CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 mai 2025, n° 23/00827
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Capac (SARL)
Défendeur :
Jardiland (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Vibert, Me Medvedskaya, Me Lisimachio
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Capac, qui commercialise depuis 2005 des accessoires pour animaux de compagnies, a noué des relations commerciales avec la SAS Jardiland qui, venant aux droits de la société Jardiland Enseignes qu'elle a absorbée le 31 décembre 2018, distribue des produits de jardinage et de décoration et des accessoires pour animaux de compagnie et référence les fournisseurs pour son réseau constitué de près de 200 magasins exploités directement ou indirectement par des filiales ou des franchisés.
Par courrier du 3 juin 2019, la SAS Jardiland a notifié à la SARL Capac, avec qui elle avait conclu un accord-cadre écrit de référencement le 4 février 2008, la rupture de leurs relations commerciales à compter du 28 février 2020.
Par lettre de son conseil du 18 mai 2020, la SARL Capac a mis en demeure la SAS Jardiland de l'indemniser du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales (467 234,96 euros pour un préavis éludé de 15 mois) ainsi que par ses retards ou ses défauts de paiement (respectivement 304 427,68 euros et 16 205,37 euros).
C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier signifié le 26 novembre 2020, la SARL Capac a assigné la SAS Jardiland devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation des préjudice causés par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies et par ses retards et défauts de paiement.
Par jugement du 21 novembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 44 597 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ;
- débouté la SARL Capac de sa demande au titre du préjudice moral ;
- condamné la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 11 941,83 euros TTC au titre des factures impayées avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 18 mai 2020 ;
- débouté la SARL Capac de sa demande au titre des intérêts de retard et des indemnités forfaitaires de recouvrement ;
- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;
- condamné la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 27 décembre 2022, la SARL Capac a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2025 par la voie électronique, la SARL Capac demande à la cour, au visa des articles L 442-1 II du code de commerce et 1101,1193, 1217 du code civil :
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce du 21 novembre 2022 en ces dispositions:
o "condamne la SAS JARDILAND à payer à la SARL à associé unique CAPAC la somme de 44 597 euros au titre du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ;
o déboute la SARL à associé unique CAPAC de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
o déboute la SARL à associé unique CAPAC de sa demande de condamnation de la SAS JARDILAND à lui payer des intérêts de retard et des indemnités forfaitaires de recouvrement ;
o déboute la SARL à associé unique CAPAC de ses demandes autres plus amples ou contraires" ;
- statuant à nouveau, de condamner la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac les sommes suivantes :
o 175 733 euros au titre de la réparation du préjudice économique lié à la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
o 5 000 euros au titre du préjudice moral lié à la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
o 250 560 euros au titre des indemnités de recouvrement en raison du retard de règlement des factures de la SARL Capac avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 18 mai 2020 et capitalisation des intérêts ;
o 8 199,08 euros au titre des intérêts de retard en raison du retard de règlement des factures de la SARL Capac avec capitalisation des intérêts ;
o 506,95 euros TTC au titre de la facture n° 59736 ;
o 109,85 euros TTC au titre de la facture n° 60770 ;
- condamner la SAS Jardiland à verser à la SARL Capac la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la SAS Jardiland des demandes formées dans le cadre de son appel incident ;
- débouter la SAS Jardiland de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la SAS Jardiland aux entiers frais et dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 mars 2025, la SAS Jardiland demande à la cour, au visa des articles L 442-1 et L 110-4 du code de commerce, 1315 (ancien) et 1353 (nouveau) du code civil et 9 et 122 du code de procédure civile :
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 novembre 2022 en ce qu'il a :
o condamné la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 44 597 euros au titre du prétendu préjudice subi du fait de la rupture supposément brutale de leurs relations commerciales ;
o condamné la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 11 941,83 euros au titre des " factures impayées " ;
o condamné la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 novembre 2022 en ce qu'il a :
o débouté la SARL Capac de sa demande de condamnation de la SAS Jardiland à lui verser 5000 euros à titre de préjudice moral ;
o débouté la SARL Capac de sa demande de condamnation de la SAS Jardiland à lui verser 250 560 euros au titre des indemnités forfaitaires de recouvrement et 8 199,08 euros au titre des intérêts de retard ;
- de débouter la SARL Capac de toutes ses demandes ;
