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Décisions

CA Riom, 1re ch., 13 mai 2025, n° 23/00210

RIOM

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Eal Jouval (SARL)

Défendeur :

Smabtp (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Valleix

Conseillers :

M. Acquarone, Mme Bedos

Avocats :

Me de Rocquigny, Me Auzuech, Me Lacquit, Me Verdier, Me Gutton Perrin, Me Lafon

T. com. Aurillac, du 13 déc. 2022, n° 20…

13 décembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

Spécialisée dans la production d'électricité, l'EAL JOUVAL a confié à la SARL [A] TP entre 2012 et 2015 l'ensemble des travaux de terrassements nécessaires à la construction d'une station microcentrale hydroélectrique située dans la vallée de la Santoire au lieu-dit [Adresse 8] sur le territoire de la commune de [Localité 9] (Cantal). Ces travaux étaient décomposés en quatre lots pour un montant total de 2.025.455,76 ' TTC. Préalablement à la réalisation des travaux, la SARL EAL JOUVAL a confié à M. [W] [R] une mission de reconnaissance géotechnique afin de déterminer les meilleures conditions d'implantation de l'ouvrage. Ce dernier est par ailleurs intervenu sur ces travaux en qualité de maître d''uvre à la demande de la SARL EAL JOUVAL puis en qualité de bureaux d'études d'exécution à la demande de la SARL [A] TP.

Faisant état de l'apparition de divers désordres de construction, la société EAL JOUVAL a refusé de s'acquitter de l'intégralité des sommes dues à la société [A] TP, cette dernière ayant estimé rester à lui devoir la somme de 310.237.51 '. La société [A] TP dès lors assigné en référé la société EAL JOUVAL le 6 avril 2016 afin d'obtenir à titre provisionnel le paiement du solde de facturation susmentionné. Par ordonnance du 12 juillet 2016, le Président du tribunal de commerce d'Aurillac a rejeté cette demande d'indemnité provisionnelle en raison de contestations sérieuses au fond et ordonné une mesure d'expertise visant à déterminer l'origine des désordres invoqués, confiée par ordonnance subséquente du 22 août 2016 à M. [B] [E], ingénieur en génie civil expert près la cour d'appel de Riom. Par ordonnance de référé du 9 mai 2017, cette même juridiction a étendu ces opérations d'expertise judiciaire à la SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP), assureur de la société [A] TP. Après avoir réalisé sa mission, l'expert judiciaire commis a établi son rapport sans indication de date au terme notamment de deux réunions d'expertise organisée le 14 octobre 2016 et le 15 mars 2019.

La société [A] TP ayant été placée en liquidation judiciaire, Me [J] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [A] TP, ainsi que M. [B] [A] ont assigné le 11 mai 2020 les sociétés EAL JOUVAL et SMABTP devant le tribunal de commerce d'Aurillac en indemnisation des préjudices en lecture de ce rapport d'expertise judiciaire. La société EAL JOUVAL a appelé en cause le 19 janvier 2021 Me [J] [L], en qualité d'administrateur judiciaire de M. [R]. Le 25 mars 2021, elle a également appelé en cause Mme [M] [P], mandataire judiciaire en qualité de tutrice de M. [R]. Par ordonnances des 2 mars et 4 mai 2021, ces affaires enrôlées sous les numéros 2021J0005 et 201J0017 ont été jointes à l'affaire principale 2020J0017.

C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce d'Aurillac a, suivant un jugement n° RG-2020J17 rendu le 13 décembre 2022, a :

- constaté que Me [J] [L] n'a plus qualité pour représenter M. [W] [R] depuis le 13 janvier 2021 ;

- constaté que Mme [M] [P] n'a plus qualité pour représenter M. [W] [R] depuis le 4 avril 2022, date de son décès et que ses ayants droit n'ont pas été appelés à la procédure ;

- condamné l'EAL JOUVAL à payer à Me [J] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [A] TP :

* la somme de 218.186,54 ' TTC au titre du solde des factures impayées de ce marché de travaux, avec intérêts au taux calculé sur l'indice du coût de la construction FFB base 929,50 du quatrième trimestre 2015 ;

* la somme de 7.568,14 ' TTC au titre du préjudice subi ;

- débouté Me [J] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [A] TP, de sa demande en garantie à l'encontre de la société SMABTP ;

- débouté la société EAL JOUVAL de sa demande de rejet d'exécution provisoire du jugement ;

- condamné l'EAL JOUVAL à payer :

* à la société SMABTP une indemnité de 700,00 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* à Me [J] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [A] TP, une indemnité de 3.000,00 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires comportant notamment [dans les motifs] :

* le rejet d'une demande de seconde expertise judiciaire formée à titre principal par la société EAL JOUVAL ;

* le rejet d'une demande formée par la société EAL JOUVAL aux fins de fixation au 16 décembre 2015 de la date de réception des travaux ;

* l'exclusion de la responsabilité recherchée par la société EAL JOUVAL à l'encontre de M. [W] [R] (décédé), considéré comme n'ayant pas eu de mission de maîtrise d''uvre ;

* le rejet de l'action directe initiée par la société EAL JOUVAL à l'encontre de la société SMABTP au titre des garanties contractuelles souscrites auprès de cette dernière par la société [A] TP ;

- condamné la société EAL JOUVAL aux entiers dépens des procédures, outre les frais de l'expertise judiciaire.

