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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 14 mai 2025, n° 23/08684

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Chaibi's (SARL)

Défendeur :

Banque Populaire Rives De (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Vice-président :

M. Braud

Conseiller :

Mme Chaintron

Avocats :

Me Ziane, Me Berest

T. com. Paris, 6e ch., du 6 avr. 2023, n…

6 avril 2023

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Au mois d'août 2019, la société Chaibi's a ouvert dans les livres de la Banque Populaire Rives de [Localité 6] un compte courant professionnel n° [XXXXXXXXXX01] ainsi qu'un compte de devises étrangères sous la référence [XXXXXXXXXX02].

La relation d'affaires s'est correctement exécutée, jusqu'au mois de mars 2020, date à laquelle la société Chaibi's par courriel du 18 mars 2020 a sollicité auprès de la Banque Populaire Rives de [Localité 6] un prêt de trésorerie avec garantie de l'Etat, dit 'PGE', afin de faire face aux conséquences économiques et financières de la pandémie de Covid 19.

Par courriel en date du 15 avril 2020, la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] a indiqué à la société Chaibi's qu'elle n'était pas en mesure de lui consentir un prêt garanti par l'état et l'a informée de sa faculté de recourir au médiateur du crédit.

Par courriel en date du 25 mai 2020, le médiateur du crédit de l'Essonne a communiqué à la société Chaibi's les raisons de ce refus.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 30 juin 2020, la Banque Populaire Rives de [Localité 6] a notifié à la société Chaibi's qu'elle entendait clôturer ses comptes bancaires dans un délai de 60 jours.

Par courrier du 10 juillet 2020, la Banque Populaire Rives de [Localité 6] a accepté 'compte tenu de la spécificité des marchés en cours, de maintenir le compte de la société n° [XXXXXXXXXX01] ouvert dans ses livres pour recevoir uniquement les paiements des différents marchés en cours en indiquant néanmoins que les encours disponibles devraient être utilisés jusqu'au 30/08/2020 en respectant impérativement leur autorisation respective, sachant qu'aucun dépassement ne sera toléré ».

Au cours de l'exécution du préavis, la société Chaibi's a reproché à la banque d'avoir mal exécuté une opération de change, d'avoir remis tardivement un cautionnement bancaire nécessaire à un appel d'offre, ce qui aurait entraîné sa perte et d'avoir réceptionné avec retard un bordereau de remise documentaire.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 1er septembre 2020, la Banque Populaire Rives de [Localité 6] a contesté les griefs de la société Chaibi's.

Par courrier du 18 septembre 2020, la société Chaibi's a fait grief à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] d'avoir mis 14 jours pour établir une caution bancaire sur un « modèle imposé », refusé de lui octroyer un PGE et réalisé une opération de change le 28 juin, avec une date de valeur du 29 juin, pour un ordre transmis le 26 juin.

Par courriel en date du 28 octobre 2020, la Banque Populaire Rives de [Localité 6] a contesté ces griefs.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 15 janvier 2021, le conseil de la société Chaibi's, reprenant les griefs émis par son client, a demandé à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] le règlement d'une indemnisation d'un montant de 86 033 euros fondée sur le fait que « Le comportement de la Banque Populaire a mis en danger les relations commerciales de toute la société, et a occasionné une perte de temps, de trésorerie, de crédibilité, et d'énergie.'

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 16 mars 2021, la Banque Populaire Rives de [Localité 6] a refusé le paiement d'une quelconque indemnisation.

Par exploit d'huissier du 4 novembre 2021, la société Chaibi's a fait assigner en indemnisation la Banque Populaire Rives de Paris devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement rendu le 6 avril 2023, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SARL Chaibi's de toutes ses demandes,

- condamné la SARL Chaibi's à payer à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] la somme de 3 600 euros,

- débouté la SA Banque Populaire Rives de [Localité 6] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné la SARL Chaibi's à payer à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- condamné la société Chaibi's aux dépens.

