CA Montpellier, ch. com., 13 mai 2025, n° 23/05617
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Brasserie Milles (SAS)
Défendeur :
Kronenbourg (SAS), PM Centuri (SAS), Rodriguez Soto (SAS), Epilogue (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Demont
Conseillers :
M. Graffin, M. Vetu
Avocats :
Me Salvignol, Me Fulachier, Me Dahan, Me Szwarc, Me Bouygues
FAITS ET PROCEDURE :
Le 2 octobre 2014, M. [B] [C], qui exploite un fonds de commerce de bar licence IV situé à [Localité 3], a signé une convention de prêt à titre d'aide au développement avec la S.A.S. Brasserie Milles qui lui a consenti un prêt de 30 000 euros remboursables en 72 mensualités.
En contrepartie de ce prêt, M. [C] s'est engagé à s'approvisionner exclusivement auprès de la société Brasserie Milles en bières en fûts de marque Damm, pour une durée de 6 ans à compter du 10 janvier 2015, le volume de bière à débiter dans le point de vente étant évalué à 80 hectolitres de bière en fût par an.
Par acte authentique du 2 octobre 2017, M. [C] a cédé son fonds de commerce à la S.A.S. Rodriguez Soto qui s'est engagée à respecter en toutes causes et conditions le contrat de réapprovisionnement.
En outre, le 10 octobre 2017, la société Brasserie Milles, la société Malaval et la société Rodriguez Soto ont signé une convention tripartite par laquelle la brasserie mettait à disposition du client final une machine à café 2 groupes neuve de marque UNIDIC modèle classique d'une valeur de 5 062,80 euros TTC.
Toutefois, le 24 juillet 2019, la société Rodriguez Soto a indiqué à la société Brasserie Milles son intention de résilier le contrat d'approvisionnement à la date du 31 juillet 2019.
Par exploit d'huissier du 8 janvier 2021, la société Brasserie Milles a assigné la société Rodriguez Soto, la société Kronenbourg et la S.A.S. PM Centuri, venant aux droits de la société Établissement Malaval, en responsabilité civile contractuelle de la société Rodriguez Soto et en responsabilité civile délictuelle des sociétés Kronenbourg et PM Centuri et en paiement des sommes de 6 059,21 euros correspondant aux indemnités de rupture, 5 062,81 euros au titre du matériel, 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour pratique commerciale déloyale, outre 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 20 septembre 2023, le tribunal de commerce de Montpellier a :
condamné la société Rodriguez Soto à verser à la société Brasserie Milles la somme de 5 279,27 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat en litige ;
rejeté la demande de paiement au titre du contrat de mise à disposition d'une machine à café ;
débouté la société Brasserie Milles de toutes ses demandes formées à l'encontre de la société PM Centuri ;
débouté la société Brasserie Milles de toutes ses demandes formées à l'encontre de la société Kronenbourg ;
débouté la société PM Centuri de sa demande de dommages et intérêts au montant de la somme de 10 000 euros pour le caractère abusif de l'instance
ordonné l'exécution provisoire ;
et condamné la société Brasserie Milles à payer aux sociétés PM Centuri, Rodriguez Soto, et Kronenbourg la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration du 14 novembre 2023, la société Brasserie Milles a relevé appel de ce jugement.
Par jugement du 17 novembre 2023, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Rodriguez Soto et a désigné la S.A.R.L Épilogue, prise en la personne de Me [D] [I], en qualité de mandataire judiciaire.
Le 16 janvier 2024, la société Brasserie Milles a déclaré sa créance à la procédure collective.
