CA Riom, ch. com., 14 mai 2025, n° 23/01082
RIOM
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Smabtp (Sté)
Défendeur :
Allianz Benelux NV (Sté), AIG Europe SA (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubled-Vacheron
Conseillers :
Mme Noir, Mme Berger
Avocats :
Me Langlais, Me Rodier, Me Gutton Perrin, Me Schillings, Me Lacquit, Me Duzer
ARRET :
Prononcé publiquement le 14 mai 2025, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Valérie SOUILLAT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La société Systèmes Solaires a réalisé en 2011 pour la société EVDS une centrale de production d'électricité photovoltaïque, composée de 1 103 panneaux de marque SCHEUTEN SOLAR, eux-mêmes équipés de boitiers de jonction conçus et fabriqués par la société ALRACK BV (sur trois bâtiments agricoles pour 845 325 euros HT).
Par courrier recommandé du 21 juin 2012, la société Systèmes Solaires l'a informée d'un défaut pouvant affecter les panneaux installés (le risque se situant au niveau de la boîte de jonction de certains modules) et lui a demandé de cesser toute utilisation de son installation.
La société EVDS a mis en demeure la société Systèmes Solaires d'effectuer les réparations. Elle a parallèlement établi une déclaration auprès de son assureur la SA GAN Assurances
Suite à des dysfonctionnements, la société EVDS a obtenu la désignation d'une expertise judiciaire, en la personne de Monsieur [B] [M], par une ordonnance de référé du 29 mai 2013, au contradictoire des sociétés Systèmes Solaires et SMABTP (assureur de la société Systèmes Solaires).
Les opérations d'expertise ont été rendues communes à l'initiative de la SMABTP par une ordonnance de référé du 3 septembre 2014, aux sociétés AIG EUROPE, ALRACK BV et ALLIANZ BENELUX.
M. [M] a déposé son rapport le 15 janvier 2015.
Les panneaux en cause ont été remplacés en 2013 pour un coût de 388 700 euros TTC.
Par jugement du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand du 23 novembre 2020, la SMABTP et la société Systèmes Solaires ont été condamnées à payer :
-à la société EVDS, la somme de 325.000 euros HT au titre du remplacement des panneaux photovoltaïques,
- à la SA GAN Assurances, assureur de la société EVDS, la somme de 167.588,07 euros au titre des pertes de production d'électricité.
Par jugement du 30 mai 2023, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a constaté l'intervention volontaire de la société AIG EUROPE SA venant aux droits de la société AIG EUROPE LIMITED ; prononcé la mise hors de cause de AIG EUROPE LIMITED et de la société ALLIANZ BENELUX NV ; débouté la SMABTP de ses demandes en garantie dirigées à l'encontre de la société AIG EUROPE SA et condamné la SMABTP aux dépens ainsi que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a retenu que la société SCHEUTEN SOLAR et la société ALRACK, producteurs, ont mis en service des produits défectueux ; qu'aucune des causes d'exonération invoquées ne pouvait être retenue et que la responsabilité de ces deux producteurs était engagée sur le fondement du fait des produits défectueux.
S'agissant de la garantie des assureurs, le tribunal a retenu que le régime de l'assurance est régi par la loi du contrat, soit en l'espèce la loi néerlandaise ; que les dispositions de l'article L181-3 du code des assurances étant d'ordre public s'appliquent quelle que soit la loi régissant le contrat.
Il a jugé que les clauses d'exclusions prévues au contrat devaient recevoir application et que la société AIG Europe devait être mise hors de cause.
Il a enfin jugé que les panneaux, certes inutilisables au regard de la solution de remise en état ne présentaient aucune trace de détérioration ; qu'au regard des clauses d'exclusion du contrat souscrit avec la société ALLIANZ BENELUX NV la garantie de cette compagnie n'était pas mobilisable.
Par déclaration du 4 juillet 2023, la SMABTP a interjeté appel du jugement.
Par conclusions d'incident signifiées le 19 septembre 2023, elle s'est désistée de son appel à l'égard des liquidateurs des sociétés SCHEUTEN et ALRACK BV.
Aux termes de ses conclusions d'appelant n°4 notifiées le 6 août 2024, la SMABTP demande à la cour de :
- Dire le droit français applicable à la réclamation qu'elle présente à l'encontre de la société AIG EUROPE SA,
- Confirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal a retenu la responsabilité des sociétés SCHEUTEN et ALRACK sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux,
- Débouter la société AIG EUROPE SA de sa demande de question préjudicielle et de sa demande de sursis à statuer.
Subsidiairement :
- Juger la société SCHEUTEN SOLAR BV responsable des défectuosités affectant ses panneaux sur le fondement de la garantie des vices cachés et juger la société ALRACK BV, fabricant des boîtiers de connexion, responsable des dommages causés sur le fondement de la responsabilité extra contractuelle,
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a mis les société AIG EUROPE SA et ALLIANZ BENELUX hors de cause, et l'a déboutée de ses demandes,
Jugeant à nouveau :
- Rejeter les clauses d'exclusions dont se prévalent les sociétés AIG EUROPE SA et ALLIANZ BENELUX,
- Débouter les sociétés AIG EUROPE SA et ALLIANZ BENELUX NV de leur demande de saisine de la Cour de Justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle,
- Condamner in solidum ces dernières à lui payer la somme de 508 135,84 euros en principal, sauf à parfaire, outre intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;
- Débouter la société ALLIANZ BENELUX NV et la société AIG EUROPE SA de leur demande de suspension des paiements,
Subsidiairement, si la cour devait faire droit à la suspension des paiements :
- Suspendre le paiement des sommes dues par la société ALLIANZ BENELUX NV et AIG EUROPE SA pendant une durée maximum de 18 mois qui pourra être réduite si l'assureur est à-même de déterminer avant sa fin le montant de toutes les réparations qui lui sont réclamées au titre de ce dommage sériel et de procéder aux paiements mis à sa charge.