Par déclaration du 10 mai 2023, la SARL Chaibi's a relevé appel de cette décision.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2025, la société Chaibi's demande au visa des articles 42 du code de procédure civile, L. 442-6, I, 5° du code de commerce, 1104, 1231-1, 1231-2, 1231-6, 1344-1 et 1231-7, 1240 et 1241 du code civil, L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, à la cour de :

- la dire et juger bien fondée en son appel ;

Ce faisant :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 6 avril 2023 ;

Statuant à nouveau :

A titre principal :

- dire et juger que les conditions de la rupture constituent une faute engageant la responsabilité de la Banque Populaire Rives de [Localité 6] ;

- dire et juger que la Banque Populaire Rives de [Localité 6] s'est rendue coupable à plusieurs reprises de la violation de son obligation de bonne foi dans l'exécution de ses engagements ;

- condamner la Banque Populaire Rives de [Localité 6] au paiement à la société Chaibi's de la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts contractuels correspondant au préjudice subi du fait du non-respect de ses obligations contractuelles et de la perte de chance ;

A titre subsidiaire :

- dire et juger que la Banque Populaire Rives de [Localité 6] s'est rendue coupable de rupture brutale des relations commerciales envers la société Chaibi's au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

- dire et juger que compte tenu de la relation commerciale entretenue et de l'importance des activités de la Banque Populaire dans les activités de la société Chaibi's, le préavis prévu par la banque ne pouvait être considéré comme suffisant ;

- dire et juger que cette violation engage la responsabilité délictuelle de la Banque Populaire Rives de [Localité 6] vis-à-vis de la société Chaibi's ;

- condamner la Banque Populaire Rives de [Localité 6] à lui payer la somme de 86 033 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au préjudice de perte de chance subie du fait de la rupture des relations commerciales ;

En tout état de cause :

- débouter la Banque Populaire Rives de [Localité 6] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

- condamner la Banque Populaire Rives de [Localité 6] à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au préjudice moral ;

- condamner la Banque Populaire Rives de [Localité 6] à une astreinte de mille euros (1 000 euros) par jour de retard à compter du seizième jour suivant la notification du jugement à intervenir ;

- dire que la Cour pourra procéder, en suite de sa décision, à la liquidation de l'astreinte ;

- assortir l'arrêt à intervenir des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2020 ;

- condamner la Banque Populaire Rives de [Localité 6] à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Banque Populaire Rives de [Localité 6] aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 février 2025, la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] demande, au visa des articles L. 313-12, L. 133-24 du code monétaire et financier, 1103 et 1231 du code civil, à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 6 avril 2023 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a:

- débouté la SARL Chaibi's de toutes ses demandes,

- condamné la SARL Chaibi's à payer à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] la somme de 3 600 euros,

- condamné la SARL Chaibi's à payer à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- condamné la société Chaibi's aux dépens,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Banque Populaire Rives de [Localité 6] de ses demandes et, statuant à nouveau :

- assortir la condamnation prononcée contre la société Chaibi's au titre du remboursement du billet à ordre, d'un montant de 3 600 euros des intérêts applicables, soit le taux légal sur la somme de 3 600 euros à compter du 26 février 2022 jusqu'à parfait règlement,

- prononcer la forclusion au titre des contestations des écritures passés aux débits du compte courant,

- condamner la société Chaibi's à lui régler la somme de 3 340,31 euros au titre du solde débiteur du compte courant n° [XXXXXXXXXX01], outre intérêts au taux contractuel à compter du 2 novembre 2021,

- condamner la société Chaibi's à lui verser une somme de 3 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,

En tout état de cause :

- débouter la société Chaibi's de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Chaibi's à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société Chaibi's aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 février 2025 et l'audience de plaidoirie fixée au 10 mars 2025.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la banque dans l'exécution des opérations bancaires sollicitées par sa cliente

La société Chaibi's fait grief à la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] d'avoir abusivement refusé l'octroi d'un prêt garanti par l'Etat (PGE), tardé à délivrer un cautionnement bancaire ayant entraîne la perte d'un marché et manqué à son obligation de délivrance d'un bordereau de remise documentaire à l'export.

La Banque Populaire Rives de [Localité 6] réplique qu'elle n'a pas commis de faute.

Sur la demande d'octroi d'un prêt garanti par l'Etat (PGE)

La société Chaibi's reproche à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] de ne pas lui avoir consenti un prêt garanti par l'Etat et de ne pas lui avoir fourni de justification légitime à son refus, ce qui a eu pour effet d'entraîner «pour la société CHAIBI'S de nombreuses difficultés, puisqu'il devenait alors impossible de verser les salaires, de payer à temps les fournisseurs, et que les retards de livraison s'en sont suivis. ».

