CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 14 mai 2025, n° 22/11680
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Batir On Renovation (SARL), Smabtp (Sté), Mars (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jariel
Conseillers :
Mme Szlamovicz, Mme Moreau
Avocats :
Me Havet, Me Mazzei Beaugrand, SCP Azoulai et Associés, Me Cohen, Me Schwab, Me Ginoux
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Au courant du mois d'avril 2006, M. et Mme [P] ont confié à la société Bâtir aménagement travaux isolation rénovation (la société Bâtir), assurée auprès de la Société mutuelle des assurances du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), des travaux de réhabilitation de leur immeuble d'habitation sis [Adresse 4] à [Adresse 11] (94) pour un montant de 150 223, 20 euros TTC.
Les travaux ont débuté au mois de juillet 2006.
La société Bâtir a fait l'objet d'une dissolution à compter du 31 décembre 2008 selon procès-verbal d'assemblée générale du 10 mars 2009 et la clôture des opérations de liquidation et la radiation sont intervenues le 21 septembre 2009.
Invoquant des désordres sur leur immeuble apparus après l'achèvement des travaux, M. et Mme [P] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil, par acte d'huissier du 12 décembre 2014, d'une demande d'expertise judiciaire, lequel a fait droit à leur demande, par une ordonnance du 21 janvier 2015, désignant M. [X] en qualité d'expert judiciaire.
Saisi par requête de M. et Mme [P], le tribunal de commerce de Versailles, a par ordonnance du 5 novembre 2015, désigné, son ancien gérant, M. [N] en qualité de mandataire ad hoc chargé de représenter la société Bâtir dans le cadre des instances engagées à son encontre par M. et Mme [P].
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 14 mai 2019.
Par actes en date des 16 et 24 octobre 2019, M. et Mme [P] ont assigné la société Bâtir, la SMABTP, en qualité d'assureur de la société Bâtir et M. [N], ès qualités, aux fins de réparation de leurs préjudices.
Par jugement du 14 avril 2022, le tribunal judiciaire de Créteil a statué en ces termes :
Fixe la réception judiciaire des travaux à la date du 30 avril 2007,
Déclare la société Bâtir entièrement responsable des désordres de l'immeuble de M. et Mme [P],
Condamne la société Bâtir représentée par M. [N] en qualité de mandataire ad hoc à verser à M. et Mme [P] les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts :
- 159 927, 57 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres (cette somme incluant les honoraires de l'architecte, du bureau d'étude et les mesures conservatoires)
- 45 198 euros pour leur préjudice de jouissance,
- 27 900 euros au titre du coût du relogement pendant les travaux de reprise
- 950 euros TTC au titre du coût de l'expertise technique,
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Rejette les demandes formées à l'encontre de la SMABTP,
Rejette les demandes formées à l'encontre de M. [N] à titre personnel,
Rejette les demandes de dommages et intérêts pour procédure dilatoire de M. et Mme [P],
Condamne la société Bâtir représentée par M. [N] en qualité de mandataire ad hoc à verser à M. et Mme [P] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Bâtir représentée par M. [N] en qualité de mandataire ad hoc aux dépens, comprenant ceux de l'instance en référé et le coût de l'expertise judiciaire, et qui pourront être directement recouvrés par Me Mazzei-Beaugrand conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,
Rejette toute plus ample demande.
Suite à ce jugement, la société Bâtir a sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire qui a été prononcée par jugement du tribunal de commerce de Versailles du 16 juin 2022. La société Mars a été désignée en qualité de liquidateur.
Par déclaration en date du 20 juin 2022, M. et Mme [P] ont interjeté appel du jugement, intimant devant la cour :
- la société Bâtir, prise en la personne de son mandataire ad hoc M. [N],
- M. [N], agissant en qualité de gérant et de mandataire ad hoc de la société Bâtir,
- la SMABTP, en qualité d'assureur de la société Bâtir.
Par déclaration en date du 23 juin 2022, M. et Mme [P] ont interjeté appel du jugement, intimant devant la cour la société Mars, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bâtir.
