Livv
Décisions

CA Rennes, référés com., 13 mai 2025, n° 25/02567

RENNES

Ordonnance

Autre

CA Rennes n° 25/02567

13 mai 2025

Référés Commerciaux

ORDONNANCE N°16

N° RG 25/02567 - N° Portalis DBVL-V-B7J-V6EX

M. [C] [Y]

C/

Association CONSEIL DE L'ORDRE DES MEDECINS

S.E.L.A.R.L. TCA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me COMBE

Me GAINCHE

Le conseil de l'ordre des médecins

Copie délivrée le :

à :

RG25/2465

Parquet général

Selarl TCA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

DU 13 MAI 2025

Monsieur Thomas VASSEUR, Premier président de chambre

délégué par ordonnance de Monsieur le Premier Président,

GREFFIER :

Madame Elise BEZIER, lors des débats, et Madame Julie ROUET, lors du prononcé,

MINISTERE PUBLIC :

Monsieur Yves DELPERIE, avocat général, auquel l'affaire a été régulièrement communiquée, entendu en ses observations.

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Mai 2025

ORDONNANCE :

Contradictoire, prononcée publiquement le 13 Mai 2025, par mise à disposition date indiquée à l'issue des débats

****

Vu l'assignation en référé délivrée le 30 Avril 2025

ENTRE :

Monsieur [C] [Y]

Né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 7]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Comparant, assisté de Me Annaïg COMBE de la SELARL ACTAVOCAT, avocate au barreau de Rennes

ET :

CONSEIL DE L'ORDRE DES MEDECINS

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par le Docteur [P] [W], munie d'un pouvoir

S.E.L.A.R.L. TCA prise en la personne de Me [E] [U], en qualité de commissaire à l'exécution du plan, et en ce qu'il a été nommé liquidateur judiciaire de M.[C] [Y] par le jugement dont appel

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Julie GAINCHE, de la SELARL Shannon Avocats, avocat au barreau de Saint-Brieuc

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Y], qui exerce la profession de médecin généraliste sur l'île de [Localité 5] et de propharmacien, a fait l'objet, par jugement du 4 juillet 2014 prononcé par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, d'une procédure de redressement judiciaire.

Par un jugement du 26 juin 2015, le même tribunal de grande instance a homologué le plan de redressement par continuation, d'une durée de 10 ans, qui lui était proposé. Ce plan de continuation a été modifié par des jugements successifs du même tribunal rendus le 21 juin 2019, le 3 mai 2021 et le 22 mars 2024.

Par requête du 7 août 2024, enregistrée au greffe le 29 août suivant, la société TCA, représentée par Me [U], commissaire à l'exécution du plan, a saisi le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc d'une demande tendant à voir constater que les modalités du plan de remboursement ne sont pas respectées et tendant à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.

Par jugement (RG 24/00045) du 22 avril 2025, le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a :

constaté l'état de cessation des paiements de M. [Y] pendant l'exécution du plan ;

prononcé la résolution du plan de redressement arrêté le 26 juin 2015 au profit de M. [Y] ;

ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de M. [Y];

fixé la date de cessation des paiements au 1er juillet 2024 ;

désigné la société TCA, représentée par Me [U], en qualité de liquidateur ;

désigné Mme Martin, juge, en tant que juge-commissaire ;

dit qu'en cas d'empêchement du juge-commissaire ou du liquidateur commis, il sera pourvu à leur remplacement par jugement rendu sur simple requête ;

fixé à la durée d'un an le délai au terme duquel la clôture de la procédure sera examinée ;

dit que le jugement sera inséré par extrait dans un journal habilité à recevoir des annonces légales au lieu du siège du tribunal ainsi qu'au BODACC ;

rappelé que le jugement est de plein droit exécutoire par provision ;

ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

M. [Y] a interjeté appel de ce jugement le 29 avril 2025 et cet appel a été enrôlé sous le n° RG 25/02465.

Par actes du 30 avril 2025, M. [Y] a fait assigner la société TCA, prise en la personne de Me [U], ainsi que le conseil de l'ordre des médecins à Saint-Brieuc devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Rennes en lui demandant de :

juger qu'il développe des moyens paraissant sérieux à l'appui de son appel ;

arrêter l'exécution provisoire du jugement rendu le 22 avril 2025 par le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc ;

juger que chacune des parties conservera la charge de ses frais et dépens.

Lors de l'audience du 6 avril 2025, M. [Y], développant ses conclusions remises la veille, 5 avril, formule les demandes figurant dans son exploit introductif d'instance.