Par conclusions du 22 janvier 2024, la société Brasserie Milles demande à la cour, au visa des articles 1103, 1165, 1231-1 et 1240 du code civil, de :
réformer le jugement entrepris ;
juger que la société Rodriguez Soto a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard ;
juger que les sociétés Kronenbourg et PM Centuri, venant aux droits de la société Établissement Malaval, ont engagé leur responsabilité délictuelle en se rendant complices en toute connaissance de cause, de la violation du contrat d'approvisionnement ;
les condamner solidairement en conséquence à lui payer les sommes de :
5 279,27 euros correspondant aux indemnités de rupture ;
5 062,81 euros au titre du matériel ;
3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour leur pratique commerciale déloyale ;
5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
inscrire ces sommes ainsi que les dépens de la procédure au passif de la procédure collective de la société Rodriguez Soto ;
et les condamner solidairement aux entiers dépens.
Par conclusions du 8 avril 2024, la société PM Centuri, venant aux droits de la société Etablissement Malaval, demande à la cour, au visa des articles 1240 et suivants du code civil et de l'article L. 121-1 du code de commerce, de :
constater que la société Brasserie Milles ne fait état ni ne prouve l'existence de quelconques faits fautifs imputables à la société Établissement Malaval et qui soient de nature à engager leur responsabilité civile délictuelle, notamment en raison du fait de pratiques commerciales déloyales ;
confirmer le jugement entrepris en conséquence et la débouter de toutes ses demandes ;
constater que le matériel mis à disposition de la société Rodriguez Soto par la société Brasserie Milles dans le cadre de la convention de mise à disposition du 10 octobre 2017 a bien été restitué par celle-ci à la société Établissement Malaval lorsqu'elle a cessé ses approvisionnements, et que la société Brasserie Milles, malgré les multiples offres qui lui ont été faites d'en prendre possession, n'en a rien fait ;
constater qu'elle ne justifie pas de la valeur d'origine d'achat de la machine à café mise à disposition dans le cadre de la convention du 10 octobre 2017 et qu'elle n'a pas déféré à la sommation de produire aux débats la facture d'acquisition de ce matériel auprès de son fournisseur ni les éléments comptables de nature à permettre d'apprécier la valeur invoquée et de dire si elle est ou non justifiée ;
constater qu'une machine à café de même type que celle mise à disposition dans le cadre de la convention du 10 octobre 2017 auprès de la société Rodriguez Soto, émanant du même fabriquant fournisseur Unic est de 1 521,22 euros HT ;
et la condamner à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 15 avril 2024, la société Kronenbourg demande à la cour, au visa des articles 1240 et suivants du code civil, de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Brasserie Milles de l'intégralité de ses demandes dirigées à son encontre ;
la débouter de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre ;
et la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
La société Rodriguez Soto, qui a été assignée le 11 janvier 2024 selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat.
La S.A.R.L Épilogue, prise en la personne de Me [D] [I], en qualité de mandataire judiciaire, destinataire de la déclaration d'appel à sa personne morale par acte d'huissier en date du 11 janvier 2024, n'a pas non plus constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est datée du 5 mars 2025.
MOTIFS :
Sur les demandes dirigées contre la société Rodriguez Soto
Le contrat d'approvisionnement du 2 octobre 2014 prévoyait l'approvisionnement exclusif des bières de marque Damm, pour une durée de 6 ans à compter du 10 janvier 2015, le volume de bière à débiter dans le point de vente étant évalué à 80 hectolitres de bière en fûts par an, soit 480 hl sur la durée.
Le contrat a été résilié à l'initiative de la société Rodriguez Soto à effet du 31juillet 2019. Il devait prendre fin le 10 janvier 2021, soit pour une durée supplémentaire de 16 mois selon le calcul non discuté sur ce point de la société Brasserie Milles.
L'article 6 du contrat prévoit que « le non-respect total ou partiel par le débitant de l'une ou l'autre de ses obligations, entraînera de plein droit, sans formalité, le remboursement immédiat de la totalité des effets non réglés et non échus, ou encore le paiement immédiat du montant des fournitures pouvant rester dues. Il sera également redevable à titre d'indemnité de rupture unilatérale de la présente convention, une somme égale à 20 % des achats restant à réaliser pour aller aux termes du contrat. Tout le matériel mis à disposition du débitant par la Brasserie Milles en exécution des présentes ou en tout autre occasion devra dans cette hypothèse lui être restitué sans délai ou remboursé à sa valeur d'origine ».
