CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 mai 2025, n° 22/19908
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Phyto Plus (SARL)
Défendeur :
Frans Bonhomme (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemeand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Lllement, Me Marrié, Me Moisan, Me Vicaire, Me de Abreu
FAITS ET PROCÉDURE
La société Phyto Plus > 6 (ci-après, "la société Phyto Plus") a pour activité la recherche, le développement, la fabrication et la commercialisation de solutions d'assainissement.
La société Frans Bonhomme a pour activité la distribution spécialisée en solutions réseaux et canalisations pour les professionnels du bâtiment et des travaux publics.
Les parties sont entrées en relation commerciale en 2011, la société Frans Bonhomme distribuant les stations d'épuration conçues et développées par la société Phyto Plus à des clients professionnels du secteur du bâtiment et des travaux publics. Dans le cadre de ce partenariat les produits d'assainissement fournis par la société Phyto Plus étaient la microstation "Monobloc SBR" commercialisée jusqu'en 2017, la microstation " Stépurbio "lancée en janvier 2017 et le filtre compact "Stépurfiltre" lancé au second semestre 2017.
La relation commerciale était basée sur des conditions particulières de ventes de 2011 à 2013, puis encadrée par des conventions commerciales de 2014 à 2019.
Par lettre du 1er août 2019, la société Frans Bonhomme a notifié à la société Phyto Plus l'arrêt des relations commerciales au 1er mars 2020 au motif suivant :
"la poursuite des relations commerciales entre nos deux sociétés nous semble impossible, en raison notamment des incessants propos injurieux et malveillants et de déclaration mensongères et dénigrantes mises en 'uvre par la société Phyto Plus à l'encontre de la société Frans Bonhomme et de ses collaborateurs"
Par acte du 21 décembre 2020, la société Phyto Plus a assigné la société Frans Bonhomme devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir diverses sommes en réparation de préjudices subis du fait de diverses pratiques restrictives de concurrence.
Par jugement du 5 novembre 2021 du tribunal de commerce de Tarascon, la société Phyto Plus a été placée en sauvegarde judiciaire. Par jugement du 4 novembre 2022, le tribunal de commerce de Tarascon a arrêté un plan de sauvegarde.
Par jugement du 10 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- Débouté la SARL Phyto plus de sa demande faite à la SAS Frans Bonhomme de payer la somme de 6 806 800 euros en réparation du préjudice subi au visa de l'article L442-6 1 3°,
- Condamné la SAS Frans Bonhomme à verser à la SARL Phyto Plus la somme de 58 236' en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale, sans préavis, de leur relation commerciale établie depuis sept ans au visa de l'article L442 6 1 5°,
- Débouté la SARL Phyto Plus de sa demande faite à la SAS Frans Bonhomme de payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi au visa de l'article L442-6 1 4°,
- Débouté la SARL Phyto Plus de sa demande de mesures de publication judiciaire,
- Débouté la SAS Frans Bonhomme de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- Condamné la SAS Frans Bonhomme à verser à la SARL Phyto Plus la somme de 10 000' en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- Dit qu'il n'y a pas lieu à écarter l'exécution provisoire du présent jugement,
- Condamné la SAS Frans Bonhomme aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 71,35 ' dont 11,68 ' de TVA.
La société Phyto Plus a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 25 novembre 2022.
Par jugement du 5 avril 2024 du tribunal de commerce de Tarascon, la résolution du plan de sauvegarde a été prononcée et la société Phyto Plus a été placée en liquidation judiciaire et Me [G] [Z] a été désigné liquidateur judiciaire.
Par conclusions du 13 janvier 2025, Me [G] [Z] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Phyto Plus est intervenu volontairement aux fins de reprise de l'instance.
Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 6 février 2025, la société Phyto Plus et Me [G] [Z] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Phyto Plus demandent à la Cour :
Recevoir Maître [G] [Z], es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Phyto Plus > 6, en son intervention volontaire, lequel constitue par les présentes la SELARL BDL AVOCATS prise en la personne de Maître Fréderic Lallement et fait élection de domicile en son cabinet sis [Adresse 3] à [Localité 4],
Constater la reprise de l'instance,
Infirmer le jugement du 10 octobre 2022 du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il :
- Déboute la SARL Phyto Plus de sa demande faite à la SAS Frans Bonhomme de payer la somme de 6 806 800,00 euros en réparation du préjudice subi au visa de l'article L 442-6 I 3°,
- Condamne la SAS Frans Bonhomme à verser à la SARL Phyto Plus la somme de 58 236,00 ' en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale, sans préavis, de leur relation commerciale établie depuis sept ans au visa de l'article L.442 - 6 I 5°, déboutant la SARL Phyto Plus du surplus de sa demande de ce chef ;
- Déboute la SARL Phyto Plus > 6 de sa demande faite à la SAS Frans Bonhomme de payer la somme de 50 000,00 euros en réparation du préjudice subi au visa de l'article L.442-6 I 4°,
- Déboute la SARL Phyto Plus > 6 de sa demande de mesures de publication judiciaire,
- Déboute la SARL Phyto Plus > 6 de ses demandes autres, plus amples ou contraires.