Par ordonnance du 15 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction de ces instances.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2024, M. et Mme [P] demandent à la cour de :
Déclarer recevables et bien fondées les demandes des consorts [P] ;
Déclarer que M. [N] est valablement constitué et a toute qualité à agir tant en son nom personnel qu'en représentant de la société Bâtir ;
Rejeter la pièce N°6 communiquée par la SMABTP des débats comme étant irrecevable,
En conséquence,
Débouter la SMABTP de toutes demandes pouvant être fondées sur la pièce litigieuse ;
En tout état de cause,
Débouter les intimés de l'ensemble de leurs prétentions ;
Infirmer le jugement rendu le 14 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Créteil, et le réformer des chefs de jugement contestés suivants,
Y faisant droit et statuant à nouveau,
Fixer la date de réception des travaux à la date du 15 septembre 2009 ;
Juger que la SMABTP est tenue en sa qualité d'assureur responsabilité civile décennale de la société Bâtir de garantir le sinistre subi par M. et Mme [P] ;
Juger que M. [N] a engagé sa responsabilité personnelle à l'égard de M. et Mme [P] indépendamment de ses fonctions de représentant légal de la société Bâtir ;
Juger que la société Bâtir et M. [N] ont engagé solidairement leurs responsabilités contractuelles à l'égard des époux [P] pour les fautes commises antérieurement au 30 avril 2009 et leur responsabilité délictuelle pour ce qui concerne la période postérieure à cette date ;
Juger que la société Bâtir et M. [N], tant à titre personnel qu'en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Bâtir, sont responsables des désordres intervenus ;
Juger que la SMABTP ne peut opposer aucune limite ou restriction de garantie à M. et Mme [P] ;
Juger que les désordres à l'origine du sinistre sont intégralement couverts par la police d'assurance (RDC) de la SMABTP ;
Le cas échéant, juger que la SMABTP a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil et doit réparation à M. et Mme [P] à concurrence de la somme de 476 174, 20 euros TTC à titre de dommages intérêts.
Juger que les fautes commises par la société Bâtir et M. [N] ont causé des préjudices et troubles notamment de jouissance, moral et esthétique aux époux [P] dont ils doivent réparation ;
En conséquence,
Condamner solidairement M. [N] et la SMABTP à verser aux époux [P] les sommes suivantes, restant à parfaire :
Outre les travaux de réparations et reprises suivants,
- Travaux en réparation actualisés : 368 775 euros
- Amputation sur l'habitabilité des lieux (20 % sur 81 mois) : 45 198 euros
- Obligation de quitter les lieux durant les travaux (dix mois) : 27 900 euros
- Frais de l'expert technique (société CPE) 1 100 euros
Soit au total quantifiable, restant à parfaire : 442 973 euros
Ainsi qu'en sus :
- Intervention (s) sur la protection provisoire : 5 161,20 euros
- Frais de déménagement : 8 040 euros TTC
L'ensemble de ces condamnations devant être assorti des intérêts au double des intérêts au taux légaux à capitaliser à compter de la date de réception judiciaire fixée ;
Condamner solidairement M. [N] et la SMABTP à verser aux époux [P] les sommes de :
- 5 000 euros au titre du préjudice esthétique ;
- 5 000 euros au titre du préjudice moral ;
- 15 000 euros au titre de la procédure dilatoire ;
Confirmer pour le surplus,
Admettre la créance des époux [P] au passif de liquidation judiciaire de la société Bâtir pour la somme de 260 286, 77 euros, assortis des intérêts au double du taux légal ;
Condamner solidairement les intimés à verser aux époux [P] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, ce compris les frais d'expertise et d'huissiers, dont distraction au profit de Me Mazzei-Beaugrand.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2024, la SMABTP, en qualité d'assureur de la société Bâtir, demande à la cour de :
Confirmer le jugement rendu le 14 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Créteil en ce qu'il a rejeté les demandes formées à l'encontre de la SMABTP ;
En tout état de cause, au besoin par substitution de motifs,
Rejeter l'ensemble des demandes formées à l'encontre de la SMABTP :
A titre principal,
Juger qu'au jour de l'ouverture du chantier en juillet 2006, la SMABTP n'était pas l'assureur de la société Bâtir,