S'agissant du calcul du montant de l'indemnité de rupture, la clause du contrat d'approvisionnement exclusif est claire et précise dans les modalités de son calcul correspondant à 20 % des achats restant à réaliser pour aller jusqu'au terme du contrat, même s'il est démontré que la société Rodriguez Soto s'était approvisionnée avant la date de résiliation pour des volumes supérieurs à 80 hl par an.
Ainsi, le volume annuel d'approvisionnement en bière de 80 hl, soit 6,66 hl par mois, est égal à 106,56 hl sur la période restant à couvrir de 16 mois, au prix selon les dernières factures entre les parties de 284,31 euros / hl, soit en définitive un montant de 6 059,21 euros.
La société Rodriguez Soto ayant payé au titre de l'indemnité de rupture la somme de 779,94 euros, le solde dû est de 5 279,27 euros.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Par ailleurs, la convention de mise à disposition de matériel de café du 10 octobre 2017 prévoit qu'en cas de violation des stipulations du contrat et de résiliation de ce dernier, « la brasserie demandera au distributeur et client, à sa convenance, la restitution des matériels mis à disposition ou bien le remboursement de leur valeur d'origine », de sorte que la société Rodriguez Soto ayant cessé de s'approvisionner auprès d'elle, la société brasserie Milles est parfaitement en droit de solliciter la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 5 062,81 euros correspondant à la valeur d'origine du matériel, mentionnée à la convention et qui est donc connue dès lors origine par le client final et par l'intermédiaire, peu important qu'il soit justifié que la société Rodriguez Soto soit en possession du matériel selon le procès-verbal de constat d'huissier du 3 janvier 2023.
En outre, la clause laissant au brasseur, et à lui seul, le choix de solliciter, lorsque le distributeur manque à l'une de ses obligations contractuelles, soit la restitution du matériel donné en dépôt, soit son paiement en valeur d'origine, n'est pas abusive dans la mesure où cette mise à disposition de matériel neuf permet au débitant de s'installer en limitant ses frais et de jouir de ce matériel le temps qu'il désire, et que de plus la valeur d'origine qui peut lui être réclamée, d'une part est inférieure à sa valeur actualisée et, d'autre part, représente l'amortissement dont a été privé le brasseur durant le temps de la mise à disposition, de sorte que la valeur d'origine des matériels telle que résultante des conventions initiales était parfaitement justifiée et connue des deux parties.
Partant, la société PM Centuri est également défaillante à démontrer que cette clause devrait être qualifiée de clause pénale susceptible de modération par le juge comme elle le soutient à tort.
En effet, d'une part la stipulation qui détermine la contrepartie d'une prérogative contractuelle n'est pas une clause pénale, ce qui est le cas en l'espèce puisque la sanction de l'inexécution est le paiement de la valeur d'origine du matériel mis à disposition, alors d'autre part que le montant réclamé au titre de la valeur d'origine correspond au préjudice exact que subit le créancier, ce qui n'est pas non plus le cas d'une clause pénale.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Il sera en conséquence fixée au passif de la procédure collective de la société Rodriguez Soto la somme de 10 342,08 euros.
Sur les demandes dirigées contre les sociétés PM Centuri et Kronenbourg au titre d'une tierce complicité
Au préalable, s'agissant de la prise en charge contestée du passif par la société absorbante, le projet de traité de fusion-absorption datée du 26 juin 2020 déposé le 3 juillet 2020 en annexe du RCS du greffe du tribunal de commerce de Montpellier prévoit que « tout passif complémentaire apparu chez la société absorbée entre la date des faits et la date de réalisation, ainsi que plus généralement tout passif afférent à l'activité de la société absorbée et non connu ou non prévisible à ce jour, viendrait apparaître ultérieurement, sera pris en charge par la société absorbante » (article 7.2).
