CA Paris, Pôle 4 ch. 2, 7 mai 2025, n° 22/07101
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cinq Freres (SARL)
Défendeur :
Syndicat des copropriétaires, Foncia Chadefaux Lecoq (SASU), SCI New Mehdi, SCI Shanao, SCP Stéphane Lherbier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Moreau
Vice-président :
M. Carrière
Conseiller :
Mme Vermont
FAITS & PROCEDURE
La société à responsabilité limitée Cinq Frères est locataire d'un local commercial dans lequel elle exploite un fonds de commerce bar-café-hôtel, au rez-de-chaussée et au premier étage d'un immeuble en copropriété situé [Adresse 3] à [Localité 7], ayant pour syndic la société par actions simplifiée Foncia Chadefaux Lecoq.
Ce local a subi le 17 juin 2013 un dégât des eaux provoquant l'effondrement du plafond haut de la salle située au 1er étage de l'immeuble servant à la société Cinq Frères au service du petit-déjeuner.
La société New Mehdi était propriétaire du lot 25, situé au deuxième étage , à l'aplomb de la partie effondrée et du lot 48 situé au 3è étage de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 7].
Par assignation délivrée le 18 mai 2015 à l'encontre du syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 7], la société Cinq Frères a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny pour obtenir la désignation d'un expert judiciaire.
Par ordonnance du 10 juillet 2015 rendue au contradictoire du syndicat des copropriétaires, puis de la société civile immobilière New Medhi, le juge des référés a désigné M. [S], expert judiciaire.
La société New Medhi a vendu ses appartements à la société civile immobilière Shanao, par acte notarié du 18 mars 2019 reçu par Maître [V], de la société civile professionnelle Lherbier, [V], Lherbier et Darmon, Notaires associés (la SCP Lherbier), moyennant le prix de 82 892,49 euros. L'acte faisait suite à une promesse de vente consentie à la société civile immobilière Greco le 6 novembre 2018, dans le bénéfice de laquelle la société Shanao s'est substituée par acte du 2 janvier 2019. Un avenant conclu le même jour entre la société Greco et la société New Mehdi était joint à la promesse de vente. Cet avenant fixait un prix d'achat supérieur à celui visé dans la promesse pour couvrir le montant de l'ensemble des dettes de la société New Mehdi et ainsi désinteresser ses créanciers.
L'expert a déposé son rapport le 27 janvier 2020.
C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier du 5 novembre 2020, la société Cinq Frères a fait assigner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] et la société Shanao devant le tribunal judiciaire de Bobigny.
Postérieurement, par actes d'huissier du 9 février 2021, la société Shanao a fait assigner en intervention forcée la société New Medhi, Maître [V] et la société Lherbier, [V], Lherbier et Darmon, Notaires associés. Cette instance a été jointe à la première par mention au dossier du 10 mai 2021.
Puis, par acte d'huissier du 7 mai 2021, la société Shanao a également fait assigner en intervention forcée la société Foncia Chadefaux Lecoq. Les instances ont fait l'objet d'une jonction.
Par jugement du 28 mars 2022, le tribunal judiciaire de Bobigny a :
- déclaré irrecevables les demandes présentées par Maître [V] et la société Lherbier, [V], Lherbier et Darmon, Notaires associés contre la société New Medhi,
- débouté la société Shanao de sa demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire,
- condamné la société Shanao à payer à la société Cinq Frères la somme de 5 000 euros HT au titre des travaux de remise en état de la salle des petits-déjeuners du premier étage,
- débouté la société Cinq Frères du surplus de ses demandes,
- débouté le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] de ses demandes dirigées contre la société Shanao,
- débouté la société Shanao de ses demandes dirigées contre le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7],
- condamné la société New Medhi à garantir la société Shanao des condamnations prononcées à son encontre au profit de la société Cinq Frères,
- débouté la société Shanao du surplus de ses demandes dirigées contre la société New Medhi, et de ses demandes dirigées contre la société Foncia Chadefaux Lecoq, Maître [V] et la société Lherbier, [V], Lherbier et Darmon, Notaires associés,
- condamné in solidum la société Shanao et la société New Medhi aux dépens, en ce inclus les frais d'expertise judiciaire, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 de procédure civile,
- condamné la société Shanao à payer à la société Cinq Frères la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les autres parties de leur demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société Shanao de sa demande fondée sur l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965,
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit du présent jugement,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
La société Cinq Frères a relevé appel de cette décision par déclaration remise au greffe le 6 avril 2022. L'affaire a été enregistrée sous le numéro de répertoire général 22-7101.
La SCI Shanao a fait appel principal du jugement. Cet appel a été enregistré sous le numéro de répertoire général 22-9317.
Par ordonnance du 7 décembre 2022, le conseiller de la mise en état a joint les deux procédures sous le numéro de répertoire général 22-7101.
La procédure devant la cour a été clôturée le 11 décembre 2024.
PRETENTIONS DES PARTIES
Vu les conclusions notifiées le 8 juin 2022 par lesquelles la société Cinq Frères, appelante, invite la cour, au visa des articles 1240 et 1242 et suivants du code civil, à :
- confirmer le jugement en ce qu'il :
déclare irrecevables les demandes présentées par Maître [V] et la société Lherbier, [V], Lherbier et Darmon, Notaires associés contre la société New Medhi,
déboute la société Shanao de sa demande d'annulation du rapport d'expertise,
la condamne à lui payer la somme de 5 000 euros hors-taxes au titre des travaux de remise en état de la salle des petits déjeuners du premier étage,
déboute le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] de ses demandes dirigées contre la société Shanao,
déboute la société Shanao de ses demandes dirigées contre le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7],
condamne la société New Medhi à garantir la société Shanao des condamnations prononcées à son encontre au profit de la société Cinq Frères,
déboute la société Shanao du surplus de ses demandes,
condamne in solidum la société Shanao et la société New Medhi aux dépens incluant les frais d'expertise judiciaire,
condamne la société Shanao à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'infirmer en ce qu'il :
la déboute du surplus de ses demandes,
et statuant à nouveau
- condamner la société Shanao au paiement de la somme de 209 237 euros au titre des pertes d'exploitation d'avril 2013 à décembre 2021, ajouté de la perte de chiffre d'affaires d'avril 2013 à décembre 2013, 22 613 euros HT, soit une somme totale de 231 850 euros HT,
- condamner la société Shanao au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de la procédure d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions notifiées le 27 juin 2022 par lesquelles Maître [V] et la SCP Lherbier, [V], Lherbier et Darmon, Notaires associés, intimés, invitent la cour, au visa de l'article 1240 du code civil, à :
- confirmer le jugement rendu le 28 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu'il a débouté des demandes de garanties formulées par la société Shanao contre eux,
- débouter la société Shanao de toutes demandes de condamnation à garantie et condamnations pécuniaires qui seraient formulées devant la cour d'appel de céans à leur encontre,
- condamner tout succombant à leur payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens de la première instance et de l'instance d'appel, avec application des articles 699 du même code,
à titre subsidiaire,
- limiter leur éventuelle condamnation au regard de la seule perte de chance minime, dont la société Shanao pourrait se prévaloir.
Vu les conclusions notifiées le 24 août 2022 par lesquelles le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7], intimé et appelant incident, invite la cour, au visa des articles 9 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 et 1240 et 1241 du code civil, à :
- confirmer le jugement rendu le 28 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu'il a :
débouté la société Cinq Frères de ses demandes à son encontre,
débouté la société Shanao de sa demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire,
débouté la société Shanao de sa demande visant à voir condamner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 7] à le relever et le garantir à l'encontre de toute condamnation prononcée à son encontre au profit de la société Cinq Frères et de ses autres demandes à son encontre,
à titre incident,
- infirmer le jugement rendu le 28 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu'il l'a :
débouté de sa demande de condamnation de la société Shanao à lui payer la somme de 24 197,33 euros,
en tout état de cause,
- condamner la société Shanao à le relever et le garantir de toute condamnation qui par impossible serait prononcée à son encontre,
- débouter tout opposant aux présentes conclusions de ses demandes à son encontre,
- condamner tout opposant aux présentes conclusions à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Vu les conclusions notifiées le 21 juillet 2022 par lesquelles la société Foncia Chadefaux Lecoq, intimée, invite la cour, à :
- confirmer le jugement entrepris du tribunal judiciaire de Bobigny du 28 mars 2022 en toutes ses dispositions,
- condamner la société Cinq Frères au paiement de la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens comprenant les droits de timbre.
