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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 13 mai 2025, n° 24/00913

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Residence Ouest (SCA), AJ UP (SELARL)

Défendeur :

Residence Ouest (SCA), BTGS (SCP)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Vice-président :

Mme Marquer

Conseiller :

M. Lecler

Avocats :

Me Clerc, Me Ropars-Furet, Me Michot, Me Blanc

TJ Saintes, du 19 mars 2024

19 mars 2024

EXPOSE DU LITIGE :

La résidence [Adresse 9] est composée d'un ensemble immobilier sis [Adresse 10] à [Localité 12] (17). Cette résidence est divisée en lots, lesquels sont détenus par divers copropriétaires personnes physiques, et mis en location via bail commercial à un seul et même preneur.

Par actes sous seing privé des 17 juillet 2005 et 25 février 2006, Monsieur [G] [F] et son épouse ont donné à bail commercial à la société [Adresse 9], les biens suivants au sein de la résidence :

- un appartement (lot n° 37) de type 1 bis de 37,80 m² comprenant une table de cuisine, deux chaises, un lit avec sommier et matelas polyuréthane haute résilience et un chevet,

- une place de parking (lot n° 132).

Par acte authentique du 15 septembre 2014, les époux [F] ont vendu les biens loués à Monsieur [C] [X] et son épouse Madame [M] [X].

Le 29 mars 2018, la société La maison de Mathis a cédé son fonds de commerce, en ce compris son droit au bail, à la société en commandite par actions Résidence Ouest, ayant pour activité l'hébergement social pour personnes âgées.

Le 30 avril 2016, le bail est arrivé à son échéance et s'est poursuivi par effet de tacite prolongation.

Au 1er janvier 2020, le loyer annuel hors taxe et hors charges s'élevait à la somme de 5.297,28 euros soit 441,44 euros hors taxe par mois, soit 140,14 euros HT/m2/an.

Le 11 février 2020, la société Résidence Ouest a adressé aux bailleurs une lettre recommandée par laquelle elle sollicite le renouvellement du bail avec prise d'effet au 1er avril 2020 et la fixation du loyer annuel à la somme de 3.402 euros HT, soit 283,50 euros HT par mois, soit 90 euros HT/m²/an.

A défaut d'accord sur le montant du loyer, la société Résidence Ouest a notifié le 21 août 2023 aux époux [X], un mémoire préalable aux fins de fixation judiciaire du loyer en renouvellement, sollicitant la fixation du loyer annuel de renouvellement du bail à compter du 1er avril 2023, à la somme de 3250,80 euros HT, soit un loyer mensuel de 270,90 euros HT, soit 86 euros HT/m²/an.

Le 10 octobre 2023, la société Résidence Ouest a attrait les époux [X] devant le président du tribunal judiciaire de Saintes.

Dans le dernier état de ses demandes, la société Résidence Ouest a demandé au président du tribunal judiciaire de :

A titre liminaire,

- débouter les époux [X] de leur demande d'irrecevabilité tirée de la prescription.

A titre principal,

- débouter les époux [X] de leur demande d'irrecevabilité tirée de la demande en révision du loyer,

- constater que la valeur locative, à savoir 3250,80 euros par an hors taxes et hors charges, est inférieure au loyer plafonné,

- fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 1er avril 2020 à la valeur locative à savoir à la somme maximale de 3250,80 euros par an hors taxes et hors charges, les autres clauses et conditions du bail demeurant inchangés.

A titre subsidiaire,

- ordonner une expertise judiciaire confiée à tel expert qu'il plaira au président avec pour mission limitée à :

- prendre connaissance des pièces du dossier,

- se faire communiquer tout document utile aux dires et à l'avis des parties,

- entendre tout sachant,

- visiter la résidence et en faire la description avec plans et photographies,

- rédiger un pré-rapport,

- donner son avis sur la valeur locative des locaux litigieux,

- formuler toutes ses observations techniques et utiles à la solution du litige.

- dans le cas où une mesure d'expertise judiciaire sera ordonnée, fixer le montant du loyer provisionnel à la somme de 3250,80 euros par an hors taxes et hors charges.

Dans le dernier état de leurs demandes, les époux [X] ont demandé au président du tribunal judiciaire de :

A titre liminaire,

- déclarer irrecevable la société Résidence Ouest, motif pris de l'acquisition de la prescription de l'action en fixation du loyer renouvelé.

A titre principal,

- déclarer la demande de la société Résidence Ouest au titre de la révision du loyer irrecevable, motif pris de ce que ladite révision serait déjà intervenue dans les trois dernières années,

- débouter la société Résidence Ouest de toutes les demandes.

A titre subsidiaire,

- fixer le loyer annuel du bail renouvelé à la somme de 5.537,78 euros hors taxes et hors charges.

A titre infiniment subsidiaire,

- ordonner une expertise judiciaire confiée à tel expert qu'il plaira au juge des loyers commerciaux avec pour mission de :

- prendre connaissance des pièces du dossier,

- se faire communiquer tout document utile aux dires et à l'avis de parties,

- entendre tout sachant,

- visiter l'immeuble donné à bail et en faire la description avec plans et photographies,

- rédiger un pré-apport,

- donner son avis sur la valeur locative des locaux litigieux,

- formuler toutes observations techniques utiles à la solution du litige,

- mettre à la charge de la société Résidence Ouest la provision à valoir sur la rémunération de l'expert.

