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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 14 mai 2025, n° 23/02731

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Modulem (SAS)

Défendeur :

Abeille IARD & Santé (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Defix

Conseillers :

Mme Robert, Mme Leclercq

Avocats :

Me Sorel, Me Capela, Me Cabalet, SELEURL Nicolas Ramondenc, SELARL Terracol-Cabalet Avocats

TJ Toulouse, du 16 mars 2023, n° 17/0456…

16 mars 2023

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] ont entrepris la construction d'une maison modulaire sur un terrain leur appartenant sis [Adresse 3] à [Localité 4] (31).

La société à responsabilité limitée (Sarl) Candarchitectes, agence d'architecture dans laquelle Mme [W] [S] épouse [K] était également salariée a apporté son concours.

Suivant devis des 2 janvier et 14 février 2013, la société par action simplifiées (Sas) Modulem, assurée auprès de la Sa Aviva Assurances, a été chargée de la fabrication, la fourniture et la pose des 4 modules, pour un montant de 105 315,87 euros toutes taxes comprises et de 2 auvents, pour un montant de 2 730,47 euros toutes taxes comprises.

L'assemblage des modules et auvents a été sous-traité par la Sas Modulem à la Sarl Gr Compagny, assurée auprès de la Sa Maaf Assurances.

Un procès-verbal de 'pré-réception' a été établi, avec réserves, le 23 avril 2013.

À compter du mois de juillet 2015, M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] ont constaté l'apparition de traces de coulures et d'infiltrations sur les murs intérieurs et les parements extérieurs de l'habitation, qu'ils ont fait constater par huissier de justice le 29 juillet 2015.

Ils ont ensuite saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse aux fins de voir ordonner une expertise. Par ordonnance rendue le 4 novembre 2015, M. [U] [F] a été désigné en qualité d'expert.

En cours d'expertise, les maîtres de l'ouvrage ont sollicité du juge des référés l'allocation d'une provision en vue de la poursuite des opérations d'expertise, laquelle leur a été refusée par ordonnance du 15 juin 2016.

L'expert a déposé son rapport en l'état le 26 octobre 2016, sans avoir procédé au chiffrage des travaux de reprise à défaut de consignation d'un complément d'honoraires par M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K].

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Suivant exploits d'huissier délivrés des 12 et 15 décembre 2017, M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] ont fait assigner la Sas Modulem et la Sa Aviva Assurances, ainsi que la Sarl Gr Compagny et la Sa Maaf Assurances devant le tribunal de grande instance de Toulouse, aux fins d'indemnisation de leurs préjudices, à titre principal sur le fondement de la garantie décennale et à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité civile contractuelle et délictuelle.

Suivant ordonnance rendue le 27 juillet 2018, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse a ordonné un complément d'expertise et commis M. [F] pour y procéder, condamné la société Modulem au paiement d'une provision en vue de la poursuite des opérations d'expertise et rejeté une demande de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice de jouissance.

Par actes d'huissier du 13 juin 2018, la Sa Maaf Assurances a fait délivrer une

assignation d'appel en la cause et garantie à la Sarl Candarchitectes et à la Mutuelle des Architectes Français (Maf).

Par acte d'huissier du 30 juillet 2018, M. et Mme [K] ont fait délivrer une assignation à M. [D] [T], ès qualités d'ancien liquidateur amiable de la Sarl Gr Compagny aux fins de le voir condamner à les indemniser de leurs préjudices matériels et immatériels.

Les instances ont été jointes par ordonnances du juge de la mise en état des 6 septembre 2018 et 11 octobre 2018.

L'expert a déposé son rapport le 16 décembre 2019.

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Par jugement du 16 mars 2023, le tribunal de judiciaire de Toulouse, a :

- dit que la réception de l'ouvrage est intervenue le 23 avril 2013 de façon tacite et avec les 25 réserves mentionnées dans le « Procès-verbal des Opérations Préalables à la Réception (OPR) » établi à cette date,

- débouté M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de l'intégralité de leurs demandes formées contre la Sarl Candarchitectes et la Maf,

- condamné la Sa Aviva Assurances à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] la somme totale de 104 005,81 euros au titre du coût des travaux de reprise, incluant le coût d'une mission de maîtrise d'oeuvre et condamné la Sas Modulem in solidum avec elle, dans la limite de 99 293,35 euros, après déduction du solde de son marché lui restant dû,