Vu les conclusions notifiées le 23 novembre 2022 par lesquelles la société Shanao, appelante , invite la cour, au visa des articles 1104, 1137, 1240, 1242 et 1641 et suivants du code civil, à :
- confirmer le jugement du 28 mars 2022 en ce qu'il a :
débouté la société Cinq Frères de ses demandes, dont l'indemnisation de sa perte d'exploitation,
débouté le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] de ses demandes dirigées contre elle,
condamné la société New Medhi à la garantir des condamnations prononcées à son encontre au profit de la société Cinq Frères,
condamné la société New Medhi aux dépens, en ce inclus les frais d'expertise judiciaire, avec application de l'article 699 du code de procédure civile,
débouté le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7], Maître [V], la société Lherbier, [V], Lherbier, Darmon, Notaires associés et la société Foncia Chadefaux Lecoq de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté la société Cinq Frères, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7], Maître [V], la société Lherbier, [V], Lherbier, Darmon, Notaires associés et la société Foncia Chadefaux Lecoq de leurs demandes plus amples ou contraires,
à titre incident,
- infirmer le jugement du 28 mars 2022 pour le surplus,
et statuant à nouveau, il demande à la cour de :
- sur le rapport d'expertise judiciaire :
à titre principal,
annuler purement et simplement le rapport d'expertise judiciaire,
subsidiairement,
le déclarer inopposable à la société Shanao,
- à l'encontre de la société Cinq Frères :
débouter la société Cinq Frères de sa demande d'indemnisation au titre du raccord de plancher entre le premier et le second étage, somme qu'elle n'a pas vocation à engager s'agissant de travaux sur partie commune incombant à la copropriété,
débouter la société Cinq Frères de sa demande au titre de la remise en état du sol et des murs du local sinistré, dès lors qu'il n'est pas démontré que l'effondrement du plancher ait été causé par l'installation sanitaire de son appartement, même en partie, en l'état des canalisations communes fuyardes et en l'absence de justification de la somme réclamée et rapportée à la zone strictement sinistrée et non au local entier,
débouter la société Cinq Frères de toutes ses demandes incidentes au titre de la perte de chiffre d'affaires ou d'exploitation des petits-déjeuners,
débouter la société Cinq Frères de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire en l'état de la nullité du rapport d'expertise judiciaire et à tout le moins de son inopposabilité à la société Shanao, non partie à cette expertise,
- à l'encontre de la société New Medhi :
condamner la société New Medhi à la garantir et à la relever de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre dans le cadre de la présente instance,
condamner la société New Medhi à restituer la somme de 16 500 euros à titre de réduction du prix de vente,
- à l'encontre de Maître [V], es qualité et de la société Lherbier, [V], Lherbier, Darmon, Notaires associés :
condamner in solidum Maître [V], es qualité et la société Lherbier, [V], Lherbier, Darmon, Notaires associés à l'indemniser de son entier préjudice à hauteur des condamnations financières qui seraient prononcées à son encontre au profit de la société Cinq Frères ou du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] en réparation de sa perte de chance de ne pas avoir acquis l'appartement litigieux ou de l'avoir acquis à un moindre prix tenant compte du risque financier encouru,
- à l'encontre de la société Foncia Chadefaux Lecoq :
condamner la société Foncia Chadefaux Lecoq à la relever et la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre à l'égard de la société Cinq Frères et du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7],
condamner la société Foncia Chadefaux Lecoq à supporter le coût des étais mis en place pour soutenir le plancher puisque les travaux de réfection du plancher auraient dû être entrepris de sa propre initiative dès 2014 lorsqu'elle est devenue syndic de la copropriété,
- à l'encontre du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] :
condamner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7], à la relever et la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre en l'état de son inertie fautive dans la réfection du plancher haut du premier étage,
condamner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] à supporter avec la société Foncia Chadefaux Lecoq le coût des étais mis en place pour soutenir le plancher puisque les travaux de réfection du plancher auraient dû être entrepris dès l'effondrement du plancher en 2013,
si la cour venait à infirmer le jugement du 28 mars 2022 ayant rejeté la demande du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] visant à voir la société Shanao condamner l'indemniser du coût de réfection du plancher,
déclarer à titre infiniment subsidiaire qu'elle ne saurait supporter plus de 10 % du coût des travaux de réfection du plancher,
en tout état de cause,
- débouter la société Cinq Frères, la société New Medhi, Maître [V], la société Lherbier, [V], Lherbier, Darmon, Notaires associés, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] et la société Foncia Chadefaux Lecoq de leurs entières demandes principales ou incidentes, fins et conclusions formées à son encontre,
- la dispenser de toute participation aux condamnations en vertu de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965,
- condamner in solidum la société Cinq Frères, la société New Medhi, Maître [V], es qualité de notaire instrumentaire de la vente, la société Lherbier, [V], Lherbier, Darmon, Notaires associés, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] et le syndic, la société Foncia Chadefaux Lecoq, à titre personnel, à lui verser une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de la première instance et de l'instance d'appel avec application de l'article 699 du même code.
Vu la signification de la déclaration d'appel à la requête de la société Cinq Frères, délivrée à la société New Medhi, le 9 juin 2022, remise à étude ;
Vu la signification des conclusions à la requête de la société Cinq Frères, délivrée à la société New Medhi, le 9 juin 2022, remise à étude ;
SUR CE,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la demande d'annulation du rapport d'expertise présentée par la SCI Shanao au titre de l'appel incident :
Moyen des parties :
La SCI Shanao observe que la société Cinq Frères fonde ses demandes sur un rapport d'expertise judiciaire du 27 janvier 2020 et observe que l'expertise était en cours lorsqu'elle a acquis l'appartement de la société New Mehdi au 2è étage.
N'ayant pas été informée du déroulement de l'expertise, elle n'a pu y participer et présenter des observations.
Elle souligne le caractère lacunaire de l'expertise et relève que le tribunal n'a pas tranché la question de l'inopposabilité du rapport à son égard. Elle en déduit que l'expertise doit être déclarée nulle ou à tout le moins inopposable.
Réponse de la cour :
Les parties à une instance au cours de laquelle une expertise judiciaire a été ordonnée ne peuvent invoquer l'inopposabilité du rapport d'expertise en raison d'irrégularités affectant le déroulement des opérations d'expertise, lesquelles sont sanctionnées selon les dispositions de l'article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant les nullités des actes de procédure (Chambre mixte, 28 septembre 2012, n° 11-11.381, Bch. Mixte 2012 n° 1) et notamment aux irrégularités de forme de l'article 114 du code de procédure civile, dont l'inobservation ne peut être sanctionnée par la nullité qu'à charge de prouver un grief (Civ 2è, 8 septembre 2022, n° 21-12.030, publié).
La SCI New Mehdi a vendu le lot 25 situé à l'aplomb de la partie effondrée à la SCI Shanao, par acte notarié du 18 mars 2019 reçu par Me [C] [V], l'acte faisant suite à une promesse de vente consentie à la SCI Greco le 6 novembre 2018 dans le bénéfice de laquelle la société Shanao s'est substituée le 2 janvier 2019.
L'expertise judiciaire confiée à M. [S] a été ordonnée le 10 juillet 2015 et l'expert a déposé son rapport le 27 janvier 2020. Etaient appelées aux opérations d'expertise la sarl Cinq Frères, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] à [Localité 7] et la SCI New Mehdi représentée par M. [D].
Il ne résulte d'aucun élément du dossier que l'expert a été informé de la vente de l'appartement de la société New Mehdi au cours de ses opérations. Lors de sa seconde visite sur les lieux le 22 mai 2019, l'expert indique avoir adressé à la SCI New Mehdi et à son gérant M. [D] le document de synthèse à ses deux adresses connues.