Par déclaration formalisée par le RPVA le 3 février 2023, le conseil de la société EAL JOUVAL a interjeté appel du jugement susmentionné. L'effet dévolutif de cet appel y est ainsi libellé :

« Objet/Portée de l'appel : Il est fait appel total du jugement à titre de nullité ou à tout le moins de réformation intégrale en ce qu'il a : - CONDAMNE I'EAL JOUVAL à payer et porter à Maître [J] [K] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP la somme de 218 186,54 ' TTC au titre du solde des factures impayées, avec intérêts au taux calculé sur l'indice du coût de la construction FFB base 929,50 du quatrième trimestre 2015 ; - CONDAMNE l'EAL JOUVAL à payer et porter à Maître [J] [K] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP la somme de 7 568,14 ' TTC au titre du préjudice subi ; - DEBOUTE Maître [J] [K] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP de sa demande en garantie à l'encontre de la. SMABTP ; - DEBOUTE L'EAL JOUVAL en sa demande de rejet d'exécution provisoire du présent jugement ; - CONDAMNE I'EAL JOUVAL à payer et porter : - à la compagnie SMABTP la somme de 700,00 ' au titre de l'article 700 du code de procédure Civile ; - à Maître [J] [K] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP la somme de 3 000,00 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; - DEBOUTE les parties de leurs autres demandes, plus amples et contraires ; - CONDAMNE I'EAL JOUVAL aux entiers dépens des procédures, outre les frais de l'expertise judiciaire. ».

Suivant un jugement du 18 avril 2023, le tribunal de commerce d'Aurillac a notamment désigné la SELARL MJ [H], en qualité de liquidateur judiciaire, en remplacement de Me [K] précédemment désigné.

' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 3 mai 2023, la SARL EAL JOUVAL a demandé de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 13 décembre 2022 du tribunal de commerce d'Aurillac et statuer de nouveau :

- à titre principal ;

- ordonner avant dire droit une mesure d'expertise judiciaire en désignant tel expert qu'il plaira, avec pour mission notamment de :

* se rendre sur les lieux, à « [Adresse 8] » [Localité 4] ' [Localité 9] ;

* se faire communiquer par les parties tous les documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;

* fournir tous les éléments techniques et de fait permettant d'expliquer dans quelles conditions le chantier a été réalisé ;

* fournir tous les éléments techniques et de fait permettant de dire si les travaux réalisés par la société [A] TP, sont affectés de malfaçons et, dans ce cas, les décrire ;

* décrire la nature et les modalités de la mission confiée à M. [R] ;

* constater l'ensemble des désordres affectant l'ouvrage réalisé ;

* dire s'ils sont évolutifs ;

* décrire, évaluer et chiffrer le coût des travaux pour remédier aux désordres rencontrés ;

* donner son avis sur le compte entre les parties ;

« A titre subsidiaire et reconventionnellement, » ;

- au visa de l'article 1792 du Code civil ;

- fixer la date de réception des travaux au 16 décembre 2015 ;

- condamner solidairement la société [A] TP, représentée par Maître [J] [K], la société SMABTP et M. [B] [A] à payer à la société EAL JOUVAL les sommes suivantes à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception des travaux, sous astreinte de 500,00 ' par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir :

* 235.135,20 ' TTC au titre des dommages-intérêts relatifs à la réparation de la conduite forcée ovalisée ;

* 122.418,00 ' TTC au titre des dommages-intérêts relatifs aux travaux de réparation des impacts de la conduite forcée, comprenant mise à nu de la conduite forcée avant remblai, transport, réparation, lit de sable, géotextile, remise en place ;

* 27.423,38 ' TTC à titre de dommages-intérêts relatifs à la réparation des voiles de l'échelle à poissons en amont du barrage ;

* 124.047,60 ' TTC à titre de dommages-intérêts relatifs aux travaux de stabilisation de la piste ;

* 80.000,00 ' HT à titre de dommages-intérêts relatifs à la perte d'exploitation subie ;

* « Réserver le paiement de dommages et » ; intérêts relatifs à la perte d'exploitation résultant du retard du chantier et de la période d'indisponibilité au cours du chantier de réparation, dont l'évaluation est en cours de réalisation. » ;

- au visa de l'article 1382 du Code civil [ancien] alors applicable ;

- condamner solidairement la société [A] TP, représentée par Me [J] [K], la SMABTP et M. [B] [A] à payer à la société EAL JOUVAL les sommes suivantes à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception des travaux, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir :

* 235.135,20 ' TTC au titre des dommages-intérêts relatifs à la réparation de la conduite forcée ovalisée ;

* 122.418,00 ' TTC au titre des dommages-intérêts relatifs aux travaux de réparation des impacts de la conduite forcée, comprenant mise à nu de la conduite forcée avant remblai, transport, réparation, lit de sable, géotextile, remise en place ;

* 27.423,38 ' TTC à titre de dommages-intérêts relatifs à la réparation des voiles de l'échelle à poissons en amont du barrage ;

* 124.047,60 ' TTC à titre de dommages-intérêts relatifs aux travaux de stabilisation de la piste ;

* 80.000,00 ' HT à titre de dommages-intérêts relatifs à la perte d'exploitation subie ;

* « Réserver le paiement de dommages et intérêts relatifs à la perte d'exploitation résultant du retard du chantier et de la période d'indisponibilité au cours du chantier de réparation, dont l'évaluation est en cours de réalisation. » ;

- en tout état de cause ;

- ordonner la compensation de cette dette avec le solde restant dû des factures de la société [A] TP d'un montant arrêté à 148.705,64 euros TTC, calculé comme suit :

+ Solde factures impayées de 310.237,51 ' TTC ;

- trop-payé de 9.703,60 ' TTC ;

- surfacturation de 144.000,00 ' TTC ;

- factures indues à hauteur de de 7.828,27 ' TTC ;

= 148.705,64 ' TTC.

