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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 mai 2025, n° 23/00202

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Service Prestige (SA), Service Prestige Developpement (SAS)

Défendeur :

Emirates (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Ranoux-Julien, Mme Prigent

Avocats :

Me Javaux, Me Etevenard, Me Dreux

T. com. Paris, 13e ch., du 12 sept. 2022…

12 septembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Emirates est une compagnie aérienne dont le siège est situé à [Localité 6] (Emirats Arabes Unis).

La société Service Prestige est une société de droit français qui assure un service de transport de personnes en voitures de grande remise. Depuis 1997, elle assure ces prestations au bénéfice des passagers business et first class de la compagnie aérienne Emirates arrivant aux aéroports de [11], puis ultérieurement de [Localité 9] et [Localité 8].

La société Service Prestige développement, filiale de la société Service Prestige est liée à sa maison mère par un contrat de prestations de service notamment pour gérer la centrale de réservation des voitures avec chauffeur pour les aéroports de [Localité 10], [Localité 9] et de [Localité 8].

Les relations entre la société Emirates et la société Service Prestige ont été formalisées par une succession de contrats à durée déterminée sans clause de renouvellement tacite, les derniers étant arrivés à échéance le 30 juin 2019.

Le 30 janvier 2019, la société Emirates a informé la société Service Prestige qu'elle souhaitait mettre en place un appel d'offres pour la fourniture des services de transport avec chauffeur.

Par lettre du 23 juillet 2019, la société Emirates a proposé à la société Service Prestige de prolonger leurs relations pour une période de 12 mois jusqu'au 30 juin 2020 dans des conditions identiques à celles en vigueur pour les contrats arrivés à échéance le 30 juin 2019 tout en prévenant la société Service Prestige qu'un nouvel appel d'offres serait lancé en vue de conclure un contrat prenant effet le 1er juillet 2020.

Par accord écrit du 23 juillet 2019, les parties ont prolongé les contrats jusqu'au 30 juin 2020.

Le 5 septembre 2019, la société Emirates a lancé un nouvel appel d'offres en vue de conclure un contrat à compter du 1er juillet 2020 et l'a adressé à la société Service Prestige.

Par courriel du 31 décembre 2019, la société Emirates a informé la société Service Prestige que son offre n'était pas retenue et que les relations des parties prendraient fin le 30 juin 2020.

La société Emirates a, par lettre recommandée du 30 mars 2020 avec demande d'avis de réception, confirmé la rupture de la relation contractuelle avec effet au 30 septembre 2020.

Le 10 avril 2020, la société Service Prestige a pris acte de la décision de la société Emirates de mettre fin à la relation commerciale en contestant la durée du préavis.

Par acte du 30 décembre 2020, la société Service Prestige et la société Service Prestige développement ont assigné en indemnisation la société Emirates devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 12 septembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

Condamné la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 338 334 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande d'assortir la condamnation de la société Emirates d'une astreinte ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande de publication du jugement dans les journaux ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande de condamnation de la société Emirates à lui payer la somme de 915 534,67 euros à parfaire au titre des pertes liées aux investissements et aux coûts afférents aux licenciements ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande de condamnation de la société Emirates à lui payer la somme de 50 000 euros au titre du préjudice d'image ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande au titre de factures impayées ;

Débouté la société Service Prestige développement de ses demandes de condamnation de la société Emirates au titre de la perte de marge, et des pertes liées aux investissements et aux coûts afférents aux licenciements ;

Débouté la société Service Prestige développement de sa demande de condamnation de la société Emirates à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'image ;

Débouté la société Emirates de sa demande reconventionnelle ;

Condamné la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté la société Service Prestige développement de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

Condamné la société Emirates aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 77,56 euros dont 12,71 euros de taxe sur la valeur ajoutée.

