CA Bordeaux, 2e ch. civ., 9 mai 2025, n° 21/06232
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Froidefond Etancheite (SARL)
Défendeur :
Serrurerie Valbusa (Sté), L'Auxiliaire (Sté), SMABTP (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boudy
Conseillers :
M. Figerou, Mme Defoy
Avocats :
Me Levy, Me Chevalier, Me Perret, Me Aymard-Cezac, Me Peltier
FAITS ET PROCÉDURE :
1. Monsieur [H] [P] et Madame [E] [M] épouse [P] (les époux [P] ci-après) sont propriétaires, depuis 2012, d'un immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 5].
Ce bien comporte une partie habitation au premier étage et un rez-de-chaussée à usage commercial.
Un toit-terrasse jouxtant la partie habitation couvre en partie le local commercial.
2. En 2013, à la suite de fortes pluies, des infiltrations d'eau endommageaient la cave, certaines pièces de l'habitation ainsi que le plafond du local commercial dues au défaut d'étanchéité de la terrasse.
Des travaux d'étanchéité et de rénovation complète de la terrasse avaient été réalisés antérieurement par la société Serrurerie Valbusa, pour un montant de 5627,87 ', la réception des travaux ayant eu lieu le 2 février 2006.
3. Par acte du 10 septembre 2014, les époux [P] ont assigné la SARL Valbusa devant le tribunal d'instance de Sarlat.
Par jugement du 5 février 2015, le tribunal d'instance de Sarlat a condamné la société Serrurerie Valbusa à payer aux époux [P] diverses sommes, notamment :
- 5 321, 70 euros au titre des travaux de reprise,
- 513, 60 euros au titre de l'intervention de l'entreprise DMS Aquitaine,
- 1 000 euros d'indemnisation du préjudice de jouissance.
4. Les époux [P] ont confié des travaux réparatoires à l'entreprise Froidefond Étanchéité, spécialiste des travaux d'étanchéité qui a présenté un devis estimatif relatif à des 'travaux de reprise de l'étanchéité du chéneau suite à un sinistre et expertise', daté du 5 mai 2015, pour un montant de 6 563,07 '.
Par message électronique du 18 juin 2015, les époux [P] ont renvoyé le devis après l'avoir accepté.
Le 10 juillet 2015 cependant, ils adressaient à la société Froidefond un nouveau message dans lequel ils demandaient une modification du devis c'est-à-dire ne comportant plus 'le poste des travaux préparatoires que nous allons réaliser cette semaine ainsi que la finition sur mur pierre'.
A l'issue de ces travaux, une facture d'un montant de 3000,80 ' HT a été émise et un procès-verbal de réception a été signé le 28 août 2015, sans réserves.
5. Les époux [P] se sont par la suite plaints de nouvelles infiltrations malgré la réalisation des travaux de reprise.
Le 15 mars 2016, Maître [I], huissier de justice à [Localité 6] a établi un constat des différents désordres occasionnés par les fuites d'eau.
Par ordonnance du 18 octobre 2016, le juge des référés a désigné M. [Z] en qualité d'expert judiciaire.
Les époux [P] ayant assigné en référé-expertise la seule SARL Valbusa, l'expert judiciaire a estimé dans une note du 27 juillet 2017, que la société Froidefond conservait, à son avis, une part importante de responsabilité dans l'aggravation des désordres et que les demandeurs avaient intérêt à la mettre en cause.
6. Dès lors, la société Froidefond Étanchéité a été assignée en référé, le 31 octobre 2017 en vue de lui rendre opposables les opérations d'expertise.
Une ordonnance rendue en référé, le 28 décembre 2017, a fait droit à la demande.
De la même manière, une ordonnance de référé du 3 avril 2018 a rendu les opérations d'expertise communes et opposables à son assureur, la société Smabtp.
Le rapport d'expertise a été déposé le 2 juillet 2018.
7. Par acte des 25 et 29 juillet 2019, les époux [P] ont assigné la société Serrurerie Valbusa et son assureur, la compagnie d'assurance l'Auxiliaire, la Sarl Froidefond Etanchéité et son assureur, la société Smabtp, devant le tribunal de grande instance de Bergerac.