Statuant à nouveau :
- Condamner la SAS Frans Bonhomme à verser à Maître [G] [Z], es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Phyto Plus et reprenant à son compte les prétentions de cette dernière, la somme de 6 806 800,00 euros en réparation du préjudice subi du fait de la violation de l'article L.442-6 I 3°ancien du code de commerce, outre intérêt légaux à compter de la mise en demeure et à tout le moins à compter de l'assignation, avec capitalisation annuelle ;
- Condamner la SAS Frans Bonhomme à verser à Maître [G] [Z], es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Phyto Plus et reprenant à son compte les prétentions de cette dernière, la somme de 741 759,80 euros en réparation du préjudice subi du fait de la violation de l'article L.442-6 I 5° ancien du code de commerce, outre intérêt légaux à compter de la mise en demeure et à tout le moins à compter de l'assignation, avec capitalisation annuelle ;
- Condamner la SAS Frans Bonhomme à verser à Maître [G] [Z], es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Phyto Plus et reprenant à son compte les prétentions de cette dernière, la somme de 50 000,00 euros en réparation du préjudice subi du fait de la violation de l'article L442-6 I 4° ancien du code de commerce, outre intérêt légaux à compter de la mise en demeure et à tout le moins à compter de l'assignation, avec capitalisation annuelle ;
- Ordonner la publication, dans trois (3) journaux, aux frais exclusifs de Frans Bonhomme qui devra faire l'avance des coûts de publication, dans la limite de dix mille euros (10 000,00 ') par insertion, sous astreinte de deux mille euros (2.000,00 ') par jour de retard, passé le délai de quinze (15) jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, d'un communiqué rédigé dans les termes qu'il lui plaira ;
- Débouter la SAS Frans Bonhomme de ses plus amples demandes ;
- Condamner la SAS Frans Bonhomme à verser à Maître [G] [Z], es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Phyto Plus > 6 et reprenant à son compte les prétentions de cette dernière, la somme de 30 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 4 février 2025, la société Frans Bonhomme demande à la Cour de :
' Sur l'article L.44é-6, I 3° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 10 octobre 2022 (RG n°20210000304) en ce qu'il déboute la société Phyto Plus de sa demande faite à Frans Bonhomme de payer la somme de 6 806 800 euros ;
En conséquence
- Dire et juger que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 3° du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, sont inapplicables en l'espèce ;
- Dire et juger que Phyto Plus n'a pas subi de préjudice au titre de l'article L. 442 6, I, 3° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016
- Débouter Phyto Plus de l'ensemble de ses demandes.
' Sur l'article L-442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 :
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 10 octobre 2022 (RG n°20210000304) en ce qu'il condamne Frans Bonhomme à verser à Phyto Plus la somme de 58 236 euros en réparation du préjudice résultant d'une rupture brutale sans préavis de leur relation commerciale établie depuis sept ans au visa dudit article ;
Statuant à nouveau :
- Dire et juger que la relation commerciale n'a pas été rompue brutalement par Frans Bonhomme, compte tenu du comportement brutal, déloyal et menaçant de Phyto Plus à l'égard de Frans Bonhomme et de ses salariés, un tel comportement justifiant une rupture sans aucun préavis ;
- A titre subsidiaire, dire et juger qu'en tout état de cause un préavis suffisant d'une durée de sept mois a bel et bien été accordé par Frans Bonhomme à Phyto Plus et qu'il a été intégralement compensé par l'indemnité de 86 090,26 euros spontanément versée par Frans Bonhomme, compte tenu de la marge perçue par Phyto Plus en 2019 ;
En tout état de cause,
- dire et juger que Phyto Plus ne peut donc revendiquer le moindre préjudice au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- Condamner solidairement Phyto Plus et Maître [G] [Z] ès qualités de liquidateur judiciaire de Phyto Plus à payer immédiatement à Frans Bonhomme la somme de 58 236 euros versée en application du jugement attaqué, auquel s'ajouteront les intérêts de retard avec capitalisation desdits intérêts à compter de la date du versement de ces sommes par Frans Bonhomme ;
- Débouter Phyto Plus de l'ensemble de ses demandes.
'Sur l'article L.442-6, I, 4° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 :
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 10 octobre 2022 (RG n°20210000304) en ce qu'il déboute Phyto Plus de sa demande de payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi ;
En conséquence,
- Juger que les conditions de l'article L. 442-6, I, 4° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 ne sont pas réunies ;
- Juger que Phyto Plus n'a pas subi de préjudice au titre de l'article L. 42-6, I, 4° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- Débouter Phyto Plus de l'ensemble de ses demandes.
Et en tout état de cause :
- Débouter Phyto Plus de sa demande de mesures de publication d'un communiqué;
- Débouter Phyto Plus de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner solidairement Phyto Plus et Maître [G] [Z] ès qualités de liquidateur judiciaire de Phyto Plus pour procédure abusive à une amende civile dont la Cour déterminera le montant, et à des dommages et intérêts à verser à Frans Bonhomme à hauteur de 1 euro symbolique, en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
- Condamner solidairement Phyto Plus et Maître [G] [Z] ès qualités de liquidateur judiciaire de Phyto Plus à verser la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 février 2025.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I- Sur l'intervention volontaire
Par jugement du 5 avril 2024 du tribunal de commerce de Tarascon, la société Phyto Plus a été placée en liquidation judiciaire et Me [G] [Z] a été désigné liquidateur judiciaire.