Il s'ensuit que les opérations d'expertise ordonnées en 2015 ont été réalisées jusqu'à la date du 18 mars 2019 alors que la SCI Shanao n'était pas propriétaire de l'appartement suspecté d'être à l'origine des fuites ayant causé les désordres survenus dans la sarl Cinq Frères. Postérieurement à cette date, l'expert n'a pas été informé du changement de propriétaire notamment dans la perspective de la seconde réunion organisée sur les lieux le 22 mai 2019. La circonstance que l'expert, à l'issue de la réunion, adresse son document à la SCI New Mehdi et à son représentant montre de toute évidence qu'il n'avait nullement l'intention d'éluder le principe du contradictoire.
La liste des opérations d'expertise et diligences de l'expert (p. 5 de l'expertise, pièce 35 SCI Shanao) montrent qu'antérieurement à la vente de l'appartement de la société New Mehdi, l'expertise a été réalisée au contradictoire de celle-ci sans que, manifestement, celle-ci ne participe de manière active aux dites opérations.
Il n'apparaît pas que la SCI Mehdi ou son représentant ait informé les parties en présence ou l'expert de la vente de l'appartement après laquelle seule une réunion de synthèse du 22 mai 2019 s'est tenue.
Il s'ensuit que les opérations d'expertise se sont déroulées au contradictoire du vendeur de la SCI Shanao puis, l'expert n'ayant pas été informé de la vente de l'appartement, n'a pas été mis en mesure de convoquer celle-ci, non attraite à la procédure, lors de la réunion de synthèse qui s'est tenue le 22 mai 2019 et de lui adresser son document de synthèse après réception de devis par le conseil de la société Cinq Frères.
Dans ces circonstances, la SCI Shanao ne justifie d'aucun grief et sa demande de nullité doit être rejetée.
N'ayant été ni appelée ni représentée aux opérations alors qu'elle était devenue propriétaire de l'appartement de la SCI New Mehdi à compter de janvier 2019, la SCI Shanao soutient que l'expertise lui serait inopposable.
Cependant, le rapport d'expertise est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion des parties et il appartient au juge de déterminer s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve.
Dès lors, il n'y a pas lieu de déclarer le rapport déposé par M. [S] le 27 janvier 2020 inopposable à la SCI Shanao.
Le grief invoqué par la SCI Shanao relatif aux conclusions lacunaires de l'expert renvoie directement à la discussion de la valeur probante de l'expertise, discussion relevant du fond du dossier et sans incidence ni sur la régularité formelle de l'expertise ni sur son opposabilité à la SCI Shanao.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de l'expertise judiciaire sollicitée par la SCI Shanao.
Sur la responsabilité de la SCI Shanao dans la survenue du sinistre et sur les travaux de reprise dans les locaux de la société CINQ FRERES
Moyen des parties :
La SCI Shanao considère que ni le rapport d'expertise ni aucune autre pièce ne permettent d'affirmer que l'effondrement du plancher de la salle des petits déjeuners de la société Cinq Frères a pour cause certaine une fuite des installations sanitaires de l'appartement de la SCI Shanao et souligne que le tribunal ne pouvait la considérer partiellement responsable des désordres tout en la condamnant en mettant à sa charge 100 % du montant des réparations. Elle considère que le montant du raccord du plancher à hauteur de 1000 euros doit être déduit des 5000 HT réclamés dès lors qu'ils ont vocation à assurer le financement du raccord de plancher qui doit intervenir dans le cadre de la réfection de celui-ci qui constitue une partie commune.
Réponse de la cour :
La cour relève que le dispositif du jugement ne comporte aucun chef prononçant sur les responsabilités de la SCI Shanao et sur celles du syndicat des copropriétaires, le tribunal relevant dans les motifs que la responsabilité de la SCI Shanao ne serait que partielle ce qui le conduit à condamner la SCI à prendre en charge totalement les frais de rénovation des locaux de la société Cinq Frères tandis qu'il rejette la demande de prise en charge des travaux de reprise du plancher présentée par le syndicat au motif qu'il ne peut être exclu qu'il soit responsable dans une proportion impossible à fixer.
La SCI Shanao demande à la cour de :
confirmer le jugement du 28 mars 2022 en ce qu'il a :
débouté la société Cinq Frères de ses demandes, dont l'indemnisation de sa perte d'exploitation,
débouté le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] de ses demandes dirigées contre elle.
Et, au cas où la cour venait à infirmer le jugement du 28 mars 2022 ayant rejeté la demande du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à [Localité 7] visant à voir la société Shanao condamner l'indemniser du coût de réfection du plancher,
déclarer à titre infiniment subsidiaire qu'elle ne saurait supporter plus de 10 % du coût des travaux de réfection du plancher.
La Cour constate donc qu'elle n'est saisie d'aucune demande tendant à procéder à un partage de responsabilité entre la SCI Shanao et le syndicat en ce qui concerne la prise en charge des travaux réparatoires des parties privatives de la société Cinq Frères.
La SCI Shanao conteste la somme de 5000 euros attribuée par le tribunal à la société Cinq Frères sollicitant le retrait d'une somme de 1000 euros qui correspondrait au raccord de plancher avec l'existant au motif que cette somme, servant à la réparation d'une partie commune, n'est pas dûe à la société Cinq Frères.
Toutefois, il résulte des énonciations expresses du jugement attaqué que le tribunal n'a pas inclus dans la somme attribuée à la SARL au titre des mesures réparatoires la somme de 1000 euros contestée par la SCI Shanao.
Il apparaît que la somme allouée à la SARL Cinq Frères ne vise que les mesures réparatoires de la moquette et du faux plafond endommagés lors du sinistre, dont il n'est pas contestable qu'elles concernent la remise en état des parties privatives de la SARL. La somme allouée apparaît avoir été justement appréciée par le tribunal de sorte qu'il y a lieu de débouter la SCI Shanao tendant à infirmer le jugement l'ayant condamnée au paiement de cette somme.
Le jugement sera donc confirmé sur ces points.
Sur la demande du syndicat des copropriétaires à l'encontre de la SCI Shanao au titre de son appel incident :
Moyen des parties :
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 7] sollicite la condamnation de la SCI Shanao à lui verser la somme de 24 197, 33 euros au titre des travaux de reprise des structures du plancher endommagé du fait des fuites d'eau qui proviennent de ses installations privatives. Il rappelle que selon les conclusions d'expertise, les travaux confortatifs suite aux désordres incombent exclusivement au propriétaire de l'appartement, les dégâts causés à la structure de l'immeuble ne faisant pas l'objet de la présente procédure.
Il souligne que les travaux de réfection du plancher n'ont pu être entrepris tant que l'appartement appartenait à la société New Mehdi qui n'y donnait pas accès de même qu'à la fin de l'année 2020, il n'avait toujours pas été possible d'accéder dans les locaux appartenant désormais à la SCI Shanao. Il souligne qu'après la dépose des installations sanitaires de la SCI, les travaux de reprise ont débuté mais ont dû cesser, l'entrepreneur RSB constatant la persistance de fuites émanant des installations sanitaires fautives.
Le syndicat des copropriétaires reproche à la SCI Shanao de ne pas avoir entrepris dès 2019 l'expulsion de squatters qui occupaient l'appartement . Les travaux ont débuté après l'engagement de la SCI Shanao de mettre fin aux infiltrations.Après le retrait des éléments fuyards, la société RSB a débuté courant 2021 les travaux de reprise qui ont été interrompus après le constat de la persistance de fuites en provenance de la salle d'eau. Le gérant de la SCI Shanao informait le syndicat que la salle de bain avait été refaite le 24 septembre 2021. Pour autant, le syndicat lui reproche de ne pas avoir respecté l'obligation pour murs et sols d'une salle d'eau en parfait état d'étanchéité de sorte que les travaux de réfection de la salle de bain, non conformes aux règles de l'art, ne permettent pas de prévenir la survenue de nouveaux désordres, ce qui empêchera le syndicat de terminer les travaux de plâtrerie confiés par le maître d'oeuvre à la société RSB.
La SCI Shanao rétorque qu'aucun retard ne peut lui être imputé dans la réfection du plancher haut du premier étage au détriment de la société cinq Frères et que cette réfection ne dépendait pas de celle de ses installations sanitaires. Elle note que si le syndicat se prévaut de la persistance de fuites supposées émaner de ses installations sanitaires, cette affirmation se trouve contredite par les constatations qu'elle a fait réaliser lors d'une recherche de fuite, ce qui a été confirmé par constat d'huissier. Elle souligne qu'elle même a été victime de fuites constatées lors de la dépose du carrelage mural de sa salle de bain ce qui est manifestement le résultat des canalisations fuyardes de l'immeuble.
