les mêmes activités que celles traitées par [S], elles n'en reprennent pas le contenu et ne peuvent être considérées comme des copies serviles, la présentation conduisant à distinguer les qualités et la formation requises pour l'exercice d'une activité, comme l'utilisation de clichés d'illustration s'y rapportant, ne présentant pas un caractère distinctif propre à justifier la protection revendiquée ;
- la reprise d'une thématique ou d'une activité particulière, fût-elle très spécifique, comme « Le joueur de poker professionnel », « Le commerçant ambulant », « Le pet-sitter » ou « Le parieur professionnel », ne peut être considéré comme fautive, l'appelante ne pouvant s'arroger le traitement de ces thématiques, qui sont de libre parcours, étant observé que, dans plusieurs cas, [S] n'a pas été la première à traiter de ces métiers ou activités, ainsi qu'il résulte des pièces produites par l'intimée (pièces EE n° 16-1 à 16-20) ;
- Entrepreneur Europe fournit différentes factures dont il n'est pas établi qu'elles constitueraient des faux, attestant les investissements engagés pour la rédaction de ces fiches.
C. Sur les mesures réparatrices
i. Position de l'appelante
41. [S] sollicite qu'il soit fait interdiction à Entrepreneur Europe de copier et imiter les éléments de structure et de contenus de son site Portail auto-entrepreneur en considération du caractère déloyal de son comportement.
42. Elle demande une mesure de publication judiciaire, qu'elle regarde comme justifiée au regard du profit tiré par l'intimée de la notoriété du Portail auto-entrepreneur et de l'ampleur des actes de parasitisme.
43. Elle revendique une indemnisation au titre de l'avantage concurrentiel indu en exposant que :
- en copiant illégalement la Knowledge Base et le Centre d'aide de [S], essentiels pour attirer et fidéliser sa clientèle, Entrepreneur Europe a économisé les coûts de développement d'un site et de ses ressources, obtenant ainsi un avantage concurrentiel injuste et réalisant une économie d'échelle dont elle évalue le montant à un minimum de 56 700 euros pour la reproduction de 189 articles ;
- plus de 50 factures attestent du coût de rédaction des contenus copiés, chaque article valant en moyenne 300 ' ;
- depuis 2017, [S] a investi 244 519,19 euros dans le développement de son site, portant son investissement total à 301 219,19 euros, dont a indûment profité Entrepreneur Europe ;
- cet avantage doit être ajusté en fonction des volumes d'affaires des parties ;
- en l'absence de communication du chiffre d'affaires de la société mise en cause, le préjudice est estimé à 25 % de l'investissement détourné.
44. Elle invoque en outre un manque à gagner en raison du détournement de trafic de son site Portail auto-entrepreneur vers Espace auto-entrepreneur, en faisant valoir que :
- l'utilisation du logiciel Ahrefs permet d'estimer la valeur financière d'un site internet à partir du trafic enregistré ;
- les mesures opérées conduisent à une estimation de 195 511 euros pour la période de 2020 à 2022 ;
- pour les années 2017 à 2019, la perte ne peut être inférieure à 50 % de celle des années suivantes ;
- cette évaluation repose sur des indicateurs objectifs, notamment la valeur publicitaire du trafic organique et le plagiat de 53 % des articles de l'Académie des auto-entrepreneurs.
45. Elle soutient enfin avoir subi un préjudice moral résultant de l'atteinte à l'image de sa marque en soulignant que le site Espace auto-entrepreneur est référencé comme une arnaque sur plusieurs sites internet avec de nombreux commentaires négatifs.
ii. Position de l'intimée
46. Entrepreneur Europe réplique que l'évaluation du préjudice produite par l'appelante est fantaisiste en ce que :
- en droit, la partie demanderesse qui cherche à se prévaloir d'actes litigieux sans pour autant rapporter la preuve du quantum de son préjudice doit voir sa réparation limitée à l'indemnisation du préjudice moral, à condition que celui-ci existe ;
- en fait, [S] ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle prétend avoir subi, ni de l'étendue de celui-ci ;
- elle ne démontre pas avoir subi une quelconque baisse de ses revenus ou du nombre d'utilisateurs de ses services qui serait imputable à Entrepreneur Europe ;
- elle ne produit aucun élément en lien avec le chiffre d'affaires qu'elle prétend avoir réalisé ou manqué du fait des actes reprochés.
47. Elle expose, sur le manque à gagner allégué par l'appelante, que :
- [S] ne peut pas solliciter à la fois la réparation de ce qu'elle appelle un « avantage commercial indu » et un « manque à gagner », dans la mesure où cela reviendrait à indemniser deux fois un même préjudice qui résiderait selon elle dans un détournement allégué de clientèle ;
- le calcul proposé sur la base de données issues du logiciel Ahrefs est inopérant et ne permet en rien de démontrer le trafic organique d'une page et encore moins de valoriser celui-ci ;
- cette évaluation ne tient pas compte de ce que :
' le manque à gagner s'analyse comme une perte de chance,
' les parties ne tirent pas leurs chiffres d'affaires de leur activité de délivrance d'informations à l'intention des auto-entrepreneurs,
' la « Ruche » n'a été publiée sur le site litigieux que le 12 novembre 2019 de sorte qu'elle ne peut justifier un manque à gagner pour la période antérieure.