La Banque Populaire Rives de [Localité 6] réplique qu'il n'existe aucun droit au crédit car le contrat de prêt reste régi par le consentement mutuel des parties. Elle expose que l'arrêté du 23 mars 2020 accordant la garantie de l'Etat aux établissements de crédit ne stipule nullement que les entreprises en faisant la demande disposeraient d'une garantie au titre de l'octroi d'un crédit. L'établissement prêteur de deniers est donc libre de refuser de consentir un tel prêt à ses clients, sans engager sa responsabilité, ni se voir opposer une quelconque mauvaise foi.

De plus, la société Chaibi's ne justifie pas du moindre préjudice.

Il est de jurisprudence constante que 'hors le cas où il est tenu par un engagement antérieur, le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu'en soit la forme, de s'abstenir ou de refuser de le faire' (Cass. Ass. plénière, oct. 2006, n° 06-11.056 et n° 06-11307).

Comme le relève à juste titre la banque dans ses écritures, l'arrêté du 23 mars 2020 accordant la garantie de l'Etat aux établissements de crédit et sociétés de financement, ainsi qu'aux prêteurs mentionnés à l'article L. 548-1 du code monétaire et financier, en application de l'article 6 de la loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020, ne déroge pas à ce principe.

Il s'en induit que la Banque Populaire Rives de [Localité 6] n'a commis aucune faute en refusant par courriel du 15 avril 2020 de consentir un PGE à la société Chaibi's, étant de surcroît relevé que la banque a motivé son refus par le fait que la relation entre les parties était récente ainsi que cela ressort du mail du médiateur du crédit de l'Essonne du 25 mai 2020 et que ce dernier a relevé que 'certes les marchés à l'export sont compliqués mais votre entreprise a une structure solide et une rentabilité dans la durée significative' (pièces n° 32 et 11 de l'appelante).

Sur la tardiveté de la délivrance d'un cautionnement bancaire et sa non-conformité

La société appelante reproche à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] d'avoir pris en charge de manière déplorable et tardive la demande de caution effectuée le 30 juin 2020. Elle expose que pour soumissionner à un appel d'offre émis par la Société algérienne de production de l'électricité, elle devait fournir une caution bancaire de 3 000 euros et que la banque la lui a fourni avec plus de quinze jours de retard.

Elle soutient également que cette caution n'était pas conforme à sa demande, ce qui lui a fait perdre l'appel d'offre et a généré un préjudice d'un montant de 86 033 euros représentant la perte de marge brute de l'opération évaluée par son expert comptable.

La Banque Populaire Rives de [Localité 6] réplique qu'il ressort des échanges de courriels des 13 et 15 juillet 2020, qu'elle a bien pris en compte les demandes de la société Chaibi's, dans le délai fixé par l'avis d'appel d'offre qui expirait le 22 juillet 2020. En effet, par courriel en date du 15 juillet 2020, elle a confirmé à la société Chaibi's que le SWIFT d'émission de contre garantie avait été validé ce jour auprès de la banque algérienne BEA.

S'agissant du prétendu défaut de conformité de cette caution à la demande, elle expose que la société Chaibi's ne fournit aucune explication relative à la non-conformité de l'acte de cautionnement.

Enfin, elle allègue s'agissant du préjudice subi, que la société Chaibi's ne justifie pas avoir perdu l'appel d'offre.

Par mail du 30 juin 2020, la société Chaibi's a demandé à la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] de lui 'établir la caution de soumission avec contre-garantie suivant modèle en PJ de 3 000 euros' en vue de souscrire à un appel d'offres à la concurrence national et international émis par la société algérienne de production de l'électricité (pièce n° 14).

Il ressort de l'avis d'appel d'offres à la concurrence national et international émis par la société algérienne de production de l'électricité versé aux débats par la société appelante (pièce n° 13) que :

'Les Offres techniques ainsi que les offres financières, établies séparément, doivent être déposées, séance tenante, sous double enveloppe cachetée à l'adresse ci-dessus le 22/07/2020 à 10 h.

...