Par jugement du 10 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Bergerac a :
- déclaré prescrite la demande des époux [P] à l'encontre de la société Serrurerie Valbusa,
- dit et jugé que sur le fondement de l'article 1792 du code civil, la SARL Froidefond Etanchéité est responsable des dommages affectant le toit terrasse de l'immeuble des époux [P],
- condamné en conséquence solidairement la SARL Froidefond Etanchéité et son assureur la Smabtp à indemniser le préjudice des époux [P] auxquels il sera accordé la somme TTC de 64 369, 27 euros en réparation de leur préjudice matériel,
- dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du présent jugement,
- condamné en outre solidairement la SARL Froidefond Etanchéité et son assureur la Smabtp à verser aux époux [P] la somme de 2 500 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice de jouissance,
- dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du présent jugement,
- dit que la Smabtp est bien fondée à opposer à la SARL Froidefond Etanchèité sa franchise contractuelle,
- condamné enfin, sous la même solidarité la SARL Froidefond Etanchéité et son assureur la Smabtp à verser aux époux [P] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité de 2 500 euros, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris la somme de 7 697, 65 euros au titre des frais d'expertise par eux exposés,
- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
La SARL Froidefond Etanchéité a relevé appel du jugement le 15 novembre 2021.
8. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 juin 2022, la SARL Froidefond Etanchéité demande à la cour, sur le fondement des articles 1792, 1792-4-1, 2241 et 2231 du code civil, 175 et suivants du code de procédure civile :
- de la recevoir en son appel et le déclarer bien fondé,
- de réformer le jugement rendu le 20 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Bergerac,
statuant à nouveau,
à titre principal,
- de prononcer la nullité du rapport d'expertise de M. [Z] déposé le 2 juillet 2018,
- de débouter les époux [P] de l'intégralité de leurs demandes à son encontre,
- d'ordonner la restitution des fonds qu'elle a versés au titre de la franchise contractuelle, en vertu de l'effet exécutoire du jugement,
à titre subsidiaire,
- de déclarer recevable et non prescrite l'action en responsabilité décennale formée par les époux [P] à l'encontre de la SARL Serrurerie Valbusa,
- de débouter les époux [P] de l'intégralité de leurs demandes à son encontre,
- de débouter les époux [P] de leurs demandes de condamnation in solidum à l'encontre des défendeurs,
- de fixer le taux de TVA applicable aux travaux de réparation, notamment les travaux d'étanchéité et du démontage/repose du garde-corps existant, au taux réduit de 10%,
- de débouter les époux [P] de leurs demandes indemnitaires formulées au titre de leurs préjudices financiers pour perte de loyers et préjudice moral,
- d'ordonner la restitution des fonds qu'elle a versé au titre de la franchise contractuelle, en vertu de l'effet exécutoire du jugement,
à titre infiniment subsidiaire,
- de fixer la répartition entre les défendeurs de leur charge contributive au regard de la dette,
- de fixer la part de sa responsabilité à 5% du sinistre total et de son coût,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Smabtp à la garantir et à la relever indemne de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre,
à titre très subsidiaire,
- d'ordonner une nouvelle expertise des lieux litigieux en application des dispositions des articles 246 et 148 du code de procédure civile,
en tout état de cause,
- de condamner solidairement les époux [P] et ou toute partie succombante à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner solidairement les époux [P] et/ou toute partie succombante aux entiers dépens de première instance et d'appel.
9. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 17 février 2025, M. [P] et Mme [M] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1792, 1103 et 1104 du code civil :
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Bergerac,
- de débouter la société Froidefond Etanchéité, la Smabtp de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions formées à leur encontre,
- de débouter la SARL Valbusa de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formulées à leur encontre,
- de débouter l'Auxiliaire du Bâtiement de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formulées à leur encontre,
en conséquence,
- de juger que la société Froidefond Etanchéité est responsable des dommages affectant le toit terrasse de leur immeuble,
en conséquence,
- de condamner solidairement la société Froidefond Etanchéité et son assureur la Smabtp à leur payer la somme de 64 369, 27 euros, pour faire effectuer les travaux préconisés par l'expert judiciaire, outre les intérêts au taux légal à faire valoir à compter de la signification de la présente décision sur le fondement de l'article 1792 du code civil,
- de juger que cette somme produira intérêt au taux légal à compter du jugement du 10 septembre 2021,
- de condamner solidairement la société Froidefond Etanchéité et son assureur la Smabtp à leur payer la somme de 2 500 euros au titre de leur préjudice de jouissance,
- de juger que cette somme produira intérêt au taux légal à compter du jugement du 10 septembre 2021,
- de condamner solidairement la société Froidefond Etanchéité et son assureur la Smabtp à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner solidairement la société Froidefond Etanchéité et son assureur la Smabtp à leur payer la somme de 7 697, 65 euros au titre des frais d'expertise par eux exposés,
- de condamner solidairement la société Froidefond Etanchéité et son assureur la Smabtp aux entiers dépens de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
10. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 avril 2022, la compagnie d'assurance l'Auxiliaire demande à la cour, sur le fondement de l'article L. 114-1 du code des assurances,1792 et suivants du code civil :
- de rejeter toutes conclusions contraires comme injustes et, en tout cas, mal fondées,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées à son encontre,
statuant à nouveau,
in limine litis,
- de déclarer irrecevables toutes demandes formées à son encontre,
- de condamner les époux [P] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Guiriato, Avocat, à valoir sur son offre de droit conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
au fond,
- de dire et juger que la garantie décennale souscrite auprès d'elle n'est pas mobilisable,
- de débouter toute demande formée à son encontre,
- de condamner tout succombant à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Vieuville, Avocat, à valoir sur son offre de droit conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire l'application de la garantie souscrite auprès d'elle était retenue,
- de ventiler les responsabilités, à parts égales, entre les sociétés Valbusa, Froidefond Etanchéité et M. [P],
- de limiter l'application de la garantie souscrite auprès d'elle à concurrence de la quote-part imputée à la société Valbusa,
- de condamner in solidum la société Froidefond, son assureur, la Smabtp, et M. [P] à la relever et la garantir des 2/3 des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre,
en toute hypothèse,
- de limiter l'application de la garantie souscrite auprès d'elle aux seuls dommages matériels,
- de condamner la compagnie Smabtp à prendre en charge les dommages immatériels imputables à la société Valbusa,
- de la déclarer fondée à opposer la franchise contractuelle d'une part, à son assuré s'agissant des dommages matériels et d'autre part, aux tiers s'agissant des dommages immatériels,
- de rejeter la demande de l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- de condamner tout succombant à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Guiriato, Avocat, à valoir sur son offre de droit conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
11. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 juin 2022, la compagnie d'assurance Smabtp demande à la cour :
- de réformer le jugement du tribunal judiciaire de Bergerac rendu le 10 septembre 2021 en ce qu'il :
- a omis de statuer sur la demande de reconnaissance de nullité du rapport d'expertise judiciaire,
- a dit et jugé que sur le fondement de l'article 1792 du code civil, la SARL Froidefond est responsable des dommages affectant le toit terrasse de l'immeuble des époux [P],
- l'a condamné solidairement avec la SARL Froidefond à indemniser le préjudice des époux [P] auxquels il sera accordé la somme TTC de 64 369, 27 euros en réparation de leur préjudice,
- dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du présent jugement,
- l'a condamné solidairement avec la SARL Froidefond à verser aux époux [P] la somme de 2500 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice de jouissance,
- dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du présent jugement,
- dit qu'elle était bien fondée à opposer à la SARL Froidefond Etanchéité sa franchise contractuelle,
- l'a condamné solidairement avec la SARL Froidefond aux époux [P] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité de 2500 euros ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris la somme de 7697, 65 euros au titre des frais d'expertise par eux exposés,
- ordonné l'exécution provisoire,
et rejugeant,
- de juger le rapport d'expertise judiciaire de M. [Z] nul et de nul effet et déboutera en conséquence les époux [P] de l'ensemble de leurs demandes,
- d'ordonner la restitution des sommes qu'elle a versé en vertu de l'effet exécutoire du jugement, en principal et accessoire, article 700 du code de procédure civile et dépens,
subsidiairement, à défaut de constater la nullité du rapport d'expertise judiciaire,
- de débouter les époux [P] de l'ensemble de leurs demandes contre elle et la SARL Froidefond Etanchéité,
- d'ordonner la restitution des fonds qu'elle a versés en vertu de l'effet exécutoire du jugement en principal et accessoire, article 700 du code de procédure civile et dépens,
- de les condamner in solidum à verser 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les dépens de référé et frais d'expertise judiciaire dont distraction au profit de Me Boyreau sur ses offres de droits.
12. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 mai 2022, la société Serrurerie Valbusa demande à la cour, sur le fondement des articles 1792 et l'article 1147 ancien du code civil :
- de déclarer recevable mais mal fondé l'appel régularisé par la SARL Froidefond Etanchéité et de l'en débouter,
- de déclarer que les désordres relevés par l'expert ne sont pas couverts par sa responsabilité décennale, les travaux de cette dernière étant intervenus au plus tard en février 2006 et l'assignation en référé en vue de l'organisation d'une mesure d'expertise datant du 26 juin 2016, soit plus de 10 ans après,
- de déclarer que les époux [P] ne démontrent l'existence d'aucun lien de causalité, certain et direct, entre les travaux réalisés par son sous-traitant en 2005/2006 et les désordres dénoncés par l'expert judiciaire,
- de déclarer que ni sa responsabilité décennale, ni sa responsabilité contractuelle ne peuvent être engagée,
- de déclarer que les ouvrages réalisés par son sous-traitant ont été déposés par la société Froidefond Etanchèité et M. [P],
- de déclarer que seuls les ouvrages réalisés et/ou omis par la Société Froidefond Etanchéité, seule spécialiste de l'étanchéité et auteur du devis soumis au tribunal d'Instance de Sarlat, sont à l'origine des désordres dénoncés par l'expert judiciaire,
en conséquence,
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bergerac le 10 septembre 2021,
à titre subsidiaire,
pour le cas où la cour réformerait le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bergerac le 10 septembre 2021 et entrerait en voie de condamnation contre elle,
- de déclarer que les époux [P] ont commis des fautes qui ont contribué à la survenance de leur préjudice,
en conséquence,
- de déclarer que la responsabilité des désordres relevés par l'expert judiciaire est partagée entre la société Froidefond Etanchèité et les époux [P],
- de condamner l'Auxiliaire du Bâtiment, son assureur, à la garantir et de la relever indemne de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre,
en tout état de cause,
- de condamner la société Froidefond Etanchéité et les époux [P] au paiement d'une juste indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a injustement exposé,
- de condamner la société Froidefond Etanchéité et les époux [P] aux entiers dépens, de première instance et d'appel, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire menée par M. [Z], dont distraction au profit de Maître Perret, Avocat, aux offres de droit.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 février 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I- Sur la nullité du rapport d'expertise
13. La société Froidefond Étanchéité et son assureur, la Smabtp, soulignent qu'à la suite des infiltrations qui s'étaient produites en 2013 et du jugement ayant condamné la SARL Serrurerie Valbusa, les époux [P] ont voulu limiter les réparations à entreprendre aux seules infiltrations concernant la partie habitation de l'immeuble et ce, pour des raisons financières.
Qu'ils l'ont d'ailleurs expressément reconnu dans un courrier du 29 juin 2017.
Que les infiltrations qui se sont produites par la suite n'affectaient que la partie du toit-terrasse couvrant le local commercial et sur laquelle la société Froidefond n'était pas intervenue.
