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Décisions

CA Nancy, 5e ch., 14 mai 2025, n° 24/01617

NANCY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Noel (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jobert

Conseillers :

M. Beaudier, M. Firon

Avocats :

Me Fouray, Me Klein

T. com. Épinal, du 11 juill. 2024, n° 23…

11 juillet 2024

FAITS ET PROCÉDURE

La société [P]-[C] a pour activité l'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie, chocolaterie, sandwicherie, traiteur.

MM. [D] [P] et [R] [C] en sont les associés, détenant respectivement 49% et 51% des parts sociales, et ce dernier étant également gérant.

Se plaignant de l'opacité de la gestion de la société par M. [C], par acte du 9 février 2023, M. [P] a assigné la société [P]-[C] devant le tribunal de commerce d'Epinal, statuant en procédure accélérée au fond, dans le but d'obtenir la désignation d'un expert avec pour mission d'établir un rapport sur les opérations de gestion et notamment sur les relations conventionnelles entretenues entre la société [P]-[C] et la société [Adresse 4], le cas échéant, toute autre structure dans laquelle le représentant légal de la première nommée est également représentant ou associé.

Il a également sollicité l'identification des conventions réglementées intervenues avec M. [C] en sa qualité de gérant/associé et toute autre structure dans laquelle il dispose d'intérêts, les conditions l'approbations desdites conventions par la collectivité des associés, les conditions d'approbation/fixation de la rémunération annuelle de M. [C] ainsi que la tenue régulière des assemblées générales depuis la constitution de la société, les conditions dans lesquelles l'embauche des salariés est intervenue, l'analyse des contrats de travail et enfin les modalités et conditions d'achat et d'utilisation des véhicules par la société ou son personnel.

Il a enfin demandé qu'il soit enjoint à la société [P]-[C] de laisser à sa disposition, au siège de la société, les bilans, comptes de résultat, annexes, inventaires, rapports soumis aux assemblées et procès-verbaux de ces assemblées concernant les trois derniers exercices et ce, sous astreinte.

Par jugement du 11 juillet 2024, le tribunal de commerce d'Epinal a rejeté les demandes de M. [P] et l'a condamné à payer à la société [P]-[C] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande reconventionnelle de la société [P] [C] en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive a été rejetée.

Le tribunal a considéré qu'il n'existait pas d'éléments suffisamment probants permettant de suspecter des présomptions d'irrégularités et que M. [P] aurait pu avoir accès aux documents réclamés s'il avait assisté aux assemblées générales ; il a estimé que la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive n'était pas fondée.

Par déclaration du 7 août 2024, M. [P] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives transmises au greffe de la cour le 11 février 2025, M. [P] conclut à l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle l'a déclaré mal fondé en sa demande d'expertise de gestion.

Il demande à la cour, statuant à nouveau dans cette limite, sur le fondement des articles L223-26 et R223-15 du code de commerce, de juger qu'il est bien fondé à solliciter une mesure d'expertise de gestion, de désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission d'établir un rapport circonstancié sur les opérations de gestion ci-après, relatives à la société [P]-[C] :

- L'identification précise des conventions réglementées intervenues avec M. [C] en sa qualité de gérant/associé de la société [P]-[C] et tout autre structure dans laquelle ce dernier dispose d'intérêts,

- Les conditions d'approbation desdites conventions,

- L'identification de l'ensemble des relations et opérations conventionnelles, économique et financières, entretenues entre la société [P]-[C] et la société [Adresse 4] et, le cas échéant, toute autre structure dans laquelle le représentant légal de la première nommée est également représentant ou associé,

- La tenue régulière des assemblées générales de la Société depuis sa constitution, et d'établissement des rapports annuels de la gérance ;

- Les conditions d'approbation, de fixation de la rémunération annuelle de M. [C], ainsi que les primes de gérance dont il a pu bénéficier,

- Les conditions dans lesquelles la société [P]-[C] a procédé à l'embauche de salariés et l'analyse des contrats de travail afférents,

- Les modalités et conditions d'achat, de location et d'utilisation des véhicules utilisés par la société ou son personnel.

Il demande en outre à la cour, sur le fondement des articles 145 du code de procédure civile et R223-15 du code de commerce, d'enjoindre à la société [P]-[C] de laisser à la disposition de M. [P] au siège social de la société : les bilans, comptes de résultat, annexes, inventaires, rapports soumis aux assemblées et procès-verbaux de ces assemblées concernant les trois derniers exercices, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé huit jours de la signification de la décision à intervenir.

L'appelant sollicite enfin le rejet de l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société [P]-[C], la mise à la charge de cette dernière des frais d'expertise de gestion, sa condamnation à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de la procédure.

A l'appui de son recours, il expose en substance que :

- La gestion de la société n'est pas transparente et il n'a pas été répondu à ses interrogations de façon satisfaisante ; il ignore tout du fonctionnement de la société.

- C'est pourquoi, il réclame une expertise de gestion sur le fondement des articles L223-26 et R223-15 du code de commerce.

Selon des écritures récapitulatives remises le au greffe de la cour , l'intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejetée sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Elle forme un appel incident sur ce point et sollicite la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L'intimée, appelante incidente, réclame la condamnation de l'appelant à lui payer les sommes de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure de première instance et 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel et à supporter les dépens de procédure.

