CA Versailles, ch. com. 3-2, 13 mai 2025, n° 24/01242
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Optic Millemium (SAS)
Défendeur :
Groupement d'achats des opticiens lunetiers - GADOL (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerlot
Vice-président :
M. Roth
Conseiller :
Mme Cougard
Avocats :
Me Zerhat, Me Debray, Me de Watrigant, SCP Angel-Duval, SELEURL Cabinet Deminsten, AARPI Ohana Zerhat
EXPOSE DU LITIGE
La société coopérative à capital variable Gadol Optic 2000 (la coopérative) regroupe des commerçants indépendants exploitant notamment des magasins d'optique à l'enseigne Optic 2000, marque dont elle est propriétaire.
La SAS Optic Millenium (l'opticien), créée en 2002, est adhérente de la coopérative ; elle exploite quatre magasins d'optique.
En juin 2019, considérant que l'opticien s'était fourni auprès d'autres fournisseurs, la coopérative lui a interdit l'accès à ses fournisseurs et à ses services après-vente.
Le 4 novembre 2019, le conseil d'administration de la coopérative a décidé d'exclure l'opticien et lui a interdit d'exercer son activité sous l'enseigne Optic 2000.
Le 18 mai 2020, l'opticien a assigné la coopérative devant le tribunal de commerce de Nanterre en indemnisation d'une rupture brutale des relations commerciales.
Le 6 novembre 2020, l'opticien a assigné la coopérative devant ce même tribunal afin d'obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de son exclusion.
Le 7 septembre 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la jonction des deux affaires.
L'opticien a réclamé la condamnation de la coopérative à lui verser à titre de dommages-intérêts les sommes de 3 124 967 euros HT en réparation de son préjudice financier et de 500 000 euros HT en réparation de son préjudice d'image, outre une indemnité de procédure de 40 000 euros.
Le 24 janvier 2024, par jugement contradictoire, le tribunal de commerce a :
- débouté la société Optic Millenium de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la société Gadol Optic 2000 de sa demande de dommages-intérêts ;
- condamné la société Optic Millenium à payer à la société Gadol la somme de 75 508 euros au titre des impayés ;
- débouté la société Gadol Optic 2000 de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- condamné la société Optic Millenium à payer à la société Gadol Optic 2000 la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Optic Millenium aux entiers dépens.
Le 20 février 2024, l'opticien a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions, sauf en celles ayant rejeté les demandes de dommages-intérêts formulées par la coopérative.
Le 20 juin 2024, le premier président de la cour d'appel a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire attachée à ce jugement formulée par l'opticien.
Le 2 octobre 2024, le tribunal de commerce de Compiègne a placé l'opticien en redressement judiciaire, désigné la société Angel-[K]-Duval en qualité de mandataire judiciaire et la société V&V en qualité d'administrateur judiciaire.
Le 16 octobre 2024, par ordonnance d'incident, le conseiller de la mise en état a notamment rejeté la demande de radiation formulée par la coopérative et dit que les dépens afférents à l'incident suivront les dépens de l'instance au fond.
Par dernières conclusions du 19 février 2025, l'opticien, ainsi que les sociétés Angel-[K]-Duval et V&V, intervenantes à titre volontaire, demandent à la cour d'infirmer le jugement du 24 janvier 2024 en ce qu'il a
- débouté la société Optic Millenium de l'ensemble de ses demandes ;
condamné la société Optic Millenium à payer à la société Gadol Optic 2000 la somme 75 508 euros au titre des impayés ;
condamné la société Optic Millenium à payer à la société Gadol Optic 2000 la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Optic Millenium aux entiers dépens ;
Et statuant à nouveau :
- débouter la société Gadol Optic 2000 de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions ;
- déclarer la société Optic Millenium recevable en ses demandes, fins et conclusions, et la déclarant bien fondée ;
- juger que la société Gadol Optic 2000 a exclu abusivement et sans fondement sérieux, légitime, loyal et motivé, la société Optic Millenium de la coopérative ;
- condamner la société Gadol Optic 2000 à verser à la société Optic Millenium la somme de 3 335 747 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier ;
- condamner la société Gadol Optic 2000 à verser à la société Optic Millenium à la somme de 50 000 euros HT à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'image ;
En tout état de cause :
- dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la date d'assignation ;
- condamner la société Gadol Optic 2000 à payer à la société Optic Millenium la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Gadol Optic 2000 aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Maître Deminsten, avocat au barreau de Paris.