- dire n'y avoir lieu à indexer le solde restant dû des factures sur l'indice du coût de la construction ;

- débouter Me [J] [K], en qualités de liquidateur judiciaire de la société [A] TP, de ses entières demandes ;

- débouter M. [A] de ses entières demandes ;

- condamner solidairement la société [A] TP, représentée par Me [J] [K], la société SMABTP et M. [B] [A] :

* à payer à la société EAL JOUVAL une indemnité de 10.000,00 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

' Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées par le RPVA le 2 août 2023, la SELARL MJ [H], représentée à Me [Z] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [A] TP, ainsi que M. [B] [A] ont demandé de :

- au visa des articles 1134, 1147 et 1779 et suivants du Code Civil [ancien] ;

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a limité la condamnation de la société EAL JOUVAL au paiement de la somme de 218.186,54 ' au titre des factures impayées de la société [A] TP et de la somme de 7.568,14 ' au titre du préjudice ;

- recevoir l'appel incident des intimés ;

- condamner la société EAL JOUVAL à payer :

* au profit de la liquidation judiciaire de la société [A] la somme de 308.362,17 ' avec intérêts au taux calculé sur l'indice du coût de la construction FFB, base 929,50 du 4ème trimestre 2015 ;

* au profit de M. [A] la somme de 50.000,00 ' à titre de dommages intérêts ;

* au profit de la liquidation de la société [A] la somme de 13.091,19 ' à titre de dommages-intérêts ;

- débouter la société EAL JOUVAL de ses demandes formées à l'encontre de la société [A] TP en liquidation judiciaire ;

- condamner la société SMABTP à garantir l'ensemble des désordres allégués par la société EAL JOUVAL et retenus par l'expert judiciaire si la Cour entrait en voie de condamnation concernant le voile béton, l'ovalisation de conduite, les impacts sur conduites ;

- condamner la société EAL JOUVAL :

* au paiement d'une indemnité de 5.000,00 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* aux entiers dépens de l'instance dont le coût du rapport d'expertise judiciaire.

' Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 18 septembre 2023, la SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP) a demandé de :

- confirmer en toutes les dispositions le jugement querellé, et y faisant droit ;

- à titre principal ;

- rejeter la demande de meure d`expertise judiciaire ;

- débouter la SARL EAL JOUVAL de son action directe à l'encontre de la société SMABTP au titre des garanties souscrites par la société [A] TP, non applicables en l'espèce ;

- débouter la SELARL MJ [H], liquidateur judiciaire de la société [A] TP de sa demande de garantie formée à l'encontre de la société SMABTP, pour les désordres dont se plaint la SARL EAL JOUVAL dans le cadre de l'exécution du marché de construction de centrale hydroélectrique objet de ces développements ;

- déclarer M. [B] [A], non partie au procès d'appel, de toutes ses demandes ;

- mettre hors de cause la société SMABTP ;

- condamner solidairement, voire in solidum, la SARL EAL JOUVAL et la SELARL MJ [H], liquidateur judiciaire de la société [A] TP, à payer à la société SMABTP une indemnité de 3.000,00 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile s'ajoutant à la somme de 700,00 ' allouée à la concluante et à la charge de l'appelante par le tribunal de commerce, ainsi qu'aux dépens de l'instance ou ceux de première instance comprenant les frais d'expertise judiciaire mis à la charge de l'appelante ;

- à titre subsidiaire ;

- limiter aux sommes retenues par l'expert judicaire le montant des travaux de reprise matérielle des désordres soit :

* 50.976,00 ' TTC au titre de la réparation des impacts sur le revêtement extérieur de la conduite forcée ;

* 27.423,38 ' TTC au titre de la réparation des fissures des voiles de l'échelle à poissons en amont du barrage ;

* 3.948,00 ' au titre de la réparation des enrochements à l'aval de la passerelle d'accès à l'usine ;

- en tout état de cause ;

- rejeter toutes demandes contraires.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par les parties à l'appui de leurs prétentions sont directement énoncés dans la partie Motifs de la décision.

Par ordonnance rendue le 17 octobre 2024, le Conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de cette procédure. Lors de l'audience civile collégiale du 16 décembre 2024 à 14h00, au cours de laquelle cette affaire a été évoquée, chacun des conseils des parties a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés. La décision suivante a été mise en délibéré au 25 février 2025, prorogée au 13 mai 2025, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1/ Questions préalables

Le droit contractuel applicable à l'ensemble des situations litigieuses demeure celui qui était en vigueur antérieurement à la date du 1er octobre 2016 d'application de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats ainsi que du régime général et de la preuve des obligations, y compris dans leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.

La formules « RECEVOIR l'appel incident » qui figurent dans les dispositifs des conclusions de la liquidation judiciaire de la société [A] et de M. [A] sans que la Cour ne soit saisie de quelconques débats de fin de non-recevoir préalables aux débats de fond est en conséquence considérée comme une simple clauses de style tout à fait inutile et directement lue comme relevant uniquement des demandes de rejet ou d'admission au fond.

Il convient préalablement de constater l'intervention volontaire de la SELARL MJ [H], représentée à Me [Z] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP, en lieu et place de Me [J] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP.