- en tout état de cause, de :
o condamner la SARL Capac à verser à la SAS Jardiland la somme de 7 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
ocondamner la SARL Capac aux entiers dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie à la décision entreprise ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL Capac expose que les relations ont été nouées en janvier 2006 avec la société Jardiland Enseignes, aux droits de laquelle vient la SAS Jardiland, en sa qualité de tête de réseau et qu'elles doivent être appréciées en considération de l'ensemble de l'activité du réseau sans distinction selon les modalités d'exploitation des magasins, la perte du référencement ayant d'ailleurs mis un terme aux commandes de tous les membres du réseau. Elle précise que le flux d'affaire était suivi, stable et habituel dès cette date, soit avant même le référencement du 27 juin 2006 et en déduit que la relation était établie et a durée 14 ans au jour de leur cessation définitive le 28 février 2020. Soutenant que l'acquisition d'un client d'une telle envergure prend deux ans et qu'elle a développé des produits pour les besoins spécifiques du partenariat, elle estime qu'elle avait droit à un préavis de 15 mois en précisant que la relation n'a été émaillée d'aucun incident, qu'il lui était impossible de diversifier sa clientèle tout en déployant des ressources croissantes pour satisfaire les demandes de la SAS Jardiland et que la clause lui imposant de justifier de son chiffre d'affaires pour prévenir sa dépendance économique ne lui interdit pas d'invoquer l'importance de la relation dans son chiffre d'affaires global (36 % en 2017 et 34 % en 2018). Elle calcule son préjudice en appliquant son taux de marge brute (19,33 %) à la moyenne de son chiffre d'affaires durant les années 2017 à 2019 puis en soustrayant la marge qu'elle a effectivement dégagé pendant le préavis total. Elle ajoute subir un préjudice moral (5 000 euros).
En réponse, la SAS Jardiland expose que les relations n'étaient établies qu'à compter de l'année 2008, époque de conclusion du premier contrat de référencement, la SARL Capac reconnaissant elle-même que les deux premières années de relations étaient précaires et incertaines et ne produisant aucune facture pour l'année 2007 tandis que le nombre de celles émises en 2006 n'est pas significatif. Elle ajoute que le partenariat litigieux ne concerne pas les relations entretenues avec d'autres sociétés du réseau, peu important que la décision de rompre ait une incidence sur les commandes passées par ces dernières. Elle en déduit que les relations commerciales établies ont duré 12 ans au jour de la notification de la rupture. Soulignant le fait que la SARL Capac ne bénéficiait d'aucune exclusivité et ne justifie d'aucun investissement dédié à la relation et que les produits commercialisés ne présentaient pas de spécificité et insistant sur la précarité des relations, qui étaient soumises à des négociations annuelles, et sur l'existence d'incidents qui les ont émaillées, elle estime le préavis de 9 mois accordé suffisant. Elle conteste toute dépendance économique subie de la SARL Capac à qui elle impute l'absence de diversification de sa clientèle, les contrats conclus lui imposant de veiller à ce que la part de chiffre d'affaires généré par la relation n'excède pas 25 % de son chiffre d'affaires total.
Subsidiairement, la SAS Jardiland expose que le chiffre d'affaires de référence ne peut intégrer celui dégagé auprès des franchisés ou des affiliés qui sont des sociétés tierces, que le taux de marge n'est pas celui propre à la relation et n'est pas prouvé et que l'indemnisation, qui doit tenir compte des remises de fin d'années systématiquement accordées, doit être calculée exclusivement sur l'insuffisance du préavis. Elle ajoute que le préjudice moral allégué n'est démontré ni en son principe ni en sa mesure.
Réponse de la cour
En application de l'article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
- Sur les caractéristiques des relations commerciales
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale" et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
La possibilité de sanctionner une rupture brutale présuppose, par hypothèse, que les partenaires soient libres d'en décider le principe et les modalités. Ce critère de la liberté décisionnelle fonde l'application de l'article L 442-1 II du code de commerce à la société mère qui, au-delà de la simple définition de la politique commerciale du groupe et indépendamment de son éventuel intérêt direct à la relation (en ce sens, Com., 11 septembre 2012, n° 11-17.458), maîtrise en droit ou en fait les relations commerciales établies entre des tiers et ses filiales et, les privant de tout pouvoir de décision autonome quant au choix de leur partenaire et quant à la poursuite des relations qu'elles entretiennent avec lui, leur impose la rupture (en ce sens, Com., 22 juin 2022, n° 21-14.230, qui pose un critère d'autonomie décisionnelle des partenaires commerciaux également visible dans Com., 5 juillet 2016, n° 14-27.030). L'absence d'autonomie décisionnelle ou des relations commerciales justifie également une appréciation globale, y compris pour déterminer le montant du chiffre d'affaires et la suffisance du préavis, des relations nouées avec des sociétés distinctes d'un même groupe s'il est établi qu'elles ont agi de concert (en ce sens, Com., 6 octobre 2015, n° 14-19.499).
Les parties s'accordent sur le caractère établi des relations entre le 4 février 2008, date du premier accord-cadre écrit de référencement, et le 3 juin 2019, date de notification de la rupture. Durant cette période, le chiffre d'affaires dégagé par la SARL Capac et sa part dans son chiffre d'affaires global s'établissaient ainsi (pièce 31 de l'appelante) :
Années
Chiffres d'affaires total
Chiffres d'affaires hors relation
Chiffres d'affaires propre à la relation
Part dans le chiffre d'affaire total
2008
2 996 390 '
2 500 622, 24 '
495 767,76 '
17%
2009
2 559 042 '
1 640 505, 67 '
918 536,33 '
36%
2010
2 723 440 '
1 434 743,13 '
1 288 696, 87 '
47%
2011
2 938 048 '
1 269 924,66 '
1 668 123,34 '
57%
2012
2 866 223 '
1 132 074,88 '
1 734 148,12 '
61%
2013
3 223 967 '
1 383 371,13 '
1 840 595,87 '
57%
2014
3 636 435'
1 335 330,37 '
2 301 104,33 '
63%
2015
3 516 964'
1 394 000,58 '
2 122 963,42 '
60%
2016
3 559 971'
1 487 383,59 '
2 072 587,41 '
58%
2017
4 098 089'
2 611 986,97 '
1 486 102,03 '
36%
2018
3 612 551'
2 368 779,62 '
1 243 771,38 '
34%
Le chiffre d'affaires moyen dégagé entre 2016 et 2018, dernière année non affectée par la notification de la rupture et de ce fait représentative de la relation, atteignait 1 600 820,27 euros, soit 42,66 % de son chiffre d'affaires total moyen sur la même période.
Les parties s'opposent en revanche sur le caractère établi des relations nouées entre 2006 et le 4 février 2008. La SARL Capac produit à ce titre :
- des courriels échangés entre le 9 octobre 2005 et le 27 juin 2006 avec des salariés de la tête de réseau (pièces 23, 26 et 27). Cette correspondance est succincte et ne porte que sur des éléments préparatoires à la constitution de la relation commerciale (présentation de quelques produits et détermination des souhaites de la SAS Jardiland) ainsi que sur un référencement ponctuel pour un salon en juillet 2006 objet d'un contrat spécifique pour une prestation de deux jours (pièces 21 et 22) ;
- un échange de courriels de janvier 2007 (pièce 27-2) révélant que, à la demande de la SARL Capac qui était "en attente de [la confirmation de la SAS Jardiland] concernant les négociations 2007", la SAS Jardiland lui a accordé, " suite à [leurs] accords", "une RFA inconditionnelle de 8 % sur le CA HT (avoirs déduits) généré par l'ensemble [des] magasins du groupe", ce CA [étant] calculé sur toutes facturations Capac (hors promotion Cat Gato) et sur la sélection de [son] référencement".
Ces éléments prouvent que la relation, exploratoire en 2006, année durant laquelle 289 factures ont été adressées à différentes sociétés du réseau pour un chiffre d'affaires de 259 527,04 euros (pièces 24, 24-2 et 25 de l'appelante), a pris consistance et s'est unifiée en janvier 2007 (mêmes pièces : 476 factures pour un chiffre d'affaires de 392 546,92 euros) avec un référencement officiel pour l'année entière auprès de l'intégralité des membres du réseau et une globalisation du chiffre d'affaires destinée à asseoir le calcul et le paiement d'une remise de fin d'année inconditionnelle.
Cette globalisation prive de pertinence l'argument de la SAS Jardiland tiré de la différence de statuts et de personnalités morales des sociétés facturées par la SARL Capac : par le référencement qu'elle a accepté et qui était de même nature que celui objet du premier contrat-cadre du 4 février 2008 dont elle reconnaît qu'il a donné naissance à une relation commerciale établie, la société Jardiland Enseignes manifestait, en sa qualité de tête de réseau ouvrant et fermant l'accès à ses membres, sa maîtrise complète, qui s'est également matérialisée lors de la rupture du partenariat, de la relation pour l'ensemble des membres du réseau, peu important leurs qualités de franchisé ou d'affilié. Aussi, quoique support d'un chiffre d'affaires inférieur à celui dégagé ultérieurement, le flux d'affaires directement généré par la relation nouée entre la SARL Capac et la société Jardiland Enseignes est devenu régulier, stable et significatif en janvier 2007, analyse compatible avec le délai estimé nécessaire par la SARL Capac pour tisser des liens de même nature avec un partenaire d'envergure équivalente.
En conséquence, la relation commerciale nouée entre la SARL Capac et la SAS Jardiland était établie à compter du 1er janvier 2007. Au jour de la notification de la rupture, son ancienneté était de 12 ans et demi.
- Sur l'imputabilité de la rupture des relations et la détermination du préavis suffisant
L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).
Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.
Par courrier du 3 juin 2019, la SAS Jardiland a notifié à la SARL Capac la rupture de leurs relations commerciales à compter du 28 février 2020, soit en respectant un préavis de neuf mois.
Pour justifier la durée du préavis dont elle prétend avoir été privée, la SARL Capac invoque, outre la difficulté à nouer des relations d'ampleur équivalente avec un partenaire de même envergure, son état de dépendance économique et la spécificité des produits fournis ainsi que leur adaptation aux besoins de l'enseigne Jardiland.
Pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, l'état de dépendance économique s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Les parties ne livrent aucun élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SARL Capac qui ne jouissait d'aucune exclusivité prouvée et qui ne démontre pas qu'elle n'était matériellement pas en mesure de diversifier sa clientèle. En outre, les produits commercialisés sont, ainsi que la justement relevé le tribunal, de consommation courante pour les détenteurs d'animaux de compagnie, ne présentent aucune spécificité technique et ne nécessitent aucun savoir-faire particulier. A cet égard, les "développements spécifiques" allégués par la SARL Capac résident exclusivement dans la sélection des produits auprès de fournisseurs chinois (ou, à titre résiduel, dans la reproduction d'accessoires existants) en fonction de leur nature, de leur prix et de leur conformité aux normes de sécurité européennes sans aucune adaptation au marché français (ses pièces 26-1 à 26-3 et 28) : ces démarches relèvent de l'activité usuelle de tout fournisseur. Elle ne justifie d'ailleurs d'aucun investissement dédié à la relation. Enfin, les accords-cadres conclus annuellement avec la SAS Jardiland stipulent tous l'engagement de la SARL Capac, " à titre de condition déterminante ", de limiter la part du chiffre d'affaires représenté par la relation à 30 % jusqu'en 2012 puis à 25 % de son chiffre d'affaires total (pièces 3 à 13 de l'appelante).
En conséquence, la seule importance de la part du chiffre d'affaires propre à la relation dans le chiffre d'affaires total de la SARL Capac ne justifie pas un allongement de la durée du préavis.
A l'inverse, ne sont de nature à fonder une diminution de la durée du préavis ni la succession des contrats dans le temps, qui a été ininterrompue et qui n'implique aucune mise en concurrence effective peu important l'existence de négociations annuelles qui ont toutes abouti, la SAS Jardiland ne prétendant d'ailleurs pas que les relations étaient intrinsèquement précaires pour contester leur caractère établi, ni les incidents non accompagnés d'alerte relevés par la SAS Jardiland (sa pièce 5).
Aussi, au regard de la durée des relations et de la difficulté objective pour la SARL Capac à retrouver un partenaire équivalent sur le marché français, la SAS Jardiland ne contestant pas à cet égard être un acteur économique d'importance, la durée du préavis suffisant sera estimée à 12 mois, le jugement, dont les justes motifs seront adoptés par la Cour en complément des siens, étant confirmé de ce chef.
- Sur le préjudice
Le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : "le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période"). Cette approche n'exclut pas l'indemnisation d'autres préjudices directement causés par la brutalité de la rupture dès lors que, distincts du précédent, ils sont démontrés en leur principe et en leur étendue.
Et, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.
C'est par de justes motifs que la Cour adopte que le tribunal a considéré que, au regard des obligations d'approvisionnement imposées aux franchisés et aux affiliés par la SAS Jardiland, de la cessation effective de toute relation avec les membres du réseau consécutivement à la rupture notifiée par la centrale de référencement et de l'absence d'autonomie décisionnelle de ces derniers qui en découle quant aux choix de leurs fournisseurs et au maintien des relations qu'ils nouent avec eux, l'assiette du préjudice de la SARL Capac devait englober la totalité du chiffre d'affaires réalisé avec l'intégralité des membres du réseau grâce au référencement par la SAS Jardiland.
Pour prouver le montant de sa marge perdue, la SARL Capac produit une attestation de son expert-comptable (sa pièce 40) qui établit son taux à 19,33 % en moyenne sur les années 2017 à 2019 en soustrayant au chiffre d'affaires global le montant des achats, des variations de stocks de marchandises et des frais de transports auxquels elle ajoute une marge de production résultat de la différence entre la production vendue et les approvisionnements. Alors que ces données sont en cohérence avec celles qui apparaissent dans les soldes intermédiaires de gestion et les comptes de résultats produits (pièces 18 et 31 de l'appelante) et avec le fait que la SARL Capac exerce également, quoique pour une part résiduelle, une activité de production (ses pièces 26-1 et 28), la SAS Jardiland n'explique pas les coûts évités qui auraient été omis par l'expert-comptable. Et, cette dernière ne conteste pas que la clientèle de la SARL Capac était constituée pour l'essentiel de grands distributeurs. Aussi, la détermination du taux de marge sur coûts variables assise sur l'activité globale de la SARL Capac, et non spécifique à la relation avec la SAS Jardiland, est pertinente. Ce taux sera retenu.
Le chiffre d'affaires moyen dégagé à l'occasion de la relation rompue entre 2017 et 2018, seules années représentatives non affectées par la notification de la rupture pour lesquelles le montant des RFA est connu, était, déduction faite de ce dernier, de 1 264 931 euros (pièce 41 de l'appelante). Le montant mensuel de la marge sur coûts variables est ainsi de 20 375,93 euros.
Ce produit doit être multiplié par le nombre de mois correspondant, non au préavis théorique total sous déduction de la marge effectivement réalisée pendant la durée de l'exécution du préavis accordé, lequel, d'une durée de 9 mois, a été effectivement exécuté, mais à l'insuffisance de préavis, soit trois mois. En effet, la méthode de calcul proposée par la SARL Capac procède d'une confusion entre les faits générateurs des indemnisations du préjudice causé par la brutalité de la rupture et de celui résultant de l'ineffectivité du préavis accordé et occulte la spécificité du second. L'exécution du préavis aux conditions antérieures n'implique pas une garantie de chiffre d'affaires et n'interdit pas une oscillation du flux d'affaires, à la hausse comme à la baisse, en fonction des circonstances concrètes de la poursuite des relations. Or, outre le fait que la SARL Capac ne prouve pas la baisse de chiffre d'affaires qu'elle allègue entre juin 2019 et février 2020, le montant qu'elle annonce est inférieur ou égal à celui des variations constatées les années précédentes et n'est ainsi pas significatif. Aussi, le moyen tiré de la baisse d'activité pendant l'exécution du préavis manque en droit et en fait.
Ainsi, le préjudice de la SARL Capac atteint la somme de 61 127,79 euros.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé sur ce point et la SAS Jardiland sera condamnée à payer à la SARL Capac la somme de 61 127,79 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies.
En revanche, la SARL Capac n'expliquant pas en quoi la rupture, régulièrement notifiée et accompagnée d'un préavis certes insuffisant mais néanmoins non dérisoire, lui a causé un préjudice moral, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire complémentaire.
2°) Sur le paiement des factures
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL Capac expose que la SAS Jardiland, qui ne prouve pas les irrégularités formelles qu'elle allègue, n'a pas respecté la procédure des factures prévue dans l'accord-cadre de 2019 et que ses contestations sont en outre infondées. Précisant qu'il appartient à l'acheteur de solliciter la communication d'une facture dès la livraison des marchandises et que la date de sa réception effective est de ce fait indifférente, elle ajoute que 6 264 factures exigibles depuis le 25 novembre 2015 ont été payées avec retard. Elle conteste toute prescription au motif que celle-ci ne peut courir avant la date d'échéance fixée par la facture et que les intérêts et indemnités de recouvrement naissent le jour du défaut de paiement. Elle indique par ailleurs que l'absence de mise en demeure est sans effet sur le cours des pénalités de retard et que les factures litigieuses ont été adressées à des sociétés qui ont toutes été absorbées par la société Jardiland Enseignes puis par la SAS Jardiland.
En réponse, la SAS Jardiland explique que les factures ont été payées réglées ou amputées des abattements liés à des non-conformités ou des irrégularités et que la procédure de contestation dont la violation lui est opposée n'est pas celle de l'accord-cadre applicable. Elle ajoute que 1 412 factures ne la concernent pas puisqu'elles visent des franchisés et que d'autres ne sont pas libellées correctement ou ont été adressés par erreur à des magasins locaux. Elle indique que la preuve de leur transmission, déterminante pour apprécier le retard de paiement, n'est en outre pas rapportée. Subsidiairement, elle soutient au visa de l'article L 110-4 du code de commerce que toute action relative au règlement de factures antérieures au 25 novembre 2015 est prescrite (1 590 factures).
Réponse de la Cour
En application des articles 1103 et 1194 du code civil (anciennement 1134) applicables au litige en vertu de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi.
Et, en vertu de l'article 1353 (anciennement 1315) du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
a) Sur le paiement des factures
A l'exception de la facture n° 47219 du 19 janvier 2017 qui n'est concernée par aucun des "avis de litige" émis par la SAS Jardiland (sa pièce 5), constat qui commande la confirmation du jugement entrepris sur ce point en l'absence de contestation du principe du défaut de paiement, toutes les factures litigieuses ont été émises en 2019. Elles sont ainsi soumises aux stipulations de l'accord-cadre du 28 février 2019 applicable à compter du 1er janvier 2019 conformément à son article 15 (pièce 37 de l'appelante), la SAS Jardiland, désignée sur chacune des factures, ne contestant pas sa qualité de débitrice de principe mais uniquement tout ou partie du montant des créances.
Or, aux termes de l'article 2.5 "Litiges à réception des produits"de son annexe 9bis, "en cas de litiges quantitatifs, qualitatifs ou de constat de casse apparents à la réception, il sera indiqué que le Bon de Transport et sur le Bon de Livraison du fournisseur la date, le constat d'écart et la présence des bandes de garanties confirmée/infirmée. Charge au Point de Vente d'avertir le Fournisseur dans les 72 heures de la réception de la marchandise. Le cas échéant cette déclaration sera suivie d'une demande de retour émise par l'entité destinataire de la livraison dans un délai de 10 jours ouvrés. Le Fournisseur s'engage à traiter les déclarations de litiges dans un délai de 3 jours ouvrés à partir de leur date de réception".
Aussi, si l'article 2.5.3 relatif aux livraisons non-conformes prévoit la possibilité d'émettre une note de litige, celle-ci doit être précédée d'une inscription de la non-conformité sur le bon de livraison correspondant, l'article 2.5.3 étant, à raison de sa place dans le contrat, une déclinaison spéciale de l'article 2.5 de portée générale.
Or, outre le fait que les avis de litige produits par la SAS Jardiland visent les dates de réception et de commande mais ne sont eux-mêmes pas datés, carence qui ne permet pas de s'assurer de leur envoi et de vérifier leur date de réception qui fait courir le délai de contestation du fournisseur, cette dernière ne démontre pas avoir mentionné les non-conformités alléguées sur les bons de commande. Aussi, ses contestations manquent en droit et en fait.
Au regard des factures et des bons de livraisons produits (pièces 32 et 33 de l'appelante), les motifs du jugement entrepris seront adoptés pour toutes les factures à l'exception de celles portant les numéros 59736 et 60770, les bons de livraison afférents ne mentionnant aucune non-conformité. La Cour relève par ailleurs que la SARL Capac sollicite le paiement d'une somme excédant celle résultant de l'infirmation qu'elle sollicite dans ses dernières écritures au sens de l'article 954 du code de procédure civile et qui ne porte notamment par sur les factures n° 61184 et 59002 pourtant écartées par le tribunal.
Aussi, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Capac au titre de ces deux factures, et la SAS Jardiland sera condamnée à lui payer la somme supplémentaire de 616,80 euros, et confirmé en ce qu'il a condamné cette dernière à lui payer la somme de 11 941,83 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 18 mai 2020 pour les autres factures.
Par ailleurs, conformément à l'article 954 du code de procédure civile, la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Or, si la SARL Capac sollicite dans le corps de ses écritures " la condamnation de JARDILAND à la somme globale de 13.476,15 ' avec intérêts à un taux égal à trois fois le taux légal à compter de la date d'exigibilité de chaque facture et jusqu'à leur parfait paiement " (page 28), elle ne reprend pas cette prétention dans leur dispositif aux termes duquel elle demande la condamnation de la SAS Jardiland "à lui payer les sommes suivantes : [']
506.95 ' TTC au titre de la facture n° 59736 [et] 109.85 ' TTC au titre de la facture n° 60770".
Aussi, faute de demande au titre des intérêts de retard, ceux-ci ne courront sur cette somme de 616,80 euros qu'à compter du prononcé de l'arrêt conformément à l'article 1231-7 du code civil.
b) Sur les retards de paiement
Conformément à l'article L 441-3 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. Sous réserve des deuxième et troisième alinéas du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer. La facture doit être rédigée en double exemplaire. Le vendeur et l'acheteur doivent en conserver chacun un exemplaire. La facture mentionne la date à laquelle le règlement doit intervenir. Elle précise les conditions d'escompte applicables en cas de paiement à une date antérieure à celle résultant de l'application des conditions générales de vente, le taux des pénalités exigibles le jour suivant la date de règlement inscrite sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier en cas de retard de paiement. Le règlement est réputé réalisé à la date à laquelle les fonds sont mis, par le client, à la disposition du bénéficiaire ou de son subrogé.
Et, en application de l'article L 441-6 du code de commerce dans sa version applicable au litige :
- sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée.
Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier.
Les professionnels d'un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l'alinéa précédent. Ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai. Des accords peuvent être conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l'étendre à ces mêmes opérateurs.
- Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Dans ce cas, le taux applicable pendant le premier semestre de l'année concernée est le taux en vigueur au 1er janvier de l'année en question. Pour le second semestre de l'année concernée, il est le taux en vigueur au 1er juillet de l'année en question. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu'un rappel soit nécessaire. Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret. Lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification. Toutefois, le créancier ne peut invoquer le bénéfice de ces indemnités lorsque l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire interdit le paiement à son échéance de la créance qui lui est due.
Si, conformément à l'article 1353 du code civil, il incombe au débiteur de l'obligation de prouver le fait qui en a produit l'extinction, soit, s'agissant d'une somme d'argent, le paiement, il appartient au créancier qui poursuit la réparation du préjudice causé par le retard de paiement, les pénalités de retard de l'article L 441-6 I du code de commerce ayant à cet égard la nature des intérêts moratoires de l'article 1231-6 du code civil, de démontrer l'inexécution qu'il allègue, soit le retard de paiement lui-même, ce que ne contestent pas les parties.
Sur la prescription
En application des articles 122 et 123 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, cette liste n'étant pas limitative. Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
Conformément à l'article L 110-4 I du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
Et, en vertu de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En fixant le point de départ du délai de prescription au jour de la connaissance, effective ou présumée au regard des circonstances de fait et de droit, des faits permettant l'exercice du droit, l'article 2224 du code civil le rattache au jour de la connaissance, déterminée concrètement, des faits donnant naissance à son intérêt à agir par son titulaire. Le point de départ du délai de prescription varie ainsi selon l'objet et la nature des demandes auxquelles il s'applique.
S'agissant d'une action en paiement des pénalités de retard, qui constituent des intérêts moratoires (en ce sens, Com. 24 avril 2024, n° 22-24.275), et des indemnités forfaitaires pour frais de recouvrement, le point de départ de la prescription est la date de la naissance de la créance, soit le lendemain de la date à laquelle le paiement était prévu qui constitue le premier jour de retard dont avait nécessairement connaissance la SARL Capac, aucune mise en demeure n'étant à ce titre requise.
Les conditions générales reproduites sur chacune des factures en débat précisent qu'elles sont payables à 30 jours de la date de facturation qui est réalisée " à compter de l'expédition de la marchandise ". Aussi, toutes les demandes de la SARL Capac relatives à des factures portant sur une créance payable postérieurement au 25 novembre 2015 et de ce fait émises avant le 27 octobre 2015 sont prescrites. Il en est ainsi des factures 1 à 1418 listées dans la pièce 19 de la SARL Capac.
Aussi, le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué au fond en rejetant les demandes les concernant et les prétentions de la SARL Capac seront déclarées irrecevables.
Sur la qualité de débitrice de la SAS Jardiland
A raison de la maîtrise juridique et matérielle qu'exerce la SAS Jardiland sur le choix des fournisseurs des membres du réseau et sur la cessation des relations qu'ils entretiennent, qui induit une absence d'autonomie décisionnelle de ces derniers, le flux d'affaires peut être globalisé pour l'application de l'article L 442-1 II du code de commerce et la rupture des relations commerciales établies peut lui être exclusivement imputée. Pour autant, ce raisonnement ne valant que pour l'interprétation de ce texte imprégné de logique économique, les personnalités juridiques de chacun des franchisés et affiliés étant distinctes entre elles et différentes de celle de la SAS Jardiland, celle-ci ne peut être débitrice des sommes dues par ceux-là, destinataires directs des produits fournis par la SARL Capac et de la facturation correspondante. Cette indépendance juridique est d'ailleurs rappelée dans chacun des accords-cadres qui stipulent en leur article I.B.5 que le fournisseur facture les commandes passées par les distributeurs directement auprès de chacun d'eux et que les paiements sont dus par ces derniers sans pouvoir engager la SAS Jardiland qui n'est pas solidaire ni ducroire de ceux-ci, le fournisseur faisant son affaire personnelle du recouvrement de toutes les sommes qui lui sont dues par les distributeurs.
Or, si la SARL Capac soutient que les sociétés concernées par les factures listées en pièce 4 par la SAS Jardiland ont été " absorbées " par cette dernière, elle ne le prouve pas. Elle produit en effet à ce titre :
- l'accord-cadre de 2015 qui ne le précise pas (sa pièce 10) ;
- une lettre circulaire du 8 mars 2017 évoquant la "reprise par [le] groupe des magasins appartenant aux groupes Prieux et Pinguet" et indiquant la nécessité pour les fournisseurs de lui adresser à ce titre leur facturation (sa pièce 30). Outre le fait que les notions de " reprise" ou d'"intégration" employées dans ce courrier sont trop floues pour en comprendre les modalités concrètes et les conséquences juridiques précises, cette missive n'éclaire pas la Cour sur la situation juridique de ces différentes sociétés sur la période postérieure à son envoi.
Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Capac concernant les 1 412 factures listées par la SAS Jardiland dans sa pièce 4.
Sur le retard dans le paiement
Si la stratégie contentieuse de la SARL Capac, qui sans la moindre alerte préalable a sollicité soudainement réparation d'un retard de paiement portant sur 6 264 factures réunies en une pièce de près de 11 000 pages, recèle une certaine mauvaise foi, elle ne constitue pas pour autant, en soi, un obstacle juridique à sa demande. Néanmoins, sauf à porter une atteinte excessive aux droits de la SAS Jardiland de se défendre utilement, quoiqu'elle n'ait pas à prouver la réalité et les dates de ses paiements qui sont reconnues par la SARL Capac, elle l'oblige à une rigueur toute particulière dans la présentation et l'analyse des pièces qu'elle produit au soutien de ses prétentions.
Or, alors que, pour l'année 2015, la pièce 19 liste un total de 1 301 factures payées avant le 1er décembre 2015, les premiers extraits de compte bancaire communiqués couvrent le seul mois de décembre 2015. Surtout, faute de mention du numéro de la facture sur les relevés de compte produits (pièce 38 de l'appelante), il est impossible, à défaut pour la SARL Capac d'avoir elle-même procédé à ce travail d'identification préalable, de faire correspondre les paiements figurant sur ces derniers avec les factures produites et avec les dates de paiements mentionnées en pièce 19, de nombreuses factures ayant une date de règlement et, parfois, un montant, identiques et les éléments d'identification du client concerné étant différents selon les pièces. Aussi, la SARL Capac, à qui incombe la charge de la preuve du retard de paiement qu'elle allègue au sens de l'article 1353 du code civil, ne démontre pas les faits nécessaires au soutien de sa prétention au sens de l'article 9 du code de procédure civile.
Cette carence probatoire totale, causée par la tardiveté de la demande et la complexification du litige résultant de la massification des pièces produites, étant le fait exclusif de la SARL Capac, l'organisation d'une expertise judiciaire, par ailleurs coûteuse et non sollicitée par les parties, ne se justifie pas, une telle mesure n'étant pas destinée à pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve au sens de l'article 146 du code de procédure civile.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Capac au titre de ces factures.
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
Succombant, la SAS Jardiland, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SARL Capac la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a :
- condamné la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 44 597 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ;
- rejeté la demande de la SARL Capac en paiement des factures n° 59736 et 60770;
- rejeté les demandes de la SARL Capac au titre des pénalités de retard et des indemnités forfaitaires pour frais de recouvrement relatives aux factures 1 à 1418 listées dans la pièce 19 de la SARL Capac ;
Statuant à nouveau du chef infirmés
Condamne la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 61 127,79 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Condamne la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 616,80 euros au titre des factures impayées numéros 59736 et 60770 et dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt conformément à l'article 1231-7 du code civil :
Déclare irrecevables les demandes de la SARL Capac au titre des pénalités de retard et des indemnités forfaitaires pour frais de recouvrement relatives aux factures 1 à 1418 listées dans la pièce 19 de la SARL Capac ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SAS Jardiland au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SAS Jardiland à payer à la SARL Capac la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Jardiland à supporter les entiers dépens d'appel.