Par déclaration du 15 décembre 2022, la société Service Prestige et la société Service Prestige développement ont interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

Condamné la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 338 334 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande d'assortir la condamnation de la société Emirates d'une astreinte ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande de condamnation de la société Emirates à lui payer la somme de 915 534,67 euros à parfaire au titre des pertes liées aux investissements et aux coûts afférents aux licenciements ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande de condamnation de la société Emirates à lui payer la somme de 50 000 euros au titre du préjudice d'image ;

Débouté la société Service Prestige de sa demande au titre de factures impayées ;

Débouté la société Service Prestige développement de ses demandes de condamnation de la société Emirates au titre de la perte de marge, et des pertes liées aux investissements et aux coûts afférents aux licenciements ;

Débouté la société Service Prestige développement de sa demande de condamnation de la société Emirates à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'image ;

Débouté la société Service Prestige développement de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté les parties demanderesses de leurs demandes autres plus amples ou contraires.

Par ses dernières conclusions notifiées le 14 septembre 2023, les sociétés Service Prestige et Service Prestige développement demandent, au visa de l'article L441-2 du code de commerce, des articles 1112 et 1240 du code civil, de l'article 700 du code de procédure civile, de :

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

- Condamné la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 338 334 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables ;

- Débouté la société Service Prestige de sa demande d'assortir la condamnation d'Emirates d'une astreinte ;

- Débouté la société Service Prestige de sa demande de condamnation de la société Emirates à lui payer la somme de 915 534,67 euros à parfaire au titre des pertes liées aux investissements et aux coûts afférents aux licenciements ;

- Débouté la société Service Prestige de sa demande de condamnation de la société Emirates à lui payer la somme de 50 000 euros au titre du préjudice d'image ;

- Débouté la société Service Prestige développement de ses demandes de condamnation de la société Emirates au titre de la perte de marge et des pertes liées aux investissements et aux coûts afférents aux licenciements ;

- Débouté la société Service Prestige développement de sa demande de condamnation de la société de Emirates à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'image ;

- Débouté la société Service Prestige développement de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties demanderesses de leurs demandes autres plus amples ou contraires.

Et, statuant à nouveau, de :

Juger que la rupture de la relation commerciale établie entre la société Service Prestige et la société Emirates date du 31 décembre 2019 ;

Juger que le préavis devant être octroyé dans le cadre de la rupture de la relation commerciale établie entre la société Service Prestige et la société Emirates aurait dû être de 18 mois ;

Juger que la société Emirates n'a pas exécuté le préavis de rupture de la relation commerciale établie avec la société Service Prestige à compter du 1er avril 2020 ;

Juger que la rupture de la relation commerciale établie entre la société Service Prestige et la société Emirates était brutale au motif que le préavis effectif a été insuffisant ;

Juger que la rupture des pourparlers entre la société Service Prestige et la société Emirates était abusive ;

Juger que la société Emirates a engagé sa responsabilité délictuelle envers la société Service Prestige développement au motif qu'elle est une victime par ricochet de la rupture brutale de la relation commerciale établie entre les sociétés Service Prestige et Emirates ;

En conséquence,

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 1 691 670 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables, en raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie entre elles ;

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 338 609,85 euros au titre de la perte subie correspondant aux loyers des dix-neuf véhicules de la société Service Prestige dédiés aux missions fixées par la société Emirates dont les contrats de location ont été conclus en 2019, en raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie entre elles ;

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 20 694 euros au titre de la perte subie au regard des frais de location des éléments de base du système informatique de gestion de commandes, en raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie entre elles ;

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 227 328,27 euros au titre de la perte subie au regard des frais afférents aux licenciements réalisés, en raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie entre elles ;

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 8 470,64 euros au titre de la rupture abusive des pourparlers sur les frais de déplacement à [Localité 6] ;

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi ;

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige développement la somme de 169 166,67 euros au titre du gain manqué dès lors qu'elle est une victime par ricochet de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie entre les sociétés Emirates et Service Prestige ;

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige développement la somme de 86 737,36 euros au titre de la perte subie au regard du solde de l'amortissement de l'investissement informatique dédié aux besoins de la société Emirates dès lors qu'elle est une victime par ricochet de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie entre les sociétés Emirates et Service Prestige ;