Le jugement de première instance ne fait l'objet d'aucun appel en ce qui concerne ses dispositions relatives à Me [J] [L] et à Me [M] [P].

Bien que demandant l'infirmation du jugement de première instance en toutes ses dispositions et intégrant dans sa déclaration d'appel le rejet des demandes plus amples ou contraires des parties, la société EAL JOUVAL ne formule dans le dispositif de ses conclusions d'appelant aucune demande particulière en ce qui concerne l'exclusion dans les motifs de première instance de la responsabilité qu'elle recherchait à l'encontre de M. [W] [R] (décédé), considéré par le premier juge comme n'ayant pas eu de mission de maîtrise d''uvre. Ce chef de décision sera en conséquence purement et simplement confirmé.

2/ Sur la demande de seconde expertise judiciaire

Eu égard à l'exécution par l'expert judiciaire de l'ensemble de la mission d'expertise telle qu'énoncée par la juridiction des référés, avec visite sur les lieux, deux réunions du 14 octobre 2016 et du 15 mars 2019 avec comptes-rendus, examen de l'ensemble des pièces et documents communiqués par les parties, prise en compte de l'ensemble des doléances exprimées par le maître d'ouvrage, description des travaux, appréciation des désordres de construction, chiffrage des travaux de reprise, avis sur les comptes entre les parties et réponse aux dires des parties, aucune raison ne justifie de recourir à titre principal à une seconde mesure d'expertise judiciaire. De plus, les quelques erreurs matérielles de l'expert judiciaire, à titre d'exemple concernant la qualification de ce marché de travaux privés en marché de travaux publics n'ont eu aucune conséquence sur la méthodologie et l'appréciation technique expertales. Enfin, aucun document abordant la phase de conception du projet, plus particulièrement en ce qui concerne les documents topographiques, n'a été porté à la connaissance de l'expert judiciaire par le maître d'ouvrage malgré sa demande lors de la première réunion d'expertise.

Dans ces conditions, la demande de seconde expertise judiciaire formée à titre principal par la société EAL JOUVAL sera rejetée, par confirmation du jugement de première instance.

3/ Sur les désordres de construction

L'examen du rapport d'expertise judiciaire de M. [B] [E] après réunions des 14 octobre 2016 et 15 mars 2019 amène notamment à constater et à retenir que :

' la construction de la microcentrale hydroélectrique litigieuse dans la vallée de la Santoire au lieu-dit [Adresse 8] sur le territoire de la commune de [Localité 9] (Cantal) a notamment consisté en les travaux suivants : travaux forestiers de dégagement des emprises nécessaires, ensemble des terrassements, construction d'un barrage à travers la rivière Santoire permettant la dérivation du débit d'eau autorisée nécessaire au fonctionnement des turbines, aménagement d'une piste reliant le barrage à la prise d'eau et à l'usine de turbinage, aménagement d'une passe à poissons entre la retenue d'eau en amont du barrage jusqu'au lit de la rivière à l'aval sur la rive droite de la rivière, mise en 'uvre d'une prise d'eau avec dégrilleur sur la rive gauche de la rivière, installation d'une conduite forcée le long de la piste reliant la prise d'eau à l'usine de production d'électricité, construction de l'usine de turbinage assurant la production d'électricité ;

' ce projet conduit de 2012 à 2015 a été initié, quoique sur un principe différent, en tenant compte d'un ancien projet EDF abandonné en 2008 et en s'appuyant en conséquence sur des études fragmentaires d'ouvrages et de pistes d'accès ainsi que sur des relevés topographiques de cet ancien projet hydraulique, et exécuté en ce qui concerne l'ensemble des terrassements en quatre phases :

* lot n°1 : construction et aménagement d'une piste d'accès de 2550 mètres reliant le barrage à l'usine ;

* lot n° 2 : terrassements pour implantation de l'usine et aménagement des abords avec enrochements ;

* lot n° 3 : terrassements pour la construction du barrage avec réalisation d'enrochements aux abords le long des voiles béton ;

* lot n° 4 : terrassements en tranchées pour construction des réseaux secs électricité, fibre optique et téléphone ;

' la facturation d'un montant total de 2.025.455,76 ' TTC a donné lieu à des paiements de la part de la société EAL JOUVAL pour un montant total de 1.701.144,05 ' et à un avoir consenti à hauteur de 14.074,20 ' TTC en raison d'une erreur de métré, laissant ainsi un solde impayé contractuel de 310.237,51 ' TTC ;

' tous les travaux de terrassement des lots n° 1 à n° 4 ont été exécutés sans aucune sous-traitance par la société [A], seuls ces travaux se rapportant à cette mission d'expertise judiciaire en ce qu'ils touchent à la réalisation de la piste et à la mise en place de la conduite forcée du fait des terrassements et des mouvements de terrain qui en ont résulté, ces terrassements ayant aussi concerné les ouvrages de génie civil ;

' aucune réception formelle des travaux n'a été établie entre les parties ;

' les désordres de construction allégués par le maître d'ouvrage à l'encontre de ce locateur d'ouvrage sont les suivants : ovalisation de la conduite forcée à la suite d'un glissement de terrain, impacts sur le revêtement extérieur de la conduite forcée lors de la mise en 'uvre de la canalisation, fissures sur les voiles de la passe à poissons à la suite de la mise en 'uvre des enrochements le long des voiles, drainages présentant des déficiences, instabilité de la piste par endroits, enrochements incomplètement réalisés contre le canal de sortie d'eau de l'usine vers la rivière dans la perspective de crues, déficiences de l'état de surface de la plate-forme devant le local technique dégrilleur, surfacturation portant sur 30.000 m³ de terrassements ;