Juger que les demandeurs échouent à rapporter la preuve de leur allégation en l'absence d'élément (notamment attestation d'assurance 2006) démontrant que la société Bâtir aurait été effectivement assurée auprès de la SMABTP pour l'année 2006, période de démarrage des travaux ;
Juger à l'inverse que la SMABTP apporte la preuve qu'elle n'était plus l'assureur de la société Bâtir depuis le 31 décembre 2005, élément non sérieusement contredit ;
En conséquence,
Juger que la SMABTP n'est pas l'assureur de la société Bâtir pour le chantier en cause, démarré en juillet 2006 ;
Rejeter toute demande présentée à l'encontre de la SMABTP ;
A titre subsidiaire,
Si par extraordinaire,
Juger que la police d'assurance souscrite par la société Bâtir auprès de la SMABTP concernaient uniquement les activités suivantes : peinture - carrelages - mosaïques - isolation thermique ;
Juger, au vu du rapport d'expertise judiciaire, que les désordres ont pour origine des travaux de structure, de gros 'uvre (extension, fondations), de toiture, de couverture, ainsi que des travaux d'électricité et de mise aux normes des installations sanitaires ;
En conséquence,
Juger que les désordres allégués trouvent leur origine dans des travaux qui ne correspondent pas aux activités déclarées et garanties par le contrat d'assurance ;
Juger que le contrat d'assurance souscrit par la société Bâtir auprès de la SMABTP n'est pas applicable aux désordres et travaux en cause ;
Rejeter toute demande présentée à l'encontre de la SMABTP ;
A titre infiniment subsidiaire,
Infirmer partiellement le jugement rendu en ce qu'il a fixé la réception judiciaire des travaux au 30 avril 2007 et retenu la responsabilité civile décennale de la société Bâtir ;
Statuant à nouveau,
Juger que les travaux en cause n'ont fait l'objet d'aucune réception expresse ni tacite ;
Juger que ces travaux étaient, selon le rapport d'expertise judiciaire, non terminés et que la société Bâtir n'a jamais produit de facture finale ou de décompte définitif ;
Juger, dans ces conditions, que la demande de réception judiciaire des travaux est infondée et qu'en l'absence de réception des travaux, que les conditions d'engagement de la responsabilité civile décennale de la société Bâtir ne sont pas réunies et que la garantie décennale de la SMABTP n'est pas mobilisable pour les désordres en cause ;
En conséquence,
Juger que la garantie décennale (anciennement) souscrite par la société Bâtir auprès de la SMABTP n'est pas mobilisable ;
Rejeter toute demande présentée à l'encontre de la SMABTP ;
A tout le moins, si par extraordinaire, à titre encore plus subsidiaire, en cas de réception judiciaire prononcée par la Cour :
Infirmer partiellement le jugement rendu en ce qu'il a fixé la réception judiciaire des travaux au 30 avril 2007 et retenu la responsabilité civile décennale de la société Bâtir ;
Statuant à nouveau,
Juger que la réception judiciaire aura pour effet de purger et de rendre sans objet toute réclamation à propos des désordres apparents et des travaux non terminés ;
Juger que les éventuelles réserves qui accompagneront la réception judiciaire prononcée échapperont à la garantie décennale ;
En conséquence,
Juger que les conditions d'engagement de la responsabilité civile décennale de la société Bâtir ne sont pas réunies ;
Juger que la garantie décennale (anciennement) souscrite par la société Bâtir auprès de la SMABTP n'est pas mobilisable ;
Rejeter toute demande présentée à l'encontre de la SMABTP ;
En tout état de cause,
Sur les demandes indemnitaires présentées par les époux [P] :
Infirmer partiellement le jugement dont appel en ce qu'il a retenu la somme erronée de 159 927,57 euros au titre des travaux de reprise (incluant les honoraires de l'architecte, du bureau d'étude et les mesures conservatoires) et
Statuant à nouveau,
Retenir la somme de 150 927,57 euros au titre des travaux de reprise (incluant les honoraires de l'architecte, du bureau d'étude et les mesures conservatoires), conformément au rapport d'expertise judiciaire ;
Pour les autres réclamations,
Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a limité les sommes accordées aux époux [P] de la manière suivante :
- 45 198,00 euros pour leur préjudice de jouissance (Amputation sur l'habitabilité des lieux (20 % sur 81 mois)
- 27 900 euros au titre du coût de relogement pendant les travaux de reprise (10 mois)
- 950 euros TTC au titre du coût de l'expertise technique.
Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a rejeté les demandes plus amples et contraires des époux [P], notamment les réclamations injustifiées suivantes :
- 5 161, 20 euros au titre d'" Intervention (s) sur la protection provisoire " :
- 5 000 euros au titre du préjudice " esthétique " (également qualifié par les appelants de " troubles de jouissance ")
- 5 000 euros au titre du préjudice moral ;
- l'application des intérêts " au double du taux légal ".
Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure dilatoire formée par les époux [P] ;
Réduire à de plus justes proportions l'éventuelle indemnité accordée aux époux [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejeter l'ensemble des demandes de condamnation et appels en garantie formées contre la SMABTP ;
Condamner in solidum M. et Mme [P] et/ou tout succombant à payer à la SMABTP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux la concernant par la société 2H Avocats prise en la personne de Me [G] et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 4 mars 2024, M. [N], ès qualités, demande à la cour de :
Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Créteil du 14 avril 2022 dont appel dans toutes ses dispositions concernant l'absence de faute et de responsabilité personnelle de M. [N] sur le fondement des articles L. 223-22 et L. 237-12 du code de commerce,
Y ajoutant,
Condamner M. et Mme [P] à payer à M. [N] la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.
La société Mars, en qualité de mandataire liquidateur de la société Bâtir, qui a reçu à sa personne la signification de la déclaration d'appel et des conclusions de l'appelant le 20 septembre 2022, n'a pas constituée avocat.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 2 avril 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 4 février 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
Sur la garantie de la SMABTP
Moyens des parties
La SMABTP soutient qu'il incombe à M. et Mme [P] de rapporter la preuve que la SMABTP était l'assureur responsabilité décennale de la société Bâtir au moment de l'ouverture du chantier en juillet 2006 et qu'aucune des parties ne verse aux débats l'attestation d'assurance responsabilité décennale valable à la date de l'ouverture du chantier. Elle souligne qu'elle produit aux débats la lettre recommandée de résiliation de la police à effet au 31 décembre 2004.
Elle fait également valoir que la société Bâtir a déclaré comme activités la peinture, le ravalement, les carrelages et revêtements et le calorifugeage des tuyauteries alors que les désordres allégués ont pour origine des travaux de couverture, de toiture, de structure de l'extension et des chambres et de gros 'uvre.
Elle en déduit que les désordres sont consécutifs à des travaux non couverts par la garantie d'assurance et que ce défaut de garantie est opposable aux tiers.
M. et Mme [P] font valoir qu'il n'est pas contesté que la SMABTP a été l'assureur de la société Bâtir et qu'il lui incombe de prouver qu'elle ne l'est plus au jour de l'ouverture du chantier, ce qu'elle n'établit pas.
Ils soutiennent que le champ de la garantie d'assurance décennale ne peut être restreint à certaines activités et qu'en l'absence d'attestation fournie par l'assureur, ils n'ont pas été informés des conditions d'assurance, ce qui engage la responsabilité délictuelle de l'assureur.
Ils observent par ailleurs que le document produit par la SMABTP intitulé " conditions particulières " est imprécis en ce que le numéro de RCS de la société Bâtir n'est pas indiqué et la domiciliation erronée et que ce document n'est pas signé par la société Bâtir et ne peut donc constituer qu'une simple proposition de contrat qui ne peut être opposé ni à l'assuré ni aux tiers lésés.
Ils font valoir, qu'en tout état de cause, les désordres ont pour origine des activités déclarées par la société Bâtir, à savoir des prestations en vue de l'aménagement et la rénovation du bien et non des travaux sur le bâti ou le gros 'uvre.
Ils indiquent que, s'ils avaient été informés que tout ou partie des activités de la société Bâtir n'étaient pas assurées, ils n'auraient pas choisi cette entreprise ou à des conditions différentes.
M. [N] soutient une argumentation identique à celle de M. et Mme [P] quant à l'absence de résiliation du contrat d'assurance et à l'absence d'opposabilité des limites de garantie aux activités figurant dans le document non signé intitulé " conditions particulières ".
Réponse de la cour
Il est établi que, lorsque le bénéfice d'un contrat d'assurance est invoqué, non par l'assuré, mais par la victime du dommage, tiers à ce contrat, c'est à l'assureur qu'il incombe de démontrer, en versant la police aux débats, qu'il ne doit pas sa garantie pour le sinistre, objet du litige (1re Civ., 2 juillet 1991, pourvoi n° 88-18.486, Bull. 1991, I, n° 217).
Il est jugé que, en l'absence de production aux débats d'une attestation d'assurance, l'assureur peut rapporter la preuve de l'activité couvrte vis-à-vis du maître de l'ouvrage en produisant une photocopie de conditions particulières bien qu'elles fussent non signées par l'assuré (3e Civ., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-18.206, Bull. 2016, III, n° 84).
Il est établi que la garantie de l'assureur ne concerne que le secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur (1re Civ., 29 avril 1997, pourvoi n° 95-10.187, Bulletin 1997, I, n° 131), cette condition étant opposable au tiers lésé (3e Civ., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-18.206, Bull. 2016, III, n° 84).
Au cas d'espèce, la SMABTP produit un document intitulé " conditions particulières " (pièce 2 de la SMABTP), daté du 13 octobre 2003 avec une date d'effet au 22 septembre 2003, mentionnant la société Bâtir, l'adresse " [Adresse 1] à [Localité 10] " ainsi que le numéro de sociétaire et un code contrat.
Le numéro de sociétaire et le code contrat sont identiques à ceux indiqués par M. [N] dans sa lettre du 26 mars 2014 (pièce 11 de M. et Mme [P]) en réponse à la lettre de M. et Mme [P] du 25 juillet 2013 à M. [N], sollicitant les coordonnées de l'assureur de la société Bâtir (pièce 37 de M. et Mme [P]).
Le fait que les conditions particulières ne mentionnent pas le numéro de RCS et que l'adresse indiquée soit l'ancienne adresse de la société Batir et de M. [N], le siège social ayant été modifié lors de la mise à jour des statuts le 22 mars 2004 (pièce 46 de M. et Mme [P]), ne sont pas de nature à créer un doute sur l'identité de la société ayant souscrit ces conditions particulières.
Or, l'article 3 des conditions particulières mentionne au titre des activités garanties les activités suivantes : peinture, carrelages, mosaïques et isolation thermique.
L'ensemble de ces éléments établissent que les activités garanties ne pouvaient concerner que les activités déclarées par l'assuré, à savoir " peinture- carrelages- mosaïques- isolation thermique " et la SMABTP est fondée à se prévaloir à l'égard de M. et Mme [P] de la limitation de sa garantie auxdites activités.
En outre, il ne saurait être fait grief à la SMABTP de ne pas avoir produit une attestation d'assurance justifiant qu'elle couvrait les activités exercées par la société Bâtir dans le cadre du chantier litigieux, alors qu'il n'est pas établi que M. et Mme [P] ou la société Bâtir auraient sollicité la communication d'une attestation d'assurance avant d'engager les travaux.
Or, il résulte des conclusions du rapport d'expertise, non contestées par M. et Mme [P], que l'origine des fuites réside dans la mauvaise conception du chêneau et de son exutoire, d'une mise en 'uvre non conforme de châssis de toiture ainsi que de l'absence d'étanchéité de la salle de douche.
Quant aux fissures et lézardes, elles ont pour origine un mouvement des éléments de structure causé par une fragilisation de la cohésion de la maçonnerie liée à une concentration de charges et un ajout de poids.