Condamner la société Emirates à payer à la société Service Prestige développement la somme de 202 569,53 euros au titre de la perte subie au regard des frais afférents aux licenciements réalisés dès lors qu'elle est une victime par ricochet de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie entre les sociétés Emirates et Service Prestige ;

Rejeter l'ensemble des moyens, demandes et prétentions de la société Emirates ;

Assortir l'ensemble des condamnations de la société Emirates ainsi prononcées d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de huit jours qui suivra la date de prononcé de l'arrêt à intervenir ;

Condamner la société Emirates à verser à chacune des sociétés Service Prestige et Service Prestige développement la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Par ses dernières conclusions notifiées le 13 décembre 2024, la société Emirates demande, au visa de l'article L442-1-II du code de commerce, de l'article 1240 du code civil, de :

Sur les demandes de la société Service Prestige :

Infirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a :

- Condamné la société Emirates à verser à la société Service Prestige la somme de 338 334 euros au titre de la marge sur coûts variables ;

- Condamné la société Emirates à verser à la société Service Prestige la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et, statuant à nouveau,

Débouter la société Service Prestige de sa demande au titre de la perte de marge sur coûts variables, en raison de l'absence de rupture brutale de la relation commerciale ;

Confirmer le surplus de la décision déférée en ses dispositions non contraires aux présentes ;

Sur les demandes de la société Service Prestige développement :

Confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société Service Prestige développement de l'ensemble de ses demandes ;

Sur les demandes incidentes de la société Emirates :

Infirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société Emirates de ses demandes

Et, statuant à nouveau,

Condamner les sociétés Service Prestige et Service Prestige développement à verser chacune à la société Emirates la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Débouter les sociétés Service Prestige et Service Prestige développement de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

Condamner les sociétés Service Prestige et Service Prestige développement à verser solidairement à la société Emirates la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner les sociétés Service Prestige et Service Prestige développement aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 2025.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

L'article L.442-1, II du code de commerce énonce « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et la dépendance économique.

L'annonce écrite de la rupture de la relation commerciale doit préciser la date d'expiration du préavis, sans ambiguïté. Le partenaire doit être expressément informé de la date de la cessation de la relation commerciale afin de pouvoir réorganiser son activité

Trois relations contractuelles d'ancienneté et de durées différentes liaient la société Service Prestige et la société Emirates :

- Le premier contrat, concernant l'escale de l'aéroport [5], a été conclu le 1er septembre 1997,

- Le contrat pour l'escale de [Localité 9] a été conclu le 2 décembre 2008,

- Le contrat pour l'escale de [Localité 8] a été conclu le 8 novembre 2012.

Les relations des parties ont donné lieu, à chaque échéance contractuelle, à renégociations.

À l'échéance du 1er juillet 2014, trois nouveaux contrats ont été signés pour une durée de 5 ans arrivant à échéance au 30 juin 2019.

Le 30 janvier 2019, la société Emirates a adressé le courriel suivant à la société Service Prestige :

« Cher participant,

Les contrats Emirates Chauffeur Drive Services pour la France expireront le 30 juin 19, nous lançons donc un appel d'offres pour [Localité 10], [Localité 8] et [Localité 9]. Nous visons à conclure cet appel d'offres d'ici la mi/fin mars 19. »

Le 23 juillet 2019, la société Emirates adressait à la société Service Prestige le courrier suivant : « Nous avons fait part de notre intention de lancer un appel d'offres pour nos services de transport avec chauffeur, notamment en considération de la différence significative entre les prix proposés par Service Prestige et le prix du marché.

Compte tenu de l'ancienneté et de la qualité de notre relation, nous proposons par la présente de prolonger notre relation commerciale pour une durée de 12 mois, dans les mêmes conditions que celles convenues entre nous dans le cadre des accords. Cette prolongation prendra fin le 30 juin 2020'

A ce titre, il est également reconnu et convenu qu'Emirates informera SP du résultat dudit appel d'offres au moins avant l'expiration de cette prolongation ou de la prolongation ultérieure, le cas échéant.