Elle note avoir sommé le syndicat des copropriétaires de préciser si les travaux de réfection du plancher ont été repris et achevés sans quoi la cour devrait en tirer les conséquences.
En tout état de cause, la demande du syndicat lui apparaît mal fondée puisque ni l'expert judiciaire ni l'architecte de l'immeuble n'ont ni constaté ni démontré l'existence d'un écoulement persistant en provenance de la salle de bain du 2è étage en direction du 1er.
Elle estime que si elle devait être condamnée dans le cadre de la présente instance, le syndicat des copropriétaires devrait la garantir dès lors qu'il n'est pas démontré que ses installations sanitaires sont à l'origine de l'effondrement du plancher ni dans quelles proportions elles ont joué un rôle en sus des canalisations fuyardes.
Réponse de la cour :
L'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que chaque copropriétaire jouit de son lot à la condition de ne porter atteinte, ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l'immeuble ; ce texte institue une responsabilité objective de plein droit d'un copropriétaire, à l'égard d'autres copropriétaires ou du syndicat, des conséquences dommageables provenant de son lot.
Par application de l'article 544 du code civil, la théorie des troubles anormaux du voisinage prévoit le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements et limité par l'obligation de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
La théorie des troubles du voisinage édicte un principe de responsabilité sans faute, les propriétaires auteurs des nuisances étant responsables de plein droit vis à vis des voisins victimes et ce, quand bien même ils n'auraient commis aucune faute ou n'occupent pas matériellement leur habitation. Il suffit de démontrer une relation de cause à effet directe entre les troubles subis par le tiers lésé et l'intervention du propriétaire auteur pour que la responsabilité de ce dernier puisse être engagée.
Il n'est pas contestable que la SCI New Mehdi, propriétaire de l'appartement situé au 2è étage, était voisin de la société Cinq Frères lors de la survenue des désordres le 17 février 2013.
La SCI Shanao ayant acquis l'appartement de la SCI New Mehdi par acte authentique du 18 mars 2019, celle-ci se trouve subrogée dans ses droits et obligations.
L'expert judiciaire a imputé l'intégralité des infiltrations à l'origine des désordres survenus dans les parties privatives de la SARL Cinq Frères aux équipements sanitaires de l'appartement situé au 2è étage appartenant à M. [D] (SCI New Mehdi)'hors d'âge et fuyards qui sont utilisés par de multiples travailleurs'.
Il convient à cet égard de préciser que les parties communes de l'immeuble étaient fortement dégradées, plusieurs pièces produites par les parties évoquant l'existence d'un trafic de cigarettes devant celui-ci et le fait que l'immeuble servait de lieu de résidence à ces trafiquants et/ou à des squatters.
L'expert n'a pu pénétrer dans les lieux que le 22 mai 2019 dans des circonstances qualifiées de chanceuses et accompagné de personnes connaissant les lieux et les personnes.
Le constat d'huissier réalisé à la requête de la société Le Greco le 29 octobre 2018 dans l'appartement qui devait être vendu à la SCI Shanao (pièce 7 Me [V], clichés 33 et suivantes) montre la présence d'une canalisation (clichés 39 et 40), partie commune, manifestement fuyarde ayant endommagé le mur de la salle de bain, notamment dans sa partie haute, contre lequel se trouve adossée une cabine de douche. La présence de cette canalisation fuyarde devait être également relevée en 2021 par M. [G], expert privé commis par la SCI Shanao (pièce 10 SCI)
L'existence d'infiltrations résultant d'une canalisation fuyarde était donc manifeste et n'a pu échapper à l'expert judiciaire lors de sa visite. Malgré ces infiltrations visibles et émanant d'une partie commune que l'expert n'évoque pas mais qui n'ont pu lui échapper, celui-ci a donc en connaissance de cause imputé la totalité des désordres survenus dans la société Cinq Frères à la société New Mehdi et à son gérant.
L'annexe 1 du rapport d'expertise produite par la société Cinq Frères comporte plusieurs clichés datant de 2015, soit deux ans après la survenue du désordre, montrant que l'effondrement du plancher haut de la salle des petits déjeuners de la société est très localisé sur 4m². Aucune trace d'infiltration n'apparaît sur les murs de la salle alors que la présence de telles traces seraient logiques si les fuites émanant de cette canalisation avaient été importantes au point de se propager aux étages inférieurs.
L'effondrement très localisé du plancher sur une surface de 4 m²n'a pas manqué d'être relevé par le cabinet Cunningham et Lindsey ce qui atteste d'infiltrations très localisées de même que les dommages subis par la moquette au droit de cet effondrement.
Les conclusions expertales concernant l'imputabilité des désordres aux parties privatives de la SCI Shanao sont également confortées par M. [G] dans son rapport d'expertise privé réalisé le 23 février 2021 à la requête de la SCI Shanao (pièce 10 SCI).Celui-ci déterminait que le désordre avait pour causes primaires :
- le bac à douche en céramique fêlé et cassé à plusieurs endroits laissant infiltrer l'eau.
- l'absence d'étanchéité dans la salle de bain,
- le bac à douche fêlé,
- l'absence de ventilation.
Il incluait également parmi ces causes une colonne d'AEP comportant le compteur d'eau qui était fuyarde et que de l'eau s'écoulait le long du tuyau décollant ainsi la peinture en profondeur, la cour constatant que cette canalisation est celle visible sur les clichés 39 et 40 du constat d'huissier réalisé le 29 octobre 2018.
Quant au rapport de M. [Y], architecte de l'immeuble ayant succédé à M. [M], en date du 26 février 2021, celui-ci relevait dans la salle d'eau de la SCI Shanao ( pièce 35 SCI):
- que l'ensemble des appareils sanitaires était vétuste, ainsi que le ballon ECS,
- les joints des appareils sanitaires et les joints de faience et carrelage étaient dégradés et fuyards,
- la douche était globalement fuyarde,
- les alimentations et évacuations privatives étaient vétustes.
L'architecte notait que l'état des installations sanitaires de l'appartement de la SCI Shanao participait à l'humidité persistante dans le plancher sinistré.
Ces constatations corroborent les constatations expertales, M. [Y] ajoutant que les désordres ont pour origine des fuites anciennes, répétées des installations sanitaires du logement de la SCI Shanao.
Il relèvait aussi que l'évacuation commune n'était pas visible et que l'alimentation commune EF était apparente, en plomb et vétuste, la canalisation condensait fortement.
Les parements des parois de la salle d'eau étaient dégradés et l'humidité superficielle était notable, ainsi le plafond présentait des traces d'infiltrations anciennes et répétées provenant du niveau supérieur.
L'architecte notait que le désordre avait également pour origine les réseaux sanitaires communs de l'immeuble.
Il résulte de ce qui précède que l'implication des installations sanitaires privatives de l'appartement appartenant désormais à la société Shanao dans le désordre survenu dans la salle des petits déjeuners de la société Cinq Frères est établie de manière certaine par le rapport d'expertise corroboré par les rapports de MM. [G] et [Y].
En revanche, l'implication de parties communes dans les désordres n'apparait pas établie avec certitude. En premier lieu, les constatations de M. [G] et [Y] sont réalisées en 2021 et ne renseignent pas sur l'état desdites canalisations lors de la survenue des dommages en 2013, de même que les constatations de l'huissier en 2018.
En second lieu, la localisation très circonscrite de l'effondrement du plancher, sans trace d'infiltrations visibles sur le mur au droit de la canalisation fuyarde relevée par M. [G] ce qu'attestent les clichés photographiques joints à l'expertise et réalisés en 2015, tendent à corroborer les conclusions judiciaires expertales dont il résulte que l'intégralité des dommages survenus dans les locaux de la société Cinq Frères sont imputables aux installations sanitaires fuyardes de l'appartement acquis par la société Shanao.
Par ailleurs, c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé que si la société Ajed avait constaté le 26 août 2021 que le mur de la salle de bain de la SCI Shanao était complètement imbibé d'eau, ces constatations ne permettent nullement d'établir la date d'apparition de cette source d'infiltration ni donc l'existence d'un lien causal avec les dommages subis par la société Cinq Frères.