' la définition des caractéristiques de débits de la conduite forcée par le maître d'ouvrage qui a eu recours à différents bureaux d'études techniques spécialisés en ce qui concerne l'hydraulique, l'environnement, la conception de l'usine, le génie civil, les études de sol et les organismes de contrôle ;

' « En l'absence de données concernant la relation qui a existé entre le maître d'ouvrage et d'autres prestataires (mission d'étude, de sous-traitance, ou maîtrise d''uvre) l'expert considère que l'étude du tracé et profil en long de la conduite forcée revient à la société JOUVAL maître d'ouvrage seul avec réalisation des prestations de maître d''uvre. » ;

' « Bien que l'entreprise JOUVAL conteste l'attribution d'un rôle maîtrise d''uvre qui lui est faite, les différents messages transmis par mail à l'entreprise [A], les différents comptes rendus figurant dans les pièces portées à la connaissance de l'expert, les plans et croquis, les plannings établis laissent entendre que la direction, l'organisation, le suivi du chantier, a bien été assuré par la société JOUVAL. » ;

' le profil en long de la conduite forcée devait être conçu de manière à ce que l'écoulement de l'eau se fasse gravitairement sur une pente motrice suffisante pour que la ligne piézométrique d'écoulement soit toujours située sous la ligne de charge en fonction du débit à transiter ainsi que de l'altitude du barrage et de la prise d'eau alors que le maître d'ouvrage et le maître d''uvre chargé de l'établissement des relevés de terrain ont eux-mêmes défini le tracé déterminant le positionnement des ouvrages et celui de la piste sur laquelle devait être aménagée la conduite forcée ;

' contrairement à ce qui a été pratiqué en ce qui concerne le barrage, la passe à poissons et l'usine, aucune étude de sol n'a été préalablement effectuée en ce qui concerne le parcours de la conduite d'eau forcée ;

' faute de communication par la maîtrise d''uvre à l'entreprise de terrassement d'une estimation de quantité de déblais et de remblais basée sur des relevés topographiques dans le cadre d'une étude technique dédiée, le devis de l'entreprise de terrassement n'a pu correspondre à la totalité de la réalité du chantier sur le plan quantitatif, d'autant qu'il s'agissait d'un tracé de quelque 2600 mètres sur un terrain tourmenté et rocheux comportant en outre à l'aval du barrage une butte de terrain d'une hauteur de 7 à 9 mètres n'ayant pu être contournée en raison de l'imposition du choix du tracé par le maître d'ouvrage et le maître d''uvre ainsi que d'importants foisonnements de matériaux à déblayer après extractions ;

' les désordres de construction concernant les terrassements sont les suivants :

* ovalisation de la conduite forcée ayant été compressée et déformée par le terrain avec un diamètre initial de 1,60 m réduit à 1,30 m et augmenté dans le sens vertical à 1,90 m et une déformation non symétrique plus prononcée sur le côté droit ainsi qu'une continuation des risques d'instabilité, le glissement de terrain ayant provoqué cette ovalisation de la conduite forcée trouvant son origine dans la conception du profil en long de cette conduite qui a privilégié la topographie sans tenir compte de la géologie et de la nature des terrains traversés ;

* impacts survenus sur la conduite forcée du fait de la mise en 'uvre des tuyaux sur le chantier de pose avec 24 défauts de revêtement répartis tout le long du tracé ;

* fissures sur les voiles de l'échelle à poissons en amont du barrage, provenant du fait que les enrochements voisins touchent ces voiles, nécessitant dès lors un blocage béton de ces enrochements ;

* allégation par le maître d'ouvrage d'une insuffisance des drainages le long de la piste avec présence d'une large fissure longitudinale, cette fissure n'ayant toutefois pas été personnellement constatée par l'expert judiciaire et ayant donc dû être réparée en cours de chantier ;

* enrochement éboulé et ne protégeant plus la berge à l'aval de la passerelle d'accès à l'usine ;

* plate-forme technique de la prise d'eau dont le revêtement en concassés est maintenant recouvert de terre du fait des entraînements de matériaux issus des eaux de ruissellement en surface ;

'« Les terrassements relatifs à la construction de la piste et de ses abords 158.311 m3 n'atteignant pas les 217.240 m3 théoriques avec foisonnement, l'expert considère qu'il n'y a pas eu surfacturation des volumes de terrassement. » ;

' sur le montant total restant dû à hauteur de 310.237,50 ' TTC, il convient de déduire les sommes suivantes : 50.976,00 ' TTC au titre de la réparation des impacts sur le revêtement extérieur de la conduite forcée, 27.423,38 ' TTC au titre des réparations des fissures des voiles de l'échelle à poissons, 3.948,00 ' TTC au titre des réparations des enrochements à l'aval de la passerelle d'accès à l'usine et 9.703,60 ' TTC au titre d'un trop-payé de facturation, ce qui ramène le montant restant dû à la société [A] à la somme totale nette de 218.186,52 ' TTC.

En l'espèce, il n'est d'abord pas contestable que l'ensemble des travaux de terrassements ayant été rendu nécessaire pour la construction de cette microcentrale hydroélectrique est constitutif d'un ouvrage au sens des dispositions de l'article 1792 du Code civil et que la société [A] dans cette intervention de travaux la qualité de constructeur au sens des dispositions des articles 1792 et 1792-1 du Code civil.

