CA Montpellier, 5e ch. civ., 13 mai 2025, n° 22/03773
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
B H
Défendeur :
Selmur Intermarche (SAS), Allianz IARD (SA), CPAM de l'Aude
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fillieux
Conseiller :
M. Garcia
Conseiller :
Mme Strunk
EXPOSE DU LITIGE
Le 27 mai 2017, Mme [B] [H] a chuté devant le magasin Intermarché de [Localité 4] et a été conduite au centre hospitalier de [Localité 9].
Un certificat médical daté du jour des faits indique qu'elle souffre d'une fracture transverse de la rotule droite et d'une contusion de la main gauche donnant lieu à 30 jours d'ITT. Les résultats d'analyses approfondies concluent que Mme [B] [H] souffre également d'entorses de l'annulaire de l'auriculaire gauche, pour lesquelles des séances de rééducation fonctionnelle sont prescrites.
Le 17 juillet 2017, Mme [B] [H] déclare cet accident à sa compagnie d'assurances, la Macif, estimant avoir chuté en raison du mauvais positionnement d'un panneau publicitaire devant les portes du magasin Intermarché.
Une assignation en référé devant le président du tribunal de grande instance Narbonne est adressée à la SAS Selmur Intermarché et son assureur, la SA Allianz lard, le 4 octobre 2018.
Par ordonnance du 28 décembre 2018, le juge des référés a ordonné une expertise confiée au Docteur [D] qui a déposé son rapport le 22 juillet 2019.
Par actes extrajudiciaires du 11 mars, 13 mars et 16 mai 2020, Mme [B] [H] a fait assigner la SAS Selmur Intermarché, la société Allianz lard, son assureur, et la CPAM de l'Aude devant le tribunal judiciaire de Narbonne.
Le jugement réputé contradictoire rendu le 21 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Narbonne :
Déboute Mme [B] [H] de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne Mme [B] [H] à payer les entiers dépens ;
Condamne Mme [B] [H] à payer à la SAS Selmur Intermarche la somme de 1.500 euros titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [B] [H] à verser à la SA Allianz Iard la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit le présent jugement opposable à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Aude.
Le premier juge retient que, si la SAS Selmur Intermarché ne conteste pas être la gardienne du panneau publicitaire litigieux inerte, Mme [B] [H] échoue à démontrer que ledit panneau est positionné à un endroit qui entrave la circulation normale des clients de l'établissement et ne rapporte donc pas la preuve qu'il est anormalement positionné outre le fait qu'elle ne démontre pas le mauvais état de la chose inerte.
Il écarte l'application de la responsabilité du fait d'un manquement à une obligation de sécurité de résultat due au consommateur, prévue à l'article L. 421-3 du code de la consommation, le dommage ne provenant pas du défaut de sécurité d'un produit ou service proposé à la vente par le magasin Intermarché mais bien d'un objet se trouvant aux abords de celui-ci.
Mme [B] [H] a relevé appel de la décision par déclaration au greffe du 11 juillet 2022.
Dans ses dernières conclusions du 9 septembre 2022, Mme [B] [H] demande à la cour de :
A titre principal,
Réformer le jugement entrepris ;
Condamner solidairement la SAS Selmur Intermarche et la compagnie d'assurance Allianz Iard sur le fondement de l'article 1242 du Code civil et la responsabilité du fait des choses ;
A titre subsidiaire,
Réformer le jugement entrepris ;
Condamner solidairement la SAS Selmur Intermarche et la compagnie d'assurance Allianz Iard sur le fondement de l'article L421-3 du Code de la consommation et l'obligation de sécurité de résultat ;
En tout état de cause,
Condamner solidairement la SAS Selmur Intermarche et la compagnie d'assurance Allianz Iard au paiement de la somme totale de 32.032,76 euros, correspondant au détail suivant :
Déficit fonctionnel temporaire partiel :
* Du 27.05.2017 au 26.06.2017 : 50 %, soit 25 euros x 50 % x 30 j = 375 euros,
* Du 27.06.2017 au 28.12.2018 : 10 %, soit 25 euros x 10 % x 549 j = 1.372,50 euros,
Déficit fonctionnel permanent fixé à 10 % : 13.000 euros,
Souffrances endurées avant consolidation évaluées à 3/7 : 7.000 euros,
Préjudice d'agrément : 6.000 euros,
Frais divers :
* Au titre du besoin d'assistance d'une tierce personne occasionnelle durant la période d'immobilisation du 27.05.2017 au 26.06.2017, à raison d'une heure par jour pendant 30 jours, soit 25 euros par heure x 30 jours : 750 euros,
* Frais de déplacement conformément au détail exposé dans les motifs : 3.535,26 euros ;
Déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM ;
Réformer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [B] [H] au paiement de la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 à verser à la SAS Selmur puis à la SA Allianz Iard ainsi qu'aux entier dépens ;
Condamner solidairement la SAS Selmur Intermarche et la compagnie d'assurance Allianz Iard au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner solidairement la SAS Selmur Intermarche et la compagnie d'assurance Allianz Iard aux entiers dépens, en ce compris les dépens d'expertise.