Au soutien de son recours, M. [Y] indique en premier lieu que l'état de cessation des paiements n'est pas caractérisé, dès lors que le tribunal n'a pas tenu compte comme actif disponible d'une somme issue de la vente par adjudication d'un bien immobilier qui lui appartenait et a, de ce fait, méconnu les dispositions des articles L. 626-27, L. 631-20 et L. 631-1 du code de commerce. Dès lors que l'immeuble a été vendu, même si le prix de vente n'est pas encore entre les mains du débiteur, la somme correspondante doit être intégrée dans l'actif disponible et, en l'espèce, par un jugement d'adjudication du 7 novembre 2024, le tribunal judiciaire de Blois a adjugé au prix principal de 398.000 euros un immeuble lui appartenant en indivision. Or, dans le cadre de la répartition, la somme qui doit lui revenir est de 242.197,78 euros. Ainsi, cette somme doit être intégrée dans l'actif disponible lequel, en conséquence, permet de faire face au passif exigible et l'état de cessation des paiements n'est ainsi pas caractérisé. En réponse aux conclusions adverses, il précise dans ses conclusions du 5 avril 2025 qu'il est parfaitement normal que les opérations de distribution du prix nécessitent plusieurs mois puisqu'elles s'effectuent après la publication du titre de vente et qu'en l'espèce, un délai de six mois s'est déjà écoulé depuis la date de l'adjudication, de sorte que la distribution doit pouvoir intervenir à court terme. Il ajoute que le prix a bien été payé et versé par l'acquéreur, à défaut de quoi il n'y aurait pas eu d'enchères publiques clôturées et qu'ainsi, la somme de 242.197,72 euros doit donc être considérée comme un actif disponible.

En second lieu, M. [Y] demande que même si l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire est confirmée, l'intérêt public exige qu'il puisse poursuivre son activité pendant au moins trois mois dès lors qu'il est le seul médecin exerçant sur l'île de [Localité 5] où se trouve notamment un EHPAD avec 50 personnes nécessitant des soins quasi-quotidiens ; en outre, l'ARS a indiqué ne pas être en mesure de pourvoir à son remplacement immédiat. Dès lors que l'île de [Localité 5] se trouverait sans médecin, ce territoire serait exposé à un risque grave et sérieux en matière de santé publique. Il ajoute dans ses conclusions du 5 avril 2025 qu'il souhaite quitter l'île de [Localité 5] en septembre et qu'il attend un remplaçant, lequel n'a toujours pas été trouvé et que la commune de [Localité 5] ne dispose pas d'autorisation pour un centre de santé qui pourrait permettre rapidement son emploi en qualité de salarié. Si une solution partielle a été trouvée pour ce qui concerne la couverture médicale des résidents de l'EHPAD parce que le centre hospitalier de [Localité 8], gestionnaire de l'établissement, lui a proposé un contrat à durée déterminée pour assurer la continuité des soins auprès des résidents, il n'en va pas de même s'agissant des autres résidents de l'île et des vacanciers qui n'auront pas de solution satisfaisante à court terme alors même que la population de l'île va passer pendant la période estivale de 438 à 4.000 habitants.

La société TCA, représentée par son avocat, développe les termes de ses conclusions remises le 5 mai 2025 et demande à la juridiction du premier président de :

débouter M. [Y] de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire;

condamner M. [Y] à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner M. [Y] aux entiers dépens de l'instance.

La société TCA indique que l'état de cessation des paiements est bien caractérisé dès lors que l'actif disponible, de 27.841 euros, ne lui permet pas de faire face au passif exigible de 272.000 euros et que le prix de vente de l'immeuble ayant fait l'objet d'une adjudication n'est pas considéré comme un actif disponible, faute de versement du prix, cette somme étant actuellement consignée entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Blois. L'opposition à la déconsignation démontre que le prix de vente de l'immeuble n'est pas disponible.

La société TCA ajoute, s'agissant du second moyen développé par M. [Y], que l'ARS a d'ores et déjà traité la question du remplacement de ce dernier, qui peut au demeurant continuer à exercer son activité en tant que médecin salarié.

Le conseil de l'ordre des médecins du conseil départemental des Côtes-d'Armor, représenté par sa secrétaire générale adjointe, a développé oralement les raisons pour lesquelles il souhaite le rejet de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formulée par le Dr [Y] : il indique que les urgences sanitaires pourront être gérées par le SAMU, intervenant au besoin par hélicoptère, jusqu'au mois de septembre ainsi que par une infirmière et la présence des pompiers. Il ajoute qu'un médecin de [Localité 8] sera présent sur l'île deux jours et demi par semaine et que l'île compte quelques médecins retraités qui peuvent aider de temps en temps.

Compte-tenu de ce que l'assignation a été délivrée le 30 avril 2025 et faute d'avoir été prévenu avant le placement, à la veille de l'audience, de ce dossier, le parquet général a fait savoir qu'il n'avait pas été mis en mesure d'intervenir utilement à cette audience.

Il est à noter que le préfet des Côtes-d'Armor a adressé à la juridiction de céans le 5 mai 2025 un courrier dans lequel il expose les raisons pour lesquelles il appuie la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, en soulignant que le Dr [Y] est le seul médecin de l'île dont le nombre de résidents va passer à près de 4.000 pendant l'été et que l'Agence régionale de santé n'est pas en mesure à brève échéance d'organiser son remplacement compte-tenu des particularités du poste, un recrutement devant intervenir le 1er octobre 2025, soit après la période estivale. Il expose que le Dr [Y] a cessé son activité dès le prononcé du jugement, le 22 avril 2025 et que la situation, déjà actuellement tendue, requiert une résolution de manière urgente.