Il s'ensuit qu'aucun élément ne permettant d'établir l'implication de parties communes dans la survenue du sinistre dans les locaux de la SARL Cinq Frères, il y a lieu de rejeter la demande de la SCI Shanao tendant à débouter le syndicat des copropriétaires de sa demande ainsi que sa demande subsidiaire tendant à procéder entre eux à un partage de responsabilité.
Il vient d'être démontré que la SCI Shanao est entièrement responsable des désordres survenus dans les locaux de la société Cinq Frères.
Les travaux de reprise du plancher haut, quoique portant sur des parties communes de l'immeuble, doivent être intégralement pris en charge par la SCI Shanao.
Ces travaux ont été chiffrés par l'architecte de l'immeuble à la somme de 24 197, 33 (rapport [Y] pièce 36 SCI) et se décomposent comme suit :
montant total forfaitaire travaux hors taxe : 17 757, 35 euros
Montant total honoraires : 1740, 22 euros
Assurance Dommages-ouvrage : 2500 euros.
La liste des travaux est établie par le devis n° 4167 joint au rapport de l'architecte et émanant de la société RSB du 5 mars 2021. La cour est en mesure de s'assurer que les postes de travaux énoncés par le devis et non discutés par les parties concernent strictement la reprise du plancher haut niveau 1 correspondant au plancher haut de la société Cinq Frères.
Dès lors, il y a lieu de condamner la SCI Shanao à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 24 197, 33 euros au titre des travaux de reprise.
Le jugement sera donc infirmé.
Si les parties dans leurs écritures se font des reproches mutuels concernant l'inertie vraie ou supposée de chacune d'entre elles, la cour constate que le syndicat des copropriétaires ne fonde aucune demande indemnitaire sur ce point de sorte qu'il n'apparaît pas nécessaire de répondre aux écritures des parties.
La cour n'étant saisie que d'une demande tendant à la prise en charge des travaux de reprise du plancher haut, il ne lui appartient pas davantage de déterminer si les travaux de réfection des installations sanitaires de la SCI Shanao sont ou non conformes aux règles de l'art ou à tout autre développement qui n'aurait pas un lien direct avec la demande indemnitaire du syndicat.
Le sens de l'arrêt conduit la cour à rejeter l'appel en garantie formé par la SCI Shanao à l'encontre du syndicat des copropriétaires mais à lui accorder celle de la société New Mehdi dont l'appartement était le fonds voisin de la société Cinq Frères lors de la survenue du sinistre et dont les parties privatives fuyardes constituent l'unique cause certainement identifiée des désordres.
Sur les demandes formées par la société Les cinq Frères :
Moyens des parties :
La société les Cinq Frères ne conteste pas les sommes qui lui ont été allouées au titre des travaux de reprise des désordres mais conteste le rejet de ses demandes au titre de sa perte d'exploitation.
Elle souligne que les désordres engendrés par la salle de bain de la SCI Shanao ont empêché l'utilisation totale de la salle des petits déjeuners. Cette perte de 2014 à 2019 est évaluée annuellement à la somme de 15 000 euros concernant la prestation petits déjeuners par l'expert comptable de la société. Elle ajoute que si le tribunal lui a fait le reproche de ne pas produire certaines pièces comptables, elle verse aux débats de nouveaux éléments justifiant sa demande. Elle relève qu'il en résulte qu'au cours des années précédant les désordres, son chiffre d'affaires pour le petit déjeuner était en moyenne de 29 891 euros par ans. Elle évalue ainsi ses pertes d'exploitation , subies pendant 7 ans, à la valeur de 209 237 euros HT ce à quoi doit s'ajouter la perte de son chiffre d'affaires d'avril 2013 à décembre 2013 soit la somme de 22 613 euros HT.
Elle demande également la garantie du précédent propriétaire la société New Mehdi et s'en rapporte à justice sur ce point.
La SCI Shanao relève que la société Cinq Frères confond perte d'exploitation et perte de chiffre d'affaires. Elle relève que les documents comptables désormais produits demeurent insuffisants à établir la perte d'exploitation alléguée et rappelle que seule une partie de la pièce de petits déjeuners ne pouvait être exploitée. Elle souligne que la société Cinq Frères disposait de solutions alternatives pour proposer des petits déjeuners, ce qu'elle n'a pas fait, de sorte qu'elle est entièrement responsable du préjudice qu'elle allègue. En outre, la structuration de sa clientèle composée pour moitié à l'hébergement social exclut tout service de petit déjeuner. La SCI Shanao relève que la société ne tient pas compte dans son évaluation des aides perçues au cours de la période de fermeture de l'établissement pendant les périodes d'état d'urgence sanitaire de sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris qui l'a déboutée de ses demandes.
Réponse de la cour :
Pour justifier de ses pertes d'exploitation, la société Cinq Frères verse aux débats :
- des bilans et comptes de résultats pour la période comprise entre 2011 et 2021,
- des extraits du grand livre entre décembre 2014 et décembre 2020,
- les recettes mensuelles du bar, salle et petits déjeuners de l'établissement,
- des attestations de son expert comptable relatives aux pertes de chiffre d'affaire.
Les pertes d'exploitation ont été estimées par l'entreprise à la somme de 209 237 euros pour la période comprise entre avril 2013 à décembre 2021.
Cette estimation se fonde sur le chiffre d'affaire moyen pour l'activité petit-déjeuner entre 2011 et 2013 multiplié par sept, chiffre correspondant au nombre d'années d'immobilisation de la salle.
Dans ses écritures, la société relève que cette somme correspond à sa perte de chiffre d'affaire sur la période de 2014 à 2021.
Cependant, dans son dispositif, elle réclame cette somme au titre des pertes d'exploitation.
Or, et comme l'a relevé à juste titre la SCI Shanao, chiffre d'affaire et pertes d'exploitation correspondent à des notions comptables différentes, les secondes nécessitant de déterminer le montant des coûts de production de l'activité (coût variable) pour en dégager un taux appliqué au montant du chiffre d'affaire.
La cour constate que les pièces produites ne lui permettent pas la détermination d'un tel taux qui pouvait l'être, de surcroît, par l'expert comptable de l'entreprise.
L'appréciation de la cour se trouve confortée par l'analyse comptable des pièces produites, et non contredite par la société Cinq Frères, réalisée à la demande de la SCI Shanao (pièce 47 SCI) qui relève notamment :
- que les pertes d'exploitation pour 2020 et 2021 sont réclamées sans tenir compte de la fermeture intervenue en raison de la crise sanitaire,
- que le niveau des achats est resté inchangé, avant et après le sinistre,
- l'absence de comptabilité séparée entre l'activité bar et celle d'hôtellerie qui implique le service du petit-déjeuner.
La société Cinq Frères ne justifiant pas de la perte d'exploitation alléguée doit être déboutée de sa demande.
En sus des pertes d'exploitation pour avril 2013 à décembre 2021, la société Cinq Frères sollicite l'indemnisation de son chiffre d'affaires d'avril 2013 à décembre 2013 à hauteur de 22 613 euros.
Le principe de réparation intégrale implique que le dommage soit réparé sans perte ni profit. Il vise à restituer la victime du dommage dans la situation qui était la sienne avant sa survenue.
Dès lors, la réparation du préjudice commercial de la société ne peut être tendre au remboursement du chiffre d'affaire mais uniquement à celui de la perte d'exploitation non justifiée en l'espèce.
Il y a donc lieu de débouter la SARL Cinq Frères de cette demande.
Sur les demandes de la SCI Shanao à l'encontre de Me [V] et de la SCP [V]-Lherbier
Moyen des parties :
la SCI Shanao fait valoir que l'acte de vente dressé par Me [V] le 18 mars 2019 a mentionné sommairement l'existence d'une procédure initiée par la Sarl Cinq Frères à l'encontre du syndicat des copropriétaires en raison de l'effondrement du plancher. En revanche, il n'a pas été mentionné l'existence de l'expertise judiciaire ordonnée en 2015 ce qui lui aurait permis de mesurer le risque financier notamment pesant sur elle et Me [V] n'a pas fait lecture de l'état daté à la SCI Shanao.
Il s'ensuit que Me [V] a manqué à son obligation de conseil faisant perdre à la SCI une chance de renoncer à la vente ou d'acquérir le bien à un prix inférieur.