- condamné la Sa Aviva Assurances et la Sas Modulem in solidum à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] les sommes de :

' 8 472 euros toutes taxes comprises au titre du coût du déménagement et du stockage des meubles pendant la réalisation des travaux,

' 11 520 euros toutes taxes comprises au titre des frais de relogement et de mise en pension de leurs animaux de compagnie,

- condamné la Sa Aviva Assurances à relever et garantir la Sas Modulem de la condamnation au titre des dommages matériels, dans la limite de la somme mise à sa charge,

- dit que la Sa Aviva Assurances est fondée à opposer ses franchises contractuelles à sa seule assurée au titre des désordres matériels,

- condamné la Sa Maaf Assurances à relever et garantir la Sas Modulem et la Sa Aviva Assurances des condamnations prononcées à leur encontre au titre des dommages matériels,

- dit que la Sa Maaf Assurances est fondée à opposer aux tiers le montant de sa franchise,

- condamné la Sas Modulem à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] les sommes de :

' 32 300 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

' 6 800 euros au titre de leur préjudice moral,

- débouté M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de leurs demandes formées à l'encontre de la Sa Aviva Assurances au titre de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral,

- rejeté les recours formés par la Sas Modulem contre la Sa Aviva Assurances et la Sa Maaf Assurances à ces deux titres,

- condamné la Sas Modulem, la Sa Aviva Assurances et la Sa Maaf Assurances in solidum aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de la procédure en référé et ceux des deux expertises judiciaires, dont distraction au profit de l'avocat constitué de M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] et de Maître Isabelle Dingli,

- condamné la Sas Modulem, la Sa Aviva Assurances et la Sa Maaf Assurances in solidum à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les provisions pour le procès qui ont été allouées à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] en suite des ordonnances rendues les 27 juillet 2018 et 7 mai 2020 devront venir en déduction du coût des expertises et des frais irrépétibles qui leur sont alloués,

- dit que dans les rapports entre co-obligées, la Sa Aviva Assurances et la Sa Maaf Assurances devront relever et garantir la Sas Modulem des condamnations prononcées au titre des dépens et frais irrépétibles,

- dit que la la charge finale de la dette au titre des dépens et frais irrépétibles sera intégralement supportée par la Sa Maaf Assurances,

- rejeté toutes autres demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

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Par acte du 16 mars 2023, la Sas Modulem a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Toulouse le 16 mars 2023, en ce qu'il a :

- condamné la Sas Modulem à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] les sommes de :

' 32 300 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

' 6.800 euros au titre de leur préjudice moral,

- débouté M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de leurs demandes formées à l'encontre de la Sa Aviva Assurances au titre de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral,

- rejeté les recours formés par la Sas Modulem contre la Sa Aviva Assurances et la Sa Maaf Assurances à ces deux titres.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 avril 2024, la Sas Modulem, appelante, demande à la cour, au visa de l'article 1792 du code civil, l'article 1147 nouveau du code civil, ainsi que de l'article 1240 nouveau du code civil, de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tous les cas malfondées,

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

'condamné la Sas Modulem à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] les sommes de :

* 32 300 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

* 6 800 euros au titre de leur préjudice moral,

' débouté M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de leurs demandes formées à l'encontre de la Sa Aviva Assurances au titre de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral,

' rejeté les recours formés par la Sas Modulem contre la Sa Aviva Assurances et la Sa Maaf Assurances à ces deux titres,

- dire que M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] ne sont pas fondés à invoquer un quelconque préjudice de jouissance,

- dire que M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] ne sont pas fondés à solliciter l'indemnisation d'un préjudice moral,

- les débouter en conséquence de toutes demandes relatives à ces postes d'indemnisation,

- dire que la compagnie Abeille doit sa garantie au titre des dommages immatériels,

- débouter la compagnie Abeille de ses demandes,

- condamner la compagnie Abeille à relever et garantir indemne la Sas Modulem des condamnations éventuellement prononcées à son encontre, y compris s'agissant des préjudices de jouissance et moral,

- condamner tout succombant à verser à la Sas Modulem la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Ramondenc.