Dès lors, il convient de déclarer recevable son intervention volontaire.
II- Sur la demande au titre de l'obtention d'un avantage non assorti d'un engagement écrit de commandes (L. 442-6, I, 3° ancien du code de commerce)
Exposé des moyens,
Au soutien de son appel, la société Phyto Plus prise en la personne de son liquidateur fait valoir que l'article L. 442-6 I 3° ancien du code de commerce permet selon la jurisprudence de sanctionner les abus des opérateurs qui profitent de leur position dominante pour imposer des conditions disproportionnées à leurs cocontractants sans s'engager sur un volume écrit de commandes correspondant. Elle expose que début janvier 2016, la société Frans Bonhomme souhaitait diversifier ses fournisseurs de sa filière " compacte" afin de cesser sa dépendance à la société Premier Tech Aqua, leadeur sur le marché, et renforcer son pouvoir de négociation à l'égard de celle-ci. C'est dans ces circonstances qu'elle dit être entrée en étroite collaboration avec la société Frans Bonhomme pour développer un " filtre compact nouvelle génération Stepurt " répondant à des caractéristiques techniques spécifiques imposées par cette dernière. Elle explique que la société Frans Bonhomme lui avait annoncé des prévisionnels de commande à 2 000 filtres la première année pour atteindre 4 000 filtres au bout de quatre années. Dans cette perspective de commande, elle explique s'être lancée dans le développement de ce produit, avec des investissements en conception à hauteur de 426 988 euros HT et l'achat d'un deuxième moule à hauteur de 70 800 euros pour répondre au volume attendu et ce moyennant un prêt auprès de BPI France. Elle précise que dès 2018, une commande de 2 000 piècesStépurfiltre était attenduede la société Frans Bonhomme, ce qui était réaliste et envisageable puisqu'en trois mois, fin 2017 au lancement du produit, 104 exemplaires étaient déjà commandés. Toutefois, elle devait constater par la suite que la société Frans Bonhomme baissait drastiquement son niveau de commande de ce produit Stépurfiltre, pour se limiter à 103 unités en 2018 et seulement 18 unités en 2019. Elle soutient que malgré ses demandes répétées, la société Frans Bonhomme n'a jamais régularisé d'engagement écrit sur un volume d'achat conforme à ce qui avait été promis et proportionné à l'avantage obtenu, à savoir la mise sur le marché d'un produit en tous points conforme aux demandes spécifiques de la société Frans Bonhomme.
La société Phyto Plus estime son préjudice de perte de chance à la somme de 6 806 800 euros (50% de probabilité de l'évènement favorable x (11500 filtres promis - 225 filtres commandés réellement) x prix unitaire de 3 080 euros HT x 48,36 % de taux de marge sur coûts variables).
En réponse, la société Frans Bonhomme fait valoir que l'article L. 442-6 I 3° ancien du code de commerce suppose trois conditions cumulatives (i) l'obtention (ou tentative) d'un "avantage", (ii) un avantage obtenu en tant que condition préalable à toute passation de commande (iii) un avantage non assorti d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné ou d'un service demandé par le fournisseur sur la base d'un accord écrit. Elle soutient que ces conditions ne sont pas remplies en l'espèce.
La société Frans Bonhomme expose que l'objectif visé par le texte était d'imposer systématiquement un engagement sur un volume d'achat en contrepartie d'un avantage de référencement et ce en vue de lutter contre les chantages au référencement. A cet effet, elle relève que la société Phyto Plus était déjà référencée pour ses produits par la société Frans Bonhomme depuis 2011, l'avantage allégué ne pouvait donc en aucun cas constituer une condition préalable à la passation de commande. Même selon une conception large de la notion "d'avantage", la société Frans Bonhomme fait valoir qu'elle n'a jamais été à l'origine de la conception du produit Stépurfiltre et qu'elle a encore moins imposé un cahier des charges techniques. Elle relève que ce produit constituait un objectif de la société Phyto Plus fixé par elle-même pour répondre aux besoins du marché et qui avait été créé et finalisé avant fin 2016, soit bien avant le courriel du 12 juillet 2017 de la société Frans Bonhomme présenté comme un " cahier des charges " et intervenu quelques semaines à peine avant le lancement du produit et après le dépôt du brevet. La société Frans Bonhomme précise que ce courriel ne visait qu'à rappeler des arguments techniques et fonctionnels de vente et à apporter des améliorations esthétiques et logistiques notamment afin de faciliter le stockage. Enfin, il est soutenu que la société Frans Bonhomme n'a formulé aucun engagement oral de volume de commandes, qu'aucun accord écrit n'a été conclu ni même envisagé entre les parties. Selon elle, cette procédure est le résultat d'un fournisseur déçu des piètres performances commerciales du produit qu'il avait librement imaginé, développé et conçu.