Cette société et son assureur reprochent à l'expert sa partialité puisqu'alors qu'ils n'ont été associés aux opérations d'expertise que très tardivement, l'expert aurait nettement refusé de modifier aussi peu que ce soit le pré-rapport qu'il avait préparé, de procéder à des investigations complémentaires et, de manière générale, de tenir compte de leurs explications relatives au périmètre d'intervention de la société Froidefond.
La Smabtp, qui reproche par ailleurs au tribunal d'avoir omis de se prononcer sur la nullité de l'expertise qui lui était présentée, affirme que l'expert, quant à lui, a refusé d'écouter son conseil lors de la réunion qu'il a dû organiser après sa mise en cause.
Ils en déduisent que l'expertise doit être annulée au visa de l'article 175 du code de procédure civile.
14. Il est exact que le tribunal, à qui cette question a pourtant été soumise, l'a évacuée sans la moindre motivation et de manière très expéditive, se bornant à affirmer : 'plusieurs réunions ont eu lieu et il n'est nullement besoin ni d'annuler ce rapport ni d'ordonner une nouvelle expertise'.
Nonobstant cette carence, le jugement, qui ne s'est d'ailleurs pas expressément prononcé sur ce point, sera confirmé.
En effet, les griefs adressés à l'expert ne sont nullement démontrés.
Rien dans le rapport ne permet d'établir ni même de suspecter une quelconque partialité de la part de l'expert ou tout simplement une violation du principe du contradictoire.
Au contraire, dès lors qu'il lui est apparu que la responsabilité de la société Froidefond était susceptible d'être mise en cause, il a fait en sorte de lui rendre les opérations d'expertise opposables et de l'associer à celles-ci.
Il résulte du rapport qu'il a insisté auprès des seules parties présentes à l'origine, c'est-à-dire les époux [P], la société Valbusa et son assureur, la société l'Auxiliaire, afin qu'elle soit appelée en cause.
Alors qu'il aurait pu déposer son rapport en l'état et qu'il avait déjà tenu deux réunions, il a accepté de surseoir une première fois au dépôt de son rapport dans l'attente éventuelle d'une mise en cause, de tenir ensuite une troisième réunion puis, de surseoir à nouveau dans l'attente de la mise en cause de l'assureur de la société Froidefond et de tenir ensuite une quatrième réunion.
Lors de ces réunions supplémentaires tenues les 16 février et 15 mai 2018, il a noté les observations faites par les avocats des parties concernées de la même manière que celles des autres.
Certes, indiquait-il dans les notes aux parties rédigées à l'issue de ces réunions que 'les observations de ce jour ne changent pas mes conclusions exposées dans mon pré rapport du 21 avril 2017" mais il ne s'agissait là que de l'exercice de sa pleine liberté d'appréciation qui ne saurait lui imposer de modifier ses constatations et ses avis au seul prétexte que des parties, jusque là absentes, formulent des remarques et observations.
15. Il convient encore de noter que cet expert a toujours répondu aux observations ou 'dires' qui lui étaient adressées par les avocats tant de la société Froidefond que de la société Smabtp et ce, avec un parfaite équanimité si on les compare avec celles des autres parties.
Plus encore, il a accepté de répondre à un courrier du 30 juin 2017 de M. Froidefond que l'on suppose être le dirigeant de la société Froidefond, avant que cette société soit officiellement assignée en vue de lui rendre les opérations d'expertise opposables et qui s'est donc trouvée en réalité implicitement associée près de six mois auparavant.
16. Par conséquent, le seul élément à charge est constitué par la lettre d'observations adressée à l'expert le 19 juin 2018 par l'avocat de la société Smabtp dans laquelle celui-ci l'accusait d'avoir forgé son opinion avant même de l'avoir entendu lors de la réunion précédente et d'avoir affirmé qu'il ne modifierait pas son pré-rapport.
Force est de constater à ce sujet que la première affirmation ne procède que d'un procès d'intention et que la seconde, à la supposer avérée, n'est pas en soi condamnable puisqu'en effet, comme déjà indiqué, l'expert n'est pas tenu de modifier son opinion du seul fait qu'une des parties la conteste.