Toutes les offres doivent être accompagnées au moment de la remise des offres ou au plus tard à la date limite du dépôt des offres d'une caution de soumission établie, au nom de la Société Algérienne de Production de l'Electricité, comme suit :

400 000.00 DA (quatre cent mille dinars algériens) pour les sociétés de droit Algérien et 3 000 ' (trois milles euros) pour les sociétés étrangères.'

Par mail du 15 juillet 2020, la Banque Populaire Rives de [Localité 6] a adressé à la société Chaibi's 'La copie de notre SWIFT d'émission de la contre garantie validé ce jour auprès de la BEA'en l'invitant à l'adresser à son correspondant sur place afin qu'il puisse contacter la BEA en vue de la remise de l'acte de caution.

La société Chaibi's soutient donc vainement que le défaut de réactivité de la banque ne lui aurait pas permis de souscrire à l'appel d'offre dans le délai imparti fixé au 22 juillet 2020, étant relevé qu'elle reconnaît dans ses écritures que la Banque Populaire Rives de [Localité 6] lui a finalement fourni la caution avec plus de 15 jours de retard, soit dans le délai imposé, de sorte que le retard allégué n'a eu aucune conséquence.

Par ailleurs, la société Chaibi's n'indique, ni ne démontre en quoi la garantie fournie ne serait pas conforme à sa demande. Elle ne prouve pas davantage, ni le dépôt d'une offre auprès de la société algérienne de production de l'électricité, ni en conséquence le rejet de cette offre ou encore le fait que la perte de l'appel d'offre serait lié à la tardiveté de l'acte de cautionnement ou à la non-conformité de l'acte.

Si des demandes de modifications ont été faites auprès de l'intimée par la banque locale algérienne (BEA), il n'est pas établi que ces demandes résultaient d'une non-conformité de l'acte au regard des instructions prétendument données à la banque.

Le parallèle effectué dans les écritures de l'appelante avec la manière dont la banque avait traité de précédents appels d'offre émis par la société Sonelgaz au mois de novembre 2019 est sans incidence sur le présent litige au regard des développements qui précédent.

C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que : 'la caution a été délivrée dans les délais conformes aux plannings de l'appel d'offre, que l'allégation de non-conformité formelle de la caution n'est pas étayée, que finalement rien ne vient démontrer en quoi une faute de BPRP aurait entraîné le fait pour Chaibi's de ne pas être retenue dans l'appel d'offre.'

Sur la remise des bordereaux documentaires à l'export

La société Chaibi's reproche à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] un retard pris dans le bénéfice d'un paiement, en raison de sa défaillance dans l'envoi de deux bordereaux de remise documentaire à l'export, portant sur des sommes de 59 690 USD et 126 459 USD. Plus précisément, elle lui fait grief de ne pas l'avoir tenue informée du retour à l'expéditeur de ces bordereaux, en raison d'une prétendue erreur de la banque dans l'adresse du destinataire de l'acte. Elle relève ainsi que le pli a été enlevé le 28 août et renvoyé à l'expéditeur le 16 septembre.

La banque réplique qu'il ressort de la chronologie de cette expédition par DHL récapitulée par courriel en date du 28 octobre 2020 adressé à la société Chaibi's que les délais pris dans la remise des bordereaux sont dus au transporteur qui n'a pas été en mesure de joindre le destinataire et qu'après le retour des documents, un nouvel envoi a été réalisé, et semble avoir été délivré. Elle estime qu'elle ne peut être tenue responsable des problématiques de délivrance des plis à destination de l'Algérie et relève que la société Chaibi's ne rapporte pas la preuve d'une mauvaise foi de sa part, ni de son préjudice.

Il ressort du courriel de la banque à l'appelante en date du 28 octobre 2020 (pièce n° 20 de l'appelante) qui récapitule la chronologie de l'envoi de la remise documentaire que :

« Chronologie concernant la remise documentaire, objet de votre mail du 23/10 :

' 27/08 : réception des documents par Fedex

' 28/08 :

- Enregistrement de la remise

- Envoi, par DHL, à la BNA et envoi, au client, par mail de son AR et du reçu d'expédition DHL

' 07/09 : mail de DHL envoyé à [S] [J] qui est absente pour signaler que le destinataire n'est pas joignable

' 09/09 :

- Mail de DHL vers [R] [E]

- Nouvelles coordonnées téléphoniques envoyées

' 11/09 : DHL nous signale que le destinataire reste injoignable

' 16/09 : envoi du formulaire de demande de retour du DHL

' 22/09 : envoi d'un nouveau DHL suite au retour du premier »

Il en ressort que, contrairement à ce que soutient la société appelante, l'envoi des bordereaux de remise documentaire par DHL a immédiatement été effectué par la banque au destinataire et qu'ils n'ont pas pu lui être délivrés, non pas en raison d'une prétendue erreur d'adresse, mais de l'impossibilité de le joindre.