La société [P]-[C] expose en substance que :

- Il n'existe pas de présomptions d'irrégularités dans les actes de gestion de la société justifiant une expertise de gestion.

- M. [P] se désintéresse du fonctionnement de la société comme en témoigne ses absences aux dernières assemblées générales.

- La procédure est abusive.

MOTIFS

1- sur la demande en expertise de gestion

L'expertise de gestion est prévue, s'agissant d'une Sarl, par l'article L223-37 du Code de commerce et non par les articles L223-26 et R223-15 du même code qui ont trait aux modalités de communication à un associé d'une Sarl de divers documents sociaux et à la faculté pour ce dernier de poser des questions par écrit au gérant.

L'article L223-37 du Code de commerce énonce, en son alinéa 1, que : ' Un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, demander en justice la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.'

En l'espèce, la société [P]-[C] est une Sarl.

M. [P] est associé et dispose de 49 % des parts sociales ; il est recevable à solliciter une expertise de gestion.

La demande d'expertise de gestion doit présenter un caractère sérieux.

A cet égard, les pièces que M. [P] a versées aux débats révèlent que par lettre du 24 janvier 2020 adressée au gérant en prévision de l'assemblée générale ordinaire du 28 janvier 2020, il lui a demandé, sur le fondement des articles L223-26, alinéa 4, et R223-15, alinéa 1, du Code de commerce, la communication de divers documents sociaux accompagnée de plusieurs questions écrites sur la gestion de la société.

Elles montrent également que l'assemblée générale ordinaire prévue le 28 janvier 2020 n'a pas pu avoir lieu en raison d'un désaccord entre les associés sur son déroulement ; cette assemblée générale a été reportée au 24 février 2020 ; à cette occasion, par lettre du 13 février 2020, M. [P] a posé de nouvelles questions écrites au gérant sur sa gestion de la société.

Par ailleurs, par lettre du 10 mars 2020, M. [P] a mis en demeure la société [P]-[C] de lui payer une somme de 2 659,75 euros au titre de charges afférentes à des locaux sis à Epinal faisant l'objet d'un bail commercial entre les parties.

Force est de constater que M. [P] ne présente pas d'éléments qui feraient présumer que les actes de gestion qu'il énumère dans sa demande d'expertise de gestion soient irréguliers ou contraires à l'intérêt social de la société ; les pièces susvisées ne font que mettre en évidence une mésentente entre associés à laquelle une expertise de gestion ne serait pas de nature à remédier.

Cette demande est donc non seulement dépourvue de sérieux mais également inutile.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

2- sur la demande fondée sur l'article 145 du code de procédure civile

L'article 145 du Code de procédure civile dispose que : 'S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.'

La profonde mésentente existant entre les associés de la société [P]-[C] rend plausible qu'un procès les oppose dans un futur proche.

Les documents sociaux dont M. [P] réclame la communication ( bilans, comptes de résultat, annexes, inventaires, rapports soumis aux assemblées et procès-verbaux de ces assemblées concernant les trois derniers exercices) sont ceux visés à l'article R223-15 du Code de commerce.

Ces pièces sont en relation directe avec le procès susceptible d'opposer les associés en ce qu'ils sont les moyens d'apprécier la viabilité et la pérennité de la société.

Le gérant de la société n'a pas spontanément répondu à la demande de communication de M. [P] en date du 24 janvier 2020.

Il existe donc un motif légitime d'ordonner la communication des documents sociaux sollicités.

Le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de communication de pièces de M. [P] et, statuant à nouveau sur ce point, il convient d'enjoindre la société [P] [C] de tenir à la disposition de ce dernier, au siège social de la société, les documents suivants : bilans, comptes de résultat, annexes, inventaires, rapports soumis aux assemblées et procès-verbaux de ces assemblées concernant les trois derniers exercices précédant le 9 février 2023, jour de la demande, dans un délai de deux mois à compter du jour de la notification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard passé ce délai.

3- sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive de la société [P] [C]

La société [P]-[C] n'apporte pas la preuve de la faute que M. [P] aurait commise dans l'exercice de son droit d'agir en justice si bien que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L'appel incident doit être rejeté.

4- sur les autres demandes

Chaque partie est succombante de sorte que le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a condamné M. [P] aux dépens de première instance et à payer à la société [P]-[C] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau sur ce point, il convient de dire que chaque partie gardera à sa charge les dépens de première instance tandis que leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées.

Il en ira de même pour les dépens d'appel et les frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de M. [D] [P] en expertise de gestion et en ce qu'il a rejeté la demande de la société [P]-[C] en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L'INFIRME au surplus.

Statuant à nouveau dans cette limite,

ENJOINT la société [P]-[C] de tenir à la disposition de M. [D] [P], au siège social de la société, les documents suivants : bilans, comptes de résultat, annexes, inventaires, rapports soumis aux assemblées et procès-verbaux de ces assemblées concernant les trois derniers exercices précédant le 9 février 2023, dans un délai de deux mois à compter du jour de la notification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard passé ce délai.

DIT que chaque partie gardera à sa charge les dépens exposés en première instance.

REJETTE les demandes respectives des parties au titre des frais irrépétibles exposés en première instance.

Y ajoutant,

DIT que chaque partie conservera à sa charge les dépens exposés en appel.

REJETTE les demandes respectives des parties au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Le présent arrêt a été signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale , à la Cour d'Appel de NANCY, et par M. Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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