Par ailleurs, les travaux réalisés par la société Bâtir et décrits dans la pièce n° 8 produite par M. et Mme [P], comportent de nombreux travaux de maçonnerie, de gros 'uvre et de toiture, notamment des travaux de démolition d'un plancher, de murs et création d'ouvertures dans le mur, la création d'une mezzanine sous comble et d'une verrière dans la toiture.
Il est donc établi que les désordres constatés par l'expert ont été causés par des travaux réalisés par la société Bâtir et qui n'étaient pas inclus dans les activités déclarées par cette dernière.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées à l'encontre de la SMABTP, sans qu'il n'y ait lieu de statuer sur la demande de M. et Mme [P] de déclarer irrecevable la pièce n° 6 communiquée par la SMABTP sur laquelle la cour ne fonde pas la présente décision.
Sur les demandes formées à l'encontre de M. [N]
Moyens des parties
M. et Mme [P] font valoir que M. [N] engage sa responsabilité personnelle, en application de l'article L. 223-22 du code de commerce en raison de l'absence de souscription de la garantie décennale obligatoire. Ils estiment qu'ils ont subi un préjudice et doivent être indemnisés dans les limites de ce qui aurait dû être pris en charge par l'assurance obligatoire.
Ils soulignent que M. [N] a toujours été le gérant de la société Bâtir depuis sa création jusqu'à sa cessation d'activité.
Ils font valoir, qu'outre l'absence de souscription d'assurance décennale, M. [N] a commis des fautes en décidant de clore les opérations de liquidation en violation des droits des créanciers et en manquant à son devoir d'information et de conseil à l'égard de ses clients, M. et Mme [P] en ne les avisant pas de l'utilité de souscrire une assurance dommages-ouvrage.
M. [N] fait valoir qu'en sa qualité de liquidateur amiable, il n'a commis aucune faute puisqu'il n'avait aucune connaissance des désordres, M. et Mme [P] n'ayant pris contact avec leur propre assureur qu'en 2012, soit postérieurement à la clôture des opérations de liquidation amiable.
Il conteste l'absence de garantie décennale due par la SMABTP et souligne qu'il n'avait aucune obligation de conseil quant à la souscription d'une assurance dommages-ouvrage.
Réponse de la cour
Le représentant légal d'une société soumise à l'obligation d'assurance qui ne souscrit pas d'assurance décennale commet une faute intentionnelle constitutive d'une infraction pénale et séparable de ses fonctions sociales et engage ainsi sa responsabilité personnelle (Com., 28 septembre 2010, pourvoi n° 09-66.255, publié au Bulletin).
Au cas d'espèce, il résulte des statuts de la société Bâtir, des extraits Kbis et de l'attestation de travaux établie le 30 avril 2007 par M. [N] en qualité de gérant de la société Bâtir, que ce dernier étant le représentant légal de la société Bâtir lors de l'ouverture du chantier chez M. et Mme [P], ce que M. [N] ne conteste, au demeurant, pas.
M. [N] ne conteste pas davantage qu'il s'agissait de travaux de construction susceptibles d'engager sa responsabilité décennale sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil.
Ainsi qu'il a été démontré ci-dessus, la garantie décennale de la SMABTP n'a pu être mise en 'uvre en raison du défaut de déclaration des activités exercées par la société Bâtir à l'origine des désordres.
Par conséquent, M. [N], en ne déclarant pas à la SMABTP les activités à l'occasion desquelles sa responsabilité décennale a été mise en cause, a commis une faute intentionnelle, constitutive d'une infraction pénale et donc une faute séparable de ses fonctions sociales et qui engage sa responsabilité personnelle.
Il en résulte un préjudice pour M. et Mme [P] correspondant à l'indemnisation qu'ils auraient dû percevoir au titre de la garantie décennale obligatoire.
Quant à la faute imputée à M. [N] concernant l'absence d'information sur l'assurance dommages-ouvrage, l'obligation de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont à la connaissance de tous (3e Civ., 20 novembre 1991, pourvoi n° 90-10.286, Bulletin 1991 III N° 28).