Par dernières conclusions d'intimé et d'appelant incident du 26 février 2025, la coopérative demande à la cour de :
- déclarer l'appel mal fondé et débouter la société Optic Millenium de l'ensemble de ses demandes ;
- confirmer le jugement du 24 janvier 2024, en ce qu'il a :
débouté la société Optic Millenium de la totalité de ses demandes indemnitaires, et contestations de procédure d'exclusion ;
condamné la société Optic Millenium à lui payer une somme en principal de 75 508 euros au titre de plusieurs factures impayées, dont les plus anciennes remontent à 2014 ;
condamné la société Optic Millenium au paiement d'une somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- réformer le jugement du 24 janvier 2024 en ce qu'il a refusé de condamner la société Optic Millenium à lui payer des dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Et statuant à nouveau en appel :
- dans l'hypothèse où la société Optic Millenium soutiendrait une demande de réparation au titre de l'article L. 442-1 du code de commerce ou d'une rupture brutale et abusive de relations commerciales, juger irrecevable cette demande, ou se déclarer incompétent de ce chef sur le fondement des articles L. 442-1, L. 442-4 et D. 442-3 du code de commerce ;
En toutes hypothèses, et si la cour retient sa compétence :
- dans l'hypothèse où la société Optic Millenium soutiendrait une demande de réparation au titre de l'article L. 442-1 du code de commerce ou d'une rupture brutale et abusive de relations commerciales, juger irrecevable cette demande nouvelle en cause d'appel, au visa des articles 564 à 567 du code de procédure civile ;
- juger irrecevables les demandes de la société Optic Millenium, pour défaut d'intérêt à agir ;
- débouter la société Optic Millenium de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions, et notamment de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouter la société Optic Millenium de sa demande en réparation d'un préjudice d'image ;
- condamner la société Optic Millenium à lui payer ou inscrire au passif de la société Optic Millenium la somme en principal de 75 508 euros au titre des impayés, assortie des intérêts au taux légal, portant eux-mêmes intérêts depuis l'assignation du 18 mai 2020 ;
- condamner la société Optic Millenium à lui payer ou inscrire au passif de la société Optic Millenium la somme de 200 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, assortie des intérêts au taux légal, portant eux-mêmes intérêts depuis l'assignation du 18 mai 2020 ;
Et en tout état de cause,
- condamner la société Optic Millenium à lui payer ou inscrire au passif de la société Optic Millenium la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Optic Millenium aux dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 27 février 2025.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
1- Sur la demande en paiement de la coopérative
L'opticien conteste devoir les sommes qui lui sont ainsi réclamées au titre de " pénalités taux de fidélité ", faisant valoir que ce type de pénalité n'est prévue par aucun document contractuel ; que l'article 2.7 du règlement intérieur de la coopérative, qui paraît s'y rapporter, constitue une clause d'approvisionnement exclusif dont la durée de validité est limitée à 10 années ; qu'aucune délibération du conseil d'administration fixant le taux de fidélité prévu à l'article 2.7 n'est produite ; que le calcul de la somme réclamée n'a jamais été précisé par la coopérative ; qu'elle a contesté cette facturation par un mail du 1er août 2019.
La coopérative fait valoir que la somme de 75 058 euros HT lui est due au titre des prestations qu'elle a facturées à l'opticien ; que celui-ci n'a jamais contesté ces facturations avant son exclusion.
Réponse de la cour
L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Selon l'article L. 124-1 du code de commerce, les sociétés coopératives de commerçants détaillants ont pour objet d'améliorer par l'effort commun de leurs associés les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leur activité commerciale ; à cet effet, elles peuvent notamment, directement ou indirectement, fournir en totalité ou en partie à leurs associés les marchandises, denrées ou services, l'équipement et le matériel nécessaires à l'exercice de leur commerce, notamment par la constitution et l'entretien de tout stock de marchandises, la construction, l'acquisition ou la location ainsi que la gestion de magasins et entrepôts particuliers, l'accomplissement dans leurs établissements ou dans ceux de leurs associés de toutes opérations, transformations et modernisation utiles.
Les statuts de la coopérative en cause ne sont produits par aucune des parties.
L'article 2.3 du règlement intérieur de la coopérative stipule que le conseil d'administration fixe chaque année le prix des différentes prestations fournies par la coopérative, y compris les redevances annuelles ; son article 2.6.2, que la société coopérative peut intervenir comme centrale d'achat ou centrale de référencement, avec pour mandat, en cette dernière qualité, de recevoir les factures et de payer les fournisseurs.