En contrepartie de la prolongation des accords jusqu'au 30 juin 2020, Service Prestige s'engage à ne pas contester la résiliation des relations à compter du 30 juin 2020 si Service Prestige n'est pas sélectionné comme soumissionnaire retenu dans le processus d'appel d'offres. »

Ce courrier est signé des deux parties.

La notification du recours à l'appel d'offre vaut notification de la rupture de la relation commerciale et constitue le point de départ du préavis à la condition qu'elle précise la date à laquelle la relation prendra fin.

Il y a lieu de constater que le courrier du 30 janvier 2019 de la société Emirates informant la société Service Prestige du recours à l'appel d'offres mentionne la date de fin des contrats au 30 juin 2019 et accorde de fait un préavis d'une durée de 5 mois.

La procédure d'appel d'offres en cours a cependant été abandonnée et la relation entre les cocontractantes s'est poursuivie au-delà du 30 juin 2019.

Le courrier du 30 janvier 2019 suivi du renoncement à l'appel d'offre, puis de la poursuite de la relation commerciale n'a donc pas été suivi d'effet rendant la rupture équivoque et ne pouvant donc constituer le point du départ du préavis.

Aux termes du courrier du 23 juillet 2019, la société Emirates a informé clairement sa cocontractante de la fin de la relation commerciale au 30 juin 2020 en lui accordant un prolongement de celle-ci de 12 mois. Ce prolongement doit s'analyser en un préavis de rupture dès lors que la date de fin de la relation a été fixée. Ce courrier qui précise la durée du préavis et la date à laquelle la relation prendra fin vaut notification de la rupture de la relation commerciale et constitue le point de départ du préavis.

Par courriel du 7 août 2019, la société Emirates a avisé la société Service Prestige : « Nous vous confirmons qu'Emirates a décidé de lancer un nouvel appel d'offres pour le service CDS France. La date de début du nouveau contrat est le 1er juillet 2020. Nous vous fournirons de plus amples informations sous peu »

Le 5 septembre 2019, la société Emirates a lancé l'appel d'offres en précisant que le nouveau contrat commencerait à compter du 1er juillet 2020 et que les résultats seraient annoncés au mois de décembre 2019.

La société Emirates a informé la société Service Prestige que l'appel d'offres attribuait le contrat à une autre société par courriel du 31 décembre 2019.

La société Emirates a, par lettre recommandée du 30 mars 2020 avec demande d'avis de réception, confirmé la rupture de la relation contractuelle avec effet au 30 septembre 2020. Cette prolongation du préavis a été acceptée par la société Service Prestige.

La notification des résultats de l'appel d'offres ne saurait constituer le début du préavis, contrairement à ce que soutient la société Service Prestige.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la date du 23 juillet 2019 comme date de départ du préavis.

Le premier contrat, concernant l'escale de l'aéroport [5], a été conclu le 1er septembre 1997. Le contrat pour l'escale de [Localité 9] a été conclu le 2 décembre 2008. Le contrat pour l'escale de [Localité 8] a été conclu le 8 novembre 2012.

Les deux derniers contrats sont plus récents mais génèrent des revenus moindres par rapport à l'activité principale de l'aéroport [5] et la société Service Prestige ne distingue pas le chiffre d'affaires réalisé entre ses différents contrats.

De plus, dans le cadre de la rupture de la relation commerciale, il y a lieu d'envisager la relation de manière globale et non par contrat.

Compte tenu de la durée de la relation d'un peu plus de 21 ans, du flux d'affaires important entre la société Emirates et la société Service Prestige de l'ordre de 6 à 7 millions d' euros annuels entre 2017 et 2019 et du pourcentage équivalent à 74 % du chiffre d'affaires de l'appelante réalisé avec l'intimée, le tribunal de commerce a justement fixé le préavis à accorder à 17 mois.