Dans leurs dernières conclusions, portant appel incident, transmises par voie électronique le 1er juillet 2024, M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K], intimés, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants, 1147, ainsi que de l'article 1382 du code civil, de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme étant injustes et en tout cas, mal fondées,

- débouter la Sas Modulem de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu'il a :

'condamné la Sas Modulem à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] les sommes de :

* 32 300 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

* 6 800 euros au titre de leur préjudice moral,

' débouté M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de leurs demandes formées à l'encontre de la Sa Aviva Assurances au titre de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral,

Et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

- condamner in solidum les sociétés Modulem et son Assureur Aviva Assurances devenu Abeille iard & Santé à indemniser M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de leur entier préjudice en leur réglant les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts :

' 45 125 euros au titre de leur préjudice de jouissance, à parfaire à la date de fin des travaux,

' 10 000 euros au titre de leur préjudice moral,

Y ajoutant,

- condamner la Sas Modulem ou tout succombant à verser à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] la somme complémentaire de 6 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Sas Modulem ou tout succombant aux entiers dépens du présent appel, dont distraction au profit de l'avocat constitué sur son affirmation de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 janvier 2024, Sa Abeille Iard & Santé venant aux droits de la société Aviva, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants, 1240 et suivants du code civil, de l'article L242-1 et suivants du code des assurances ainsi que de l'article 700 du cpc, de :

À titre principal :

Quantum des préjudices immatériels :

- infirmer le jugement du 16 mars 2023 en ce qu'il a condamné la Sas Modulem à payer :

' 32 300 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

' 6 800 euros au titre de leur préjudice moral,

- débouter M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de leurs demandes au titre des préjudices de jouissance et du préjudice moral,

À titre subsidiaire :

Garantie des préjudices immatériels

- confirmer le jugement du 16 mars 2023 en ce qu'il a :

' débouté M [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de leurs demandes formées à l'encontre de la Sa Aviva Assurances au titre de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral,

' rejeté les recours formés par la Sas Modulem contre la Sa Aviva Assurances et la Sa Maaf Assurances à ces deux titres,

En conséquence,

- juger que les préjudices immatériels ne sont pas garantis au titre du contrat souscrit auprès de la Sa Abeille Iard & Santé,

- débouter M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] ainsi que toute autre partie de leurs demandes en tant que présentées à l'encontre de la Sa Abeille Iard & Santé,

- juger que la Sa Abeille Iard & Santé sera en droit d'opposer ses franchises contractuelles à son assuré concernant les préjudices immatériels et à tous en ce qui concerne les préjudices immatériels,

En tout état de cause :

- condamner tout succombant au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du cpc ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 janvier 2025 et l'affaire a été examinée à l'audience du 11 février 2025 à 14h.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

1. Sur l'indemnisation du préjudice de jouissance, les premiers juges ont considéré que les époux [K] avaient, du fait des désordres affectant leur ouvrage, subi un préjudice de jouissance sur une durée de 68 mois ayant couru d'août 2015 à octobre 2016 puis d'août 2018 à décembre 2022. La Sas Modulem fait valoir que la Sa Aviva avait proposé, selon devis du 23 mars 2015, une solution de reprise des désordres pour un montant de 14 412,83 euros et que les époux [K] n'ont donné aucune suite à cette proposition qui aurait pu mettre fin aux désordres. Elle fait également valoir que les intimés ont tardé à assigner les défendeurs au fond ce qui a eu pour conséquence d'aggraver les dommages et soutient enfin que les maîtres d'ouvrages n'ont pas souscrit d'assurance dommages-ouvrage, laquelle leur aurait évité de supporter le préjudice de jouissance dont ils demandent réparation. La Sa Abeille Iard & Santé soutient également que les époux ont contribué à leur préjudice de jouissance en refusant la proposition d'indemnité.

1.1 Les époux [K] font valoir qu'il n'est pas démontré qu'une proposition sérieuse d'indemnisation leur aurait été formalisée et effectivement adressée.

1.2 Au titre de l'article 1792 du code civil tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. Aussi une part de responsabilité peut être laissée au maître de l'ouvrage dès lors que sa faute a constitué une cause d'aggravation des désordres ayant concouru pour partie à la réalisation du préjudice (Civ. 3e, 10 janv. 2001, no 99-13.103). Le défaut de souscription par le maître de l'ouvrage de l'assurance obligatoire dommages-ouvrage ne constitue en lui-même ni une cause des désordres, ni une cause exonératoire pour l'entrepreneur (Civ. 3e, 19 septembre 2024, no 22-24.808). Enfin, l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable (Civ. 1re, 2 juillet 2014, n° 13-17.599).