À défaut de réception des travaux dûment formalisée entre les parties, il importe de rechercher s'il a existé une réception tacite de cet ouvrage de terrassements, en application des dispositions de l'article 1792-6 alinéa 1er du Code civil. En cette occurrence, il n'est pas sérieusement contestable que cette réception des travaux est intervenue tacitement entre les parties contractantes à la date du 16 décembre 2015 à laquelle, au terme d'une réunion consécutive à la livraison et prise de possession de cette partie de l'ouvrage avec paiement de la plus grande partie de son prix, la société EAL JOUVAL a fait état d'un certain nombre de réserves à l'encontre de la société [A]. Dans ces conditions, la date de réception tacite des travaux doit être fixée au 16 décembre 2015 par infirmation ici du jugement de première instance.

Dès lors, compte tenu des dates respectives du 16 décembre 2015 de réception tacite des travaux, du 12 juillet 2016 de l'ordonnance de référé ayant ordonné la mesure d'expertise judiciaire sur demande subsidiaire de la société [A] (et de son mandataire judiciaire) et du 11 mai 2020 d'assignation au fond en première instance en lecture du rapport d'expertise judiciaire à l'initiative de la société EAL JOUVAL, cette dernière se trouve dans le délai décennal d'épreuve en son action en recherche de responsabilité civile décennale au visa des articles 1792 et suivants du Code civil.

La société EAL JOUVAL fait valoir une créance de reprise de 235.135,20 ' TTC du fait de l'ovalisation de la conduite forcée ayant été compressée et déformée par le glissement du terrain environnant qui réduit le diamètre de 1,60 m à 1,30 m et augmente celui-ci dans le sens vertical à 1,90 m, avec une déformation non symétrique plus prononcée sur le côté droit ainsi qu'une continuation des risques d'instabilité. Elle expose que cette déformation génère une diminution des charges, affecte directement la production de la centrale hydroélectrique, craquelle le revêtement intérieur de la conduite et crée des risques d'oxydation, de rouille et d'usure prématurée de cette conduite. Elle ajoute que l'insuffisance des drains relevant de la responsabilité de la société [A] a provoqué un écoulement d'eaux générant ce glissement de terrain. Elle considère en conséquence que cette conduite doit être changée.

En l'occurrence, force est de constater, d'une part que la société EAL JOUVAL n'était pas chargée d'une étude particulière de sol et d'implantation sur l'exact emplacement des terrassements nécessaire à cette conduite et que ces emplacements ont au contraire été exclusivement dictés par la société EAL JOUVAL qui s'est dès lors comportée à ce sujet comme un véritable maître d''uvre. L'expert judiciaire a ainsi relevé que cette ovalisation trouve son origine dans la conception du profil en long de cette conduite décidée par le maître d'ouvrage qui a privilégié la topographie sans tenir compte de la géologie et de la nature des terrains traversés. De plus, il n'est aucunement démontré que ce sont les engins de chantier de la société [A] qui auraient provoqué cet effet d'ovalisation de la conduite forcée. Enfin, d'une manière générale, dès lors que ce tracé de conduite forcée a été imposé par le maître d'ouvrage à ce locateur d'ouvrage, il incombait à ce maître d'ouvrage faisant office de maîtrise d''uvre de vérifier la qualité de ce secteur de terrain ayant donné lieu à des mouvements ultérieurs. À ce sujet, la liquidation judiciaire de la société [A] objecte à juste titre en lecture du rapport d'expertise judiciaire que la société EAL JOUVAL a véritablement fait office de maîtrise d''uvre et conception ainsi que de suivi des travaux en résultant dans des domaines comme l'hydraulique, la topographie, la géologie, le génie civil et les terrassements en imposant ce choix de tracé sans pour autant justifier au cours des opérations d'expertise judiciaire s'être entourée d'avis préalable de bureaux d'études spécialisés notamment en matière de topographie, d'ingénierie et de géotechnique ou d'avoir fait pratiquer des sondages préalables afin précisément de tenir compte des potentiels mouvements de terrain. Enfin, en lecture du rapport de consultation technique [I] [U] établi le 14 septembre 2020 à la demande de la société EAL JOUVAL, aucun développement ne permet d'imputer également la survenance des désordres à des insuffisances concernant les emplacements de drainage.

Dans ces conditions, aucune présomption de responsabilité ne peut être opposée à ce sujet à la société EAL JOUVAL au titre de la responsabilité civile décennale alors par ailleurs qu'aucune faute d'exécution ne peut davantage lui être reprochée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun. Le jugement de première instance sera dès lors confirmé en ce qu'il a jugé que la société [A] ne peut être tenue pour responsable de ce désordre, la société EAL JOUVAL devant en conséquence être déboutée de sa demande d'indemnité formée à l'encontre de la société [A] à hauteur de 235.135,20 ' TTC du fait de l'ovalisation de la conduite forcée.

La société EAL JOUVAL fait valoir une créance de reprise de 122.418 ' TTC du fait d'impacts survenus sur la conduite forcée lors de la mise en 'uvre des tuyaux sur le chantier de pose. Elle expose qu'il s'agit d'impacts qui altèrent le revêtement de protection de la conduite forcée, celle-ci s'oxydant avec le temps avec apparition de points de rouille et de percements. L'expert judiciaire fait état d'impacts survenus sur la conduite forcée du fait de la mise en 'uvre des tuyaux sur le chantier de pose avec détection par un bureau d'études spécialisées des 24 défauts de revêtement répartis tout le long du tracé et mesuré en millivolts. En cas de perforation des éléments de conduite d'eau depuis ces impacts, ceux-ci provoqueraient des ruptures d'étanchéité qui rendraient effectivement l'ouvrage impropre à sa destination du fait d'une baisse d'alimentation de la turbine et de la fragilisation du fait des fuites d'eau de la stabilité du terrain entourant cette canalisation.