Réponse de la Cour,
L'article L.442-6, I, 3° dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 dispose que :
I.Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers:
(')
3° D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit;
Le jugement par des motifs pertinents, qui ne sont pas utilement contredits à hauteur d'appel par les pièces et moyens de la société Phyto Plus prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et que la Cour adopte, a considéré que les conditions d'application de l'article L. 442-6, I, 3° du code de commerce ne sont pas réunies pour engager la responsabilité de la société Frans Bonhomme. Il a notamment relevé qu'il n'était ni démontré au vu des pièces produites que le produit Stépurfiltre avait été défini et élaboré sur la base d'un cahier des charges imposé par la société Frans Bonhomme, ni que cette dernière, au-delà de l'intérêt porté sur ce produit pour diversifier son catalogue, s'était engagée même oralement sur un volume de commandes.
La Cour ajoute qu'il ressort clairement des pièces versées aux débats par la société Frans Bonhomme (pièces n° 14, 42, 23, 5 et 50) que le produit Stépurfiltre avait été conçu et développé à l'initiative de la société Phyto Plus pour répondre aux besoins du marché, avec des premières ébauches en 2012, avec un dépôt de marque en 2014, l'obtention d'un prêt auprès de la BPI en février 2016 et la demande d'un agrément ministériel demandé en 2016 et obtenu le 24 août 2017. Toutes ces étapes sont reprises dans un courrier de la société Phyto Plus du 18 septembre 2018 adressé au nouveau président de la société Frans Bonhomme. Aussi, les spécifications techniques reprises dans un courriel du 17 juillet 2017 de la société Frans Bonhomme et décrites en pièce 43 de la société Phyto Plus, non seulement ne sont intervenues qu'après la phase de conception et de développement du produit initiée par la société Phyto Plus, mais encore ne concernent que des améliorations techniques secondaires pour faciliter le transport et le stockage en entrepôt du produit et son utilisation pour l'installateur ou le consommateur final. Ce produit Stépurfiltre a bien fait l'objet de commandes de la part de la société Frans Bonhomme dès la fin de l'année 2017 (103 unités) et qui se sont poursuivies sur l'année 2018 (103 unités).
Il s'ensuit qu'il n'est pas établi l'existence d'un "avantage" exigé par la société Frans Bonhomme à la société Phyto Plus avant toute commande du produit litigieux, en sorte que les conditions d'application de l'article L. 442-6, I, 3° du code de commerce ne sont pas réunies.
En réalité, la société Phyto Plus prise en la personne de son liquidateur déplore que le volume de commande réellement effectué par la société Frans Bonhomme pour le produit Stépurfiltre soit bien inférieur à ses "engagements oraux", ce qui même a supposé établi, n'entre pas dans les prévisions de l'article précité.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Phyto Plus de ce chef de préjudice.
III- Sur les demandes au titre d'une rupture brutale de la relation commerciale
Exposé des moyens,
La société Phyto Plus prise en la personne de son liquidateur expose qu'elle entretenait depuis 2011 une relation commerciale établie avec la société Frans Bonhomme, en ce que cette relation était stable et habituelle, générant un chiffre d'affaires de plus 9 702 345 euros HT représentant plus de 50% de son chiffre d'affaires global. Elle précise que cette collaboration a trouvé son point d'orgue dans la création et le développement du produit Stépurfiltre à la demande de la société Frans Bonhomme et l'investissement de plus de 426 988 euros qui en est résulté. Elle en déduit qu'elle ne pouvait qu'anticiper pour l'avenir une continuité du flux d'affaires avec cette dernière. Ensuite, elle explique qu'en 2018 le volume habituel de commandes a diminué de plus de 50 % par rapport à 2017, alors même que le nouveau produit le Stépurfiltre avait été lancé. Selon elle, cette baisse de commande ne peut se justifier par le sur stockage des produits ou par le désintérêt des clients pour les produits de la société Phyto Plus, mais uniquement par la volonté de la société Frans Bonhomme de s'approvisionner chez un autre fournisseur. Elle soutient que l'envoi de la lettre de "résiliation" du 1er août 2019 a été de pure forme pour se prémunir du grief de rupture brutale, alors que le contrat était rompu depuis plus d'un an en diminuant radicalement les commandes et en ne respectant pas ses promesses de volume de commandes. Elle en déduit, dans ces circonstances, une rupture brutale de la relation commerciale sans préavis.
Elle soutient, en outre, qu'elle n'a commis aucune faute justifiant une rupture sans préavis de la relation commerciale. Selon elle, la société Frans Bonhomme ne démontre pas que la société Phyto Plus a été menaçante ou insultante à l'égard des salariés de la société Frans Bonhomme. En tout état de cause, elle relève que la majorité des faits allégués a eu lieu postérieurement à la rupture des relations commerciales, ce qui ne permet pas de les prendre en compte pour justifier la rupture brutale de la relation.