Il apparaît également que la banque a renvoyé un nouveau DHL le 22 septembre 2020 suite au retour du premier.

En tout état de cause, la société appelante ne démontre pas l'existence d'une quelconque mauvaise foi de la banque et ne justifie d'aucun préjudice.

C'est donc à juste titre que le tribunal a débouté la société Chaibi's de sa demande d'indemnisation d'un montant de 150 000 euros en réparation du préjudice subi induit par la prétendue violation de la banque de son obligation de bonne foi dans l'exécution de ses engagements.

Sur la responsabilité de la banque dans la rupture des relations entre les parties

A titre subsidiaire, la société Chaibi's soutient que la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard et subsidiairement délictuelle, en rompant brutalement les relations commerciales entre les parties.

Elle soutient avoir subi une perte de perte de chance résultant, notamment, de l'impossibilité d'obtenir de tels concours de la part d'autres établissements bancaires.

La banque réplique que le respect du délai de préavis de 60 jours suivant la dénonciation des concours exclut toute mise en oeuvre de sa responsabilité. Elle ajoute que la société Chaibi's ne justifie pas d'un quelconque préjudice dans la mesure où le préjudice lié à la recherche de nouveaux partenaires bancaires n'est pas indemnisable, dès lors que la banque a respecté les dispositions de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier.

Il ressort des dispositions de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier que :

'Tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. Dans le respect des dispositions légales applicables, l'établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l'entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers, ni lui être communiquées...'

Il est de jurisprudence en application de ces dispositions qu'une banque peut résilier unilatéralement une convention à durée indéterminée de compte courant, sauf à engager sa responsabilité en cas de rupture abusive ou brutale.

L'article 8.3.2 intitulé 'Résiliation avec préavis' des conditions générales de la convention d'ouverture de compte courant stipule que : 'La Banque aura la faculté, sans avoir à motiver sa décision, de résilier ou réduire l'autorisation de crédit à tout moment, sous réserve d'un délai de préavis de soixante jours, conformément aux dispositions de l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier. Le délai de préavis court à compter de la date d'envoi de la lettre de résiliation par la Banque. »

En l'espèce, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 30 juin 2020, la Banque Populaire Rives de [Localité 6] a notifié à la société Chaibi's qu'elle entendait clôturer ses comptes bancaires, sous un délai de 60 jours, de sorte que la banque a respecté le délai légal de préavis permettant à la société Chaibi's de prendre les dispositions nécessaires pour rechercher une nouvelle banque (pièce n° 3 de la société intimée).

Aucun abus de la banque dans l'exercice de son droit de rompre le concours consenti à la société appelante n'est donc caractérisé.

Il est par ailleurs de jurisprudence constante que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce relatives à la responsabilité encourue pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ne s'appliquent pas à la rupture ou au non-renouvellement de crédits consentis par un établissement de crédit à une entreprise, opérations exclusivement régies par les dispositions du code monétaire et financier (Com. 25 oct. 2017, n° 16-16.839 et 15 janv. 2020, n° 18-10.512).

Il en résulte que la société Chaibi's est mal fondée à se prévaloir, à titre subsidiaire, des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce pour voir engager la responsabilité de la banque à raison de la brutalité alléguée de la rupture de la relation commerciale entre les parties, sans qu'il soit nécessaire de rentrer dans le détail de leur argumentation sur ce point.

Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la société Chaibi's de ses demandes à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Il n'est pas établi que l'usage par la société Chaibi's d'une voie de recours soit constitutif d'un abus.

Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la banque de sa demande de dommages-intérêts sur ce fondement.