Rétorquant aux écritures de Me [V] qui se prévaut de la signature le 2 janvier 2019 d'un acte de substitution dans la promesse de vente initialement conclue entre la société New Medhi, vendeur promettant et une société Greco, cet acte doit être analysé comme une promesse synallagmatique de vente et non une promesse unilatérale de sorte qu'il engageait le promettant et le bénéficiaire et valait vente. La SCI Shanao observe qu'aucun état daté n'était annexé à cet acte. L'acte de substitution ne comporte aucune mention particulière sur l'absence d'état daté.
Elle considère qu'il ne lui appartenait pas de solliciter du syndic toute information supplémentaire sur la procédure en cours mentionnée dans son état daté mais qu'il appartenait bien au notaire de se renseigner plus précisément sur la nature de la procédure pour renseigner le futur acquéreur sur les risques financiers encourus et dont les conséquences seraient exclusivement supportées par l'acquéreur. La négligence fautive du notaire n'a pas permis de mettre en place un séquestre alors que la société New Mehdi est désormais insolvable.
Alors que le sinistre perdurait selon les premiers juges depuis 2013, la SCI Shanao est exposée à indemniser la société Cinq frères pour un préjudice dont elle n'est pas responsable.
Me [V] et la SCP Stephane Leherbier, [C] [V], Aurélien Lherbier et Emmanuelle Darmon, notaires associés (ci-après SCP) rappellent que suivant acte authentique du 18 mars 2019, la société SCI Shanao a acquis de la société New Mehdi les lots 25 et 48 de l'ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 7] ; que cet acte a été précédé d'une promesse unilatérale reçue par Me [V] le 6 novembre 2018 entre la société New Mehdi et la société Greco, bénéficiaire; que la société Greco a fait établir le 29 octobre 2018 un constat d'huissier attestant l'état général dégradé du bien immobilier. La société Shanao a été informée de cet état, ce constat ayant été annexé à la promesse de vente du 6 novembre 2018. Par ailleurs, le notaire a interrogé le syndic qui lui a déclaré dans les états datés des 14 et 18 mars 2019 l'existence d'une procédure engagée contre le syndicat des copropriétaires au titre de l'effondrement du plancher. Cette procédure est expressément mentionnée à l'acte d'acquisition du 18 mars 2019 auquel sont annexés les états datés.
Ils soulignent qu'il n'existe aucune obligation pour un notaire de solliciter du syndic un état daté avant la signature d'une promesse de vente et a fortiori de l'annexer à la promesse. Ainsi, l'état daté n'avait pas à être annexé ni à la promesse de vente du 6 décembre 2018 ni à l'acte de substitution de la SCI Shanao le 2 janvier 2019.
L'ensemble de ces documents ont été remis à la SCI Shanao outre le procès-verbal d'assemblée générale du 5 février 2019 comportant des résolutions sur les procédures en cours et sur les problèmes de sécurité et d'occupation irrégulière dans l'immeuble.
La société New Mehdi a déclaré faussement qu'à sa connaissance aucune procédure n'était engagée ou en passe de l'être contre lui à la demande du syndicat des copropriétaires ou d'un tiers. Or, le notaire ne disposait d'aucune information pour établir la fausseté de cette affirmation, de même qu'il ne peut constituer un séquestre du montant de la vente sans accord des parties et pour une raison identifiée, ce alors que le prix de vente a servi en quasi totalité à desintéresser les créanciers de la société New Mehdi. Aucun comportement fautif tiré d'un manquement à son devoir de conseil ne saurait être reproché au notaire rédacteur.
En tout état de cause, ils affirment que le préjudice allégué par la SCI Shanao n'a pas de lien direct avec les manquements reprochés et qu'elle ne justifie d'aucun préjudice indemnisable qui ne pourrait être constituée que par une perte de chance de renoncer à acquérir ou d'acquérir à moindre prix à la condition toutefois que cette perte de chance soit réelle, sérieuse et raisonnable, ce qui n'est pas le cas.
Réponse de la cour :
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le devoir de conseil du notaire, destiné à assurer la validité et l'efficacité des actes, ne comporte pour l'officier public qu'une obligation de prudence et de diligence et il appartient au client d'établir le manquement du notaire à cette obligation ( Civ 1ère, 22 avril 1981, n°80-11.398, n°126).
Par acte authentique du 6 novembre 2018, Me [V] a reçu une promesse unilatérale de vente entre la société New Mehdi et la société Greco expirant le 6 février 2019, ce délai pouvant être prorogé dans le cas où le notaire instrumenteur ne disposerait pas, à cette date, des documents nécessaires à la régularisation de l'acte.
Il y est annexé le constat d'huissier réalisé le 29 octobre 2018 à la requête de la société Greco dans les deux appartements objet de la promesse et dans les parties communes de l'immeuble qui témoignent de leur forte dégradation. Il est précisé dans les stipulations de l'acte que 'les bâtiments actuels présents ... sont actuellement occupés par des occupants sans droit ni titre'.
Dans les stipulations relatives au prix et paiement du prix, il est indiqué (p.5 de l'acte, pièce 1 [V] et SCP):
'prix :
La vente, si elle se réalise, aura lieu moyennant le prix de trente et un mille douze euros et vingt sept centimes (31 012, 27')
Paiement du prix :
Etant précisé que le BENEFICIAIRE a déjà versé la somme de TRENTE ET UN MILLE DOUZE EUROS ET VINGT SEPT CENTIMES (31012, 27') au syndic de copropriété créancier poursuivant ainsi que les frais de procédure'.
Quant aux modalités de réalisation de la promesse de vente, il est précisé que :
- le promettant (SCI New Mehdi), au cas où il mettrait fin unilatéralement à la promesse de vente est exposé à l'exécution forcée du contrat, le bénéficiaire (Greco) pouvant demander la résolution du contrat
- le promettant a définitivement consenti à la vente.
Par avenant du 2 janvier 2019, le délai de la promesse de vente était prorogé jusqu'au 6 avril 2019 après que le notaire eut levé un état hypothécaire et interrogé le syndic, ces démarches mettant en évidence un nombre de dettes de la SCI New Mehdi s'ajoutant au prix de vente fixé à hauteur de 51 880, 22 euros.
Dans ces circonstances, la société New Mehdi et la société Greco convenaient d'un nouveau prix de vente de 82 892, 49 euros déduction faite de la somme de 31 012, 27 euros déjà versée au syndic de copropriété (pièce 2 [V]/SCP).
Le même jour, était conclu l'acte de substitution entre la société Greco et la SCI Shanao visant à la fois la promesse de vente unilatérale du 6 novembre 2018 et son avenant.
Il ne peut être fait le reproche au notaire instrumenteur de ne pas avoir joint à cette promesse les documents requis pour l'établissement de l'acte authentique de vente, le temps laissé pour la levée d'option servant précisément à donner au notaire le temps pour recueillir l'ensemble des documents nécessaires.
Il ne peut, par ailleurs, être reproché au notaire de ne pas avoir joint d'états datés à la promesse de vente du 6 novembre 2018 et à son avenant dès lors qu'il résulte des articles 4 et 5 du décret du 17 mars 1967 que de tels documents sont adressés au notaire pour l'établissement de tout acte conventionnel réalisant ou constatant le transfert de propriété, caractère dont seul l'acte authentique du 18 mars 2019 dispose (pièce 7 [V]/SCP).
A la page 19 de cet acte, il est indiqué que 'le vendeur déclare qu'à sa connaissance aucune procédure n'est engagée ou en passe de l'être contre lui à la demande de copropriétaires ou d'un tiers, et qu'il n'a pas lui-même intenté de procédure à l'encontre d'un copropriétaire ou d'un tiers'.
Dans la partie relative aux procès en cours impliquant le syndicat des copropriétaires, il est indiqué qu'il résulte de l'état daté délivré par le syndic de l'immeuble qu'une procédure mettant en cause le syndicat est actuellement pendante devant le tribunal pour les raisons suivantes :
- date de début: 26 juin 2015
- description/motif: cinq frères/effondrement plancher.'
Etait joint à l'acte authentique le constat d'huissier du 29 octobre 2018 ainsi que le procès-verbal d'assemblée générale du 5 février 2019 comportant 'un compte rendu du syndic sur les procédures en cours' qui n'est nullement détaillé et ne permet pas d'identifier les procédures et parties dont il s'agit (pièce 6 [V]).