- Condamner les sociétés ALLIANZ BENELUX NV et AIG EUROPE SA à lui payer, chacune, la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Les condamner in solidum aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Langlais, avocat aux offres de droit en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de conclusions notifiées le 13 mai 2024, la société AIG EUROPE SA demande à la cour de :
- Infirmer partiellement le jugement du 30 mai 2023 en ce qu'il a jugé la SMABTP recevable sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil ;
Statuant à nouveau,
- Juger la SMABTP irrecevable en ses demandes dirigées à son encontre car mal fondée tant au visa des articles 1245 et suivants du code civil que des articles 1641 et suivants du code civil;
- Débouter la SMABTP de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- La mettre hors de cause ;
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand du 30 mai 2023 en toutes ces dispositions.
Dans l'hypothèse ou la cour infirmerait le jugement :
' Sur la désignation de la loi néerlandaise applicable à la police AIG n°70.08.2229 :
- Juger que la société SCHEUTEN SOLAR HOLDING BV a souscrit une police de droit néerlandais auprès de la compagnie AIG EUROPE (NETHERLAND) NV, dans les droits de laquelle elle intervient, prise en son établissement néerlandais sis [Adresse 6] (PAYS-BAS) ;
- Juger que la loi applicable à la police AIG n°70.08.2229 est la loi néerlandaise ;
- Juger que les dispositions impératives des chapitres II et III du titre 1 du Livre I ne constituent pas, selon l'article 7, paragraphe 2, de la directive n°88/357/CEE du 22 juin 1988, des lois de police applicables aux opérations d'assurance conclues entre professionnels non établis en France et qu'en particulier les articles L 112-4 alinéa 3 et L 113-1 alinéa 1 ne sauraient paralyser, même au cas d'action directe, la couverture d'assurance valablement définie par la loi étrangère applicable au contrat considéré ;
- Juger en conséquence, que les articles L 112-4 et L 113- 1 du code des assurances non qualifiables de lois de police et non contraires à l'ordre public international, ne sauraient s'appliquer à la police AIG n°70.08.2229 soumise au droit néerlandais ;
- Rejeter toutes demandes dirigées contre elle et fondées sur les articles L 113-1 et L 112-4 du code des assurances ;
A titre subsidiaire, si la cour devait estimer qu'elle ne peut se prononcer elle-même sur l'interprétation du droit européen :
- Ordonner un renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne afin de lui poser les questions suivantes :
1° L'article 7, paragraphe 2, de la directive n°88/357/CEE du 22 juin 1988, en ce qu'il permet de déroger au droit applicable à un contrat d'assurance conclu dans un contexte international, doit-il être interprété strictement, suivant le régime des articles 9 du règlement n° 539/2008 (« Rome I ») et 16 du règlement n° 864/2007 (« Rome II ») lus à la lumière du principe de sécurité juridique '
2° L'article 7, paragraphe 2, de la directive n°88/357/CEE précitée doit-il être interprété en ce sens qu'il permet à l'Etat membre de survenance d'un dommage et d'exercice d'une action directe contre un assureur, d'appliquer ses règles impératives de droit interne relatives à la formation, à l'interprétation et/ou à la validité des clauses d'une police d'assurance valablement conclue et soumise à la loi d'un autre Etat membre, entre un assureur et un assuré tous deux établis dans d'autres Etats membres '
3° En cas de réponse affirmative à la deuxième question,
a) L'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, lu à la lumière des art. 16 et 17, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du principe de sécurité juridique, s'oppose-t-il, dans un Etat membre de survenance ultérieure d'un dommage assuré, à l'application des règles impératives dudit Etat membre à la formation, l'interprétation et/ou la validité des clauses d'un contrat d'assurance conclu entre parties établies dans d'autres Etats membres et selon la loi d'un autre Etat membre valablement choisie pour régir l'opération d'assurance '
b) Les articles 34 et 36 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, s'opposent-t-ils, hors le cas des assurances obligatoires imposées par l'Etat membre d'importation d'une marchandise, à ce que cet Etat applique au contrat d'assurance valablement conclu par l'exportateur, des règles impératives protectrices du souscripteur d'assurance différentes de celles prévues par la loi du contrat d'assurance et susceptibles de renchérir le coût d'une assurance dommage couvrant des risques situés dans de multiples Etats membres '
4° En cas de réponse négative à la troisième question (branche a ou b), l'Etat membre d'origine d'une loi qu'il qualifie « d'ordre public » ou « de police » au sens des normes visées à la première question, peut-il justifier son application dérogatoire au contrat d'assurance régi par un droit étranger par la seule circonstance qu'un dommage est survenu sur son territoire et donne lieu à une action directe, alors que l'assurance en cause ne correspond pas à un cas d'assurance obligatoire dans cet Etat membre et que la loi du contrat d'assurance permet de donner effet à l'action directe, dans la limite des risques couverts par le contrat et de la durée de la garantie prévus par celui-ci '
- Ordonner le sursis à statuer le temps que ladite Cour de Justice de l'Union Européenne se prononce.