Mme [B] [H] conclut à l'engagement de la responsabilité de la SAS Selmur Intermarché sur le fondement de l'article 1242 du code civil. Elle soutient que la SAS avait la garde du panneau publicitaire puisqu'elle en était propriétaire et que ce dernier, de par sa position anormale, a eu un rôle actif dans le dommage subi. Elle affirme que l'entrée était totalement encombrée et surtout, les panneaux qui se situaient devant ladite entrée avaient les pieds tordus et relevés, provoquant ainsi sa chute. Elle conteste l'appréciation du premier juge en ce sens et précise que l'anormalité de la chose doit être appréciée au seul regard du panneau publicitaire et de son positionnement. L'appelante conteste avoir commis une faute et fait valoir que la SAS Selmur Intermarché n'en rapporte pas la preuve contraire.
A titre subsidiaire, Mme [B] [H] conclut à l'engagement de la responsabilité de la SAS Selmur Intermarché sur le fondement de l'article L. 421-3 du code de la consommation. Elle s'appuie sur une jurisprudence de la Cour de cassation ayant précisé « qu'une entreprise de distribution est débitrice à l'égard de la clientèle d'une obligation générale de sécurité de résultat » (Civ 1re, 20 septembre 2017).
En tout état de cause, elle sollicite l'indemnisation de ses préjudices.
Dans leurs dernières conclusions du 31 octobre 2022, la SAS Selmur Intermarche et se compagnie d'assurance Allianz Iard, prises en la personne de leurs représentants légaux en exercice, demandent à la cour de :
Rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires ;
A titre principal,
Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Narbonne le 21 avril 2022 en toutes ses dispositions ;
Condamner Mme [B] [H] à verser à la SAS Selmur Intermarché et la compagnie d'assurance Allianz Iard, chacune, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire,
Allouer à Mme [B] [H] les sommes maximales de :
1.747,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel,
6.000 euros au titre des souffrances endurées ;
Rejeter la demande indemnitaire formulée au titre du déficit fonctionnel permanent en l'absence de justificatif de créance de l'organisme social de Mme [B] [H] ou à tout le moins Surseoir à statuer concernant ce poste de préjudice ;
Rejeter toutes autres demandes, fins et conclusions contraires comme injustes et infondées ;
Statuer ce que de droit sur les dépens.
Les intimées concluent à l'absence de responsabilité de la SAS Selmur Intermaché. Elles font valoir que le panneau publicitaire inerte était dans une position normale, dans un bon état et que Mme [B] [H] ne parvient pas à rapporter la preuve contraire par la production d'un croquis réalisé par ses soins, d'un témoignage peu circonstancié et de la photographie en noir et blanc, non datée.
Elles soutiennent que l'inattention de la victime est la cause exclusive de sa chute et concluent à l'exclusion de la responsabilité de la SAS.
Les intimées font valoir que l'article L. 421-3 du code de la consommation est inapplicable au cas d'espèce.
A titre subsidiaire, concernant la liquidation des préjudices, elles sollicitent que l'indemnisation soit ramenée à de plus justes proportions et concluent au rejet des demandes formulées au titre du déficit fonctionnel permanent, du préjudice d'agrément, de l'assistance tierce personne et des frais de déplacement qui ne sont, selon les intimées, pas justifiées.
La CPAM n'a pas constitué avocat.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 24 février 2025.
MOTIFS
1/ Sur la responsabilité :
Sur l'application de l'article 1242 du code civil :
La responsabilité de l'exploitant d'un magasin, dont l'entrée est libre, ne peut être engagée à l'égard de la victime d'une chute dans ce magasin et dont une chose inerte serait à l'origine, sur le fondement de l'article 1242 du code civil alinéa 1er qu'à charge pour la victime de démontrer que cette chose, placée dans une position anormale ou en mauvais état, a été l'instrument du dommage.
En l'espèce, il n'est nullement contesté que le 27 mai 2017, Mme [H] s'est rendue à l'intermarché de [Localité 4] gérée par la SAS Selmur Intermarche et a chuté en se prenant les pieds dans un panneau publicitaire situé entre deux plots.
Cela étant, s'il est incontestable que ledit panneau a manifestement joué un rôle dans la chute de Mme [H], il n'est nullement démontré que celui-ci était en mauvais état ni d'ailleurs qu'il revêtait une position anormale.
Sur ce dernier point, la cour considère que les éléments produits par Mme [H] ne sont pas suffisamment probants pour caractériser l'anormalité du positionnement des panneaux publicitaires ou encore alors qu'ils avaient les pieds tordus et relevés provoquant ainsi sa chute.
La production d'un croquis réalisé par Mme [H] (pièce 5) non étayé par une pièce objective ne peut suffire à apporter une telle démonstration. Le manque de précision du dessin produit, notamment en l'absence de mention de l'échelle, ne permet pas à la cour d'apprécier la dangerosité éventuelle des lieux créée par l'anormalité du positionnement du panneau à l'origine de la chute, ni l'obstruction de l'entrée.