Ces seules indications étaient manifestement insuffisantes pour mettre en mesure la SCI Shanao d'être informée de la nature du contentieux en cours dans la copropriété. Si le constat d'huissier réalisé le 29 octobre 2018 joint à la promesse de vente puis à l'acte authentique permettait d'établir l'état de dégradation des biens acquis par la SCI, rien ne permettait d'établir que l'état des installations sanitaires de l'un des appartements pouvait être en lien direct avec l'effondrement du plancher mentionné dans l'état daté et évoqué dans l'acte de vente.
Par ailleurs, la qualité de professionnelle de l'imobilier de la SCI n'a pas pour effet de dispenser le notaire instrumenteur de son devoir de conseil ou d'en atténuer les exigences qui sont celles d'un devoir de diligence et de prudence.
De même, les déclarations du vendeur ne dispensaient pas le notaire de faire preuve de prudence dès lors que la SCI New Mehdi, criblée de dettes, pouvait être intéressée par la réalisation dans les meilleurs délais de son bien pour désintéresser ses créanciers alors qu'elle ne pouvait pas ignorer sa mise en cause dans la procédure.
Enfin, l'état général de l'immeuble résultant du constat réalisé le 29 octobre 2018, la circonstance que les appartements avaient été squattés, ce qui résultait de la promesse de vente, aurait dû conduire le notaire instrumenteur à recueillir davantage d'informations sur la nature du contentieux mentionné dans l'état daté, ne serait-ce que pour identifier les parties en cause. Ces vérifications auraient permis de déterminer l'existence d'une expertise en cours à laquelle la société Cinq Frères, le syndicat des copropriétaires mais aussi la société New Mehdi avaient été appelés et étaient représentés.
En s'abstenant de procéder à ces diligences, le notaire instrumenteur a commis une faute constitutive d'un manquement à son devoir d'information.
Il résulte de l'article 1240 du code civil précité que la circonstance qu'un professionnel du droit ait manqué à son devoir d'information n'implique pas nécessairement qu'il en résulte un préjudice et que seule la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable constitue une perte de chance.
Par ailleurs, une perte de chance, même minime, ouvre droit à réparation.
La SCI se prévaut d'un préjudice résultant d'une perte de chance lui ayant permis de renoncer à l'achat du bien ou qui lui aurait permis d'en mieux négocier le prix si elle avait été informée du risque financier encouru du fait de la procédure en cours.
La négociation d'un meilleur prix n'était pas envisageable puisqu'il résulte des actes authentiques que le prix des biens a été fixé de manière à désinteresser les créanciers de la société New Mehdi.
Il n'est donc pas établi que les parties n'auraient pas contracté aux mêmes conditions, excluant dès lors l'existence d'un préjudice en lien avec le manquement du notaire.
En revanche, le manquement au devoir de conseil du notaire instrumenteur a privé la SCI Shanao de renoncer à l'acquisition du bien à l'origine du sinistre. Le préjudice ainsi invoqué apparaît donc bien en lien direct et certain le manquement du notaire instrumenteur.
En application de l'article 1240, seul ouvre droit à réparation le dommage en lien causal direct et certain avec la faute imputée au notaire.
En l'espèce, le dommage en lien direct avec la faute du notaire instrumenteur réside dans la perte de chance de renoncer à la vente du bien immobilier à l'origine du sinistre et non dans les condamnations financières encourues par la SCI Shanao en raison de l'effondrement du plancher haut de la société Cinq Frères.
La perte de chance ne peut justifier que Me [V] et la SCP à laquelle il appartient soient tenus de garantir les condamnations susceptibles d'être prononcées contre la SCI Shanao du fait des désordres. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Il y a donc lieu de réparer le préjudice dans la seule limite de la perte de chance de renoncer à la vente qui sera réparé à hauteur du prix d'achat du bien en cause.
Il résulte de l'acte authentique du 18 mars 2019 que la SCI Shanao a acquis les lots n° 25 (impliqué dans le sinistre) et 48 de la copropriété sise [Adresse 3], à [Localité 7] représentant une surface globale de 54, 5m² pour un montant de 82 892, 49.
Dès lors, il y a lieu de condamner in solidum Me [V] et la SCP Lherbier-[V]-Lherbier-Darmon à verser à la SCI Shanao la somme de 41 294 euros (prix de vente global proratisé à la surface du lot 25).
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la demande d'appel en garantie de la SCI Shanao à l'encontre de la société Foncia Chadefaux Lecoq :
Moyen des parties :
La SCI Shanao soutient que l'état daté que la société Foncia a transmis au notaire lui a fait perdre une chance de renoncer à l'achat ou d'acquérir à moindre prix alors qu'elle ne pouvait ignorer que l'appartement, objet de la vente, se trouvait au coeur des débats.
De même, les procès-verbaux d'assemblées générales du 5 février 2019 ne comportent aucun développement sur la procédure et l'expertise en cours.
Elle estime également qu'elle a dû relancer le syndic à plusieurs reprises pour procéder aux opérations de réparation du plancher haut du premier étage de la société Cinq Frères qui ont débuté en juillet 2021 tandis qu'il lui appartenait de les entreprendre sans délai pour la sauvegarde et la sécurité des occupants de l'immeuble.
Elle estime que le syndic a fait preuve d'inertie fautive en laissant s'aggraver les préjudices de la société Cinq Frères dont elle ne porte pas la responsabilité et alors que l'effondrement semble provenir d'un défaut d'entretien de l'immeuble imputable au syndic.
La société Foncia rétorque que la demande de réalisation de travaux ne peut faire l'objet d'une garantie même à la charge du syndic de l'immeuble dès lors que cette décision est souveraine et relève du patrimoine du syndicat des copropriétaires. Elle observe que la demande de la SCI Shanao est justifiée par le visa de l'obligation du syndic de voir engager des travaux urgents permettant la conservation de l'immeuble.
En outre, elle souligne qu'aucune inertie constitutive d'une faute ne peut lui être reprochée en raison des difficultés d'accès à l'appartement de la SCI New Mehdi, des circonstances et du contexte délicat de l'immeuble. Elle évoque les démarches entreprises, l'obstruction de la société New Mehdi,la mise en place de mesures conservatoires suffisantes.
Réponse de la cour :
Il résulte de l'article 5 du décret du 17 mars 1967 que le syndic, à la demande du notaire chargé de rédiger l'acte, lui adresse un état daté comportant trois parties. L'annexe de la troisième partie mentionne s'il y a lieu, l'objet et l'état des procédures en cours dans lesquelles le syndicat des parties.
En l'espèce, il n'est pas contestable que le syndic a satisfait à cette exigence. Il ne résulte d'aucun texte l'obligation pour le syndic de préciser l'ensemble des parties en cause dans les procédures qu'il mentionne.
De même, aucun texte ne lui impose de consigner dans le procès-verbal d'assemblée générale les informations données au syndicat sur les procédures en cours.
Aucune faute ne peut être caractérisée à l'encontre de la société Foncia au titre de la réticence d'informations alléguée ou de l'incomplétude des informations livrées par la SCI Shanao.
Concernant l'inertie fautive que la SCI Shanao lui reproche, il est rappelé au préalable que la cour n'a pas retenu l'implication de parties communes comme ayant participé à l'effondrement du plancher haut de la salle de petits déjeuners de la société Cinq Frères.
Il résulte de l'annexe 1 du rapport d'expertise judiciaire que :
- Foncia est syndic de copropriété depuis 2014 soit postérieurement après la survenue du sinistre,
- que la société Foncia a contacté un maçon pour procéder à l'étayage du plancher haut du 1er étage,
- a dépêché un plombier dans l'appartement du 2è pour faire une recherche de fuite,
- a mandaté l'architecte de copropriété qui a fait un rapport de visite et a informé la mairie qui est intervenue auprès du propriétaire de l'appartement pour que des travaux soient entrepris, sans succès,
- que l'expert judiciaire commis, désigné en 2015 a déposé son rapport le 27 janvier 2020 après n'avoir pu pénétrer dans l'appartement acquis par la SCI Shanao en mai 2019 ;
- que l'appartement était squatté à cette date.
