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Décisions

CA Pau, 1re ch., 14 mai 2025, n° 24/02677

PAU

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sogessur (SA)

Défendeur :

Allianz IARD (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Faure

Conseillers :

Mme de Framond, Mme Blanchard

Avocats :

Me Tandonnet, Me Leridon, Me Cachelou

Tarbes, juge de la mise en état, du 18 s…

18 septembre 2024

EXPOSE DU LITIGE

Entre novembre 2017 et juillet 2019, Monsieur [N] [O] et son épouse, Madame [P] [G], ont entrepris la rénovation de leur maison d'habitation située à [Localité 3] (65), assurée au titre d'un contrat souscrit auprès de la SA Sogessur.

Monsieur [X] [V], entrepreneur individuel assuré auprès de la SA Allianz IARD, est intervenu dans ce cadre au titre des travaux de réfection de l'installation électrique.

Le 4 janvier 2021, un incendie s'est déclaré dans la maison des époux [O], la détruisant dans son intégralité.

Par ordonnance du 14 septembre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Tarbes, saisi à cette fin par les époux [O], a ordonné une expertise judiciaire, confiée à Monsieur [H] [T].

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 3 janvier 2022.

Le 16 février 2023, Mme [O] a signé une quittance subrogative aux termes de laquelle elle reconnaît avoir reçu la somme de 438 685,63 euros de la SA Sogessur.

Par actes des 3 et 6 mars 2023, les époux [O] et la SA Sogessur ont fait assigner M. [V] et la SA Allianz IARD devant le tribunal judiciaire de Tarbes aux fins pour les époux [O] de voir indemniser leurs préjudices, et pour la SA Sogessur, de se voir rembourser les sommes versées à ses assurés.

Par conclusions d'incident du 13 octobre 2023, M. [V] et la SA Allianz IARD ont sollicité du juge de la mise en état qu'il déclare irrecevable la SA Sogessur en ses demandes faute de subrogation valable dans les droits des époux [O].

Suivant ordonnance contradictoire du 18 septembre 2024 (RG n°23/00468), le juge de la mise en état a :

- accueilli la fin de non-recevoir invoquée par M. [V] et la SA Allianz IARD tirée du défaut d'intérêt à agir de la SA Sogessur à raison de l'absence de subrogation légale,

- dit que la SA Sogessur ne peut se prévaloir de la subrogation légale définie par l'article L.121-12 du code des assurances,

- déclaré en conséquence irrecevable la demande de la SA Sogessur tendant à voir condamner in solidum M. [V] et la SA Allianz IARD à lui payer la somme de 438 685,63 euros à parfaire le jour de l'audience,

- réservé les dépens de l'incident,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- renvoyé l'affaire à la mise en état,

- rappelé l'exécution provisoire de la décision.

Pour motiver sa décision, le juge a retenu :

- que le moyen tiré de l'absence de subrogation légale de la SA Sogessur à raison du paiement d'une indemnité auquel elle n'était pas tenue en vertu du contrat d'assurance souscrit par les époux [O] constitue une fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir de la société d'assurance, de sorte que le juge de la mise en état est compétent pour trancher cette question, de même qu'il est compétent pour trancher toute question de fond préalable,

- que la SA Sogessur ne fonde ses demandes que sur la subrogation légale,

- que le paiement de la SA Sogessur à ses assurés est intervenu au titre de la garantie 'incendie et événements assimilés' de leur contrat d'assurance habitation, alors qu'il est prévu dans les conditions générales du contrat que les dommages relevant de la législation sur la construction ou la rénovation des bâtiments ne sont pas couverts, de sorte que la SA Sogessur n'était pas tenue de payer l'indemnité à ses assurés, dès lors que le dommage consistant en la destruction du bien des époux [O] résulte bien de la législation sur la construction, M. [V] ayant été assigné en qualité de constructeur,

- qu'il en résulte que la SA Sogessur ne peut se prévaloir de la subrogation légale dans les droits de ses assurés, et que sa demande tendant à voir condamner in solidum M. [V] et son assureur à lui payer la somme de 438 685,63 euros est irrecevable.

Par déclaration du 25 septembre 2024 (RG n°24/02677), M. [N] [O], Mme [P] [G] et la SA Sogessur ont relevé appel, critiquant l'ordonnance en ce qu'elle a :

- accueilli la fin de non-recevoir invoquée par M. [V] et la SA Allianz IARD tirée du défaut d'intérêt à agir de la SA Sogessur à raison de l'absence de subrogation légale,

- dit que la SA Sogessur ne peut se prévaloir de la subrogation légale définie par l'article L.121-12 du code des assurances,

- déclaré en conséquence irrecevable la demande de la SA Sogessur tendant à voir condamner in solidum M. [V] et la SA Allianz IARD à lui payer la somme de 438 685,63 euros à parfaire le jour de l'audience,

Suivant avis de fixation adressé par le greffe de la cour, l'affaire a été fixée selon les modalités prévues aux articles 906 et suivants du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions du 5 décembre 2024, M. [N] [O], Mme [P] [G] et la SA Sogessur, appelants, entendent voir la cour :