En tout état de cause, la réponse apportée par l'expert à ce courrier pourtant virulent était parfaitement neutre, ne trahissait aucun esprit de polémique, de partialité, voire de simple agacement et, de façon plus générale, de parti-pris.
Il n'y a donc pas lieu de prononcer la nullité de l'expertise judiciaire.
II- Sur la recevabilité de la demande à l'égard de la SARL Serrurerie Valbusa
17. La société Froidefond conteste la décision du tribunal judiciaire de Bergerac qui a déclaré prescrite l'action dirigée contre la société Serrurerie Valbusa au motif que plus de dix années se seraient écoulées entre la date de la facture du 2 février 2006 et celle de l'assignation en référé du 26 juin 2016 alors que le délai de forclusion institué par l'article 1792-4-1 du code civil a été interrompu par l'assignation, le 10 septembre 2024, devant le tribunal d'instance de Sarlat.
18. La société Serrurerie Valbusa soutient au contraire que le point de départ du délai de forclusion édicté en matière de responsabilité décennale doit se situer à la date de la facture qu'elle a émise, le 2 février 2006, et que ce délai était donc écoulé sans avoir été interrompu, lorsque l'assignation en référé lui a été délivrée, le 27 juin 2016.
Elle ajoute que les désordres dont il s'agit ont été définitivement établis par le jugement du tribunal d'instance de Sarlat, qu'elle en a exécuté les termes, qu'elle n'est plus jamais intervenue par la suite et que par conséquent, elle ne saurait être tenue des désordres survenus après le 5 février 2015.
19. Il n'est pas contesté dans le cas présent que doivent s'appliquer les règles édictées par les articles 1792 et suivants du code civil et, plus précisément, que l'on se trouve face à des désordres compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination.
Il n'est pas plus contesté que l'ouvrage réalisé par la SARL Valbusa a fait l'objet d'une réception au moins tacite dès l'émission de la facture du 2 février 2006.
20. Cette date constitue donc le point de départ du délai d'épreuve de dix ans institué par l'article 1792-4-1 du code civil.
Il convient alors d'envisager trois hypothèses.
21. Soit les désordres dont se plaignent aujourd'hui les époux [P] sont les mêmes que ceux qu'ils avaient déjà dénoncés en 2013, c'est-à-dire qu'ils ne sont que la conséquence d'une réparation incomplète ou mal réalisée.
Or, ces désordres ont donné lieu au jugement du tribunal d'instance de Sarlat et dans ce cas, l'assignation devant cette juridiction, le 10 septembre 2014, a entraîné interruption du délai de prescription.
Mais dans ce cas, comme le soutient à bon droit la société Valbusa, ce jugement devenu irrévocable est censé avoir répondu à la demande et avoir donc provoqué l'extinction de l'action.
En d'autres termes, même si cette société ne lui donne pas cette qualification, elle invoque à bon droit l'autorité de chose jugée qui s'y attache.
22. Soit les désordres sont distincts de ceux dénoncés en 2013 et ayant donné lieu au jugement rendu le 5 février 2015.
Dans ce cas, ce jugement comme l'assignation qui l'a précédée, n'ont pu opérer interruption de la prescription puisqu'ils se rapportaient à d'autres dommages.
Dès lors, l'assignation en référé, délivrée à la société Serrurerie Valbusa le 27 juin 2016, est intervenue trop tard pour interrompre le délai d'épreuve qui avait pris fin le 2 février 2016 et la prescription était acquise.
23. Dans une troisième hypothèse, les désordres sont liés aux travaux exécutés par la SARL Froidefond et ne sont donc pas imputables à la SARL Valbusa.
Il résulte donc de ce qui précède qu'en toute hypothèse, l'action engagée contre cette société doit être déclarée irrecevable.
III- Sur les désordres et les responsabilités.
24. La société Froidefond Étanchéité et la Smabtp insistent sur le fait que l'intervention de la première n'a porté que sur la suppression des infiltrations affectant le logement et par conséquent, sur le caniveau situé en bordure du toit-terrasse.
Elles ajoutent que ces travaux ont parfaitement atteint leur but puisque les seules infiltrations qui subsistaient par la suite et qui justifient le présent litige ne concernent plus que le local commercial et sont imputables aux travaux originaires réalisés par la société Serrurerie Valbusa.
Elles reprochent à l'expert judiciaire d'avoir pourtant retenu la responsabilité de la société Froidefond alors qu'un arrosage prolongé de la zone concernée n'a pas permis de constater l'existence d'une fuite à ce niveau et qu'il a refusé de procéder à des tests simples à l'aide de fluorescéine qui auraient permis de vérifier l'existence de deux points d'entrée possibles de l'eau.
25. De son côté, la société Serrurerie Valbusa considère que la preuve d'un lien quelconque entre les travaux qu'elle a réalisés ou que son sous-traitant a réalisés et les désordres dénoncés par l'expert n'est nullement rapportée puisqu'elle n'est plus jamais intervenue sur l'ouvrage depuis 2006, qu'ayant été condamnée par le tribunal d'instance de Sarlat à réparer l'entier dommage, elle ne saurait être tenue de ceux apparus par la suite.
Que seule la responsabilité de la société Froidefond pourrait être engagée puisqu'elle a déposé l'entier ouvrage qu'elle avait réalisé et que l'expert lui fait grief de certaines fautes.
Qu'en revanche, ceux qu'il lui adresse sont infondés, notamment quant à la conception de l'ouvrage qui présenterait une contre- pente alors qu'elle n'a fait que travailler sur un ouvrage déjà existant.
26. Ainsi qu'il a été vu plus haut, il convient de mettre hors de cause la société Serrurerie Valbusa.
S'agissant de la société Froidefond, il convient ici encore de distinguer deux hypothèses.
Soit les désordres qui persistent aujourd'hui ne sont dus qu'à l'inefficacité des travaux de réparation exécutés par la société Froidefond et dans ce cas, ils ne lui sont pas imputables puisque préexistants soit au contraire, celle-ci s'est trouvée à l'origine de nouveaux désordres.
27. En l'espèce, l'expert, dans son rapport, indique avoir procédé à diverses investigations et observations.
Il note ainsi :
'1- Arrosage de la surface au tuyau :
L'arrosage diffus réalisé à l'aide d'un pommeau de douche s'est prolongé durant environ 15 à 20 minutes. Il n'a pas été constaté à la suite, d'infiltrations directes en plafond du local de l'assureur MMA; il est constaté que l'eau traversant les joints des carreaux se trouve stockée à l'intérieur du mortier de pose, l'ensemble actuel constituant bassin de rétention.
2. Dépose des lames du caniveau au droit du seuil;
Il apparaît que l'étanchéité liquide mise en oeuvre dans le caniveau (résine synthétique polymère) est relevée contre le mur de façade, dans une simple engravure de la pierre actuelle; aucun solin n'a été mis en place après dressage de la surface des pierres , l'engravure a été rebouchée avec un mortier de ciment qui se détache.
3. Sondage destructif du caniveau, à l'interface avec le carrelage de la terrasse:
Ce sondage a révélé plusieurs malfaçons :
- le relevé nécessaire entre le caniveau brut revêtu de résine et le carrelage de la terrasse, est le mortier de pose du carrelage; or, un relevé en béton était nécessaire, selon le DTU 20.12 et 43.1 afin de pouvoir accepter le support de la résine coulée; en outre, la résine a simplement été relevée sous les carreaux de surface, alors qu'une continuité était nécessaire entre cette dernière et l'étanchéité sous carrelage de la terrasse ; il est ainsi constaté que les eaux de ruissellement passent sous les carreaux, imbibent fortement le mortier de pose du carrelage en rive du caniveau et passent sous la résine du caniveau créé;
- je note en outre que selon le DTU 20. 12,' gros oeuvre en maçonnerie des terrasses étanchées', la couverture du caniveau devait comporter une grille évitant les rejaillissements, au droit des seuils: une telle disposition est absente...'