Le préavis a débuté le 23 juillet 2019 et a pris fin le 30 septembre 2020 et a donc duré 14 mois au lieu de 17 mois.

Du 1er avril au 30 septembre 2020, il n'est pas contesté que la société Emirates n'a confié que très peu de prestations à la société Service Prestige en raison de la crise du coronavirus.

La société Service Prestige impute cette absence d'activité à la volonté de la société Emirates de faire des économies et non à la crise sanitaire.

Cependant, la société Emirates a, en qualité de compagnie aérienne, été confrontée à la réduction drastique des vols pour un motif qui lui est étranger et qui s'est imposé à elle. Le fait qu'elle ait été aidée sur le plan financier n'a pas compensé ses pertes économiques et n'est pas un élément à prendre en considération dans le cadre de l'indemnisation.

Néanmoins, la société Emirates s'est engagée à accorder un préavis jusqu'au 30 septembre 2020 à la société Service Prestige. Ce préavis s'est avéré insuffisant dans sa durée ce qui justifie la demande d'indemnisation de celle-ci. S'agissant d'un préavis de nature à compenser une rupture de relations, il n'y a pas lieu de tenir compte de l'activité économique de la société Emirates postérieurement à la notification de la rupture. Elle doit permettre l'exécution du préavis ou indemniser son partenaire commercial.

La société Emirates, n'ayant pas eu la possibilité de maintenir le même flux d'affaires durant la période de préavis, doit en conséquence indemniser la société Service Prestige pour le préavis non effectué du mois d'avril au mois de décembre 2020 soit durant 9 mois.

Il sera pris en compte pour fixer l'indemnité de la marge sur coûts variables réalisé durant les trois dernières années d'activité constante. L'année 2020 a été affectée par une pandémie ayant eu des répercussions sur l'activité économique durant plusieurs mois et ne peut donc être significative. Elle ne sera donc pas prise pour base de calcul de l'indemnité.

La société Emirates allègue que si les relations commerciales s'étaient poursuivies avec la société Service Prestige, celle-ci aurait subi une réduction de son chiffre d'affaires et de sa marge commerciale liée aux conséquences de la pandémie qui se sont prolongées pour le trafic aérien. Il ne peut cependant être pris en compte comme l'a souligné le tribunal de commerce des événements postérieurs à la rupture pour l'évaluation du préjudice.

La perte de marge sur coûts variables retenue par le tribunal est certifiée par une attestation en date du 30 décembre 2020 de l'expert-comptable de la société Service Prestige pour les années 2017 à 2019 soit :

- 1 417 000 euros en 2017

- 1 456 000 euros en 2018

- 1 187 000 euros en 2019

Total : 4 060 000 euros / 3 ans = 1 353 333 euros / 12 mois = 112 777 euros par mois

Le tribunal, au vu des pièces produites, a retenu à juste titre une marge moyenne mensuelle de 112 778 euros sur trois ans équivalent à un taux de marge moyen de 21,13%.

La perte de gains doit en conséquence être évaluée à 112 778 euros X 9 mois = 1 015 002 euros.

Il sera déduit de cette somme la marge réalisée durant les mois d'avril à septembre 2020.

Il résulte de l'attestation de l'expert-comptable en date du 24 février 2023 de la société Service Prestige que le chiffre d'affaires de celle-ci avec la société Emirates du mois d'avril à septembre 2020 s'est élevé à 93 611,31 euros.

93 611,31 euros X 21,13% (taux de marge) = 19 780 euros :

1 015 002 euros -19 780 euros = 995 222 euros

Le jugement sera infirmé et la société Emirates sera condamnée à verser à la société Service Prestige la somme de 995 222 euros en réparation de la rupture brutale des relations commerciales.