Or, l'obligation de souscrire une assurance dommages-ouvrage est une obligation légale impérative que ne pouvaient ignorer M. et Mme [P] qui ont entrepris des travaux de rénovation d'ampleur, en contractant directement avec un entrepreneur général, sans solliciter l'assistance d'un maître d''uvre, ce dernier n'étant intervenu que pour établir l'avant-projet sommaire nécessaire pour solliciter le permis de construire.
Il n'y a donc pas lieu de retenir de manquement de M. [N] à une obligation de conseil et d'information à ce titre.
Concernant les fautes imputées à M. [N] en qualité de liquidateur amiable, M. et Mme [P] n'allèguent ni ne prouvent aucun fait qui serait constitutif d'une faute de M. [N] qui a clôturé la liquidation amiable le 21 septembre 2009, date à laquelle aucun désordre n'avait été porté à la connaissance de la société Bâtir.
Sur les préjudices de M. et Mme [P]
Moyens des parties
M. et Mme [P] sollicitent, outre les préjudices déjà fixés par le tribunal, une actualisation du montant des travaux réparatoires et qu'il soit fixé à la somme de 368 775 euros, que les frais de la société CPE soient fixés à la somme de 1 100 euros ainsi que l'indemnisation des frais d'intervention sur la protection provisoire pour un montant de 5 161,20 euros et le frais de déménagement à hauteur de 8 040 euros.
Ils sollicitent, en outre, des dommages-intérêts au titre du préjudice esthétique, en raison de la perte de jouissance de certaines parties de la maison ainsi qu'au titre de leur préjudice moral en raison du stress provoqué par la longueur de la procédure et des troubles respiratoires de Mme [P] et de leur enfant en lien avec un environnement détérioré.
M. [N] ne répond pas à ces moyens.
Réponse de la cour
Il résulte des articles L. 241-1 et A. 243-1 du code des assurances que le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire ne garantit que le paiement des travaux de réparation de l'ouvrage à la réalisation duquel l'assuré a contribué et des ouvrages existants qui lui sont indissociables (3e Civ., 5 juillet 2006, pourvoi n° 05-16.277, Bull. 2006, III, n° 167) et ne s'étend pas, sauf stipulations contraires, aux dommages immatériels (3e Civ., 11 février 2014, pourvoi n° 12-35.323).
Il est également jugé que la construction de bâtiments provisoires ne peut être assimilée à des travaux de réparation réalisés sur l'ouvrage affecté de désordres lui-même (3e Civ., 13 janvier 2010, pourvoi n° 08-13.582, 08-13.562, Bull. 2010, III, n° 8)
Il en résulte que M. et Mme [P] ne peuvent solliciter la condamnation de M. [N] qu'au titre du coût des travaux réparatoires et que les demandes formées au titre de " l'amputation sur l'habitabilité des lieux ", " l'obligation de quitter les lieux durant les travaux ", " les frais de l'expert technique ", " l'intervention sur la protection provisoire ", " les frais de déménagement ", " le préjudice esthétique " et " le préjudice moral " seront écartées.
M. et Mme [P] ne contestent pas l'évaluation initiale de l'expert à hauteur 123 666,40 euros du coût des travaux réparatoires.
Si cette évaluation peut être actualisée afin de correspondre à l'évolution des coûts de construction depuis le dépôt du rapport, la production d'un nouveau devis par M. et Mme [P] ne suffit pas à établir que cette évolution serait supérieure à la variation de l'indice BT01 qui était de 111 au mois de mai 2019 et dont le dernier indice publié à la date du présent arrêt est de 132,1.
Il s'en déduit que le coût des travaux de reprise est justifié à hauteur de 147 174,16 euros outre 25 399,97 euros, correspondant aux frais d'honoraires du bureau d'études, des architectes (27 261,17 - 1861,20 euros correspondant à des frais de mesure conservatoire), soit un montant total de 172 574,13 euros.