La configuration des lieux, telle qu'elle ressort du croquis produit, démontre au contraire que de nombreux accès permettaient à la clientèle de se rendre à l'entrée du magasin en dépit de la présence de plots, poubelles et panneaux publicitaires comme cela résulte du croquis annexé au témoignage de Mme [S] [T] (pièce 1), témoin direct de la chute, qui ne mentionne nullement dans son attestation établie le 4 août 2017 que l'entrée était obstruée en présence de nombreux accès ou encore que les pieds des panneaux étaient dangereux car relevés et tordus. Le témoin précise simplement que Mme [H] s'est encombrée dans un panneau publicitaire sans relever aucune anormalité en lien avec les panneaux ou la configuration des lieux.
Sur ce dernier point, la cour considère que le témoignage établi plus de 5 ans après les faits par Mme [S] [T], qui vient affirmer cette fois-ci que les pieds du panneau litigieux étaient « tordus vers le haut d'environ 15 cm du sol et un deuxième pied relevé aussi , ceux-ci ont un rôle actif concernant sa chute c'est certain ' il y avait d'autres panneaux publicitaires identiques à celui de l'accident et le tout encombrés toute la longueur de l'entrée donc pour une circulation normale des clients c'était compliqué' le responsable a bien reconnu que ce panneau détérioré n'aurait pas dû être installé car effectivement dangereux et qu'il allait faire le nécessaire pour l'enlever rapidement» manque de crédibilité alors même que le jour de l'accident, celle-ci n'a donné aucune précision sur la dangerosité du panneau en cause ou les conditions d'accès au magasin ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire pour expliquer la chute de Mme [H]. La cour observe encore que le croquis dessiné sur sa première attestation ne révèle nullement la configuration décrite dans son second témoignage, ni ne fait état de la défectuosité des pieds du panneau en cause.
Par conséquent, en l'absence d'une démonstration du caractère anormal de la chose inerte ou encore de son état dégradé, c'est de manière justifiée que le jugement déféré a écarté la responsabilité de SAS Selmur Intermarché sur le fondement de l'article 1242 du code civil et sera donc confirmé de ce chef.
Sur l'application de l'article L. 421-3 du code de la consommation
Mme [H] engage à titre subsidiaire la responsabilité de la SAS Selmur Intermarche sur le fondement de l'article L 421-3 du code de la consommation selon lequel « les produits et les services doivent présenter, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes ».
La cour rappelle que la responsabilité de l'exploitant d'un magasin en libre-service ne peut être engagée à l'égard d'une personne ayant fait une chute dans ledit magasin sur le fondement de l'article L 421-3 qu'à la condition qu'il soit établi que l'établissement ne présentait pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre dans des conditions normales d'utilisation, comme l'a rappelé la cour de cassation dans un arrêt du 9 septembre 2020 (n°19-11.882), qui a ainsi jugé qu'« encourt la cassation l'arrêt qui, pour accueillir la demande indemnitaire formée par une cliente ayant trébuché sur un panneau publicitaire, énonce que, conformément à l'article L 421-3 du code de la consommation, l'exploitant d'un tel magasin est débiteur d'une obligation générale de sécurité de résultat ».
Il en résulte que si les dispositions de l'article L 421-3 édicte une obligation générale de sécurité des produits et des services, l'exploitant d'un magasin n'est nullement soumis à une obligation de sécurité de résultat, contrairement à ce que soutient Mme [H] dans ses écritures.
Cela étant, l'appelante, qui dénonce la présence à l'entrée du local commercial de divers panneaux publicitaires et poubelles entre des plots ainsi qu'une obstruction globale de l'accès au magasin, ne justifie nullement d'un manquement à une obligation de sécurité imputable à l'intimée.
Aucun élément ne confirme la dangerosité des lieux ainsi qu'un défaut de sécurité, la dégradation des panneaux n'étant nullement démontrée.
Le croquis établi par Mme [T] n'étaye nullement la dangerosité éventuelle des lieux créée par l'obstruction alléguée de l'entrée en présence de plusieurs voies d'accès dégagées ou encore la présence de panneaux publicitaires qui sont visibles et dont la détérioration n'est nullement établie.
Il n'est donc pas justifié que la configuration des lieux revêtait une dangerosité particulière imposant à l'intimée la mise en 'uvre de disposition utile à la sécurité des usagers.
En conséquence, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a écarté la responsabilité de la SAS Selmur Intermarche sur le fondement de l'article L 421-3 du code de la consommation.
2/ Sur les demandes accessoires :
Le jugement entrepris sera également confirmé en ses dispositions au titre des frais irrépétibles et des dépens.
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Sasu Domicad et de son assureur Allianz Iard. Mme [H] sera condamnée à leur régler la somme de totale de 1.500 euros.
En appel, Mme [H], qui succombe, devra supporter la charge des dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Narbonne,
Y ajoutant,
Condamne Mme [B] [H] à payer à la SAS Selmur Intermarche et de son assureur Allianz Iard la somme totale de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [B] [H] aux entiers dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel.