CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 14 mai 2025, n° 24/10621
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Immobiliere Avanty (SCI)
Défendeur :
Avanty (SELAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Valay-Briere
Conseillers :
Mme Moreau, Mme Cochet
Avocats :
Me Renaud, Me Yon
***
La Selas Avanty ayant son siège social à [Adresse 8] et [Adresse 1], a été créée en 2018 par MM. [H] [W], président et associé majoritaire, [J] [Z], chacun co-gérants, la société Spfpl [J] [Z] dont M. [Z] est président et associé unique, et Mme [F] [P], avocats inscrits au barreau de Paris.
La Sci Immobilière Avanty, créée le 25 octobre 2021 entre les mêmes associés, outre la société FW Invest ayant pour associé unique et président M. [H] [W], a pour objet, notamment, l'acquisition ou la cession sous toutes ses formes, la propriété, l'exploitation, la gestion, l'administration, par bail ou autrement de tous immeubles bâtis ou non bâtis, droits immobiliers urbains ou moraux. Elle a pour co-gérants MM. [W] et [Z]. Mme [F] [P] a exercé son droit de retrait début 2022.
Le 10 juin 2022, la Sci Immobilière Avanty, représentée par M. [W], a signé un compromis de vente en vue de l'acquisition d'un immeuble situé [Adresse 2] comprenant notamment, au rez-de-chausée, un local à usage commercial, et dans le bâtiment A, un appartement au premier étage et un appartement au second étage.
Le 14 octobre 2022, la Sci Immobilière Avanty représentée par M. [J] [Z] et la Selas Avanty représentée par M. [H] [W] ont conclu un bail commercial portant sur cet immeuble aux fins d'exploitation des locaux à usage de bureaux, sous condition suspensive d'acquisition de cet immeuble au plus tard le 31 décembre 2022.
L'acte réitératif de vente de l'immeuble a été conclu le 22 novembre 2022.
Les relations des associés se sont fortement dégradées.
Par sms du 3 mars 2023, M. [W] a indiqué 'compte tenu de la direction dans laquelle nous allons probablement nous engager, il est donc, de toute première intention pertinent d'abandonner les projets d'extension à [Localité 9]'.
M. [Z] ainsi que la Sfpfl [J] [Z] se sont retirés de la Selas Avanty le 17 avril 2023.
Lors de l'assemblée générale de la Selas Avanty du 27 juin 2023, M. [W] a refusé de soumettre le bail commercial à la procédure des conventions règlementées.
A la suite de plusieurs mises en demeure infructueuses adressées par la Sci Immobilière Avanty, représentée par M. [Z], à la Selas Avanty aux fins de règlement des loyers, la Sci Immobilière Avanty a adressé une demande d'arbitrage du litige par le bâtonnier, par courriel du 12 décembre 2023, aux fins de condamnation solidaire de la Selas Avanty et de M. [W] au paiement du dépôt de garantie et des loyers échus et impayés.
Le 29 décembre 2023, la Selas Avanty a notifié à la Sci Immobilière Avanty la résolution unilatérale du bail commercial à ses torts exclusifs pour défaut d'exécution de ses engagements contractuels.
Le 5 avril 2024, la Sci Immobilière Avanty représentée par M. [Z] a signifié à la Selas Avanty un commandement de payer visant la clause résolutoire.
Le bâtonnier n'ayant pas statué dans le délai imparti par l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, la Sci Immobilière Avanty représentée par M. [Z] a formé une saisine directe de la cour le 10 mai 2024.
L'affaire, audiencée le 14 décembre 2024, a fait l'objet d'un renvoi contradictoire au 12 mars 2025 à la demande de la Sci Immobilière Avanty représentée par M. [Z].
Par acte du 7 mars 2025, M. [J] [Z] et la Spfpl [J] [Z] devenue Spfpl Ternes participations sont intervenus volontairement à la procédure sur le fondement de l'action ut singuli.