La société Phyto Plus prise en la personne de son liquidateur judiciaire sollicite la réformation du jugement en ce qu'il a limité à la somme de 58 236 euros l'indemnisation de son préjudice lié à la rupture brutale de la relation commerciale établie. Elle soutient que la durée de préavis raisonnable que la société Frans Bonhomme devait respecter était de 12 mois, et non 7 mois comme retenu par le tribunal. Elle fait valoir que le chiffre d'affaires généré par cette relation commerciale représentait plus de 50 % de son chiffre d'affaires global depuis près de 7 années, et que compte tenu de la position de leader français sur le marché de la distribution spécialisée en travaux public, aménagement extérieur et assainissement non collectif " de la société Frans Bonhomme, il lui était impossible de retrouver un partenaire offrant les mêmes opportunités commerciales. Elle ajoute qu'elle a tout fait pour satisfaire ce distributeur exigeant et en lui consacrant des investissements importants tant humains que financiers. Elle soutient que l'interruption des commandes de la part de la société Frans Bonhomme a généré une profonde désorganisation de son activité qui l'a conduit à sa liquidation judiciaire. Elle rappelle avoir engagé d'importants investissements pour la conception et le développement du produit Stépurfiltre qu'elle a été dans l'incapacité d'amortir à la suite de la rupture brutale de la relation commerciale.
Elle sollicite l'indemnisation d'une perte de marge sur coûts variables sur 12 mois de préavis éludé à hauteur de 575 501,06 euros, dont à déduire la somme de 86 090,26 euros versée par la société Frans Bonhomme. Elle fait état d'un taux de marge sur coûts variables à hauteur de 48,36 % et d'une moyenne annuelle de chiffre d'affaires de 1 190 035,27 euros calculée sur toute la durée de la relation commerciale compte tenu de la variation du flux d'affaires.
Elle réclame en outre l'indemnisation des investissements non amortis pour la conception et le développement du produit Stépurfiltre à hauteur de 192 349 euros HT, ces investissements ayant été faits dans l'unique but d'adapter ce produit aux demandes et besoins de la société Frans Bonhomme. Elle soutient que privée de ce préavis, elle a été désorganisée et n'a pu commencer à commercialiser ce produit auprès d'autres distributeurs qu'en 2020. En outre en perspective des commandes promises de la société Frans Bonhomme, elle a augmenté sa masse salariale qu'elle a été dans l'obligation de licencier en octobre 2018 et demande une indemnisation à hauteur de 10 000 euros.
Enfin, elle fait état d'un préjudice moral à hauteur de 50 000 euros résultant de la désorganisation de son activité à la suite de la rupture brutale de la relation commerciale et du comportement déloyal de la société Frans Bonhomme, et s'y ajoutant une détresse morale de ses représentants.
En réponse, la société Frans Bonhomme fait d'abord valoir qu'il n'y pas eu de rupture de la relation commerciale établie en 2018. Elle précise que le niveau des achats en 2018 n'était pas anormal au regard de l'historique de la relation, et que la baisse constatée en 2018 par rapport à 2017 fait suite à un surstockage réalisé en 2017 du fait du lancement de deux nouveaux produits Phyto Plus (Stepurbio et Stepurfiltre). Elle soutient en outre qu'elle a eu des difficultés pour écouler les produits Phyto Plus en 2018, et qu'ainsi sur 210 unités achetées, elle n'a pu en vendre que 110 soit 100 unités non vendues pour une valeur de 255 214 euros.
Ensuite la société Frans Bonhomme fait valoir qu'il est justifié qu'il soit mis fin à la relation commerciale sans préavis compte tenu du comportement de la société Phyto Plus rendant impossible le maintien de la relation commerciale. Elle relève que la société Phyto Plus était un partenaire difficile et instable, multipliant les courriers recommandés chargés de menaces au lieu de privilégier les discussions commerciales. Elle explique avoir été destinataire de 8 courriers entre septembre et novembre 2018 auxquels elle a répondu, et qu'ensuite l'un de ses salariés a été insulté par un message écrit du 10 mai 2019. Décidant de protéger ses collaborateurs, elle explique avoir envoyé le courrier de résiliation le 1er août 2019.
En toute état de cause, elle estime que la rupture de la relation commerciale n'a pas été brutale puisqu'elle a accordé un préavis de 7 mois aux termes de son courrier et qu'elle a indemnisé à hauteur de 86 090,26 euros pour tenir compte de la baisse du chiffre d'affaires constatée sur cette période de préavis.
La société Frans Bonhomme conteste les modalités de calcul du préjudice de la société Phyto Plus. Elle considère que pour calculer la moyenne de chiffre d'affaires et de taux de marge, il convient de prendre en compte uniquement les trois dernières années et non l'ensemble de la relation commerciale. En outre, le taux de marge sur coûts variables avancé par la société Phyto Plus est erroné car il correspond à la marge brute. Dès lors, le taux de marge moyen à retenir est de 24, 20% après déduction des frais de sous-traitance et de déplacement. Par ailleurs, il est nécessaire de tenir compte de la poursuite des relations d'affaires en 2019, à hauteur de 182 066,83 euros. La société Frans Bonhomme souligne qu'en tout état de cause, le préavis de sept mois a constitué un préavis suffisant intégralement compensé par la somme de 86 090,26 euros. Elle ajoute que les investissements, en question, ne sont pas spécifiques à la relation commerciale ayant existé entre les deux parties. En outre, les pertes alléguées relativement aux investissements réalisés par la société Phyto Plus sont liées à la rupture elle-même et non à la brutalité de celle-ci. Enfin, selon elle, les coûts de licenciement ne sont pas indemnisables et qui par ailleurs ne sont pas justifiés.