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :

- accueilli la fin de non-recevoir invoquée par M. [V] et la SA Allianz IARD tirée du défaut d'intérêt à agir de la SA Sogessur à raison de l'absence de subrogation légale,

- dit que la SA Sogessur ne peut se prévaloir de la subrogation légale définie par l'article L.121-12 du code des assurances,

- déclaré en conséquence irrecevable la demande de la SA Sogessur tendant à voir condamner in solidum M. [V] et la SA Allianz IARD à lui payer la somme de 438 685,63 euros à parfaire le jour de l'audience,

- réservé les dépens de l'incident,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Statuant à nouveau,

- rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la SA Allianz IARD,

- débouter la SA Allianz IARD de sa demande de condamnation fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SA Allianz IARD à payer à la SA Sogessur une somme de 3 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SA Allianz IARD aux entiers dépens de l'incident.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir :

- que la SA Sogessur démontre avoir procédé au paiement des indemnités consécutives au sinistre en exécution des garanties prévues par la police d'assurance souscrite par les époux [O],

- que les conditions de la subrogation légale prévues par l'article L. 121-12 du code des assurances sont remplies dès lors que la SA Sogessur a indemnisé son assuré en exécution du contrat qui prend en charge l'incendie, et qu'un recours en responsabilité contre un tiers a été introduit,

- qu'elle était tenue d'indemniser ses assurés au titre de l'incendie survenu, sans qu'il ne puisse être considéré que cet incendie relève de la législation sur la construction au seul motif que M. [V] a été assigné sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil, M. [V] contestant d'ailleurs sa responsabilité à ce titre,

- que les conclusions expertales, qui indiquent que l'origine du feu serait due à un défaut de l'installation électrique dans les combles, sont insuffisantes pour permettre à la SA Sogessur d'invoquer l'exclusion de garantie relative aux dommages « relevant de la législation sur la construction ou la rénovation des bâtiments », et de ne pas indemniser ses assurés,

- qu'à titre subsidiaire, la SA Sogessur est fondée à revendiquer le bénéfice de la subrogation légale générale, dès lors qu'elle avait un intérêt légitime à verser les indemnités afin de permettre aux époux [O] de pouvoir reconstruire leur résidence principale dans les meilleurs délais.

Par conclusions notifiées le 4 février 2025, M. [X] [V] et la SA Allianz IARD, intimés, demandent à la cour de :

- juger que la société Sogessur n'est pas valablement subrogée dans les droits de ses assurés,

- juger que la cour n'est pas saisie d'une fin de non-recevoir relative à une demande qui serait fondée sur l'article 1346 du code civil,

En conséquence :

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes formées par la société Sogessur à leur encontre,

Y ajoutant :

- condamner la société Sogessur à leur payer une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

En tout état de cause :

- débouter la société Sogessur et les époux [O] de l'intégralité de leurs demandes.

Au soutien de leurs demandes, ils font valoir, au visa des articles 122 et suivants du code de procédure civile, L. 121-12 du code des assurances et 1346-1 du code civil :

- que la SA Sogessur n'est pas valablement subrogée dans les droits des époux [O] en application de l'article L. 121-12 du code des assurances, dès lors qu'elle a versé une indemnité à laquelle elle n'était pas tenue en vertu du contrat d'assurance la liant à ses assurés,

- qu'en effet, les époux [O] et leur assureur recherchent la responsabilité de M. [V] sur le fondement de l'article 1792 du code civil, en sa qualité de constructeur intervenu au titre des travaux d'électricité dans le cadre de la rénovation de la maison des époux [O], alors que sont exclus du contrat d'assurance des époux [O] les dommages relevant de la législation sur la construction ou la rénovation des bâtiments, et relevant de l'assurance dommages ouvrage,

- que l'exclusion de garantie prévue au contrat est applicable, dès lors que la SA Sogessur a elle-même indiqué que l'analyse de l'expert judiciaire était suffisante pour mettre en jeu la responsabilité de M. [V],

- que la SA Sogessur n'a pas invoqué l'article 1346 du code civil en première instance pour fonder sa subrogation, de sorte que sa demande en cause d'appel sur ce fondement est irrecevable,

- que la SA Sogessur ne peut se prévaloir de la subrogation conventionnelle de l'article 1346-1 du code civil dès lors qu'elle n'est pas intervenue antérieurement ou concomitamment au paiement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 février 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur l'intérêt à agir de la SA Sogessur

L'article 122 du code de procédure civile dispose que 'constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.'

Aux termes de l'article 32 du même code, 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.'

L'article L. 121-12 alinéa premier du code des assurances dispose que 'l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.'

Il est constant que cette subrogation légale est soumise à l'indemnisation préalable de l'assuré par l'assureur en exécution de la police d'assurance souscrite. La subrogation n'a lieu que lorsque l'indemnité a été versée en application des garanties souscrites (Civ. 2e, 16 déc. 2021).