Sur les demandes reconventionnelles en paiement de la banque

La banque expose que la société Chaibi's est débitrice à son égard des sommes de 3 604,50 euros au titre d'un billet à ordre impayé à la date du 27 décembre 2021 outre intérêts au taux légal et de 3 340,31 euros au titre du solde débiteur de son compte courant n° [XXXXXXXXXX01] à la date du 2 novembre 2021 outre intérêts au taux conventionnel. Elle ajoute s'agissant de la contestation du solde débiteur du compte courant que celle-ci a été émise au delà du délai de 13 mois suivant la date du débit, de sorte que par application de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, ce moyen ne pouvait être retenu.

La société Chaibi's soutient n'être redevable d'aucune somme à l'égard de la Banque Populaire Rives de [Localité 6], car elle aurait perçu deux règlements de 2 580 euros et 6 536,36 euros crédités sur son compte courant les 29 octobre 2020 et 11 décembre 2020.

Il est constant qu'un billet à ordre a été établi au bénéficie de la banque d'un montant de 56 700 euros, lequel est resté impayé à son échéance.

La banque verse aux débats un duplicata de relevé du compte de l'appelante (pièce n° 10) qui mentionne des virements portés au crédit du compte les 6 novembre, 17 décembre et 23 décembre 2020 d'un montant respectif de 1 300 euros, 5 800 euros et 46 000 euros imputés sur les sommes dues au titre du billet à ordre, soit un solde débiteur de 3 600 euros.

C'est donc à juste titre que le tribunal a condamné la société Chaibi's au paiement de cette somme, le jugement étant confirmé de ce chef. Il sera en revanche infirmé en ce qu'il a écarté la demande de la banque en paiement de la somme de 4,50 euros au titre des intérêts au taux légal selon décompte de créance arrêté au 25 février 2022.

La société Chaibi's sera donc condamnée à payer à la Banque Populaire Rives de [Localité 6] la somme de 3 604,50 euros avec intérêt au taux légal à compter du 26 février 2022.

S'agissant des sommes dues au titre du solde débiteur du compte courant, il y a lieu de relever que les dispositions de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier invoquées par la banque au soutien de sa demande de forclusion de la contestation du solde débiteur du compte courant formée par l'appelante, concernent les opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées et ne s'appliquent pas par conséquent à la contestation du solde débiteur d'un compte courant.

La banque sera donc déboutée de sa demande tendant à voir constater la forclusion de la contestation de l'appelante.

La banque verse aux débats un duplicata de relevé de compte (pièce n° 11) qui mentionne au crédit du compte de la société Chaibi's les deux versements allégués d'un montant respectif de 2 580 euros du 29 octobre 2020 et 6 536,36 euros du 11 décembre 2020 et un solde débiteur de 3 340,31 euros au 2 novembre 2021.

La société Chaibi's n'alléguant, ni ne justifiant d'aucun autre versement au crédit de son compte et ne contestant pas de manière utile les frais de gestion facturés par la banque alors qu'il ressort du courrier précité du 10 juillet 2020 que la Banque Populaire Rives de [Localité 6] a accepté compte tenu de la spécificité des marchés en cours, de maintenir le compte de la société n° [XXXXXXXXXX01] ouvert dans ses livres pour recevoir les paiements des différents marchés en cours, sera condamnée au paiement de cette somme avec intérêts au taux contractuel à compter du 3 novembre 2021.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante sera donc condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, la société Chaibi's sera condamnée à payer la somme de 2 000 euros à la société Banque Populaire Rives de [Localité 6].

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Paris du 6 avril 2023 sauf sur le rejet partiel des demandes reconventionnelles de la banque ;

Statuant à nouveau des chefs de la décision infirmée,

DÉBOUTE la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] de sa demande tendant à voir constater la forclusion de la contestation du solde débiteur du compte courant de la société Chaibi's ;

CONDAMNE la société Chaibi's à payer à la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] la somme de 3 604,50 euros avec intérêt au taux légal à compter du 26 février 2022 au titre du billet à ordre impayé à son échéance ;

CONDAMNE la société Chaibi's à payer à la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] la somme de 3 340,31 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 3 novembre 2021 au titre du solde débiteur du compte courant n° [XXXXXXXXXX01] ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Chaibi's à payer à la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Chaibi's aux entiers dépens d'appel ;

REJETTE toute autre demande.

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