' Sur la non-mobilisation des garanties de la police AIG n°70.08.2229 :
Sur la clause C.9 §5 :
- Juger que, même si les articles L 113-1 et L 112-4 devaient s'appliquer à la police AIG EUROPE, ce qui est fermement contesté, ces textes ne sauraient s'appliquer à la clause C9 §5, n'étant pas une clause d'exclusion ;
En conséquence,
- Juger que la clause C9 §5 de la police AIG n°70.08.2229 est valable et applicable ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté toutes les demandes dirigées contre elle et la mettre hors de cause.
- Sur la clause C.9 §1 et les exclusions de garantie 4.4.1 et G.24 :
- Juger que la clause C9 §1 ne garantit pas le coût du produit livré ; que la clause 4.4.1 exclut de la garantie le coût du produit livré ; que la clause G.24 des conditions particulières de la police exclut de la garantie les pertes de production électrique ;
- Juger que les clauses 4.4.1 et G.24 sont valables au regard du droit néerlandais ;
- Juger que les frais de remplacement des panneaux photovoltaïques ne sauraient être considérés comme des frais de sauvetage.
- Subsidiairement, juger que la clause d'exclusion 4.4.1 et la clause d'exclusion G.24 sont formelles et limitées au sens de l'article L 113-1 du code des assurances ;
- Juger que l'article L 112-4 du code des assurances, protecteur de l'assuré, ne peut être invoqué par les tiers (en l'espèce la SMABTP), quelle que soit la clause d'exclusion visée ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement rendu le 30 mai 2023 par tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand en ce qu'il a fait application des articles 4.4.1 et G.24 des conditions générales de la police AIG EUROPE n°70.08.2229 et en ce qu'il a rejeté toutes demandes au titre du coût des panneaux photovoltaïques et des pertes de production d'électricité ;
- Rejeter toutes demandes dirigées contre elle et la mettre purement et simplement hors de cause ;
A titre subsidiaire, sur l'application du plafond de garantie et la règle néerlandaise de suspension des paiements :
- Juger que la police AIG EUROPE n°70.08.2229 limite le montant de la garantie Responsabilité produit élargie couvrant les frais de montage et démontage et les frais de rappel, à la somme de 5.000.000 euros ;
- Juger que le « sinistre SCHEUTEN » constitue un sinistre sériel dont le montant global sera notablement supérieur au plafond de garantie stipulé au contrat ;
- Juger qu'en l'état, le montant global du « sinistre sériel SCHEUTEN » n'est pas établi ;
- Juger qu'au regard de la loi néerlandaise, elle se trouve contrainte de suspendre le paiement des indemnités pouvant être réclamées par des tiers jusqu'à ce que la part proportionnelle de chaque tiers lésé soit établie ;
En conséquence,
- L'autoriser à suspendre le paiement de l'indemnité au titre des préjudices réclamés par la SMABTP, jusqu'à ce que la part proportionnelle de chaque victime du sinistre sériel soit établie ;
- Juger « n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement à intervenir » ;
' A titre plus subsidiaire sur les franchises applicables et le recours en garantie qu'elle exerce :
- Juger qu'elle sera fondée à opposer ses deux franchises contractuelles de 100.000 euros au titre des dommages matériels et de 100.000 euros au titre des pertes de production d'énergie;
- Juger que la société ALRACK BV a engagé sa responsabilité exclusive sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil ;
- Juger acquises les garanties de la société ALLIANZ BENELUX NV, ès-qualités d'assureur de la société ALRACK BV ;
En conséquence,
- Infirmer partiellement le jugement rendu le 30 mai 2023 en ce qu'il a limité son recours en garantie à 50 % ;
Statuant à nouveau,
- Condamner la société ALLIANZ BENELUX NV, ès-qualités d'assureur de la société ALRACK BV, à la relever et garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- Condamner tout succombant à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions notifiées le 4 septembre 2024, la société ALLIANZ demande à la cour :
A titre principal :
- Juger que la responsabilité d'ALRACK sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle est irrecevable, et que sa responsabilité du fait des produits défectueux ne peut être retenue, ou à titre subsidiaire prononcer un partage de responsabilité entre SCHEUTEN et ALRACK ;
- Juger en outre que sa police RC ne couvre pas le sinistre.
- En conséquence, débouter la SMABTP, AIG EUROPE et tous autres demandeurs de l'intégralité des présentée à son encontre, en sa qualité d'assureur RC d'ALRACK ;
A titre infiniment subsidiaire :
- Juger que sa couverture est limitée au coût des 19 panneaux détériorés pour un montant qui reste à déterminer, en l'absence de pièces justificatives ;
- Juger que le droit applicable à la police d'assurance interdit en l'état tout paiement de sa part;
- Par voie de conséquence, prononcer le sursis de tout paiement dans l'attente de la fixation définitive des réclamations des victimes (et demandeurs en garantie) éligibles à la couverture de sa police, afin de pouvoir fixer définitivement le montant dû sur une base de prorata,
En tout état de cause :
- Condamner la SMABTP et AIG EUROPE chacune à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SMABTP ou toute autre partie succombante aux entiers dépens, en ce compris les frais des expertises judiciaires.
Il sera renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des moyens développés au soutien de leur demandes.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024.
Motivation :
Il résulte des conclusions (à défaut de production du contrat entre EVDS et Systèmes Solaires et des contrats de vente antérieurs entre la société Scheuten et la société Systèmes Solaires) que les contrats en cause ont été passés au plus tard en 2011, date d'installation de la centrale. Il convient donc par application de la loi N° 2018-287 du 20 avril 2018 (article 16) ratifiant l'ordonnance N°2016-131 du 10 février 2016, qui confirme l'application de la loi ancienne aux contrats conclus avant l'entrée en vigueur de ladite ordonnance, y compris pour leurs effets légaux et les dispositions d'ordre public, de faire application des anciennes dispositions du code civil.