Il en résulte que les différents moyens soulevés par la société PM Centuri tenant notamment à une apparition postérieure à la fusion de la créance, ainsi qu'à la date de ses effets juridiques, et qui entraîneraient l'irrecevabilité de la demande de la société Brasserie Milles seront rejetés.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Ensuite, sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil, la société Brasserie Milles soutient que les sociétés PM Centuri et Kronenbourg, en qualité de tiers au contrat d'approvisionnement, se sont rendues complices de la violation par la société Rodriguez Soto de ses obligations contractuelles, engageant ainsi leur responsabilité délictuelle.
La tierce complicité suppose la connaissance du contrat violé et la participation à cette violation.
Il résulte des productions que le 24 juillet 2019, le conseil de la société Rodriguez Soto a écrit à la société Brasserie Milles en lui indiquant que les contrats des 2 octobres 2014 et 10 octobre 2017 seraient résiliés à effet du 31 juillet 2019, dans la perspective de nouvelles conventions commerciales avec la société Kronenbourg.
Cette résiliation a ensuite été prononcée malgré l'information donnée par la société Brasserie Milles audit conseil de la durée de la convention en cours annoncée comme étant jusqu'au mois d'octobre 2020.
La société Brasserie Milles justifie avoir informé le 29 juillet 2019 la société Kronenbourg de l'existence de la convention en cours et de sa durée.
Cependant, elle ne rapporte pas la preuve de la connaissance par la société PM Centuri de la convention litigieuse, se bornant à soutenir que cette dernière ne pouvait l'ignorer compte tenu de ses relations de proximité avec les deux sociétés pour lesquelles elle jouait un rôle d'intermédiaire, et de la circonstance que la société PM Centuri et la société Rodriguez Soto avaient le même avocat, étant par ailleurs rappelé que la société PM Centuri n'était pas partie à la convention d'approvisionnement litigieuse.
Par ailleurs, les relations commerciales entre la société Rodriguez Soto et les sociétés PM Centuri et Kronenbourg ont été ensuite établies au mois d'août 2019, soit postérieurement à la résiliation.
Cependant, il ne résulte ni de cette chronologie ni des pièces produites la démonstration par la société Brasserie Milles de la participation active et donc d'une complicité de la société Kronenbourg dans la résiliation fautive du contrat d'approvisionnement par la société Rodriguez Soto.
De surcroît, dans l'acte de cession des actions de la société Rodriguez Soto, qui sera signé quelques jours plus tard, soit le 6 août 2019, s'il est fait mention de l'intervention de la société Kronenbourg dans l'octroi du prêt accordé par la Banque Populaire du Sud à Messieurs Soto et Soto Rojas, cessionnaires, en contrepartie de la régularisation avec elle de conventions commerciales, il ne s'évince pas non plus de cette mention la participation de la société Kronenbourg à la résiliation antérieure du contrat d'approvisionnement et donc d'une participation active avec la société Rodriguez Soto à la résiliation fautive de ce dernier.
Les demandes formées par la société Brasserie Milles seront en conséquence rejetées et le jugement confirmé de ce chef.
Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions pour une meilleure compréhension de l'arrêt.
L'équité ne commande pas de condamner la société Brasserie Milles, partie partiellement succombante sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant
Fixe au passif de la procédure collective de la S.A.S. Rodriguez Soto la somme de 10 342,08 euros,
Déboute la S.A.S. Brasserie Milles de toutes ses autres demandes,
Fixe au passif de la procédure collective de la S.A.S. Rodriguez Soto les dépens de première instance et d'appel, ainsi que la créance de la S.A.S. Brasserie Milles à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et rejette les autres demandes.