1.3 Il est constant la société Sas Modulem, assurée auprès de la société Abeille Iard & santé, a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1792 du code civil auprès des époux [K] en raison de la défectuosité des travaux qu'elle a effectués. Il n'est pas plus contesté que les époux [K] ont subi un préjudice de jouissance du fait de l'inhabitabilité de l'ouvrage.

1.4 En l'espèce, la Sas Modulem produit un courrier du 12 mai 2015 adressé au conseil des consorts [K] aux termes duquel le cabinet Picard, mandaté par la Sa Aviva, indique que la Sas Modulem « a établi un devis pour la modification des auvents permettant de remédier aux venues d'eau et à la remise en état des lieux » pour un montant de 14 412,83 '. Le courrier indique ensuite « nous vous proposons donc d'intégrer ces éléments dans le protocole d'accord qui avait été évoqué à l'issue de la réunion ». Il ne ressort pas de ce courrier que la Sa Aviva ait expressément entendu prendre en charge les travaux visés au devis. À l'inverse le courrier indique seulement que ces travaux devront être pris en compte dans un protocole d'accord futur, ce qui ne constitue pas en soi une proposition d'indemnisation ferme et définitive. La cour entend par ailleurs relever que les travaux proposés dans le devis sont largement insuffisants par rapport aux préconisations de l'expert et n'auraient donc en tout état de cause pas permis de remédier aux désordres. Aussi le moyen tiré de ce que les consorts [K] aurait refusé de manière fautive des indemnités proposées par la société Aviva, entraînant ainsi une aggravation du préjudice de jouissance est mal fondé en fait et sera écarté.

1.5 Par ailleurs, la circonstance que les époux [K] aient, selon la Sas Modulem, tardé à engagé une procédure au fond à la suite du rapport d'expertise est sans incidence sur sa responsabilité, la victime d'un dommage n'étant pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable par l'introduction de son action dans un délai qui lui serait favorable.

1.6 Enfin, comme rappelé supra le défaut de souscription d'une assurance dommages-ouvrage par le maître d'ouvrage n'est pas susceptible d'exonérer l'entrepreneur de sa responsabilité au titre de l'article 1792 du code civil, le défaut de souscription d'une telle police par les époux [K] n'est donc pas de nature à exonérer la Sas Modulem de sa responsabilité.

1.7 N'apportant la preuve d'aucune cause d'exonération de sa responsabilité, la Sas Modulem est tenue d'indemniser les consorts [K] de leur préjudice de jouissance au titre de l'article 1792 du code civil.

2. Sur l'évaluation du préjudice de jouissance, le premier juge a relevé que le premier rapport d'expertise judiciaire a été déposé le 26 octobre 2016 sans chiffrage des travaux réparatoires faute pour les époux [K] d'avoir versé la consignation complémentaire mise à leur charge. Il a estimé, au regard de cette circonstance, que le préjudice de jouissance ayant couru entre le dépôt du rapport incomplet et le 27 juillet 2018, date de l'ordonnance de mise en état ayant ordonné une nouvelle expertise, ne pouvait être mis à la charge des défendeurs. Les consorts [K] font grief au jugement d'avoir déduit cette période de l'indemnisation au motif que le défaut de consignation résulterait de leur insolvabilité.

2.1 S'il ressort des éléments procéduraux que l'absence de versement de la consignation par M. et Mme [K] a eu pour effet la production d'un rapport d'expertise incomplet ne comportant pas de chiffrage de leur préjudice, il convient d'une part de relever que les demandeurs avaient été déboutés de leur demande de provision ad litem à laquelle il a été finalement fait droit lors de l'instance au fond ayant finalement permis la poursuite de l'expertise et d'autre part que ce défaut de chiffrage qui n'est pas imputable à une faute des maîtres de l'ourvage n'a pas en lui-même eu pour conséquence une aggravation ou une prolongation du préjudice subi en l'absence de proposition amiable suffisante d'indemnisation du dommage. Il est ainsi incontestable que M. et Mme [K] ont subi un préjudice de jouissance durant la période litigieuse qu'il y a donc lieu de réintégrer à hauteur de 21 mois x 475 euros soit 9 975 euros.