I- Sur la responsabilité des sociétés SCHEUTEN SOLAR SYSTEM BV (ci-après SCHEUTEN) et ALRACK BV :
Aux termes du « Par ces motifs » de ses conclusions, la SMABTP sollicite la confirmation du jugement qui a retenu la responsabilité des sociétés SCHEUTEN et ALRACK sur le fait des produits défectueux. Ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle demande à la cour de juger la société SCHEUTEN SOLAR BV responsable des défectuosités affectant ses panneaux sur le fondement de la garantie des vices cachés et de juger la société ALRACK BV, fabricant des boîtiers de connexion, responsable des dommages causés sur le fondement de la responsabilité extra contractuelle.
Dans le corps de ses conclusions elle indique qu'elle entend engager la responsabilité :
- de la société SCHEUTEN sur la garantie des vices cachés et en sus sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux.
- de la société ALRACK sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux et en sus sur le fondement délictuel.
Aussi, et à l'instar du tribunal judiciaire, il convient d'examiner en premier lieu, les demandes fondées sur les dispositions applicables à la responsabilité des produits défectueux avant d'aborder, le cas échéant, la question des vices cachés.
I-1- Sur la responsabilité du fait des produits défectueux :
La SMABTP fait valoir que la société SCHEUTEN SOLAR SYSTEM BV ou « encore toute filiale de la société SCHEUTEN SOLAR HOLDING », et la société ALRACK ont la qualité de producteurs au sens de l'article 1245-5 du code civil. Elle assure que les boîtiers de connexion de marque ALRACK implantés dans les panneaux SCHEUTEN présentent une déficience génératrice d'un risque excessif et anormal de dommages tant pour les personnes que pour les biens de l'utilisateur et plus spécifiquement un défaut de sécurité ; qu'ils n'offrent donc pas la sécurité attendue ; qu'il existe un lien de causalité entre ce défaut et le dommage.
La société AIG EUROPE (assureur de la société SCHEUTEN) critique le jugement et s'oppose aux demandes présentées. Elle répond que la responsabilité des produits défectueux exclut de ce régime les dommages au produit défectueux lui-même ce qui interdit à la SMABTP de solliciter l'indemnisation du coût du produit lui-même ou des pertes de production consécutives. Elle forme donc un appel incident à l'encontre du jugement qui a jugé que la responsabilité solidaire des sociétés ALRACK et SCHEUTEN était engagée sur le fondement du fait des produits défectueux et demande à la cour de juger que la SMABTP n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil et de la déclarer irrecevable en l'intégralité de ses demandes.
La société ALLIANZ BENELUX NV (assureur de la société ALRACK) demande à être mise hors de cause en indiquant que son assuré a exécuté une mission qui s'apparentait à une simple tâche de réalisation-exécution sans possibilité d'initiative dans la conception ni autonomie ; que c'est la conception du boîtier de jonction avec la position des différents composants qui est à l'origine des dysfonctionnement et que la société ALRACK a agi dès le départ sur le plan remis par la société SCHEUTEN et sous ses instructions et directives ; que c'est l'ensemble module /boîtier qui pose problème étant rappelé que les boîtiers montés à l'arrière des modules n'étaient pas en vente libre.
Elle rappelle que le producteur de la partie composante n'est pas responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit ; qu'il a été jugé que les boîtiers forment un seul et même produit au sein des modules photovoltaïques au sein desquels ils sont intégrés.
Sur ce :
A titre liminaire, il sera rappelé que la recevabilité d'une action ne se confond pas avec le bien-fondé d'une demande ; que le tribunal n'a pas statué sur la recevabilité de l'action de la SMABTP mais sur le bien-fondé de la demande présentée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux.
La cour s'attachera donc à examiner le bien-fondé de cette demande, aucune fin de non-recevoir n'étant invoquée.
I-1-1 : Sur la loi applicable :
Aux termes de l'article 1386-1 (ancien code civil) applicable au litige, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. S'agissant d'une action de nature délictuelle, il convient de faire application des dispositions du règlement N° 864/2007 du 11 juillet 2007 dit « Rome II » applicables aux obligations non contractuelles et dans les situations comprenant un conflit de lois, aux obligations non contractuelles relevant de la matière civile ou commerciale. En application de l'article 4 dudit règlement et du lieu du dommage, le territoire français, il sera fait application de la loi française, étant souligné que ni la société AIG EUROPE ni la société ALLIANZ BENELUX NV ne contestent l'application de la loi française à la responsabilité des produits défectueux.
I-1-2 : Sur le bien-fondé de la demande :
Les dispositions de l'article 1386-1 du code civil (ancien) instaurent une responsabilité de plein droit à la charge des producteurs ; elles s'appliquent à la réparation des dommages résultant d'atteintes à la personne et à celle de dommages supérieurs à un montant fixé par décret qui résultent d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même (article 1386-2 du code civil).
Est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble. Un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre (articles 1386-2 à 1386-4 ancien code civil). Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant du produit ou le fabricant d'une partie composante. En cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables (articles 1386-6 et 1386-8 ancien code civil).
Suivant les dispositions de l'article 1386-11 du code civil, le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :
1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;
3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;
4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;
5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.
Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit.
La SMABTP agit après avoir été condamnée par jugement du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand du 23 novembre 2020 à garantir son assurée, la société Systèmes Solaires, elle-même condamnée à verser à la société EVDS la somme de 320.000 euros HT au titre du remplacement du matériel outre intérêts au taux légal à compter du jugement, la somme de 587,82 euros au titre de deux franchises restées à sa charge, la somme de 167 588,07 euros au titre de la réparation de son préjudice immatériel lié aux pertes de production d'électricité . Le tribunal a rappelé que la SMABTP pourrait opposer à la société EVDS et à la SA Gan Assurances la limite des plafonds et des franchises prévues à son contrat d'assurance.
Il ressort du rapport de M. [M], expert, que la société EVDS a fait installer début 2011 une ferme solaire en toiture de bâtiments. Les panneaux solaires ont été installés sur deux bâtiments, soit 983 panneaux sur le premier bâtiment et 120 sur le second. Tous les panneaux sont de marque SCHEUTEN et sont équipés du boîtier ALRACK équipés de cartes type Solexus.
A l'issue de ses opérations, l'expert a mis en évidence des défauts sur les boîtiers de connexion, localisés au niveau du contact entre la languette de la carte imprimée et le connecteur de liaison entre panneaux. L'exposition des panneaux à des températures très variables permettait un mini déplacement du câble sur la languette et la mise en défaut de la qualité de contact représentait un point d'échauffement pouvant mener à l'emballement thermique constaté. Le laboratoire Certolis a établi que la dégradation avait essentiellement pour origine :
- la dégradation des forces de contact avec le fretting corrosion engendré par des micros-mouvements entre les pièces
- la dégradation des matériaux avec les conditions d'hygrométrie et de température changeant en permanence dans le boîtier.
Aucune des parties ne conteste le fait que les boîtiers de jonction Solexus sont le siège d'échauffements importants et anormaux, d'une dégradation évolutive des connecteurs internes situés entre la carte de jonction et les câbles du module (fretting corrosion) qui ont conduit à des pannes successives puis à la mise à l'arrêt de la centrale recommandée par le constructeur en raison d'un risque d'incendie majeur.
Ainsi les panneaux photovoltaïques de marque SCHEUTEN équipés de boîtier de jonction Solexus n'offraient pas la sécurité à laquelle le maître de l'ouvrage pouvait s'attendre.
Toutefois, la responsabilité des produits défectueux s'appliquant à la réparation de dommages résultant d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même (article 1386-2 du code civil), la réclamation de la SMABTP portant sur le coût de remplacement des panneaux et leurs composants, ne peut prospérer sur le fondement des produits défectueux pour obtenir le remboursement du remplacement des panneaux.
Le tribunal a jugé que les pertes d'exploitation subies constituent « des dommages extérieurs aux produits eux-mêmes réparables dans le cadre de la responsabilité de plein droit des articles 1245 et suivants du Code civil. »
Cependant, la garantie des produits défectueux ne s'étend pas aux préjudices économiques découlant de l'atteinte au produit défectueux et partant de la perte de production ou d'exploitation liée à la défectuosité des panneaux installés. 1re Civ., 9 décembre 2020, n° 19-21.390, (P)
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
I-2 Sur la garantie des vices cachés invoquée à l'encontre de la seule société SCHEUTEN:
La société SMABTP fait valoir que les modules solaires fabriqués par la société SCHEUTEN n'offrent pas la sécurité attendue puisqu'ils incorporent des boitiers de connexion ALRACK susceptibles de provoquer, par échauffement, un incendie des bâtiments équipés de cette installation photovoltaïque. Les défauts affectant les panneaux ne lui ont été révélés que par les conclusions du rapport du laboratoire IC 2000 du 18 juin 2013. Elle soutient qu'ils engagent la responsabilité du vendeur, la société SCHEUTEN, sur le fondement de la garantie légale des vices cachés, dès lors qu'ils n'étaient ni apparents ni décelables au moment de la livraison et qu'ils rendent l'équipement impropre à son usage.
I-2-1 Sur la loi applicable :
La société AIG Europe SA fait valoir :
* que son assuré est une entreprise de droit néerlandais
* que le contrat conclu entre la société SCHEUTEN (dont le siège social est au Pays-Bas) et la société Systèmes solaires (société de droit français) est un contrat international ;
* qu'en application de l'article 4,1a) du Règlement CE 593/2008 dit Rome I du 17 juin 2008 le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle.
* qu'en l'espèce la loi néerlandaise doit s'appliquer ;
* qu'en outre, la société EVDS n'a jamais été en lien contractuel direct avec la société SCHEUTEN ; que la chaîne de contrats entre l'ensemble des sociétés concernées a une dimension internationale, or la notion d'action directe invoquée par la SMABTP n'est pas transposable du droit interne à une chaîne internationale de contrats, la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes amenant à considérer que l'action du sous-acquéreur contre un fabriquant est de nature délictuelle.
* que l'action fondée sur l'article 1641 du code civil est inopérante dans une chaîne de contrats internationale.
La SMABTP répond :
* que cette dernière fait un amalgame entre l'action directe diligentée contre la société SCHEUTEN (qui fait l'objet d'un autre procès) engagée sur le fondement des vices cachés et la loi applicable à la police responsabilité de la société SCHEUTEN.
* que si le contrat d'assurance est soumis à la loi néerlandaise, l'action directe à l'encontre de l'assureur est soumis à la loi française, loi du lieu de survenance du dommage
* qu'en l'absence de production du contrat Scheuten/Système solaires il n'est pas exclu que ce contrat ait été conclu avec la société Scheuten Solar France (qui disposait d'une représentation permanente sur le territoire français) et que le contrat ne soit pas un contrat international.
* qu'aux termes de l'article 4 3) du Règlement CE 593/2008 Rome I du 17 juin 2017, il convient de faire application de la loi française en considération de la loi applicable aux autres régimes de responsabilité invoqués et soumis à la loi de survenance du dommage et en raison des liens étroits du contrat avec la France.
Sur ce :
La compétence du juge français pour connaitre de l'action directe exercée par la SMABTP n'est pas contestée. Il résulte de l'article 11§2 du Règlement Bruxelles I, que la possibilité de l'action directe est déterminée par la loi désignée par la règle de conflit du juge saisi.
Suivant les principes régissant le conflit de lois en matière d'action directe de la partie lésée contre l'assureur du responsable « l'action directe est possible si elle est permise, soit par l'action principale, soit par la loi du contrat d'assurance, de sorte que, si la loi de l'obligation principale l'autorise, la loi du contrat d'assurance ne peut y faire obstacle et ne peut être invoquée que dans ses dispositions qui régissent les relations entre l'assureur et l'assuré, dispositions à laquelle la question de l'action directe est étrangère ».
Pour déterminer l'admissibilité de l'action directe il convient d'interroger la loi désignée par la règle de conflit.
Il a pu être considéré que l'action directe contre l'assureur du responsable était régie, en matière contractuelle comme en matière de responsabilité quasi-délictuelle par la loi du dommage ( 1ère Civ 20 décembre 2000 N° 98-16.103), il est désormais clairement affirmé que la loi du dommage n'a vocation à être interrogée qu'en matière de responsabilité délictuelle (1re Civ., 9 septembre 2015, pourvoi n 14-22.794 ).
Il est jugé que l'article 18 du Règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil n 864/2007 du 11 juillet 2007, dit Rome II, 'n'est applicable qu'aux actions directes exercées contre les assureurs de personnes devant réparation en raison d'une obligation non contractuelle'. Le régime juridique de l'action directe dépend donc du rapport de droit liant les parties qui va déterminer la qualification de l'obligation. (1re Civ., 9 septembre 2015, pourvoi n 14-22.794)
La SMABTP bénéficie d'une subrogation légale qui lui permet d'agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle contre la société SCHEUTEN.
Selon l'article 4 a) du règlement dit Rome I, « 1. A défaut de choix exercé conformément à l'article 3 et sans préjudice des articles 5 à 8, la loi applicable "au contrat suivant est déterminée comme suit :
a) le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle ; (...)
3. Lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique.
4. Lorsque la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 ou 2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. »
La SMABTP ne produit ni le contrat passé entre la société Systèmes Solaires et la société SCHEUTEN ni la facture établie à l'occasion de ce contrat. Elle déclare pour autant en page 9 de ses conclusions avoir mis en cause l'assureur de la société SCHEUTEN SOLAR SYSTEM BV.
A défaut de justifier de la loi du contrat et de l'identité d'un vendeur autre que celui dont elle a attrait l'assureur en justice, il convient de faire application de la loi néerlandaise, loi du pays dans lequel la société SCHEUTEN SOLAR SYSTEM BV a sa résidence habituelle. Il n'est en effet pas indiqué en quoi le contrat présenterait des liens plus étroits avec la France.
Il s'ensuit que la SMABTP ne peut prospérer en son action fondée sur les vices cachés.
La responsabilité de la société SCHEUTEN étant recherchée sur le fondement des produits défectueux et des vices cachés et ces deux fondements ayant été écartés, il convient de mettre hors de cause la société AIG Europe SA venant aux droits de la société AIG Europe Limited.
I-3- Sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société ALRACK BV :
La SMABTP recherche également la responsabilité extracontractuelle de la société ALRACK en application des articles 1240 et 1241, pour avoir commis des fautes d'imprudence et de négligence en fabriquant un boitier de connexion défectueux.
Elle prétend :
* que la responsabilité du fait des produits défectueux est cumulable avec la responsabilité délictuelle ou extracontractuelle de la société ALRACK
* qu'à défaut de retenir la responsabilité de la société ALRACK sur le fondement des produits défectueux la cour devra la retenir sur le fondement de l'article 1240 du code civil, l'ensemble des expertises ayant permis d'établir que la société ALRACK n'était pas un simple exécutant mais s'était impliquée techniquement dans la conception et la fabrication des cartes Solexus ce qui permet de retenir sa responsabilité et de la condamner in solidum avec la société SCHEUTEN.
La société ALLIANZ BENELUX NV (assureur de la société ALRACK) assure que sa responsabilité délictuelle ou extracontractuelle ne peut être recherchée :
Elle soulève l'irrecevabilité de la demande présentée sur le fondement extracontractuel et le rejet de celle-ci en indiquant :
* qu'il appartient à la SMABTP d'établir une faute distincte du défaut de sécurité et fait valoir que l'appelante ne démontre ni n'allègue l'existence d'une faute autre que l'existence d'un défaut de sécurité dans les panneaux.
* qu'en l'absence de démonstration de faute distincte, le principe de non cumul des responsabilités s'applique et le demandeur ne peut invoquer simultanément deux régimes pour un même défaut de sécurité.
* qu'il résulte de la jurisprudence que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées à l'article 122 et 124 du code de procédure civile
* que la responsabilité d'ALRACK n'étant pas retenue, sa garantie n'est pas due.
A titre subsidiaire, elle demande à la cour de confirmer le partage des responsabilités entre SCHEUTEN et ALRACK en faisant valoir que la mission de cette dernière a été constamment limitée par la société SCHEUTEN à une simple tâche de réalisation-exécution sans possibilité d'initiative dans la conception ; qu'elle a travaillé sous les ordres et la direction de la société SCHEUTEN ; que les expertises ont révélé un défaut de conception qui ne lui est pas imputable la société SCHEUTEN étant le seul concepteur et fabriquant de l'ensemble module/boîtier.