L'article 3.2 stipule que les factures adressées par la coopérative à l'associé sont majorées, à titre d'avance de trésorerie, de divers pourcentages selon le retard apporté aux paiements.
L'article 2.7 prévoit une pénalité à l'encontre des associés pour insuffisance d'achat à la coopérative.
L'appelante ne sollicite pas l'annulation d'aucune de ces clauses et ne demande pas à la cour de les déclarer caduques ; le moyen qu'il tire de la " durée de validité " de la clause de pénalité est donc inopérant.
De l'article L. 124-1 précité, de ces stipulations du règlement intérieur et des écritures des parties il résulte que la coopérative fournit à ses adhérents un certain nombre de prestations de services donnant lieu à des facturations, ce qui occasionne entre eux des flux financiers permanents.
Sont produites cinq mises en demeures faites à l'opticien par lettre recommandée avec accusé de réception entre le 6 décembre 2018 et le 26 mars 2019 d'avoir à régler à la coopérative diverses sommes impayées ; en dernier lieu, le 26 mars 2019, la somme globale de 58 967,86 euros.
Le détail des factures produites montre que les sommes imputées à l'opticien, au crédit ou au débit, consistent en des avoirs ducroire, à des ristournes, à des avances de trésorerie, à des pénalités.
Il résulte notamment de la facture jointe à la mise en demeure du 12 décembre 2018 que certaines des prestations portées au débit de l'opticien ont été réalisées en 2014.
Par un courriel du 29 juillet 2019, l'opticien s'est contenté d'opposer aux mises en demeure susvisées émanant de la coopérative une fin de non-recevoir, affirmant qu'il ne les paierait pas, n'en ayant pas les moyens.
La cour retient que les facturations faites à l'opticien correspondent aux sommes dues à la coopérative au titre des prestations de services fournies à celui-ci et des pénalités prévues au règlement intérieur, dont le calcul est suffisamment justifié par les termes de ce règlement et par les factures produites ; que la demande est entièrement justifiée par les pièces produites, ainsi que le tribunal de commerce l'a retenu à juste titre.
Le jugement entrepris sera en conséquence approuvé en ce qu'il a alloué à la coopérative la somme de 75 508 euros au titre des impayés, la cour n'ayant pas à prononcer cette condamnation hors taxes. Mais, compte tenu de la procédure collective dont l'appelante fait l'objet, cette somme sera simplement fixée à son passif, le jugement étant infirmé en ce qu'il a prononcé sa condamnation. Il convient en outre de dire que, selon la demande, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2020.
2- Sur les demandes indemnitaires de l'opticien
2-1. Sur la compétence de la cour
L'appelante fait valoir qu'elle a renoncé en première instance au fondement pris de l'article L. 442-1, pour se fonder sur le droit commun, de sorte que la procédure est régularisée et que la demande d'incompétence est sans objet.
La coopérative soutient qu'au regard des dispositions des article L. 442-1 et L. 442-4 du code de commerce, le tribunal de commerce de Nanterre et la cour d'appel de Versailles à sa suite sont incompétentes pour connaître de l'action de l'opticien fondée sur la rupture des relations commerciales abusives.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 442-4, III, les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, inséré dans une section relative aux pratiques restrictives de concurrence, sont attribués à des juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.
Ce texte institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir (Com., 18 octobre 2023, n° 21-15.378, publié ; Com., 29 janv. 2025, n° 23-15.842, publié, revenant sur Com, 24 septembre 2013, n°12-21.089, publié).
L'opticien ayant renoncé à invoquer les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce au soutien de ses demandes, la question de la compétence de la cour d'appel de Versailles au regard de ces textes est sans objet.
Au reste, le régime spécial décrit ci-dessus n'est pas applicable aux relations entre une coopérative et ses adhérents (Com, 18 octobre 2017, n°16-18.864, publié).
La cour se déclarera donc compétente.
2-2. Sur la recevabilité de la contestation de l'exclusion
L'opticien fait valoir que, le 4 novembre 2019, la coopérative a voté son exclusion définitive ; qu'il n'était pas tenu d'exercer préalablement à son action en justice un recours devant l'assemblée générale.