Sur la demande de la société Service Prestige en paiement de la somme de 338.609,85 euros au titre de la perte subie correspondant aux loyers des 19 véhicules dédiés à la société Emirates

Il sera observé que les véhicules constituent l'outil de travail de la société Service Prestige. Elle indique avoir été dans l'obligation de renouveler en 2019 les 19 véhicules dédiés par des voitures de la marque Mercedes Classe E, Classe V et Classe S, pour un montant total de 961.088,27 euros afin de répondre aux exigences de la société Emirates et d'espérer continuer sa relation commerciale avec celle-ci.

La société Service Prestige justifie avoir remplacé ces véhicules tout au long de l'année 2019 au cours de laquelle la société Emirates a lancé un appel d'offres. La société Service Prestige ne conteste pas avoir renouvelé ce stock de véhicules pour conserver cette dernière comme cliente. Les frais engagés l'ont été à une période où la relation devenait précaire et où la société Service Prestige allait subir la concurrence d'autres prestataires dans le cadre d'un appel d'offres, ce qui l'obligeait à répondre à un cahier des charges plus strict pour répondre à la demande de sa cocontractante. Les frais occasionnés en partie à perte par cet investissement résultent d'une part de la simple rupture de la relation commerciale et non de son caractère brutal et d'autre part de son échec à l'issue de l'appel d'offres. Le risque commercial pris par la société Service Prestige ne peut être pris en compte dans le cadre de la réparation de la rupture brutale.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de la société Service Prestige en paiement de la somme de la somme de 20.694 euros au titre des frais de location du système informatique de gestion de commandes

La société Service Prestige expose avoir conclu un contrat de location du système informatique de gestion de commandes ayant pris effet le 1er janvier 2016 pour une durée de 60 mois, soit jusqu'au 31 décembre 2020 avec paiement d'échéances trimestrielles de 6.898 euros HT, qu'il restait trois échéances trimestrielles à régler d'avril à décembre 2020 avant la date de la dernière échéance du contrat de location.

Cependant, si on retient que ce contrat était dédié uniquement à l'activité de la société Emirates, comme l'allègue la société Service Prestige, la perte subie est liée à la rupture du contrat et non à son caractère brusque.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de la société Service Prestige en paiement de la somme de 227.328,27 euros au titre du licenciement économique des onze salariés dédiés aux missions fixées par Emirates

La société Service Prestige justifie avoir licencié 7 personnes le 9 juin 2020, 2 personnes au mois de juillet 2020, et 2 personnes le 14 octobre 2020.

Par la lettre de licenciement du 1er juillet 2020, la société Service Prestige justifie le licenciement principalement par l'arrêt total de son activité due à l'épidémie de coronavirus dans une période d'activité traditionnellement haute. Elle évoque également le non renouvellement du contrat avec la société Emirates mais pas de manière principale en précisant : « le secteur du tourisme de luxe et le secteur des congrès internationaux sont en crise sévère avec une perspective de reprise d'activité lente, n'envisageant pas de retour à la normale avant plusieurs années. »

La société Service Prestige précise avoir conservé 2 salariés jusqu'au 14 octobre 2020, pour assurer jusqu'au 30 septembre 2020 la qualité de service attendue par la société Emirates durant cette période d'activité limitée.

Si la société Service Prestige a été dans l'obligation de licencier du personnel du fait de la rupture de la relation et non de son caractère brusque, puisqu'elle avait été avisée un an auparavant du non renouvellement des contrats, elle n'a pas conservé l'intégralité de son personnel jusqu'au terme du préavis en raison de la pandémie qui a induit une cessation quasi-totale d'activité.

En conséquence, cette dépense ne peut être indemnisée dans le cadre de la rupture brutale des relations et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de la société Service Prestige en paiement de la somme de 8.470,64 euros au titre de la rupture abusive des pourparlers

L'article 1112 du code civil dispose :

« L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.

En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages. »

En vertu du principe de la liberté contractuelle, les parties disposent d'un droit de rompre unilatéralement des pourparlers précontractuels. Cette rupture des négociations, en l'absence d'un accord ferme et définitif, peut intervenir à tout moment et ne peut en elle-même constituer une faute, sous réserve du respect du devoir de loyauté entre les parties.