Réponse de la Cour,
L'article L.442-1 II du code de commerce dispose que :
II- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."
Les parties ne contestent pas le caractère établi de la relation commerciale nouée entre elles depuis 2011 au sens des dispositions précitées. En revanche, elles s'opposent sur la date de rupture et la brutalité de celle-ci.
- Sur la date de rupture :
La société Phyto Plus invoque une rupture de la relation commerciale en 2018 du fait de la diminution de plus de 50% du volume de commandes par rapport à 2017, alors même que le nouveau produit le Stépurfiltre avait été lancé.
Les chiffres d'affaires HT réalisés par la société Phyto Plus avec la société Frans Bonhomme depuis le début de la relation sont les suivants :
S'il est constant que le chiffre d'affaires réalisé en 2018 est près de la moitié de celui réalisé en 2017, force est de constater qu'il demeure supérieur à celui réalisé en 2016 et que globalement la relation commerciale a généré des chiffres d'affaires très variables d'une année sur l'autre.
Il est produit pour la société Phyto Plus un état des commandes pour des " filtres " d'octobre 2017 à février 2019 (pièce n°36) mais qui ne permet pas de comparer le montant des commandes de l'ensemble des produits Phyto Plus par la société Frans Bonhomme sur plusieurs années et apprécier le caractère significatif de la baisse de commande en 2018 par rapport aux années 2015 à 2017, étant par ailleurs observé que le nouveau filtre Stépulfiltre a été lancé fin 2017.
En l'état, il n'est pas démontré de rupture de la relation commerciale établie entre les parties en au cours de l'année 2018.
Il convient dès lors de retenir comme point de départ du préavis écrit, au sens du texte précité, le courrier du 1er août 2019 de la société Frans Bonhomme notifiant à la société Phyto Plus l'arrêt de la relation commerciale au 1er mars 2020.
- Sur la faute grave alléguée par la société Frans Bonhomme
Si la société Frans Bonhomme était libre mettre fin à sa relation commerciale avec la société Phyto Plus, qu'elle considérait comme un partenaire " difficile et instable ", elle ne justifie cependant pas de l'existence d'une faute grave de ce dernier permettant de rompre cette relation commerciale établie sans préavis.
D'abord, si les courriers envoyés par la société Phyto Plus courant 2018 ont été nombreux, la teneur de ceux-ci démontrait les grandes inquiétudes de celle-ci face aux ventes décevantes de ses produits et en particulier le produit Stépurfiltre, sans pour autant contenir des propos menaçants ou insultants. D'ailleurs par courrier du 8 novembre 2018 la société Frans Bonhomme (pièce n°22) confirmait à la société Phyto Plus sa volonté de poursuivre la relation commerciale "dans le cours normal des relations actuelles et en considération des performances commerciales des produits Phyto-Plus dans les points de vente Frans Bonhomme et de la demande de la clientèle.'
Ensuite, la société Frans Bonhomme fait état d'un message vocal de la part d'un représentant de Phyto Plus fait à l'un de ses collaborateurs le 10 mai 2019 et comprenant des propos outranciers (constaté par PV d'huissier pièce n°23). Ce seul message, dont l'identité de l'auteur n'est pas suffisamment certaine, ne peut constituer une faute grave de nature à fonder la rupture de la relation commerciale sans préavis. D'ailleurs dans sa lettre de rupture du 1er août 2019, la société Frans Bonhomme si elle fait état de propos injurieux expliquant cette rupture, elle n'a pas entendu se prévaloir d'une rupture immédiate mais d'un arrêt des relations commerciales plus de 6 mois après au 1er mars 2020 et d'une poursuite de celles-ci jusqu'à cette date.
Il n'est donc pas démontré de la part de la société Frans Bonhomme de faute suffisamment grave de la part de la société Phyto Plus pour justifier une rupture de la relation commerciale établie sans préavis.
- Sur le délai de préavis nécessaire
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
En l'espèce, la relation commerciale nouée entre les parties était établie depuis 2011, soit plus de 7 années au 1er août 2019.
Il n'est pas contesté que cette relation commerciale générait pour la société Phyto Plus un chiffre d'affaires représentant en moyenne plus de 50% de son chiffre d'affaires total, et près de 70% sur les années 2013 à 2015 (pièces n° 9 à 11).
La société Phyto Plus justifie en outre qu'au moment de la notification de la rupture, la société Frans Bonhomme était le leader Français de la distribution spécialisée en travaux publics, aménagement extérieur, assainissement non collectif et bâtiment, et le premier distributeur en France de solutions d'assainissement non collectif (pièces n°3 à 6, 40 et 41).
