Livv
Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 13 mai 2025, n° 24/07904

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/07904

13 mai 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4AF

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 13 MAI 2025

N° RG 24/07904 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W5XX

AFFAIRE :

S.A.S. R-ENOV

C/

SELARL [S]

LE PROCUREUR GENERAL

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Décembre 2024 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre : 8

N° RG : 2024P01498

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Dan ZERHAT

Me Oriane DONTOT

PG

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE MAI DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANT :

S.A.S. R-ENOV

Ayant son siège

[Adresse 7]

[Localité 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078178 -

Plaidant : Me Guillaume RUDELLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J 039

****************

INTIMES :

LE PROCUREUR GENERAL

POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 2]

[Localité 4]

SELARL [Z] [S] prise en la personne de Maître [Z] [S], ès qualités de Liquidateur judiciaire de la SAS R-ENOV

N° SIRET : [Numéro identifiant 3] RCS [Localité 8]

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20250101

Plaidant: Me Olivier PECHENARD de la SELARL PBM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0899 -

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Mars 2025, Monsieur Ronan GUERLOT, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN

En la présence du Ministère Public, représenté par Madame Anne CHEVALIER, Avocat Général dont l'avis du 5 Mars 2025 a été transmis le 6 mars 2025 au greffe par la voie électronique.

EXPOSE DU LITIGE

Le 28 novembre 2024, la SAS R-Enov, représentée par M. [C], a déclaré la cessation de ses paiements au greffe du tribunal de commerce de Nanterre et a demandé, en conséquence, l'ouverture à son égard d'une procédure de liquidation judiciaire.

Le 11 décembre 2024, par jugement contradictoire, ce tribunal a :

- placé la société R-Enov en procédure de liquidation judiciaire simplifiée ;

- désigné la SELARL [Z] [S], mission conduite par M. [S], liquidateur judiciaire ;

- fixé provisoirement au 12 juin 2023 la date de cessation des paiements compte tenu de l'ancienneté de la dette CFE impayée.

Le 20 décembre 2024, la société R-Enov a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il fixe provisoirement au 12 juin 2023 la date de cessation des paiements compte tenu de l'ancienneté de la dette CFE impayée.

Par dernières conclusions du 22 janvier 2025, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 11 décembre 2024 en son dispositif « fixe provisoirement au 12 juin 2023 la date de cessation des paiements compte tenu de l'ancienneté de la dette CFE impayée » ;

Statuant à nouveau,

- fixer principalement la date de cessation des paiements au 14 mars 2024, et en tout état de cause postérieurement au 31 janvier 2024 ;

- employer les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Par dernières conclusions du 28 février 2025, la société [Z] [S] demande à la cour de :

- constater que dès le 12 juin 2023 la société R-Enov n'était pas en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ;

En conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 11 décembre 2024 ;

- déclarer la société R-Enov mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter purement et simplement ;

- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Le 5 mars 2025, le ministère public a émis un avis tendant à ce que la cour infirme le jugement seulement sur les dispositions fixant la date de cessation des paiements au 12 juin 2023, et fixe ladite date au 31 janvier 2024, et en tout état de cause au jour de la dénonciation par la banque du solde bancaire négatif par la banque.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 mars 2025.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

Sur la date de cessation des paiements

La société R-Enov fait valoir que dans son dispositif, le tribunal s'est borné à relever que la date de cession des paiements est fixée compte tenu de l'ancienneté de la dette fiscale « CFE » impayée ; que l'ancienneté d'une dette ne renseigne pas sur son exigibilité ou sur l'incapacité de la débitrice d'y faire face ; qu'elle bénéficiait d'une autorisation de découvert tacite d'au moins 20 000 euros ; que fin janvier 2024, le solde de son compte s'établissait à ' 4 113,54 euros de sorte qu'elle disposait d'un actif disponible de 20 000 ' 4 113,54 = 15 886,46 euros ; que son passif exigible n'excédant pas la somme de 14 036,91 euros à la fin janvier 2024 était constitué de dettes fiscale (TVA et CFE) et sociale (URSSAF) et du solde du compte courant dénoncé par la banque le 14 mars 2025 ; que l'état de cessation des paiements se situe donc à cette date ; qu'en tout état de cause, la date de cessation des paiements ne peut être antérieure au 31 janvier 2024.

Le liquidateur expose que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une convention de découvert tacite ne peut pas coexister avec une convention expresse d'un montant déterminé sur le même compte ; que le compte courant de la société R-Enov a été systématiquement débiteur entre juillet 2023 et juillet 2024 ; qu'aucune autorisation de 20 000 euros n'a été consentie contrairement à ce que la débitrice soutient ; que seule une autorisation de 5 000 euros a été octroyée par la banque en vertu d'une convention express ; qu'au mois de juillet 2023, le découvert s'élevait à 21 538,96 euros de sorte que le dépassement de 16 538,96 euros représentait un passif immédiatement exigible ; qu'aucun actif disponible susceptible d'être immédiatement réalisé existait au 12 juin 2023 ; qu'à cette date, la débitrice, ne pouvait donc pas faire face à son passif exigible.

Le ministère public fait valoir que la date de cessation des paiements doit être fixée le 31 janvier 2024 et en tout état de cause au jour de la dénonciation par la banque du solde bancaire.

Réponse de la cour

L'article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme la situation dans laquelle le débiteur est dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible.

Le passif exigible correspond au passif échu au jour où l'appréciation est portée, et non à celui qui doit être payé à très court terme. Il n'est assorti d'aucun terme ni d'aucune condition, ni ne bénéficie de l'octroi de délai exprès ou implicite. Peu importe que ce passif ne soit pas exigé.