2.2 Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a limité à la somme de 32 300 euros la condamnation de la Sas Modulem à payer aux consorts [K] au titre de leur préjudice de jouissance. La Sas Modulem sera condamnée à payer aux consorts [K] la somme de 41 975 euros au titre de leur préjudice de jouissance.

3. Sur la réparation du préjudice moral, la société Aviva et la Sas Modulem se fondent sur les moyens identiques à ceux développés supra pour contester l'indemnisation du préjudice moral. Les consorts [K] soutiennent que le premier juge a fait une appréciation trop faible du préjudice.

3.1 En l'espèce les consorts [K] ont subi un préjudice moral du fait du stress et des tracas générés par l'atteinte portée à leur ouvrage que le premier juge a justement fixé à la somme de 6 800 euros. La décision déférée sera confirmée de ce chef.

4. Sur l'application de la police d'assurance pour les dommages immatériels, le premier juge a considéré que la police d'assurance de la Sa Abeille Iard & Santé, anciennement Aviva, n'avait pas vocation à s'appliquer pour les condamnations prononcées au titre des préjudices immatériels dès lors que cette dernière ne couvre que les conséquences pécuniaires de la responsabilité de la Sas Modulem. La Sas Modulem soutient que les conditions générales produites aux débats et limitant l'indemnisation des préjudices immatériels aux conséquences pécuniaires ne sont pas celles auxquelles renvoient les conditions particulières et qu'elles lui sont en conséquence inopposables.

4.1 Aux termes de l'article L. 124-3 du code des assurances le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

4.2 En l'espèce sont produites aux débat les conditions particulières de la police d'assurance multirisque construction souscrite par la Sas Modulem auprès de la Sa Aviva, désormais Abeille Iard & Santé. La police indique p. 7 que « vous reconnaissez avoir, préalablement à la signature de ces Conditions Particulières ['] reçu les documents suivants : Conditions Générales (4152-0612) ». Les conditions générales produites par la Sa Abeille Iard & Santé, lesquelles ne sont signées par aucune des parties, ne comportent pas le numéro « 4152-0612 » permettant de les identifier et d'attester de ce qu'elles seraient effectivement celles auxquelles renvoient les conditions particulières de la police souscrite par la Sas Modulem. Aussi les clauses qu'elles contiennent, notamment celles limitant la garantie des préjudices immatériels à ceux qui présenteraient un caractère pécuniaire, sont inopposables à la Sas Modulem.

4.3 Dès lors que les conditions particulières de la police indiquent en page 5 que sont garantis, dans le volet « Responsabilité civile décennale », les « dommages immatériels consécutifs » sans qu'il ne soit donné dans ce document une définition du préjudice immatériel qui viendrait notamment en limiter le champ d'application aux seuls préjudices immatériels pécuniaires, la Sa Abeille Iard & Santé doit sa garantie.

4.4 Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a retenu l'inapplicabilité de la garantie et la Sa Abeille Iard & Santé sera condamnée, au côté de la Sas Modulem, à indemniser les consorts [K] de leurs préjudices immatériels.

5. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance la Sas Modulem et la Sa Abeille Iard & Santé, parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, en retenant à bon droit que devaient être inclus dans les dépens les frais de référé et d'expertise judiciaire exposés en lien étroit et nécessaire avec la procédure engagée au fond.

6. Échouant en son recours, la société appelante sera condamnée aux dépens de l'appel. Elle sera également condamnée à payer à M. et Mme [K] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, dans les limites de sa saisine

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse, sauf en ce qu'il a :

- condamné la Sas Modulem à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] la somme de 32 300 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

- débouté M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] de leurs demandes formées à l'encontre de la Sa Aviva Assurances au titre de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne in solidum la Sas Modulem et la Sa Abeille iard & Santé à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] la somme de 41 975 ' au titre de leur préjudice de jouissance.

Condamne in solidum la Sa Abeille iard & Santé et la société Modulem à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] la somme de 6 800 euros au titre de leur préjudice moral.

Condamne la société Modulem aux dépens d'appel.

Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Maître Hélène Capela, avocat, à recouvrer directement contre la société Modulem aux dépens ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Condamne la Sas Modulem à payer à M. [L] [K] et Mme [W] [S] épouse [K] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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