28. Il convient de noter en premier lieu qu'il n'est pas sérieusement contestable que les époux [P] n'ont confié à la SARL Froidefond que la réfection d'une partie seulement de la terrasse litigieuse.
Que pour des raisons financières notamment, il ne s'agissait que de mettre fin aux infiltrations qui affectaient la partie logement de l'immeuble, en créant un caniveau d'un mètre de large destiné à recueillir les eaux de ruissellement provenant de la terrasse dont la pente était orientée précisément vers le logement, comme l'a relevé l'expert, ce qui constituait une erreur de conception.
29. Il ne saurait à cet égard être reproché à la société Froidefond un manquement à son devoir de conseil consistant à attirer l'attention des maîtres de l'ouvrage sur les inconvénients d'une telle réfection partielle puisque les époux ont écrit une lettre, le 19 juin 2017 dans laquelle ils indiquaient :
'Nous souhaitons en effet confirmer que vous nous avez conseillé une réfection totale de l'ouvrage qui présentait visiblement de nombreux défauts; ce à quoi nous avons opposé des raisons financières.
Pour ces mêmes raisons, nous avons fait réaliser exclusivement les travaux qui étaient pris en charge par la société Valbusa suite à sa condamnation par le tribunal d'instance de SARLat dans le cadre des problèmes d'étanchéité provoquant des entrées d'eau récurrentes dans notre chambre et notre salon.
Nous vous avons demandé, en raison de l'urgence de la situation, de n'intervenir que sur cette partie de la terrasse même si nous avions relevé des entrées d'eau ailleurs (en particulier dans le bureau MMA) et avions conscience qu'il s'agissait d'une solution ponctuelle.
Votre intervention a permis de résoudre les entrées d'eau dans la maison et de mettre en place une évacuation qui fonctionne.'
30. Il en résulte, en second lieu, que le but recherché a bien été atteint.
L'expert relève certes des malfaçons telles que l'absence de solin au niveau du relevé ou l'absence de grille destiné à éviter les rejaillissements mais il n'est nullement établi que ces malfaçons, au demeurant contestées, ont eu un effet quelconque quant à l'efficacité de la réparation.
31. Le seul reproche qui pourrait laisser penser que les travaux réalisés pourraient être à l'origine d'une nouvelle source d'infiltrations est celui lié à l'imprégnation du mortier par les eaux de ruissellement passant à travers les joints du carrelage et qui s'infiltreraient ensuite 'sous la résine du caniveau créé'.
Cependant, ce point n'est pas suffisamment établi car l'expert n'a pu faire un lien entre ce qui reste une supposition et les infiltrations constatées dans le local situé sous la terrasse.
De plus l'arrosage de celle-ci pendant 15 à 20 mn n'a pas permis de détecter l'existence d'une fuite correspondante.
Enfin, ce phénomène d'imprégnation du mortier destiné à sceller le carrelage n'est pas imputable à la société Froidefond tandis que l'écoulement de l'eau ainsi retenue dans le sens de la pente vers le logement préexistait nécessairement à la confection du caniveau.
En d'autres termes rien ne permet de penser que l'ouvrage ainsi confectionné, soit aurait aggravé cette situation soit l'aurait créée.
32. Par conséquent, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SARL Froidefond et en ce qu'il a mis à sa charge la réfection de la totalité de la terrasse malgré une intervention très parcellaire sur celle-ci.
Il en sera de même par voie de conséquence de l'indemnité mise à sa charge à titre de réparation d'un préjudice de jouissance.
IV- Sur les demandes accessoires.
Le jugement sera infirmé en ce qui concerne les dépens et les indemnités allouées par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge des époux [P] qui succombent dans leurs prétentions.
Il ne sera néanmoins pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Dit n'y avoir lieu de prononcer la nullité du rapport d'expertise déposé le 2 juillet 2018;
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Bergerac du 10 septembre 2021 en toutes ses dispositions;
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevables les demandes dirigées contre la SARL Serrurerie Valbusa;
Déboute les époux [P] de l'intégralité de leurs demandes;
Dit n'y a voir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne les époux [P] aux dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Marie-Laure MIQUEL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.