48. Elle considère que l'appelante ne produit pas la preuve du préjudice moral qu'elle invoque.
49. Elle conclut enfin au rejet des mesures d'interdiction et de publication sollicitées en faisant valoir que :
- de telles mesures n'ont pas lieu d'être lorsque le préjudice démontré est suffisamment réparé par l'octroi de dommages et intérêts ;
- les interdictions demandées sont sans objet, [S] ayant elle-même modifié l'arborescence, la gamme de prix et la partie non-publique de son site ;
- la présente instance a pour seul objet d'empêcher Entrepreneur Europe d'exercer une activité concurrente à celle de [S].
iii. Appréciation
50. Le parasitisme économique consistant à s'immiscer dans le sillage d'autrui afin de tirer profit, sans bourse délier, de ses efforts et de son savoir-faire, il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, de tels actes, même limités dans le temps (Com., 17 mars 2021, pourvoi n° 19-10.414), la preuve du préjudice subi en lien avec les agissements parasitaires n'étant pas conditionnée à la diminution corrélative du chiffre d'affaires, au détournement caractérisé de la clientèle, ni même à la preuve d'un risque de confusion, qui est indifférent en matière de concurrence parasitaire.
51. Cette présomption de préjudice ne dispense toutefois pas le demandeur de démontrer l'étendue de celui-ci (Com., 12 février 2020, pourvoi n° 17-31.614).
52. Il est par ailleurs admis que, si les effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s'approprier la clientèle ou à désorganiser l'entreprise du concurrent induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, sous la forme d'un manque à gagner et d'une perte subie, y compris sous l'angle d'une perte de chance, tel n'est pas le cas des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels d'un concurrent, tous actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, peuvent être évalués en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes (Com., 12 février 2020, pourvoi n° 17-31.614).
53. La réparation octroyée doit, en toute hypothèse, être à la mesure du préjudice subi et ne peut être disproportionnée (Com., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-10.688).
54. En l'espèce, les actes parasitaires retenus portant sur les efforts et investissements réalisés par [S], le préjudice subi doit être apprécié sous l'angle de l'avantage concurrentiel indu, la cour relevant que la société appelante ne démontre pas, en toute hypothèse, la perte de clientèle qu'elle allègue, laquelle ne peut s'induire de l'analyse comparée du trafic constaté sur les sites concurrents et de la valeur financière qui en résulterait, en l'absence de tout élément permettant d'apprécier la part de clientèle prétendument détournée à raison des actes litigieux.
55. Cet avantage concurrentiel doit être cantonné aux seuls actes parasitaires relevés qui, contrairement à ce que soutient l'appelante, n'incluent pas l'intégralité de sa Knowledge Base mais les seuls éléments du Centre d'aide repris par Entrepreneur Europe, qui peuvent être évalués à la somme global de 6 600 euros, en retenant un coût moyen de 300 euros par article, établi sur la base des factures produites (pièce [S] n° 47), auxquels s'ajoutent le message de confirmation d'abonnement, ainsi que l'ensemble des éléments de structure, de présentation, d'architecture et de développement précités du site, correspondant à un investissement chiffré, à partir des factures produites (pièce [S] n° 42), à la somme globale de 244 519 euros. Le chiffre d'affaires de la société intimée pour la période de référence considérée étant inconnu, l'avantage concurrentiel sera modulé à hauteur de 25 % du montant global des investissements correspondant aux éléments parasités, soit une somme de 62 900 euros.
56. Le préjudice moral revendiqué n'est, quant à lui, pas étayé, en l'absence de répercutions documentée des actes litigieux sur l'image ou la réputation du Portail auto-entrepreneur.
57. Le préjudice subi étant intégralement réparé par l'octroi de dommages et intérêts, les demandes d'injonction sous astreinte et de publication judiciaire seront rejetées, la cour relevant leur caractère disproportionné et injustifié, alors même qu'il résulte des productions versées aux débats que les parties ont fait évoluer la présentation de leurs sites respectifs.
58. Il y a lieu, en considération de l'ensemble de ces éléments, de condamner Entrepreneur Europe à payer à [S] la somme de 62 900 euros en réparation des actes de parasitisme commis à son encontre et de rejeter le surplus des demandes formées par l'appelante.
D. Sur les frais du procès
59. Entrepreneur Europe, qui succombe, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée.
60. Elle sera en outre condamnée à payer à [S] la somme de 20 000 euros, sur le fondement du même article.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Infirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Et, statuant à nouveau,
2) Rejette les demandes de la société Entrepreneur Europe Limited visant à voir écartés des débats ou déclaré nuls les procès-verbaux de constat d'huissier produits par la société [S] AB en pièces n° 3 et 10 ;
3) Dit que la société Entrepreneur Europe Limited a commis des actes de concurrence parasitaire en imitant de nombreux éléments de la structure et du contenu du site portail-autoentrepreneur.fr sur son site espace-autoentrepreneur.com ;
4) Condamne la société Entrepreneur Europe Limited à payer à la société [S] AB la somme de soixante-deux mille neuf cents euros (62 900,00 ') à titre de dommages et intérêts en réparation des dommages causés par les dits actes ;
5) Déboute la société [S] AB du surplus de ses demandes ;
6) Condamne la société Entrepreneur Europe Limited aux dépens ;
7) En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Entrepreneur Europe Limited et la condamne à payer à la société [S] AB la somme de vingt mille euros (20 000,00 ').