La coopérative soutient que l'opticien est dépourvu d'intérêt à agir, la contestation de la décision d'exclusion ayant déjà été purgée, l'opticien ayant fait appel de la décision d'exclusion devant l'assemblée générale, de sorte que cette décision n'était pas définitive au jour de l'introduction de l'instance.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 124-10 du code de commerce, dans une société coopérative de commerçants détaillants, l'exclusion d'un associé peut être prononcée par le conseil d'administration ; tout associé frappé d'une mesure d'exclusion a la possibilité de faire appel de cette décision devant l'assemblée générale ou l'assemblée des associés qui statue sur son recours lors de la première réunion ordinaire qui suit la notification de l'exclusion.
Un associé coopérateur exclu d'une coopérative par décision du conseil d'administration peut engager directement une action en justice pour faire constater que son exclusion n'était pas fondée, sans avoir à saisir au préalable l'assemblée générale d'un recours contre cette décision, un tel recours n'étant qu'une faculté et non une obligation (1ère Civ., 29 octobre 1984, n°83-11.412, publié ; 1ère Civ., 22 oct. 1996, n°94-12.912 ; Com., 18 janv. 2011, n° 09-68.911).
Si l'opticien a fait appel devant l'assemblée générale de la coopérative de la décision d'exclusion prise à son égard par le conseil d'administration de celle-ci, laquelle s'est prononcée le 28 septembre 2020, soit postérieurement à son assignation introductive d'instance, il n'était pas tenu d'exercer ce recours, de sorte que l'absence de son exercice au jour de l'introduction de l'instance n'est pas de nature à rendre son action en contestation de son exclusion irrecevable.
Il convient donc, de ce chef également, ajoutant au jugement, de dire l'action de l'opticien recevable.
2-3. Sur le caractère abusif de l'exclusion
L'opticien soutient que son exclusion est irrégulière, son dirigeant n'ayant pas assisté à l'assemblée générale du 28 septembre 2020 l'ayant confirmée, alors même que le procès-verbal de cette assemblée mentionne sa présence ; que la lettre du 12 octobre 2020 lui confirmant son exclusion est dépourvue de toute motivation ; que son exclusion est abusive comme ne reposant sur aucun motif sérieux et légitime ; que le retard de paiement de la somme de 75 508 euros n'est pas l'un des motifs visés aux statuts de la coopérative comme pouvant emporter exclusion d'un adhérent ; que c'est à tort que la coopérative lui a reproché de violer la clause d'approvisionnement.
La coopérative prétend que la décision d'exclusion repose sur des motifs sérieux et légitimes, savoir le refus persistant de l'opticien de s'acquitter des sommes dont il était redevable envers elle.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 124-10 du code de commerce, dans une société coopérative de commerçants détaillants, si la décision tendant à exclure un associé n'est pas justifiée par un motif sérieux et légitime, le juge peut lui allouer des dommages-intérêts.
L'exclusion contestée est celle résultant de la décision du conseil d'administration de la coopérative du 4 novembre 2019 et de sa confirmation par l'assemblée générale de la coopérative le 28 septembre 2020.
Il a déjà été relevé que les statuts de la coopérative n'étaient pas produits.
Toutefois, il résulte des écritures concordantes des parties que leur article 8.2 prévoit :
L'exclusion d'un associé peut être prononcée par le conseil d'administration pour des motifs pour des motifs sérieux et légitimes, l'intéressé étant dûment convoqué pour être entendu. Constituent notamment des motifs sérieux et légitimes : l'impossibilité de faire face au règlement des échéances ; (') la violation par l'associé des Statuts, du Règlement intérieur, du Règlement d'utilisation de la marque, des conditions générales de vente.
L'opticien a été convoqué devant le conseil d'administration de la coopérative, puis, en appel, devant son assemblée générale, par des courriers dont le contenu explicite, mentionnant la possibilité de son exclusion, n'est pas critiqué.
Si l'appelante conteste la régularité de la délibération de l'assemblée générale du 28 septembre 2020 ou de son procès-verbal, elle n'en sollicite pas l'annulation ; au reste, le fait que son dirigeant, dûment convoqué, n'y ait pas comparu, ne constitue aucune irrégularité.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, la lettre par laquelle lui a été signifiée la décision prise en assemblée générale le 28 septembre 2020 n'avait pas à être motivée.