I-3-1- Sur la loi applicable :
S'agissant d'une action de nature délictuelle, il convient de faire application des dispositions du règlement N°864/2007du 11 juillet 2007 dit
I-3-2 : Sur la recevabilité de la demande :
Il résulte de l'article 1386-18 devenu l'article 1245-17 du code civil que les dispositions au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité et que le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.
Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou délictuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre à l'exception de la responsabilité pour faute et de la garantie pour vices cachés.
La victime de la défaillance d'un produit qui fonde son action sur les dispositions de l'article 1383 devenu l'article 1241 du code civil doit établir que le dommage subi résulte d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit.
Cependant, cette exigence n'a pas lieu d'être lorsque comme en l'espèce, la responsabilité du fait des produits défectueux ne peut être recherchée du fait du dommage causé au seul produit, exclusive d'un tel régime.
Il appartient à la SMABTP de démontrer que la société ALRACK a commis une faute en relation de causalité avec le préjudice de son assuré, étant rappelé qu'un tiers à un contrat est en droit d'invoquer au soutien d'une action quasi-délictuelle qu'il exerce contre une des parties au contrat, un manquement de cette partie à ses obligations contractuelles.
En l'espèce, et par renvoi aux constatations techniques susvisées, il est établi que désordres des modules SCHEUTEN livrés à la société Systèmes Solaires intégrant les boitiers Solexus ont pour origine un défaut dans la conception et la réalisation des boitiers de connexion montés en sous-face des panneaux SCHEUTEN.
Ces défauts ont été clairement établis par les expertises diligentées, tout comme l'inaptitude des panneaux à remplir leur fonction et leur dangerosité potentielle liée à un risque d'incendie.
La société ALLIANZ BENELUX BV affirme que son assuré n'a eu qu'un rôle d'exécutant.
Le contrat de collaboration conclu entre les sociétés SCHEUTEN SOLAR TECHNOLOGY GmbH et ALRACK BV (pièce 1 de la société ALLIANZ BENELUX) prévoit cependant que, si la société ALRACK devait produire des appareils de jonction " en étroite collaboration avec SCHEUTEN " et sur la base d'une documentation fournie par celle-ci, en revanche la société ALRACK déclarait en préambule détenir elle-même " le savoir-faire nécessaire à la conception, à l'ingénierie, et à la production "du système de jonction Solexus, et les deux parties convenaient que la société ALRACK avait pour mission d'assurer " la conception, la construction et la production du système de façon exclusive" (article 2.1 du contrat). La société ALRACK avait de plus la faculté de recueillir le concours de tiers de son choix (article 2.3), et de leur déléguer le pouvoir de passer des commandes (article 2.4).
Ces stipulations révèlent que la société ALRACK, bien que sa mission soit soumise au contrôle et a l'accord de la société SCHEUTEN (qui se réservait le droit d'agréer les tiers), disposait dans l'accomplissement de ses obligations d'une autonomie véritable, caractérisée par son savoir-faire propre, qui lui permettaient de concevoir et de fabriquer les boitiers en cause, ainsi qu'elle l'a fait conformément à son engagement contractuel : elle était donc le producteur d'une partie composante au sens des articles susdits, la société SCHEUTEN étant pour sa part le producteur ayant réalisé l'incorporation aux panneaux.
Les deux sociétés ont donc travaillé en étroite collaboration et en toute hypothèse il incombait à la société ALRACK, en sa qualité d'entreprise spécialisée, d'attirer l'attention du donneur d'ordres sur les risques techniques que comportaient ses instructions éventuelles.
En outre, ainsi que cela a déjà été jugé, la conception du raccordement ne se confond pas avec celle du boitier Solexus lui-même, et notamment le choix, la nature et l'assemblage des composants et plus particulièrement les broches de sorties vers les câbles qui permettent le raccordement du panneau vers la série des panneaux voisins. Les cartes Solexus ne résistent pas à la température élevée parce qu'elles sont réalisées avec des connexions en cuivre d'épaisseur insuffisante et susceptible de provoquer des incendies.
La société ALRACK ne peut donc être considérée comme une simple exécutante dans la fabrication des boitiers défectueux et sa faute a contribué au dommage.
Il sera donc fait droit à la demande subsidiaire de la société ALLIANZ BENELUX NV qui sollicite la confirmation du jugement aux termes duquel, s'agissant de la contribution à la dette entre les sociétés ALRACK et SCHEUTEN, co-responsables du dommage, il ressort que leur responsabilité est engagée à parts égales dans leurs rapports entre elles.
Cependant, l'action directe engagée sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle n'étant présentée qu'à l'encontre de l'assureur de la société ALRACK, seule la société ALLIANZ BENELUX NV est susceptible d'être condamnée à indemniser le préjudice invoqué dans le cadre de la présente instance.
II-Sur la garantie d'assurance de la société ALLIANZ BENELUX NV :
II-1-Sur la loi applicable:
La SMABTP ne conteste plus que la police de la société ALLIANZ BENELUX NV relève de la loi néerlandaise. Mais elle soutient que le litige est soumis à la loi française.
Si en application de l'article 18 du Règlement (CE) N° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 'Rome II), en matière non contractuelle, la personne lésée peut agir directement contre l'assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l'obligation non contractuelle, déterminée conformément à l'article 4 du règlement, ou la loi applicable au contrat d'assurance le prévoir, le régime juridique de l'assurance est soumis à la loi de ce contrat, notamment en ce qui concerne les exceptions opposables par l'assureur ( 1ère Civ 18 décembre 2019 N° 18-18.709).