La demande de renvoi formée par M. [J] [Z] et la Spfpl Ternes participations, à laquellle se sont opposés la Selas Avanty et M. [W], a été rejetée compte tenu du respect du principe du contradictoire et du caractère oral de la procédure permettant le cas échéant aux parties de répliquer aux pièces communiquées.
Selon son acte de saisine développé oralement à l'audience, la Sci Immobilière Avanty prise en la personne de son gérant [J] [Z] demande à la cour de :
- déclarer recevables ses demandes,
- condamner in solidum la Selas Avanty et M. [H] [W] à lui régler, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, le loyer (sic) prévu par le bail du 14 octobre 2022 :
- le dépôt de garantie : 20 000 euros,
- le loyer du 4ème trimestre 2022 : 8 000 euros,
- les loyers des 1er, 2eme, 3eme et 4ème trimestres 2023 : 96 000 euros,
- les intérêts échus : 2 711, 01 euros,
- ordonner la révocation de M. [H] [W] en tant que gérant de la Sci Immobilière Avanty,
- condamner in solidum la Selas Avanty et M. [W] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner in solidum la Selas Avanty et M. [W] aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées en temps utiles, déposées et visées par le greffe le 12 mars 2025 et développées oralement, la Selas Avanty prise en la personne de ses représentants légaux et M. [H] [W] demandent à la cour de :
à titre principal, in limine limitis,
- déclarer irrecevables les demandeurs en ce compris l'action ut singuli de M. [Z] et de sa Spfpl,
subsidiairement, au fond,
- déclarer la nullité de l'acte de saisine, [J] [Z] étant sans pouvoir pour engager la Sci Immobilière Avanty,
subsidiairement,
- déclarer nul, de nullité absolue, le bail du 14 octobre 2022, compte tenu de l'absence de tout changement d'usage obtenu, ou même demandé et/ou de l'absence de justification de tous travaux susceptibles de permettre un usage professionnel du bien,
subsidiairement,
- déclarer bien fondée la résolution unilatérale notifiée par la Selas Avanty le 29 décembre 2023, aux torts exclusifs de la Sci Immobilière Avanty, compte tenu de l'inexécution de ses obligations essentielles,
subsidiairement,
- prononcer la résolution judiciaire du bail du 14 octobre 2022, aux torts exclusifs de la Sci Immobilière Avanty compte tenu de l'inexécution de ses obligations essentielles, à la date du 14 octobre 2022,
subsidiairement,
- déclarer bien fondée l'exception d'inexécution opposée par la Selas Avanty le 29 décembre 2023, compte tenu de l'inexécution de son obligation essentielle par la Sci Immobilière Avanty,
subsidiairement,
- déclarer caduc le bail du 14 octobre 2022, compte tenu du retrait de [J] [Z] et de la Spfpl [J] [Z] de la Selas Avanty et/ou de l'impossibilité objective de toute utilisation professionnelle,
en tout état de cause,
- débouter les demandeurs (sic) de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner in solidum [J] [Z] et la Spfpl [J] [Z] à leur payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner in solidum [J] [Z] et la Spfpl [J] [Z] au paiement de la somme de 170 000 euros, subsidiairement de la somme de 67 000 euros, avec intérêts légaux et anatocisme,
- condamner in solidum [J] [Z] et la Spfpl [J] [Z] à leur payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles et par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 5 mars 2025, déposées et visées par le greffe le 12 mars 2025 et développées oralement, M. [J] [Z] et la Spfpl [J] [Z] devenue Spfpl Ternes participations demandent à la cour de :
- prendre acte de l'intervention volontaire de M. [J] [Z] (sic),
- débouter M. [H] [W] et la Selas Avanty de l'ensemble de leurs demandes,
- déclarer recevables les demandes de la Sci Immobilière Avanty,
- condamner in solidum la Selas Avanty et M. [W] à régler à la Sci Immobilière Avanty, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, le loyer (sic) prévu par le bail du 14 octobre 2022 :
- dépôt de garantie : 20 000 euros
- loyer 4eme trimestre 2022 : 8 000 euros
- loyers 1er 2eme 3eme 4eme trimestre 2023 : 96 000 euros
- intérêts échus : 2 711,01 euros,
- ordonner la révocation de M. [W] en tant que gérant de la Sci Immobilière Avanty,
- condamner in solidum la Selas Avanty et M. [H] [W] à payer à la Sci Immobilière Avanty la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner in solidum la Selas Avanty et M. [H] au paiement des entiers dépens de l'instance.