L'abus dans l'exercice du droit de rompre les pourparlers engage la responsabilité de celui qui a pris l'initiative de la rupture lorsque l'auteur de celle-ci commet une faute. Cette dernière réside dans les circonstances qui entourent la rupture et peut donner lieu à indemnisation lorsqu'elle est à l'origine d'un préjudice pour la partie qui la subit.

La société Service Prestige fait valoir qu'à l'approche de l'échéance des contrats fixée le 30 juin 2019, la question de la grille tarifaire était au coeur des négociations, que la société Emirates donnait l'illusion que la mise en place d'un appel d'offres était une simple nouvelle modalité de la poursuite de la relation commerciale, que cependant, cette procédure s'est avérée être un moyen agressif de négocier afin d'obtenir une grille tarifaire particulièrement basse.

La société Emirates réplique que les frais de déplacement à [Localité 6] dont il demandé le remboursement concernait le logiciel informatique de réservation de la société Service Prestige et non le contrat de voiture avec chauffeurs, qu'il a eu lieu durant la période d'appel d'offres à laquelle la société Service Prestige participait avec les autres candidats.

Par courriel du 30 janvier 2019, la société Emirates a annoncé sa volonté de recourir à l'appel d'offres. Aux termes du courrier du 23 juillet 2019, la société Emirates a renouvelé sa volonté de recourir à l'appel d'offres et a bien précisé que le motif était la différence significative entre les prix proposés par la société Service Prestige et le prix du marché. Elle a accordé une prolongation des relations jusqu'au 30 juin 2020.

La société Service Prestige a été informée des résultats de l'appel d'offres par courriel du 31 décembre 2019.

Le fait que des discussions aient eu lieu sur les prix n'a jamais remis en cause la procédure d'appels d'offres.

Si la société Service Prestige a continué à discuter avec la société Emirates, le process mis en place ne pouvait l'entretenir dans l'illusion qu'elle pourrait obtenir la conclusion d'un contrat dans un autre cadre que celui de l'appel d'offres. Il ne peut donc être retenu de faute de la société Emirates.

La demande de remboursement de la société Service Prestige des frais de déplacement à [Localité 6] exposés en novembre 2019 à hauteur de la somme de 8.470,64 euros sera en conséquence rejetée.

Sur les demandes d'indemnisation de la société Service Prestige Développement en qualité de tiers victime de la rupture brutale de la relation commerciale établie

L'article 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La victime d'un préjudice par ricochet lié à la rupture brutale d'une relation commerciale établie peut solliciter une indemnisation sur le plan de la responsabilité délictuelle de droit commun si elle apporte la preuve de ce qu'elle était, depuis le début de la relation commerciale, ou à tout le moins depuis un temps suffisamment long, le fournisseur des produits ou services dont la commande a brutalement diminué ou cessé.

La société Service Prestige a créé la société Service Prestige Développement le 24 décembre 2007 pour prendre en charge la centrale de réservation des voitures avec chauffeur. Dans ce cadre, la société Service Prestige Développement gérait le réseau d'affiliation du service de voitures de grande remise à [Localité 9], [Localité 8] et [Localité 10] et de l'outil informatique CDS (Chauffeur Drive Software) conçu pour les besoins de la société Emirates à partir de 2010.

Lorsque la fin des relations entre la société Service Prestige et la société Emirates a été dénoncée le 23 juillet 2019, la société Service Prestige Développement délivrait des prestations depuis 11 ans et 6 mois ce qui est une durée suffisante pour prétendre à une indemnisation.

La société Service Prestige Développement invoque l'impact de la brutalité de la rupture imposée à la société Service Prestige en ce que celle-ci aurait dû bénéficier d'un préavis supplémentaire de 15 mois. La cour a retenu une insuffisance de préavis d'une durée de 9 mois.

La société Service Prestige Développement, dépendante totalement de la société Service Prestige, dans le cadre de son activité, pouvait en conséquence espérer retirer des revenus jusqu'à l'expiration du préavis devant être accordé à la société Service Prestige.