En l'espèce, il est prévu par les conditions particulières du contrat d'assurance souscrit par Mme [O] auprès de la SA Sogessur, à effet du 3 novembre 2014, qu'est couvert au titre du contrat, 'l'incendie et événements assimilés'.

Les conditions générales du contrat d'assurance souscrit stipulent, en page 33, que le 'contrat ne couvre pas les dommages (...) :

- relevant de la législation sur la construction ou la rénovation des bâtiments,

- relevant de l'assurance dommages ouvrage'.

Il n'est pas discuté que le bien des époux [O] a été sinistré par un incendie survenu le 4 janvier 2021, de sorte que c'est bien en exécution des conditions particulières du contrat d'assurance souscrit que la SA Sogessur a versé à Mme [O] la somme totale de 438 685,63 euros, ce paiement n'étant pas contesté.

Afin de pouvoir valablement invoquer les clauses d'exclusion de garantie contenues au contrat, et être ainsi déchargé du paiement de l'indemnité d'assurance, l'assureur doit démontrer que celles-ci trouvent à s'appliquer.

Or en l'espèce, il est versé aux débats :

- un rapport d'expertise privée du 10 mars 2021 qui retient comme cause privilégiée de l'incendie, entre autres causes éventuelles, l'étanchéité de la protection des spots encastrés dans le plafond (risque d'incendie en cas de contact avec la ouate de cellulose, isolant thermique des combles),

- un rapport d'expertise judiciaire du 3 janvier 2022, lequel conclut que l'incendie trouve sa cause la plus probable dans un défaut survenu sur l'installation électrique dans les combles du bien sinistré, par exemple, altération de l'isolation d'un câble électrique, réduction ponctuelle de la section d'un conducteur, problème VMC ou défaut de connexion au niveau des spots à led, tout en précisant qu'il n'existe aucune preuve matérielle pour démontrer l'une de ces hypothèses. L'expert ajoute qu'il n'y a aucune raison de penser que l'installation électrique n'ait été réalisée conformément aux règles de l'art.

Il résulte de ces éléments que la SA Sogessur ne pouvait, lorsqu'elle a été saisie du dossier de sinistre, pas plus que lorsqu'elle a procédé à l'indemnisation de son assurée entre le 13 janvier 2021 et le 8 septembre 2022, se prévaloir à l'encontre de cette dernière de la clause d'exclusion de garantie des dommages relevant de la législation sur la construction ou la rénovation des bâtiments, ou de l'assurance dommages ouvrage, puisqu'il n'existait, et qu'il n'existe toujours à ce stade, aucune certitude quant à la cause de la survenance de l'incendie.

La délivrance, par les époux [O] et leur assureur, d'une assignation au fond à l'encontre de M. [V] et de son assureur sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil n'est pas de nature à démontrer que le dommage relèverait de la législation sur la construction ou la rénovation, ou de l'assurance dommages ouvrage.

En effet, le bien fondé et l'issue de l'action ainsi introduite sont incertains, d'autant qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire et notamment des dires adressés à l'expert que M. [V] et son assureur contestent leur responsabilité dans la survenance de l'incendie, ce qui induit d'ailleurs qu'ils contestent que le dommage relève de la législation sur la construction ou la rénovation.

En conséquence, dès lors qu'il n'est pas établi que le dommage relève de la législation sur la construction ou la rénovation, ou de l'assurance dommages ouvrage, et qu'il entre à ce titre dans le champ de la clause d'exclusion de garantie visée au contrat, la SA Sogessur était bien obligée au paiement en exécution du contrat d'assurance souscrit par Mme [O].

En procédant au versement de l'indemnité, elle s'est ainsi valablement trouvée subrogée dans les droits de son assurée.

L'ordonnance sera donc infirmée en ce qu'elle a accueilli la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la SA Sogessur en l'absence de subrogation légale, et l'action de la SA Sogessur tendant à voir condamner in solidum M. [V] et la SA Allianz IARD au paiement de la somme de 438 685,63 euros sera déclarée recevable.

- Sur les mesures accessoires

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de M. [V] et de son assureur, la SA Allianz IARD, qui succombent.

L'équité commande l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile uniquement aux époux [O] et à leur assureur, la SA Sogessur.

M. [V] et la SA Allianz IARD seront déboutés de leur demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de l'absence de subrogation légale de la SA Sogessur soulevée par M. [X] [V] et la SA Allianz IARD,

DÉCLARE en conséquence recevable la demande de la SA Sogessur tendant à voir condamner in solidum M. [X] [V] et la SA Allianz IARD au paiement de la somme de 438 685,63 euros, à parfaire,

CONDAMNE in solidum M. [X] [V] et la SA Allianz IARD à payer à M. [N] [O], Mme [P] [G] et la SA Sogessur, ensemble, la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,

DÉBOUTE M. [X] [V] et la SA Allianz IARD de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum M. [X] [V] et la SA Allianz IARD aux dépens de l'incident et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame FAURE, Présidente et par Madame DENIS, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire

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