SUR CE,

En premier lieu, il convient d'écarter des débats le courrier du préfet des Côtes-d'Armor, dès lors que celui-ci n'est pas partie à la procédure et qu'il n'a pas adressé la copie de ce courrier aux parties à l'instance. Ce courrier aurait pu être pris en considération s'il avait été introduit dans les débats par une partie à l'instance, qui aurait pu être en l'occurrence le Dr [Y] ou le ministère public si celui-ci avait lui-même été mis en mesure d'intervenir à l'audience, mais il ne peut en aucun cas être admis aux débats par un envoi direct à la juridiction de céans.

L'article R. 661-1 du code de commerce prévoit que les jugements de liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit à titre provisoire et que par dérogation aux dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut en arrêter l'exécution provisoire que lorsque les moyens invoqués à l'appui de l'appel paraissent sérieux.

En l'espèce, le Dr [Y] fait état d'un moyen sérieux d'infirmation du jugement du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc dès lors qu'il établit être destinataire d'une partie du prix de vente d'un immeuble résultant d'une adjudication, dont le montant est susceptible de permettre de considérer qu'il n'est plus en état de cessation des paiements.

Pour s'opposer à ce moyen, la société TCA fait état de la jurisprudence suivante de la Cour de cassation : Com., 24 mars 2021 pourvoi n° 19-21.424, rédigé notamment comme suit :

« 5. L'actif disponible, au sens de ce texte s'entend, en cas de vente d'un bien immobilier, du prix versé entre les mains du débiteur ou pour son compte à la date de la décision se prononçant sur l'ouverture de la procédure collective.

6. Pour rejeter la demande de redressement judiciaire, l'arrêt relève, au titre de l'actif disponible, la somme de 100 851 euros représentant le solde, après paiement des charges, du prix de vente d'un bien immobilier, dont la vente a été autorisée par le juge-commissaire le 3 avril 2019 et dont la signature de l'acte est prévue au 28 mai 2019.

7. En se déterminant ainsi, sans constater, au besoin en reportant les débats ou en demandant la production d'un justificatif en cours de délibéré, qu'au jour où elle statuait, la vente, qui devait avoir lieu le 28 mai 2019, soit la veille des débats devant elle, selon les énonciations de l'arrêt, avait été réalisée et le prix encaissé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »

Certes, la jurisprudence de la chambre commerciale est assez restrictive sur la possibilité de prendre en considération un immeuble lorsque les fonds résultant du paiement du prix ne sont pas disponibles, en particulier pour déterminer la date de cessation des paiements, ainsi qu'il résulte notamment d'autres jurisprudences (Com., 12 mai 2009, pourvoi n° 08-12.505). Cependant, dans le cas jurisprudentiel cité par la société TCA, le bien immobilier en cause n'avait pas encore été vendu de sorte qu'effectivement, le prix attendu de cette vente ne pouvait pas encore être considéré comme un actif disponible.

Or, il n'en va pas de même dans le cas présent puisque l'immeuble appartenant notamment au Dr [Y] a bien d'ores et déjà fait l'objet d'une adjudication, par un jugement du 7 novembre 2024 rendu par le tribunal judiciaire de Blois et que dans le cadre de la répartition du prix qui en est résultée, une somme, devant lui revenir, de 242.197,78 euros a d'ores a déjà été consignée. Dès lors, cette somme a bien vocation à être prise en considération au titre de l'actif disponible, ce qui est susceptible de conduire la cour à considérer que l'état de cessation des paiements n'est plus caractérisé.

Ainsi, le Dr [Y] justifie bien d'un moyen sérieux d'infirmation du jugement entrepris, de sorte qu'il convient de faire droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement de liquidation judiciaire.

Il convient de rappeler auprès des parties avec insistance que la présente appréciation ne permet en rien de présager du sort de l'appel qui a été interjeté par le Dr [Y] et qui sera examiné par la formation collégiale de la cour sans que la présente ordonnance ne soit en quoi que ce soit prise en considération.

La présente décision étant prise dans l'intérêt exclusif du Dr [Y], il convient de laisser à sa charge les dépens qui ont été exposés pour la présente instance.

PAR CES MOTIFS

Arrêtons l'exécution provisoire du jugement (RG 24/00045) du 22 avril 2025, le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc ayant notamment prononcé la résolution du plan de redressement arrêté le 26 juin 2015 au profit de M. [Y], ouvert une procédure de liquidation judiciaire à son égard, fixé la date de cessation des paiements au 1er juillet 2024 et désigné la société TCA en qualité de liquidateur ;

Laissons les dépens à la charge de M. [Y].

Rejetons la demande formulée par la société TCA au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site