En l'occurrence, c'est effectivement la société [A] qui a procédé au recouvrement de cette conduite sur un lit de sable, étant dès lors responsable de la qualité de ces conditions d'enfouissement. Pour autant, il n'est pas établi que ces impacts mesurés en millivolts soient perforants ni qu'ils atteignent cet effet de perforation avant l'expiration du délai décennal. Il n'est pas davantage établi que les cailloux pouvant se trouver dans le lit de gravillons de faible section compromettent la pérennité de l'ouvrage. Enfin, tous les impacts détectés avant la pose de la canalisation ont été réparés à l'initiative de la société EAL JOUVAL, la société [A] n'étant par ailleurs pas responsable des impacts ayant pu être occasionnés à ces éléments de conduite à l'occasion de leurs conditions de transport et de stockage avant les opérations d'enfouissement des éléments de conduite. En tout état de cause, la liquidation judiciaire de la société [A] et M. [A] objectent ici à juste titre que « La vitesse de propagation de la corrosion étant très faible, les données temporelles sont tellement larges que le grief est dérisoire. », ce qui souligne l'absence de réalité du préjudice invoqué.

Dans ces conditions, faute d'apport de la preuve d'un véritable préjudice d'impacts réellement sinistrants de la canalisation litigieuse, ni la présomption de responsabilité relevant de la responsabilité civile décennale ni l'objectivation de la faute au regard de la responsabilité contractuelle de droit commun ne peuvent être établies. Le jugement de première instance sera dès lors infirmé en ce qu'il a admis cette créance à hauteur de la somme de 50.976,00 ' tandis que la société EAL JOUVAL sera déboutée de sa demande d'indemnisation formée sur ce chef à hauteur de la somme de 122.148,00 ' TTC.

La société EAL JOUVAL fait valoir une créance de reprise de 27.083,38 ' du fait de fissures sur les voiles de la passe à poissons à la suite de la mise en 'uvre des enrochements le long des voiles. Elle expose que les contours en béton de la passe à poissons situés en amont du barrage sont fissurés du fait d'impacts de pierres et de godets d'engins et fragilisent l'installation soumise aux intempéries et à la pression de l'eau. L'expert judiciaire a effectivement identifié ce désordre comme provenant du fait que les enrochements voisins touchent ces voiles, nécessitant dès lors un blocage béton de ces enrochements.

En l'occurrence, à supposer que ces fissures proviennent de la trop grande proximité de cette partie de l'ouvrage avec l'enrochement voisin, qui lui-même ne fait l'objet d'aucune critique particulière, aucun élément ne permet d'établir que ces fissurations légères aient un effet sinistrant sur la pérennité et la fonctionnalité de cette passe à poissons. Ces fissures ne relèvent donc ni de la présomption de responsabilité décennale ni d'une faute ayant un quelconque lien de cause à effet avec un dommage de déficit de pérennité et de fonctionnalité de cette partie de l'ouvrage.

Dans ces conditions, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a admis cette créance de réparation de fissures de la passe à poissons à hauteur de la somme de 27.423,38 ' TTC, la société EAL JOUVAL devant dès lors être déboutée de ce même chef de demande.

La société EAL JOUVAL fait valoir une créance de reprise de 124.047,60 ' TTC au titre de travaux de stabilisation de la piste par la création de fossés et de drains. Elle expose que le nombre de fossés et de drains est insuffisant et que les devers ne sont pas systématiquement positionnés dans le bon sens, rendant selon elle la piste impraticable par temps de pluie.

En l'occurrence, l'expert judiciaire n'a constaté aucune instabilité particulière du chemin, ayant simplement fait mention d'une fissure longitudinale apparue en cours de chantier et pouvant être effectivement représentative d'un désordre de stabilité de la piste mais ayant été nécessairement réparée par le locateur d'ouvrage en cours de chantier. La société EAL JOUVAL n'apporte donc pas la preuve de ce grief. Par ailleurs, l'expert judiciaire n'a fait aucune remarque critique sur le sens de positionnement des devers de la piste.

Dans ces conditions, faute de mobilisation de la présomption de responsabilité décennale ou d'objectivation d'une faute au regard de la responsabilité contractuelle de droit commun, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

La société EAL JOUVAL fait valoir une créance de reprise de 3.948,00 ' TTC au titre de la reprise d'un déficit d'enrochement. Elle expose qu'il s'agit d'une partie de l'enrochement ayant pour fonction d'assurer la stabilité des berges et que les roches ont été simplement déchargées à cet endroit-là sans les organiser de manière à garantir cet effet de stabilité.

En l'occurrence, il ressort des débats que cette zone située entre le pont et la sortie de l'eau turbiné ne fait pas partie du devis, correspondant dès lors à une simple zone de dépôt de déblais et non d'organisation d'un enrochement.

Dans ces conditions, faute de mobilisation d'une quelconque présomption de responsabilité décennale ou d'objectivation d'une faute au regard de la responsabilité civile de droit commun, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a admis ce chef de demande, celui-ci devant au contraire être rejeté.