SUR CE
Sur la compétence du bâtonnier et par voie de conséquence de la cour :
La Selas Avanty et M. [W] soulèvent différents moyens 'd'irrecevabilité' des demandes, parmi lesquels l'incompétence du bâtonnier et par voie de conséquence celle de la cour pour connaître du litige :
- à titre principal, en application des dispositions d'ordre public des articles R.145-23 alinéa 2 du code de commerce et R.211-4 du code d'organisation judiciaire, seul le tribunal judiciaire de Versailles, lieu de situation de l'immeuble étant compétent pour statuer sur les contentieux ayant trait à la mise en oeuvre d'une règle spécifique du statut des baux commerciaux ainsi qu'à la clause résolutoire,
- subsidiairement, sur le fondement de l'article 179-1 du décret du 27 novembre 1991 dès lors que le bâtonnier est seul compétent pour connaître des litiges entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, que le bail litigieux est sans rapport avec l'exercice de la profession, comme l'a reconnu M. [Z] dans ses écritures devant le juge des référés, le changement d'usage, nécessaire pour l'exercice de la profession d'avocat, n'ayant été ni demandé, ni obtenu, de sorte que les locaux ne sont pas susceptibles d'utilisation professionnelle et que ceux-ci ont d'ailleurs récemment fait l'objet d'un bail d'habitation à l'initiative de M. [Z], à l'insu de M. [W], co-gérant, après réalisation de travaux d'habitation.
La Sci Immobilière Avanty réplique que le bâtonnier a compétence à connaître le différend ayant trait à un bail conclu entre professionnels du droit.
M. [Z] et la Sfpfl Ternes participations soutiennent qu'en application des dispositions combinées des articles 21 de la loi du 31 décembre 1971 et 179-1 du décret du 27 novembre 1991, le bâtonnier est compétent en ce que :
- MM. [Z] et [W] ont créé la Sci Immobilière Avanty pour le développement de leur activité d'avocat en sorte que le litige qui les oppose constitue un différend d'ordre professionnel relevant de la compétence du bâtonnier,
- aucun texte de loi n'interdit au bâtonnier de statuer sur l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans un bail signé entre une Sci d'avocats et une structure d'exercice d'avocats,
- dans la mesure où le bâtonnier est compétént pour connaître une demande de dissolution judiciaire d'une Sci d'avocats (Ccass, civ, 1ère, 6 décembre 2023, n°22-19.372), il est compétent pour trancher toutes les difficultés de la Sci dans la mesure où elles constituent un différend d'ordre professionnel.
L'article 21 de la loi n 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, prévoit
' III- Le bâtonnier prévient ou concilie les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau et instruit toute réclamation formulée par les tiers.
Tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier qui, le cas échéant, procède à la désignation d'un expert pour l'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats. En cette matière, le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs aux anciens bâtonniers ainsi qu'à tout membre ou ancien membre du conseil de l'ordre (...)'.
Selon l'article 179-1 du décret du 27 novembre 1991, 'En cas de différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel et à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats intéressés sont inscrits est saisi par l'une ou l'autre des parties'.
Selon l'article R.145-23 du code de commerce, inséré dans le chapitre V intitulé ' Du bail commercial', 'Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.
Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.
La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de situation de l'immeuble'.
