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Décisions

CA Rouen, ch. de la proximite, 15 mai 2025, n° 24/01061

ROUEN

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tamion

Vice-président :

Mme Alvarade

Conseiller :

Mme de Mascureau

Avocats :

Me Absire, Me Etcheverry, Me Boyer

TJ Rouen, juge des contentieux de la pro…

14 février 2024

Exposé des faits et de la procédure

Le 24 mai 2019 M. [U] [H] et Mme [B] [L] (ci-après les consorts [H]/[L]) ont vendu à M. [K] [O] et Mme [T] [P] (ci-après les consorts [O]/[P]) un terrain à bâtir situé [Adresse 7] à [Localité 4] (76), issu de leur parcelle sur laquelle est bâtie leur maison à usage d'habitation, dont ils avaient fait l'acquisition par acte authentique du 27 février 2014.

Lors de la réalisation par les consorts [O]/[P] des travaux en vue de l'édification de leur maison, le constructeur a constaté des anomalies dans le sol, à savoir l'existence d'un ancien système d'épandage, nécessitant des travaux de consolidation qui seront évalués à hauteur de 33 478,78 euros.

Par acte d'huissier du 16 février 2022 les consorts [O]/[P] ont fait assigner les consorts [H]/[L] devant le tribunal judiciaire de Rouen pour obtenir réparation, en invoquant la garantie des vices cachés.

Par jugement contradictoire du 14 février 2024, le tribunal judiciaire de Rouen a :

déclaré irrecevable la demande de M. [U] [H] et Mme [B]

[L] tendant à ce que soit déclarée irrecevable car prescrite la demande de M. [K] [O] et Mme [T] [P] ;

rejeté toutes les demandes de M. [K] [O] et Mme [T] [P] ;

rejeté les demandes de M. [U] [H] et Mme [B] [L] au titre d'une procédure abusive ;

condamné M. [K] [O] et Mme [T] [P] aux entiers dépens ;

admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

condamné M. [K] [O] et Mme [T] [P] à payer M. [U] [H] et Mme [B] [L] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

rejeté les autres demandes, les demandes contraires ou plus amples ;

rappelé que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration du 20 mars 2024, les consorts [O]/[P] ont relevé appel de ce jugement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 février 2025.

Exposé des prétentions et des parties

Dans leurs conclusions d'appelant n° 2, transmises le 6 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, les consorts [O]/[P] demandent à la cour de :

infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 14 février 2024 en ce qu'il a : rejeté toutes les demandes de M. [K] [O] et Mme [T] [P], condamné M. [K] [O] et Mme [T] [P] aux entiers dépens, condamné M. [K] [O] et Mme [T] [P] à payer M. [U] [H] et Mme [B] [L] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté les autres demandes, les demandes contraires ou plus amples ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

condamner solidairement les consorts [H]/[L], au titre de la garantie des vices cachés à leur payer les sommes suivantes :

33 478,78 euros de restitution d'une partie du prix équivalente au coût des travaux d'aménagement des sols et 5 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

A titre subsidiaire et très subsidiaire,

condamner les consorts [H] et [L], au titre du dol, ou de l'erreur, à leur payer les sommes suivantes : 33 478,78 euros de restitution d'une partie du prix équivalente au coût des travaux d'aménagement des sols et 5 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 14 février 2024 en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts des consorts [H]/[L] au titre d'une procédure abusive ;

En tout état de cause,

débouter les consorts [H]/[L] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigés à leur encontre ;

condamner solidairement les consorts [H]/[L] à verser la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans leurs conclusions d'intimés transmises le 4 février 2025, auxquelles il est également renvoyé pour un exposé complet des moyens, les consorts [H]/[L] demandent à la cour de :

Sur l'appel principal,

confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rouen le 14 février 2024 en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation au titre d'une procédure abusive ;

à titre subsidiaire débouter les consorts [O]/[P] de leurs demandes indemnitaires dans la mesure où ils ne démontrent aucun préjudice ;

Sur l'appel incident,

infirmer le jugement rendu le 14 février 2024 par le tribunal judiciaire de Rouen en ce qu'il a rejeté leur demande au titre d'une procédure abusive ;

Statuant à nouveau,

condamner solidairement, à défaut in solidum, les consorts [O]/[P] à leur verser une somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

En tout état de cause,

condamner solidairement, à défaut in solidum, les consorts [O]/[P] à leur verser une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner solidairement, à défaut in solidum, les consorts [O]/[P] aux entiers dépens de l'instance d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la garantie des vices cachés

Par jugement du 14 février 2024 le tribunal judiciaire de Rouen a débouté les consorts [O]/[P] de leur demande visant à faire engager la responsabilité des consorts [H]/[L] pour vices cachés du terrain à bâtir qu'ils ont acquis par acte authentique du 24 mai 2019.

Les consorts [O]/[P] font valoir que les consorts [H]/[L] avaient eu connaissance de la présence de l'ancien système d'assainissement et d'épandage engendrant une fragilité du sol conditionnant la possibilité de construire à un surcoût important de travaux. Ils ajoutent que ce vice diminue l'usage de la chose et qu'ils ne l'auraient pas acquise s'ils en avaient eu connaissance.