M. [N] sera donc condamné à la payer à M. et Mme [P], in solidum avec la société Bâtir à hauteur de la condamnation de cette dernière par le jugement devenu définitif en ce qui la concerne, au titre des travaux de réparation.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de M. et Mme [P] d'obtenir le paiement d'intérêts au double des intérêts au taux légaux à capitaliser sur ces sommes à compter de la date de la réception judiciaire, cette demande n'est aucunement fondée en droit.
Il convient néanmoins de faire droit à la demande de capitalisation selon les modalités prévues par l'article 1343-2 du code civil, les intérêts au taux légal courant à compter du présent arrêt.
Sur la date de réception judiciaire
Moyens des parties
M. et Mme [P] soutiennent qu'au 30 avril 2007 les travaux n'étaient pas achevés et qu'aucune facture finale n'avait été établie et que ce n'est qu'à compter du 15 septembre 2009, date la plus proche de la dissolution amiable de la société Bâtir, qu'ils ont renoncé à toutes réclamations concernant les ouvrages non terminés.
M. [N] fait valoir que M. et Mme [P] ont reconnu, eux-mêmes, que les travaux avaient été achevés fin juillet 2007 dans le cadre de l'expertise amiable réalisés au printemps 2014 et qu'ils résident depuis cette date dans leur maison.
Réponse de la cour
Il résulte de l'article 1792-6 du code civil qu'en l'absence de réception amiable, la réception judiciaire peut être ordonnée si les travaux sont en état d'être reçus (3e Civ., 12 octobre 2017, pourvoi n° 15-27.802, Bull. 2017, III, n° 112).
Au cas d'espèce, M. et Mme [P] n'alléguant pas que des travaux auraient été réalisés entre le 30 avril 2007 et le 15 septembre 2009, ils n'établissent pas en quoi leur immeuble aurait davantage été en état d'être reçu le 15 septembre 2009 que le 30 avril 2007, l'existence ou non de réclamations du maître d'ouvrage à l'égard du constructeur étant sans incidence à cet égard.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé la date de réception judiciaire au 30 avril 2007.
Sur la demande de M. et Mme [P] au titre de la procédure dilatoire
Toutes les demandes formées par M. et Mme [P] à l'encontre de la SMABTP s'avérant mal fondées, ils n'apportent pas la preuve que cette dernière aurait abusé de son droit de se défendre en justice et aurait commis une faute à l'origine d'un quelconque préjudice.
Quant à la demande formée à l'encontre de M. [N], M. et Mme [P] ne justifie pas davantage qu'il aurait abusé de son droit de se défendre en justice.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées à ce titre.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à ajouter au jugement quant à la condamnation aux dépens en ce que M. [N] sera condamné, in solidum avec la société Bâtir, aux dépens de l'instance de référé et de l'instance au fond en première instance.
En cause d'appel, M. [N] sera condamné aux dépens à l'exception de ceux liés à la mise en cause de la SMABTP qui resteront à la charge de M. et Mme [P].
Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.
M. [N] sera condamné à payer à M. et Mme [P] la somme globale de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [P] seront condamnés in solidum à payer à la SMABTP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il rejette la demande formée à l'encontre de M. [N] au titre des travaux de réparation ;
L'infirme sur ce point et statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [N] à payer à M. et Mme [P] la somme globale de 172 574,13 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts, in solidum avec la société Bâtir aménagement travaux isolation rénovation à hauteur de la condamnation de cette dernière par le jugement devenu définitif en ce qui la concerne, au titre des travaux de réparation ;
Condamne M. [N], in solidum avec la société Bâtir, aux dépens de l'instance de référé et de l'instance au fond en première instance ;
Condamne M. [N] aux dépens d'appel, à l'exception de ceux liés à la mise en cause de la Société mutuelle des assurances du bâtiment et des travaux publics qui resteront à la charge de M. et Mme [P] ;
Admet les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [N] et le condamne à payer à M. et Mme [P] la somme globale de 6 000 euros et condamne in solidum M. et Mme [P] à payer à la Société mutuelle des assurances du bâtiment et des travaux publics la somme de 2 000 euros.