L'article R.211-4 du code de l'organisation judiciaire énonce qu''En matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement des articles L.211-9-3 connaissent seuls, dans l'ensemble du département ou, dans les conditions prévues au III de l'article L.211-9-3, dans deux départements, de l'une ou de l'autre des compétences suivantes :
(...)
2° Des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L.145-1 à L.145-60 du code de commerce (...)'.
Le bail commercial litigieux, portant le visa des articles L.145-1 et R.145-1 et suivants du code de commerce, est conclu entre la Sci Immobilière Avanty représentée par son gérant [J] [Z], en qualité de bailleur, et la Selas Avanty représentée par son gérant [H] [W], en qualité de preneur, et a pour objet l'exploitation des locaux à usage de bureaux.
L'intégralité du litige porte sur le bail commercial, qu'il s'agisse de la demande de nullité, d'exécution ou de résiliation/résolution judiciaire, ou de la demande de révocation de M. [W] de sa fonction de gérant de la Sci Immobilière Avanty, fondée sur le défaut d'exécution du bail commercial et sa résiliation unilatérale.
En application des dispositions d'ordre public de l'article R.145-23 du code de commerce, les contestations ayant trait à la validité, l'exécution, la résiliation, le cas échéant par acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement du loyer, du contrat de bail commercial conclu entre une société civile immobilière, même constituée entre avocats, et une société d'exercice de la profession d'avocat, relèvent de la compétence du tribunal judiciaire du lieu de situation de l'immeuble.
Le différend, qui oppose une sci et une société d'avocats, a pour seul objet la validité, l'exécution, la résiliation, le cas échéant par acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement du loyer, du contrat de bail commercial conclu entre elles, en sorte que seul le tribunal judiciaire a compétence à en connaitre en application de l'article R.145-23 du code de l'organisation judiciaire. L'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 et les articles 179-1 et suivants du décret du 27 novembre 1991, qui instaurent une procédure dérogatoire au droit commun imposant l'arbitrage du bâtonnier pour connaître tous les différends entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, ne sont pas de nature à déroger aux dispositions d'ordre public de l'article R.145-23 du code de commerce.
En outre, les statuts de la Sci, dont cette dernière se prévaut pour justifier de son action en alléguant un lien étroit entre la qualité de membre de la Sci et de la Selas, prévoient expressément que 'Toutes contestations qui pourront s'élever entre les associés ou entre la société et les associés relativement aux affaires sociales, pendant le cours de la société et de sa liquidation, seront soumises à la juridiction compétente suivant les règles de droit commun'.
Seul le tribunal judiciaire de Versailles, lieu de situation de l'immeuble, a donc compétence pour connaître l'entier litige ayant trait au bail commercial, au titre duquel il est par ailleurs saisi d'une contestation du commandement de payer délivré le 5 avril 2024.
Le bâtonnier n'étant pas compétent pour connaître du litige, la cour, saisie en application de l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, n'est pas davantage compétente.
Sur la demande de dommages et intérêts :
Quel que soit le fondement du rejet des demandes de M. [Z], la Selas Avanty sollicite la condamnation de ce dernier au paiement de dommages et intérêts en application de l'article 1240 du code civil, la saisine de la cour étant intervenue à sa seule initiative, sans considération pour l'intérêt social de la Sci Immobilière Avanty et en dépit de l'opposition de M. [W].
M. [Z] s'oppose à cette demande.
En l'absence de démonstration d'un abus de procédure commis par M. [Z], la demande indemnitaire de la Selas Avanty et de M. [W] doit être rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Il est équitable que chacune des parties conserve la charge des dépens et frais de procédure par elle exposés.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Déclare le bâtonnier et par voie de conséquence, la cour, saisie sur le fondement de l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, incompétents pour statuer sur le litige au profit du tribunal judiciaire de Versailles,
Déboute la Selas Avanty et M. [H] [W] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Dit que chacune des parties conservera à sa charge les dépens et frais de procédure par elle exposés.