Les pièces jointes à la première annexe de l'expertise démontrent les diligences entreprises par le syndic auprès dela SCI New Mehdi pour remédier aux désordres impliquant l'accès à son appartement. A la requête du syndic, la mairie d'[Localité 7] avisait la société New Mehdi le 26 mai 2015 de la possibilité d'engager une procédure de péril pouvant avoir pour conséquence la suspension des loyers, l'interdiction d'habiter ou une prise d'hypothèque.
Il est manifeste qu'il n'a pas été possible, après la première recherche de fuite, d'accéder à l'appartement de la société New Mehdi :
- l'architecte de la copropriété M. [M] affirmant le 12 avril 2016 que malgré son insistance pour y pénétrer, il n'a pu visiter l'appartement,
- de même l'expert commis qualifiait de 'chance' le fait d'avoir pu visiter les lieux en mai 2019 'accompagnés par une personne connaissant bien les lieux et les personnes'. A cette date, il était noté la présence de douze individus dans l'appartement, rendant ainsi illusoire la pertinence de travaux de remise en état du plancher tant que les sanitaires fuyards demeuraient utilisés.
Aucune inertie fautive ne peut être reproché jusqu'à la date du dépôt du rapport lequel pouvait avoir une incidence sur les mesures réparatoires à mettre en oeuvre au sein de la copropriété.
Les parties et notamment la SCI Shanao à laquelle il incombe d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention ne démontrent pas que l'appartement était au cours de l'année 2020, et notamment postérieurement au dépôt de l'expertise le 27 janvier 2020, libre de tout occupant ce qui permettait de s'assurer de la cessation de l'utilisation des installations sanitaires fuyardes avant d'envisager tout travaux de remise en état.
En revanche, il est établi qu'à la date du 16 février 2021 le syndic avait déjà missionné l'architecte de la copropriété, M. [Y], afin que celui-ci procède au chiffrage des travaux de réfection du plancher qui n'avaient pas été chiffrés par l'expert. A la même date, le syndic informait la SCI Shanao de la tenue d'une assemblée générale le 29 avril 2021 dont la réunion était incontournable pour le vote desdits travaux lequels débutaient en juillet 2021.
Il apparaît ainsi qu'aucune inertie fautive ne saurait être reprochée à la société Foncia dans les travaux de réfection du plancher haut de la salle de petits déjeuners de la société Cinq Frères.
La demande en garantie formée par la SCI Shanao sera donc rejetée. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes de la SCI Shanao contre la société New Mehdi sur la restitution du prix de vente :
Moyen des parties :
La SCI Shanao conteste que le tribunal a rejeté sa demande tendant au versement par la SCI New Mehdi à restituer le prix de vente correspondant aux montants de condamnations prononcées à son encontre et a minima la somme de 16 500 euros sur le fondement de l'article 1644 du code civil. A cet égard, elle relève la réticence dolosive de la société New Mehdi qui a déclaré aux termes de l'acte authentique du 18 mars 2019 n'être impliquée dans aucune procédure alors qu'elle avait été assignée par le syndicat des copropriétaires afin que les opérations d'expertise lui soient rendues communes et opposables dès 2015.
Réponse de la Cour :
L'article 12 du code de procédure civile dispose en son premier alinéa que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
En l'espèce apparaissent applicables les dispositions de l'article 1112-1 du code civil, entrées en vigueur à compter du 1er octobre 2016 qui dispose :
'Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son concontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.'
De même, l'article 1137 du code civil dispose en son deuxième alinéa que constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Il résulte de l'acte authentique de vente des lots 25 et 48 de la copropriété sis [Adresse 3] à [Localité 7] signé le 18 mars 2019, que la société New Mehdi, vendeur, a déclaré ne faire l'objet d'aucune procédure en cours alors qu'il résulte des pièces de la procédure que celle-ci avait été assignée en intervention forcée dans la procédure en 2016 et ainsi attraite aux opérations d'expertise en cours. Elle s'est donc volontairement abstenue de livrer une information à l'acheteur, information qu'elle n'avait pas davantage livrée à la société Greco lors de la signature de la promesse de vente des mêmes biens le 6 novembre 2018.
Cette information était déterminante puisqu'elle aurait pu conduire la SCI Shanao à renoncer au bénéfice de la vente de l'appartement en cause dans le sinistre si celle-ci au regard des condamnations susceptibles de découler de l'implication des installations sanitaires fuyardes de l'appartement concerné dans les désordres. Ainsi qu'il a déjà été dit, la SCI Shanao n'était pas en mesure de négocier à un prix moindre puisque le prix du bien avait été fixé en considération des dettes de la SCI New Mehdi. Dès lors que la société New Mehdi était propriétaire de l'appartement litigieux lors de la survenue du sinistre et qu'informée de l'existence de la procédure subséquente, elle aurait à en supporter les conséquences financières, la SCI Shanao ne pouvait que renoncer au bénéfice de la vente, ce dont la SCI New Mehdi était parfaitement consciente en retenant une information déterminante pour la conclusion du contrat.
La responsabilité de celui tenu au devoir d'information de l'article 1112-1 du code civil peut entraîner l'annulation du contrat ou conduire à une réduction du prix dans les conditions prévues à l'article 1137 du code civil.
Cependant la demande de la SCI Shanao tendant à obtenir la restitution du prix de vente à hauteur des condamnations prononcées et, a mimima de 16500 euros, ne peut prospérer dès lors qu'elle ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par la garantie à laquelle la SCI New Mehdi est appelée.
La SCI Shanao sera déboutée en sa demande et le jugement confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens, l'application qui y a été équitablement faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que celle de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965.
En l'espèce doivent être considérées comme parties perdantes la société Cinq Frères, Me [V] et la SCP Stéphane Lherbier, [C] [V], Aurélien Lherbier et Emmanuelle Darmon, qui seront condamnés aux dépens d'appel dont distraction au profit de Me Laurent Meillet, avocat au barreau de Paris, en application de l'article 699 du code de procédure civile et de les condamner in solidum à verser à la SCI Shanao la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour déboute les autres parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu à la dispense de la SCI Shanao de toute participation à la dépense commune ds frais de procédure, celle-ci ayant succombé face aux prétentions du syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 7].
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par mise à disposition au greffe, par défaut,
Confirme le jugement sauf en ses dispositions ayant :
- débouté le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] de sa demande tendant à la condamnation de la SCI Shanao à prendre en charge les frais de reprise du plancher haut du 1er étage du local de la SARL Cinq Frères,
- condamné la SCI New Mehdi à garantir la SCI Shanao des condamnations prononcées à son encontre au profit de la SARL Cinq Frères.
- débouté la SCI Shanao de sa demande contre Me [V] et la SCP Stéphane Leherbier, [C] [V], Aurélien Lherbier et Emmanuelle Darmon;
- condamné in solidum la SCI Shanao et la SCI New Mehdi aux dépens en ce inclus les frais d'expertise judiciaire, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Shanao à payer à la SARL Cinq Frères la somme de 5000 euros au titre de l'article 500 du code de procédure civile,
- débouté les autres parties de leur demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déboute la SCI Shanao de sa demande fondée sur l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Rejette la demande de la SCI Shanao tendant à ce lui soit déclaré inopposable le rapport d'expertise déposé le 27 janvier 2020 par M. [S], expert judiciaire,
- condamne la SCI Shanao à verser au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 7] la somme de 24 197, 33 euros HT au titre des travaux de reprise du plancher haut de la salle du 1er étage de la SARL Cinq Frères,
- Condamne la société New Mehdi à garantir la SCI Shanao de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre en ce compris celles prononcées au titre des dépens et frais irrépétibles;
- déclare Me [C] [V], notaire de la SCP, responsable d'un manquement à son devoir de conseil à l'égard de la SCI Shanao,
- Condamne in solidum Me [C] [V] et la SCOP Lherbier à verser à la SCI Shanao la somme de 41 294 euros à titre de dommages-intérêts ;
Condamne in solidum la SARL Cinq Frères, Me [V] et la SCP Stéphane Lherbier, [C] [V], Aurélien Lherbier et Emmanuelle Darmon aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Me Laurent Meillet ;
Condamne in solidum la société Cinq Frères, Me [V] et la SCP Stéphane Lherbier, [C] [V], Aurélien Lherbier et Emmanuelle Darmon à verser à la SCI Shanao la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.