4/ Sur les autres demandes

Le trop-payé allégué à hauteur de la somme de 9.703,60 ' TTC ne donne lieu de la part de la société EAL JOUVAL à aucun décompte récapitulatif et détaillé de créance. Le jugement de première instance sera en conséquence infirmé en ce qu'il a admis cette créance, ce poste de demande devant au contraire être rejeté.

Faute d'admission de toutes contre-créances de la société EAL JOUVAL pour les motifs précédemment énoncés, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de cette dernière aux fins de paiement de dommages-intérêts à hauteur de 80.000,00 ' HT en allégation de pertes d'exploitation et tendant à « Réserver le paiement de dommages et intérêts relatifs à la perte d'exploitation résultant du retard du chantier et de la période d'indisponibilité au cours du chantier de réparation, dont l'évaluation est en cours de réalisation. ».

Les allégations supplémentaires de la société EAL JOUVAL de surfacturation à hauteur de 140.000,00 ' TTC et de factures indues à hauteur de 7.828,27 ' TTC ne donnent lieu de la part de cette dernière à aucuns décomptes récapitulatifs et détaillés de créances. Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté ces postes de demandes présentées aux fins de compensation avec le solde contractuel restant dû.

La société EAL JOUVAL ne conteste pas le montant du solde impayé contractuel à hauteur de la somme totale de 310.237.51 ' TTC, que la liquidation judiciaire de la société [A] ramène à celle de 308.362,17 ' TTC. Dans ces conditions, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a fixé ce solde impayé de facturation après compensation à la somme de 218.186,54 ' TTC, celle-ci devant être fixée à la somme de 308.362,17 ' TTC. Le dispositif d'indexation sera en revanche confirmé.

La liquidation judiciaire de la société [A] ne communique aucun décompte récapitulatif et détaillé de créance en ce qui concerne le préjudice supplémentaire dont elle fait état à hauteur de 13.091,10 ' TTC qui a été arbitré en première instance à la somme de 7.568,14 ' TTC. Ce poste de réparation fait par ailleurs double usage avec le dispositif d'indexation. Dans ces conditions, le jugement de première instance sera infirmé sur ce chef de condamnation pécuniaire tandis que la liquidation de la société [A] sera sera déboutée de ce chef de demande.

Aucune condamnation pécuniaire n'étant prononcée à l'encontre de la société [A] au titre de la responsabilité civile décennale ou au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun, les demandes de condamnations directes formées par la société EAL JOUVAL à l'encontre de la société SMABTP ainsi que les demandes de garantie contractuelle formées par la liquidation judiciaire de la société [A] à l'encontre de la société SMABTP seront purement et simplement rejetées, par confirmation du jugement de première instance.

Aucune offre de démonstration de preuve de cause à effet n'est présentée par M. [A] entre la mise en liquidation judiciaire de la société [A] et le non-paiement du solde impayé de 308.362,17 ' TTC, d'autant que le restant de ce marché de travaux à hauteur de 2.025.455,76 ' TTC a été réglé sans aucune allégation de retard. Le jugement de première instance sera en conséquence confirmée en ce qu'il a rejeté ce chef de demande. Par voie de conséquence, les demandes subsidiaires formées par la société SMABTP deviennent sans objet.

Le jugement de première instance sera confirmé en ses décisions d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et d'imputation des dépens de première instance incluant les frais d'expertise judiciaire.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de la liquidation judiciaire de la société [A] les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 5.000,00 ', à la charge de la société EAL JOUVAL.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de la liquidation judiciaire de la société SMABTP les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 2.000,00 ', à la charge de la société EAL JOUVAL.

Enfin, succombant à l'instance, la société EAL JOUVAL sera purement et simplement déboutée de sa demande de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile et en supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONSTATE l'intervention volontaire de la SELARL MJ [H], représentée à Me [Z] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP, en lieu et place de Me [J] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP.

INFIRME le jugement n° RG-2020J17 rendu le 13 décembre 2022 par le tribunal de commerce d'Aurillac sa décision de condamnation de la SARL EAL JOUVAL à payer au profit de Me [J] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP, la somme de 218.186,54 ' TTC au titre du solde impayé du marché de travaux susmentionnés.

INFIRME ce même jugement en ce qu'il a condamné la SARL EAL JOUVAL à payer au profit de Me [J] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP, la somme de 7.568,14 ' TTC au titre du préjudice subi.

INFIRME ce même jugement en ce qu'il a admis à titre de créance au profit de la SARL EAL JOUVAL les somme précitée de 50.976,00 ' TTC, de 27.423,38 ' TTC, de 9.948,00 ' TTC et de 9.703,60 ' TTC et en ce qu'il a rejeté la demande de fixation de réception tacite des travaux.

CONFIRME ce même jugement en toutes ses autres dispositions frappées d'appel.

Statuant de nouveau.

CONDAMNE la SARL EAL JOUVAL à payer au profit de la SELARL MJ [H], représentée à Me [Z] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP, la somme de 308.362,17 ' TTC au titre du solde impayé du marché de travaux susmentionnés.

FIXE la date de réception tacite des travaux susmentionnés au 16 décembre 2015.

Y ajoutant.

CONDAMNE la SARL EAL JOUVAL à payer en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

- une indemnité de 5.000,00 ' au profit de la SELARL MJ [H], représentée à Me [Z] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [A] TP ;

- une indemnité de 2.000,00 ' au profit de la SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP).

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE la SARL EAL JOUVAL aux entiers dépens de l'instance.

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