L'article 9 des conditions générales du contrat souscrit par la société ALRACK BV (pièce 18.1) indique que le contrat est régi par le droit néerlandais.
La SMABTP entend mobiliser la garantie de la société ALLIANZ BENELUX NV au titre de l'article 2.1 du contrat souscrit par la société ALRACK BV auprès de cette dernière.
II-2-Sur la garantie de la société ALLIANZ BENELUX NV :
La société ALLIANZ BENELUX NV fait valoir que la police dont bénéficiait la société ALRACK BV est une assurance responsabilité civile, limitée aux dommages aux personnes et aux biens-autres que les biens de l'assuré- causés par l'assuré à des tiers ou du fait du produit de son assuré et expressément définis dans la police. Elle ne couvre pas les pertes de production ou le dommage aux produits fabriqués par ALRACK.
La SMABTP fait valoir :
* que la clause d'exclusion ne respecte « ni les conditions de fond ni les conditions de forme et ne pourra qu'être écartée ».
* que le produit livré par ALRACK est un boitier de connexion et non pas le panneau lui-même dont le coût de remplacement est sollicité ;
* que la clause d'exclusion du bien livré n'est pas absolue puisque l'article 3.5.2 prévoit une exception « si ces frais peuvent être considérés comme des coûts de mesure de sauvegarde au sens de l'article 1.11 » ; que le remplacement des panneaux s'imposait comme l'unique moyen d'éviter tout risque d'incendie ;
* que la société ALLIANZ BENELUX NV garantit le dommage matériel subi par des tiers et tout dommage en découlant comme rappelé à l'article 1.7.2 de la police. Par conséquent, ALLIANZ BENELUX BV ne peut dénier sa garantie au titre des pertes d'exploitation.
La société ALLIANZ BENELUX NV répond :
* que l'assureur ne peut être tenu à une couverture plus large que celle conclue ;
* que la SMABTP cherche à voir appliquer le droit français et plus particulièrement les règles de droit d'ordre public interne de droit français, soit l'article L 113-1 du code des assurances
* que cette règle ne s'applique pas à la police en cause ;
* que l'article L 181-3 du code de assurances se réfère non pas aux règles « d'ordre public » ordinaires du droit français mais bien aux lois de police au sens du droit international privé ce qui constitue une notion restrictive associée à un régime juridique particulier ; que l'article L 113-1 du code des assurances n'est pas et ne peut en aucune circonstance être qualifié de loi de police
- que les juridictions des Etats membres de l'Union ont un devoir de motivation particulière lorsqu'elles entendent appliquer une règle locale à titre dérogatoire sous la qualification de loi de police.
* que la preuve des trois conditions cumulatives devant être réunies pour justifier d'une mesure de sauvegarde n'est pas rapportée.
Sur ce :
- Sur l'étendue de la garantie
L'article 2.1 stipule « est assurée la responsabilité des assurés pour le dommage subi par des tiers en relation avec un acte ou un manquement, dans le respect des conditions applicables selon la police et les rubriques assurées. »
L'article 1.7 définit le dommage corporel et le dommage matériel (1.7.2) qui se caractérise par l'endommagement, la destruction ou la perte de biens appartenant à des tiers, y compris le dommage en découlant. Est également considéré comme dommage matériel la pollution ou la salissure des biens ou la présence de substances étrangères sur ou dans ces biens.
Enfin, l'article 2.4 prévoit les indemnisations complémentaires et plus spécifiquement ( 2.4.1) les coûts des mesures de sauvegarde telles que décrits à 1.11, soit « les coûts de mesures prises par ou au nom du souscripteur ou d'un assuré et lesquelles s'imposent raisonnablement pour éviter tout risque de dommage imminent dont -s'il s'était produit- l'assuré serait responsable et lequel serait couvert par l'assurance , ou pour limiter ce dommage. Est également entendu par les coûts de mesure, le dommage aux biens utilisés pour prendre les mesures visées ici. »
En l'espèce, la clause dont il est demande l'application ne trouve pas à s'appliquer dès lors que les travaux de remplacement des modules ou panneaux réalisés pour un coût de 388 700 euros TTC ne constituent pas de simples mesures de sauvegarde, comme l'a été la mise à l'arrêt de la centrale,, mais de véritables travaux de reprise des désordres, visant non seulement à protéger les bâtiments contre le risque d'incendie, mais aussi à mettre l'installation en état de fonctionner.
Ces travaux ne relèvent donc pas de l'article 1.11 invoqué par la SMABTP étant au surplus observé que cet article limite les mesures de sauvegarde indemnisables à celles prises par un assuré ou par un souscripteur, ou en son nom, alors que les travaux en cause n'ont pas été accomplis par l'assuré de la société ALLIANZ BENELUX, la société ALRACK, mais à la diligence du maitre de l'ouvrage.
En l'absence de dommages aux biens autre que les boîtiers de connexion Solexus la garantie de la société ALLIANZ BENELUX NV ne peut être mobilisée.
En conséquence, la garantie mobilisée n'étant pas applicable, et les moyens développés sur les causes d'exclusion de garantie étant par suite sans objet, il convient de débouter la SA SMABTP des demandes formulées à l'encontre de la société Allianz Benelux.
III-Sur les autres demandes :
La SMABTP succombant en ses demandes sera condamnée aux dépens.
La SMABTP sera condamnée à verser à la société AIG Europe et ALLIANZ BENELUX NV la somme de 4.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement , par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Par motifs substitués :
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Condamne la SMABTP à verser à la société AIG EUROPE SA la somme de 4.000 euros et à la société ALLIANZ BENELUX NV la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SMABTP aux dépens.