Statuant sur l'action engagée par la société Résidence Ouest à l'encontre des 46 autres copropriétaires des lots de la Résidence [Adresse 9], le président du tribunal judiciaire de Saintes a, par jugements du 6 février 2024, ordonné une mesure d'expertise judiciaire aux fins de fixation de la valeur locative des lots de la Résidence [Adresse 9].

Par jugement en date du 19 mars 2024, le président du tribunal judiciaire de Saintes a statué ainsi :

- déclare irrecevable la demande en fixation du loyer renouvelé comme étant prescrite,

- déclare irrecevable la demande en révision du loyer comme étant irrégulière,

- condamne la SCA Résidence Ouest à payer à Monsieur et Madame [X], la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la SCA Résidence Ouest aux entiers dépens,

- rappelle que le présent jugement est exécutoire de droit par provision.

Pour statuer ainsi, le premier juge relève que :

- sur la prescription de l'action en fixation du loyer renouvelé : l'article L. 145-60 du code de commerce dispose qu'une telle action se prescrit par deux ans. La prescription court à compter de la date d'effet du renouvellement et ne peut être interrompue que par la notification d'un mémoire préalable (article R. 145-23 du code de commerce). En l'espèce, la société Résidence Ouest a formulé une demande de renouvellement de bail le 11 février 2020, avec date de prise d'effet au 1er avril 2020, et a sollicité la fixation du loyer en renouvellement. A défaut de réponse des bailleurs, la date de prise d'effet du renouvellement s'est trouvée fixée au 1er avril 2020, faisant courir le délai de prescription. La société Résidence Ouest ayant fait notifier le 21 août 2023, soit plus de deux après, son mémoire préalable en fixation du loyer en renouvellement, son action est prescrite.

- sur l'irrecevabilité de la demande en révision du loyer : la société Résidence Ouest ne justifie pas avoir adressé aux époux [X] de demande tendant à la révision du loyer. Ainsi, en l'absence du formalisme exigé par l'article précité, la demande de révision du loyer est irrégulière et par conséquent irrecevable.

Par jugement du 19 mars 2024, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Résidence Ouest. la Selarl Aj Up a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire, et la SCP BTSG en qualité de mandataire judiciaire.

Par déclaration en date du 11 avril 2024, la société Résidence Ouest et la Selarl Aj Up en qualité d'administrateur judiciaire ont relevé appel de cette décision en intimant :

- les époux [X],

- la société BTSG, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Résidence Ouest,

en visant ses chefs expressément critiqués.

Le 12 septembre 2024, Monsieur [H] [W] a rendu son rapport d'expertise judiciaire dans l'affaire opposant la société Résidence Ouest aux 46 autres co-propriétaires de la résidence [Adresse 9].

La société Résidence Ouest, la Selarl Aj Up ès qualités et la société BTSG ès qualités, par dernières conclusions transmises le 9 janvier 2025, demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saintes rendu le 19 mars 2024 en toutes ses dispositions,

et statuant de nouveau,

à titre liminaire,

- juger que la demande en fixation du loyer de la société Résidence Ouest n'est pas prescrite.

A titre principal,

- juger recevable et régulière la demande de révision du loyer,

- juger que la valeur locative, à savoir 3.250,80 euros par an hors taxes et hors charges, est inférieure au loyer plafonné,

- fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 1er avril 2020 à la valeur locative à savoir à la somme maximale de 3.250,80 euros par an hors taxes et hors charges, les autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées.

A titre subsidiaire,

- juger que la valeur locative retenue par Monsieur [H] [W] dans son rapport d'expertise pour les lots de Monsieur [L] est de 4.201,81 euros par an hors taxes et hors charges, est inférieure au loyer plafonné,

- juger que la description et la superficie faites des lots détenus par Monsieur [L] sont similaires aux lots détenus par les époux [X],

- fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 1er avril 2020 à la valeur locative retenue par Monsieur [H] [W] sur l'appartement de Monsieur [L], similaire à celui de Monsieur et Madame [X], à savoir à la somme maximale de 4.201,81 euros par an hors taxes et hors charges, les autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées.

A titre infiniment subsidiaire,

- ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il plaira au juge des loyers commerciaux avec la mission suivante :

- se rendre sur place et visiter les locaux situés : Résidence « [Adresse 9] », Lieu-dit « [Adresse 10] » à [Localité 12] ' [Adresse 10],

- les décrire, les photographier, en cas de contestation les mesurer, indiquer les commodités ou les inconvénients que présentent les lieux pour l'exploitation considérée,

- se faire communiquer tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission,

- convoquer et entendre les parties en leurs dires et observations, ainsi que tout sachant,

- répondre aux dires des parties,

- comparer le montant du loyer du bail expiré par rapport aux prix pratiqués dans le voisinage en s'appuyant sur des éléments précis et circonstanciés notamment au regard des prix pratiqués dans les résidences d'hébergement pour personnes âgées,

- évaluer la valeur locative au 1er avril 2020 des locaux donnés à bail commercial, en précisant la méthode de calcul utilisée eu égard : aux caractéristiques du local, à la destination des lieux, aux obligations respectives des parties, aux facteurs locaux de commercialité, au prix couramment pratiqué dans le voisinage ;

- en tout état de cause, fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la cour d'appel de déterminer la valeur locative des locaux en procédant à leur évaluation.