Le passif exigible est constitué de dettes liquides, exigibles et certaines, ce qui exclut les créances incertaines (Com. 31 janv. 2017, n° 15-16396) ou litigieuses (Com. 5 mai 2015, n° 14-11 381).

Lorsque le débiteur s'est borné à contester l'exigibilité des dettes inscrites au passif de son bilan sans préciser celles à exclure du passif exigible tel que retenu par le liquidateur, il ne remet pas en cause la caractérisation de son état de cessation des paiements (Com., 12 juillet 2011, n° 10-20.185).

L'actif disponible s'entend, en principe, de l'actif utilisable ou réalisable immédiatement, auquel il est convenu d'assimiler celui qui est réalisable à très court terme. Il comprend pour l'essentiel les liquidités dont les concours bancaires (Com., 8 janv. 2002, n° 98-22.406). Sont également comprises dans l'actif disponible toutes les avances et réserves de crédit (Com., 8 janvier 2022, n° 99-10.318).

Une avance en compte courant dont le remboursement n'est pas demandé ne constitue pas un passif exigible (Com. 12 mai 2009, n° 08-13-741 ; Com. 10 janvier 2012, n° 11-10.018).

En l'espèce, le premier juge a fixé la date de cessation des paiements au 12 juin 2023 compte tenu de l'ancienneté de la dette CFE impayée.

L'article L. 313-12, alinéa 1er, du code monétaire et financier dispose :

Tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. '

En l'espèce, s'agissant du passif exigible, il ressort de la situation de la dette fiscale à jour au 3 octobre 2024 versée aux débats par l'appelante que cette dernière était débitrice de l'administration fiscale au titre de la TVA et du CFE dès 2021. Ainsi, la dette impayée la plus ancienne relative au CFE s'élevait à 641 euros au titre de l'année 2021 et la plus récente porte également sur le CFE (au titre l'année 2023 pour 1 608 euros).

A la date de cessation des paiements fixée par le tribunal, l'appelante était, selon la situation fiscale précitée, débitrice envers l'administration fiscale de 4 176,52 euros au titre de la TVA et du CFE (pièce 12 de l'appelante).

L'état des créances antérieures établi par le liquidateur au 20 février 2025 indique que le Trésor public est créancier de l'appelante au titre du CFE à hauteur de 3 571,50 euros et à hauteur de 605 euros au titre de la TVA.

Le relevé de situation URSSAF du 3 octobre 2024 indique qu'au 31 décembre 2022, la société R-Enov était redevable de 4 945,52 euros, qu'au 31 décembre 2023, elle était redevable de 4 914,87 euros et qu'en août 2024, elle était redevable de 8 704,72 euros.

Ainsi, au 12 juin 2023, la société E-Renov était débitrice de l'URSSAF à hauteur de 4 945,52 euros (année 2022) + 1 960,89 euros (cotisations de février à juin 2023) soit la somme globale de 6 567,41 euros comme l'observe exactement le liquidateur.

Selon l'état des créances établi par le liquidateur, l'URSSAF est créancière à l'égard de la société R-Enov d'une somme de 18 565,11 euros.

S'agissant de l'actif disponible, l'appelante considère que doit être pris en compte l'autorisation de découvert tacite de 20 000 euros consentie par la banque et qui a été dénoncée par celle-ci avec effet au 14 mars 2024.

Les relevés du compte bancaire de l'appelante montrent que son compte bancaire a fonctionné en débit sans discontinuité de juillet 2023, date à laquelle il s'établissait à ' 21 538,96 euros, à juillet 2024 où il était de ' 20 356,95 euros, soit largement au-dessus de l'autorisation de découvert de 5 000 euros consentie par la banque pour 12 mois à compter du 11 mai 2022.

L'autorisation de découvert de 5 000 euros maximum consentie jusqu'au 11 mai 2023 a donc été dépassée et il est constant que, par lettre du 10 janvier 2024, la banque a mis un terme « au découvert non autorisé » à l'issue d'un délai de préavis expirant le 14 mars 2024 au visa de l'article L. 313-12 précité (pièce 9, appelante).

Le compte ayant fonctionné sans restriction à découvert à hauteur en moyenne de 18 000 euros pendant un an après le terme de l'ouverture de crédit, il en résulte durant cette période l'existence d'un concours bancaire stable et durable, constituant ainsi un actif disponible du montant précité.

En janvier 2024, soit au moment de l'envoi de la lettre de la banque, le passif de l'appelante était constitué des dettes fiscales (4 176,52 euros selon le document précité « situation de la dette fiscale »), ce qui n'est pas contesté par l'appelante, étant observé qu'elle ne justifie pas par ses pièces d'un crédit d'impôt de TVA qui serait d'un montant supérieur à cette dette et de dettes sociales à l'égard de l'URSSAF de 9 860,39 euros (4 914,87 + 4 945,52 au titre, respectivement des cotisations 2022 et 2023).

Au regard des éléments précédents, jusqu'à la dénonciation de l'autorisation tacite de découvert, l'appelante pouvait donc faire face avec son actif disponible à son passif exigible. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements au 12 juin 2023 ; cette date sera fixée au jour de la prise d'effet de la dénonciation du découvert autorisé par la banque, soit le 14 mars 2024.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement, dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements au 12 juin 2023 ;

Statuant à nouveau du chef infirmé ;

Fixe la date de cessation des paiements au 14 mars 2024 ;

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site