Pour prononcer, à l'unanimité, l'exclusion de l'opticien, le conseil d'administration de la coopérative réuni le 4 novembre 2019 a retenu que celui-ci était régulièrement débiteur de sommes diverses depuis décembre 2018, malgré de multiples relances par courrier ; qu'il devait la somme de
75 508,03 euros ; qu'un courrier recommandé avec accusé de réception du 1er août 2019 l'avait mis en demeure de régulariser la situation ; que les statuts prévoient que le non-paiement des sommes dues constitue un motif sérieux et légitime d'exclusion ; que cette situation est en effet préjudiciable à l'ensemble des associés. Le procès-verbal mentionne que M. [N], dirigeant de la société Optique Millenium, a été entendu en ses explications.
L'assemblée générale du 28 septembre 2020 se borne à confirmer cette décision, sans motivation supplémentaire.
Il a été établi qu'à la date de la décision d'exclusion, l'opticien avait accumulé envers la coopérative des impayés d'un montant total de quelque 75 000 euros, les factures les plus anciennes ayant été établies au titre de l'année 2014.
Ces impayés persistants constituent un motif d'exclusion entrant dans les prévisions de l'article 8.2 des statuts de la coopérative, mais aussi un manquement aux diverses stipulations précitées de son règlement intérieur prévoyant la facturation aux adhérents de diverses prestations de services et pénalités auxquelles cet article 8.2 renvoie.
La cour considère que se trouve ainsi justifié un motif sérieux et légitime d'exclusion au sens de l'article L. 124-10 du code de commerce.
Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a écarté toutes les demandes indemnitaires de l'opticien.
3- Sur la demande indemnitaire formulée par la coopérative
Au soutien de cette demande, la coopérative fait valoir que l'opticien n'a jamais proposé d'apurer sa dette ; qu'elle a pris l'initiative de désidentifier ses magasins sans attendre le résultat de l'appel de la décision d'exclusion qu'elle avait formé devant l'assemblée générale, alors que ce recours était suspensif ; qu'elle a engagé deux actions successives devant le tribunal de commerce sans même attendre le résultat de ce recours ; que ses prétentions traduisent une volonté de nuire ; que l'assignation introductive d'instance accusait la coopérative de pratiques frauduleuses et ses administrateurs de collusion avec les fournisseurs ; qu'elle a manqué à son obligation de désidentifier l'un de ses points de vente, ainsi qu'en atteste un constat du 26 novembre 2024.
L'opticien soutient que son action est justifiée et exclusive d'abus ; que le comportement procédural de la coopérative est répréhensible, qui a refusé le report de la date de l'assemblée générale du 28 septembre 2020, alors que son dirigeant était indisponible ; que le procès-verbal de cette assemblée mentionne pourtant qu'il y était présent, ce qui constitue un faux ; qu'elle a dans un premier temps réclamé en réparation du prétendu abus de procédure qu'elle allègue une somme de plus de 2 millions d'euros, sans aucun justificatif.
Réponse de la cour
Le droit d'agir en justice ne saurait dégénérer en abus qu'en cas de faute équipollente au dol.
La cour constate, au vu des motifs et du dispositif des conclusions de la coopérative, que le préjudice dont elle réclame réparation est exclusivement celui lié à l'abus qu'elle allègue dans l'introduction contre elle des actions en justice intentées contre elle par l'opticien, à l'exclusion de tout préjudice lié à l'utilisation illicite de la marque Optic 2000 dont elle est propriétaire.
Le fait pour l'opticien d'avoir introduit une action en justice en vue de contester son exclusion dès après son prononcé par le conseil d'administration de la coopérative ne peut lui être imputé à faute, dès lors que c'était un droit pour lui que d'intenter une telle action sans attendre la délibération de l'assemblée générale devant laquelle il avait formé un recours.
Si l'action de l'opticien est mal fondée, elle ne l'est pas au point de constituer un abus du droit d'agir en justice.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formulée par la coopérative.
4- Sur les demandes accessoires
L'équité commande la fixation des dépens et de l'indemnité de procédure prévue au dispositif à la procédure collective de l'appelante, ce qui implique l'infirmation du jugement entrepris.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant contradictoirement,
Se déclare compétente ;
Dit recevable l'action de la société Optic Millenium ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la société Optic Millenium et la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formulée par la société Gadol Optic 2000 ;
L'infirme pour le surplus ;
Et statuant à nouveau,
Fixe au passif de la procédure collective de la société Optic Millenium la somme de 75 508 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2020 ;
Condamne la société Optic Millenium aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société Optic Millenium à verser à la société Gadol Optic 2000 la somme de 8 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
Rejette le surplus des prétentions des parties.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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