Aussi, la société Phyto Plus n'avait pas la possibilité pour la réorganisation de son activité de retrouver un partenaire offrant les mêmes opportunités commerciales dans ce secteur d'activité spécialisé.
Dans ces circonstances, la Cour fixe le préavis nécessaire à 12 mois.
- Sur l'évaluation du préjudice :
Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la perte de marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis éludé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (en ce sens Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940 publié).
S'agissant d'abord du calcul de la moyenne annuelle de chiffre d'affaires HT généré par la relation commerciale, compte tenu de la variabilité constatée de cette relation, il y a lieu de prendre en compte les 4 années précédant la rupture, soit les années 2015 à 2018. La moyenne annuelle sur cette base s'établit à 683 496 euros.
S'agissant du taux de marge à retenir, il ressort des pièces produites par la société Phyto Plus (pièces n° 38 et 46) que la moyenne de la marge commerciale brute sur les années 2015 à 2018 est de 40, 72 %. Comme le souligne la société Frans Bonhomme le calcul de cette marge commerciale ne prend en compte aucuns des coûts évités du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture de la relation commerciale avec la société Frans Bonhomme, tels que les frais de sous-traitance ou de déplacements (pièce Frans Bonhomme n° 39) étant observé que cette relation générait plus de la moitié du chiffre d'affaires total de la société Phyto Plus. Dans ces conditions, la Cour retient pour le calcul du préjudice une marge sur coûts variables évaluée à 35%.
A partir de ces bases de calcul, le montant de la marge annuelle moyenne sur coûts variables s'élève à la somme arrondie de 239 224 euros. Il convient de déduire la somme de 86 090,26 euros versée en compensation du préavis de 7 mois non effectif par la société Frans Bonhomme, outre les facturations (pièce n° 11 Phyto Plus) de septembre 2019 (4778,4 '), octobre 2019 (1118,4 '), novembre 2019 (1578 '), soit une perte de marge de 145 658,94 euros sur le préavis éludé de 12 mois.
En conséquence le jugement sera infirmé sur le montant du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie et la société Frans Bonhomme sera condamnée à verser à la société Phyto Plus la somme de 145 658,94 euros à titre de dommages-intérêts en compensation de la perte de marge sur le préavis éludé.
Aux motifs qui précèdent, la Cour a constaté qu'il n'était pas démontré que les investissements pour le développement du produit Stépurfiltre avaient été faits par la société Phyto Plus conformément à une demande spécifique de la société Frans Bonhomme, ni que la conception de ce produit répondait à des exigences tehniques de la part de cette dernière autres que des adaptations mineures d'entreposage.
Dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Phyto Plus de sa demande d'indemnisation de ce chef de préjudice.
S'agissant de la demande au titre du coût des licenciements liés à la rupture, la Cour constate d'abord que pas plus qu'en première instance, il n'est justifié pour la société Phyto Plus de la cause et du coût des licenciements allégués. En outre, il n'est pas non plus démontré que les difficultés financières de la société Phyto Plus ayant conduit à sa déconfiture ont directement résulté de la brutalité de rupture, intervenue en août 2019, étant observé que cette dernière n'a été placée en sauvegarde judicaire que le 5 novembre 2021, puis a bénéficié d'un plan de sauvegarde en novembre 2022 et n'a été placée en liquidation judiciaire qu'en avril 2024. Dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Phyto Plus de sa demande de ce chef de préjudice.
Enfin sur la demande au titre d'un préjudice moral, outre le fait qu'il n'est pas démontré de relation directe entre la brutalité de la rupture de la relation commerciale liée à une insuffisance de préavis et la déconfiture de la société Phyto Plus intervenue en avril 2024, cette dernière ne justifie pas non plus d'un préjudice distinct de celui indemnisé au titre de la perte de marge sur le préavis éludé. Dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Phtyo Plus de sa demande au titre de ce chef de préjudice.
IV- Sur l'obtention alléguée, sous la menace d'une rupture brutale des relations, de conditions de prix manifestement abusives (art. L. 442-6 I, 4° anc., c. com.)
Exposé des moyens,
La société Phyto Plus soutient que la société Frans Bonhomme a imposé l'augmentation de sa rémunération à Phyto Plus sous peine d'arrêter toute commande. Elle explique que la société Frans Bonhomme a utilisé le refus de Phyto Plus de faire droit à sa demande de porter sa rémunération à 15% comme un prétexte lui permettant de justifier sa décision de rompre brutalement les relations commerciales, laquelle avait déjà été prise plusieurs mois auparavant. Dès lors, elle demande la condamnation de la société Frans Bonhomme à 50 000 euros.
La société Frans Bonhomme répond que cette demande est infondée et qu'à l'appui de ses allégations, la société Phyto Plus ne produit que des preuves établies par elle-même. Elle explique que les remises prévues dans la convention annuelle sont la contrepartie de services accordés par Frans Bonhomme à ses fournisseurs et que celles-ci ne peuvent être figées dans le temps. Elle insiste sur le fait que la négociation des différentes conventions annuelles n'est en rien l'élément qui a conduit à la rupture de la relation commerciale, mais bien le comportement déloyal et brutal de Phyto Plus qui a rendu toute relation commerciale définitivement impossible.