Dans le cas où une mesure d'expertise judiciaire serait ordonnée, fixer le montant du loyer provisionnel à la somme de 3.250,80 euros par an hors taxes et hors charges.

En tout état de cause,

- condamner in solidum Monsieur et Madame [X] à payer à la société Résidence Ouest la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum Monsieur et Madame [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le montant sera recouvré par Maître Jérôme Clerc, du cabinet LX Avocats, avocat postulant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Les époux [X], par dernières conclusions transmises le 9 octobre 2024, demandent à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du juge des loyers du tribunal judiciaire de Saintes rendu en date du 19 mars 2024 ;

à titre subsidiaire,

- débouter la société Résidence Ouest et la société Aj Up de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- fixer le loyer annuel du bail renouvelé à la somme de 5.537,78 euros hors taxes et hors charges,

en tout état de cause,

- condamner la société Résidence Ouest et la société Aj Up in solidum à verser aux époux [X] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux dépens de première instance et d'appel.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 février 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1) Sur la demande en fixation du loyer renouvelé :

L'article 954 du code de procédure civile dispose en son troisième alinéa : 'La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.'

Le premier juge a déclaré la demande en fixation du loyer renouvelé prescrite.

Dans leur déclaration d'appel et le dispositif de leurs conclusions, la société Résidence Ouest, la Selarl Aj Up ès qualités et la société BTSG ès qualités entendent critiquer cette disposition du jugement déféré. Or, la cour constate que dans la partie discussion des écritures des sociétés appelantes, aucun moyen n'est développé au soutien d'une telle prétention. La cour ne pourra dès lors que confirmer la décision du premier juge en ce qu'il déclaré prescrite la demande en fixation du loyer renouvelé.

2) Sur la demande en révision de loyer :

En droit, l'article L145-37 du code de commerce prévoit que, indépendamment de toutes stipulations contractuelles, le loyer peut être révisé à la demande de l'une des parties, dans les conditions prévues aux articles L 145-37 et L 145-38.

L'article R145-20 du code de commerce dispose : 'La demande de révision des loyers prévue à l'article L. 145-37 est formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Elle précise, à peine de nullité, le montant du loyer demandé ou offert.

A défaut d'accord, la demande est jugée dans les conditions prévues aux articles L. 145-56 à L. 145-60.

Le nouveau prix est dû à dater du jour de la demande.'

Les sociétés appelantes estiment s'être acquittées des formalités prévues à l'article susvisé en ce que :

- les époux [X] ont bien été destinataires d'un courrier LRAR du 20 février 2023,

- la demande figurant à ce courrier fait bien mention du nouveau prix souhaité,

- que les destinataires de ce courrier en ont bien saisi le sens puisqu'ils se sont opposés à la baisse de loyer proposée.

La cour constate que le courrier allégué par les sociétés appelantes (pièce n° 9) propose bien aux bailleurs une diminution de loyer mais elle est faite au visa de l'article L 145-10 du code de commerce, apparaissant expressément en objet. Et in fine, il est précisé : 'En application de l'article L 145-12 du code de commerce, les dispositions du bail renouvelé prendraient effet le premier jour du trimestre civil suivant la présente demande, soit le 1ER avril 2023, sans préjudice bien entendu de vos droits résultant de l'article L 145-11 du même code'. Il est manifeste que ce courrier n'a pas été adressé dans le cadre d'une révision des loyers au titre des articles L 145-37 et L 145-38 du code de commerce.

C'est donc de façon parfaitement justifiée que le premier juge a donc pu estimer que la demande en révision de loyer était irrégulière.

En cause d'appel, les sociétés appelantes reprochent au premier juge un excès de formalisme susceptible d'être sanctionné par la Cour européenne des droits de l'Homme. Ce moyen appelle deux observations de la part de la cour. D'une part, le statut des baux commerciaux est d'ordre public, et le formalisme prévu par la loi doit s'appliquer avec rigueur. D'autre part, le présent dossier oppose une société preneuse qui est une professionnelle du bail commercial, à un couple de particuliers, simples investisseurs.

Au regard de l'ensemble de ces observations, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.

Les demandes subsidiaires présentées deviennent sans objet.

Les sociétés Résidence Ouest et AJ Up qui succombent devant la cour seront condamnées solidairement aux dépens d'appel et dès lors au paiement de la somme de 3.000 euros au profit des intimés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne solidairement les sociétés Résidence Ouest et AJ Up ès-qualité aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 3.000 euros au profit des époux [X] pris comme une seule partie, au titre des frais irrepétibles en cause d'appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire,

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