Elle a donc subi un préjudice lié à l'insuffisance du préavis accordé à cette dernière soit durant 9 mois. Sa perte de gains sera équivalente à la perte de marge sur coûts variables durant 9 mois.

La société Service Prestige Développement verse aux débats une attestation de son expert-comptable le cabinet CEMLV en date du 30 décembre 2020, aux termes de laquelle sa marge sur coûts variables s'est élevée à :

2017 : 174 000 euros

2018 : 152 000 euros

2019 : 80 000 euros

Soit une moyenne annuelle de 135 333 euros et par mois de 11 277,75 euros.

La société Service Prestige Développement a donc subi le préjudice suivant :

11 277,75 euros X 9 mois = 101 500 euros

La société Emirates devra verser à la société Service Prestige Développement la somme de 101 500 euros en réparation de son préjudice.

Sur la demande de la société Service Prestige Développement en paiement de la somme de 202 569,53 euros au titre du licenciement économique de dix salariés

La société Service Prestige Développement justifie avoir licencié 8 personnes le 7 juillet 2020, et 2 personnes le 5 octobre 2020.

Ces licenciements intervenus pour la plupart avant le terme du préavis résultent de la rupture des relations commerciales et ont eu lieu durant l'absence d'activité pendant plusieurs mois en raison de l'épidémie du coronavirus.

La société Service Prestige Développement ne démontre pas que ces licenciements seraient une conséquence de la rupture brutale des relations commerciales subie par la société Service Prestige. Cette demande sera rejetée.

Sur la demande de la société Service Prestige Développement en paiement de la somme de la somme de 86 737,36 euros au titre du solde de l'amortissement de l'investissement informatique

La société Service Prestige Développement expose que ce contrat était dédié uniquement à l'activité de la société Emirates. Il en résulte que la perte subie est liée à la rupture du contrat et non au caractère brusque de la rupture entre la société Emirates et la société Service Prestige, la société Service Prestige Développement ne démontrant pas qu'il soit susceptible d'être affecté à une autre activité. La pandémie qui a induit une cessation quasi-totale d'activité a également rendue vaine l'exécution de ce contrat.

Sa demande d'indemnisation à ce titre sera rejetée.

Sur la demande au titre du préjudice d'image

La société Service Prestige évoque l'exécution de la période de préavis pour se prévaloir d'un préjudice d'image en alléguant la mauvaise foi de la société Emirates sans cependant verser de pièce ou démontrer l'existence de fait à l'origine d'un préjudice d'image pour elle-même.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de prononcé d'une astreinte quant aux condamnations prononcées

Les sociétés appelantes ne justifient pas de la nécessité de prononcer une astreinte à ce titre.

Cette demande sera rejetée.

Sur la demande reconventionnelle de la société Emirates pour procédure abusive

La société Service Prestige ayant été déclarée fondée partiellement en ses demandes en première instance et en appel, la société Emirates ne rapporte pas la preuve du caractère abusif de la procédure intentée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

La société Emirates sera condamnée aux dépens d'appel et devra verser à la société Service Prestige la somme de 10 000 euros et à la société Service Prestige Développement la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 338 334 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables et en ce qu'il a débouté la société Service Prestige développement de sa demande de condamnation de la société Emirates au titre de la perte de marge,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Emirates à payer à la société Service Prestige la somme de 995 222 euros en réparation du préjudice subi résultant de l'insuffisance de préavis,

Condamne la société Emirates à payer à la société Service Prestige Developpement la somme de 101 500 euros au titre du gain manqué,

Rejette la demande de remboursement de la société Service Prestige de la somme de 8.470,64 euros au titre de la rupture abusive des pourparlers,

Rejette la demande des sociétés Service Prestige et Service Prestige Developpement tendant à assortir les condamnations prononcées d'une astreinte,

Condamne la société Emirates à verser à la société Service Prestige la somme de 10 000 euros et à la société Service Prestige Développement la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Emirates aux dépens d'appel.

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