Réponse de la Cour,
L'article L.442-6 I, 4° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 dispose que :
I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ;
Si la société Phyto Plus produit diverses pièces (pièces n°7, 8, 25 et 29) mettant en évidence que depuis 2011 les remises étaient de l'ordre de 5 à 8% par gamme de produits, alors que pour l'année 2019 la demande de la société Frans Bonhomme a été de 15% pour l'ensemble de la gamme négociée à 10% par la société Phyto Plus, ces seuls éléments ne permettent pas d'établir le caractère " manifestement abusif " de ces conditions de remises. Par ailleurs, les pièces produites (notamment l'attestation en pièce 29) sont insuffisantes pour démontrer une absence de négociation possible de la part de la société Phyto Plus et d'une menace de rupture brutale de la part de la société Frans Bonhomme à défaut d'acceptation des conditions de remises.
Au surplus, la société Phyto Plus n'apporte aucun élément étayant sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 50 000 euros.
Dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Phyto Plus de sa demande de ce chef de préjudice.
V- Sur les mesures de publication judiciaire
Exposé des moyens,
La société Phyto Plus soutient que la publication d'une décision en matière de pratique restrictives de concurrence est systématique en application de l'article L. 442-6 III ancien du code de commerce, elle n'est notamment pas subordonnée à la démonstration d'un préjudice.
Elle demande que soit ordonnée la publication, dans trois (3) journaux, aux frais exclusifs de Frans Bonhomme qui devra faire l'avance des coûts de publication, dans la limite de dix mille euros (10 000,00 ') par insertion, sous astreinte de deux mille euros (2 000,00 ') par jour de retard, passé le délai de quinze (15) jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, d'un communiqué rédigé dans les termes qu'il lui plaira ;
La société Frans Bonhomme répond que les dispositions de l'article L. 442-6 III ancien du code de commerce sont inapplicables car l'assignation devant le tribunal a été introduite postérieurement à l'ordonnance du 24 avril 2019. En outre, la société Frans Bonhomme soutient qu'une telle publication n'a d'ailleurs plus besoin d'être ordonnée puisque désormais les décisions de cour d'appel sont systématiquement publiées et accessibles en open data.
Réponse de la Cour,
L'article L.442-4 II (ancien L.442-6 III) du code de commerce dispose que la juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
En application de ce texte, il sera ordonné la publication sur le site internet de la société Frans Bonhomme https://www.fransbonhomme.fr dans les conditions prévues au dispositif de l'extrait suivant du présent arrêt :
"Par arrêt du 14 mai 2025 la cour d'appel de Paris a condamné la société FRANS BONHOMME à verser des dommages-intérêts à la société PHYTO PLUS > 6 pour rupture brutale de leur relation commerciale établie sur le fondement de l'article L.442-1 II du code de commerce. "
Il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte.
Le jugement sera infirmé de ce chef de demande.
VI- Sur les demandes de la société Frans Bonhomme d'amende civile et de dommages-intérêts pour procédure abusive
Compte tenu du sens de la décision rendue, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 32-1 du code de procédure civile et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Frans Bonhomme de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
VII- Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Frans Bonhomme aux dépens de première instance et à payer à la société Phyto Plus la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Frans Bonhomme succombant partiellement en appel, sera condamnée aux dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Frans Bonhomme sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Phyto Plus prise en la personne de son liquidateur judiciaire la somme de 10 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour seulement en ce qu'il a :
- Condamné la société Frans Bonhomme à verser à la société Phyto Plus >6 la somme de 58 236 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale, sans préavis, de leur relation commerciale établie depuis sept ans au visa de l'article L.442-6, I 5° ;
- Débouté la société Phyto Plus >6 de sa demande de mesures de publication judiciaire ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne la société Frans Bonhomme à payer à la société Phyto Plus >6 prise en la personne de son liquidateur judiciaire la somme de 145 658,94 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Ordonne la publication de l'extrait suivant du présent arrêt :
"Par arrêt du 14 mai 2025 la cour d'appel de Paris a condamné la société FRANS BONHOMME à verser des dommages-intérêts à la société PHYTO PLUS > 6 pour rupture brutale de leur relation commerciale établie sur le fondement de l'article L.442-1 II du code de commerce"
Sur le site internet https://www.fransbonhomme.fr de la société Frans Bonhomme pendant une durée de 15 jours, à compter de la première mise en ligne devant intervenir dans un délai de 5 jours à compter de la présente décision ;
Qu'il sera procédé à cette publication en partie supérieure de la page d'accueil du site de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, sur tous formats de lecture, en police de caractères "times new roman"de taille "14", de couleur noire sur fond blanc, dans un encadré de 468x120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre "COMMUNICATION JUDICIAIRE" en lettres capitales de "taille18" ;
Condamne la société Frans Bonhomme aux dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Frans Bonhomme et la condamne à verser à la société Phyto Plus >6 prise en la personne de son liquidateur judiciaire la somme de 10 000 euros ;