Les consorts [H]/[L] font valoir qu'ils n'avaient pas connaissance de l'existence d'un ancien système d'assainissement avec épandage de leur maison dans la mesure où lorsqu'ils ont acquis (2014) l'ensemble de la propriété celle-ci était déjà raccordée au tout-à-l'égout. Ils précisent que c'est en apprenant par les consorts [O]/[P] au cours de leurs travaux la découverte de cet ancien système qu'ils ont procédé à des recherches de documents et ont découvert un schéma succinct laissé par les précédents propriétaires, qu'ils ont transmis aux consorts [O]/[P]. Par ailleurs, les intimés soulignent que l'acte de vente du 24 mai 2019 prévoit que l'acquéreur prend le bien dans son état au jour de l'entrée en jouissance, sans recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit et notamment pour des vices apparents ou des vices cachés.

En droit, l'article 1641 du code civil dispose : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »

Quant à l'article 1643 du code civil, dispose : « Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. »

Selon acte authentique reçu le 19 juillet 2018 par maître [V], notaire, les consorts [H]/[L] ont cédé dans le cadre d'une promesse de vente une parcelle à bâtir d'une contenance d'environ 1 176 m², issue de leur immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 4], lequel est d'une contenance totale de 4 265 m². Cette vente a été régularisée par acte authentique du 24 mai 2019 pour une surface de 1 255 m².

L'acte de cession a prévu dans le paragraphe relatif à l'état du bien que :

« Le bénéficiaire prendra le bien dans l'état où il se trouve à ce jour, tel qu'il l'a vu et visité, le promettant s'interdisant formellement d'y apporter des modifications matérielles ou juridiques.

Il déclare que la désignation du bien figurant aux présentes correspond à ce qu'il a pu constater lors de ses visites.

Il n'aura aucun recours contre le promettant pour quelque cause que ce soit notamment en raison :

des vices apparents,

des vices cachés.

S'agissant des vices cachés, il est précisé que cette exonération de garantie ne s'applique pas :

si le promettant a la qualité de professionnel de l'immobilier ou de la construction, ou s'il est réputé ou s'est comporté comme tel,

s'il est prouvé par le bénéficiaire, dans les délais légaux, que les vices étaient en réalité connus du promettant. »

En application de cette clause d'exclusion de garantie des vices cachés, les consorts [O]/[P] doivent prouver que le vice caché invoqué était connu des vendeurs, étant considéré que la qualité de non professionnel de l'immobilier ou de la construction de ces derniers n'est pas discutée.

La connaissance que les consorts [H]/[L] auraient eu du vice caché allégué tiendrait au fait qu'ils ont communiqué aux appelants par SMS du 19 septembre 2019 un plan matérialisant l'ancien système d'épandage.

A cet égard, il y a lieu de considérer que cette communication est intervenue spontanément lorsque les consorts [O]/[P] ont informé les consorts [H]/[L] de la découverte d'anciens drains ou tuyaux par l'entreprise menant des travaux de terrassement dans le sol de la parcelle acquise, ces derniers transmettant un schéma laissé par l'ancien propriétaire de l'ensemble qu'ils avaient acquis en 2014, sans qu'il soit contesté que le raccordement au tout-à-l'égout était antérieur, ce qui ne permet pas d'établir qu'ils avaient nécessairement connaissance d'un ancien système d'assainissement concernant leur immeuble ni des tuyaux d'épandage ou d'évacuation courant sur le terrain, tels que ceux retrouvés par les appelants. Surtout, le schéma communiqué (pièce n° 3 des appelants), qui avait été dressé de manière manuscrite, ne permet pas de localiser l'ancien système d'épandage sur l'ensemble du fonds des consorts [H]/[L], donc sur la parcelle divisée et vendue aux appelants. En effet, ce schéma est limité à l'implantation de ladite maison et ne concerne pas les tuyaux se trouvant sur la parcelle acquise par les consorts [O]/[P], qui n'est d'ailleurs pas représentée.

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer, sans qu'il y ait lieu d'examiner si le vice allégué répond aux conditions matérielles du vice caché, que les consorts [O]/[P] échouent à démontrer que les intimés en avaient connaissance pour échapper à l'exonération contractuelle prévue.

Sur le dol

Subsidiairement les consorts [O]/[P] se prévalent du dol, lequel est défini par l'article 1137 du code qui dispose :

« Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »

A cette fin les appelants considèrent que les vendeurs avaient connaissance de la présence d'un ancien système d'assainissement imposant la réalisation de structures spécifiques, dont ils ont sciemment dissimulé les documents pourtant en leur possession.

Eu égard aux motifs qui précèdent concernant la garantie des vices cachés et la remise par les intimés du schéma ne permettant pas de localiser l'ancien système d'épandage sur la parcelle acquise, ce schéma ne saurait par conséquent être l'objet de la dissimulation d'une information déterminante sur laquelle s'appuient les appelants au titre du dol. Au surplus, les conditions de la transmission du schéma ne démontrent pas une intention de dissimuler, les consorts [H]/[L] ayant remis spontanément un schéma succinct retrouvé lorsque les appelants leur ont fait part de la découverte d'anciens drains par l'entreprise de terrassement.

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les consorts [O]/[P] ne justifie pas d'un vice du consentement au titre du dol.

Sur l'erreur

A titre infiniment subsidiaire, les consorts [O]/[P] se prévalent de l'erreur, laquelle est définie par l'article 1132 du code civil qui dispose :

« L'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Ces dispositions sont complétées par l'article 1133 du même code qui dispose :

« Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.

L'erreur est une cause de nullité qu'elle porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie.

L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité. »

Les appelants considèrent qu'il y a erreur dans la mesure où la qualité substantielle du terrain est en cause, sa nature impliquant nécessairement la réalisation de dispositifs constructifs spécifiques.

De leur côté, les intimés font justement valoir que l'erreur sur les qualités substantielles n'est pas davantage établie. En effet, les consorts [O]/[P] ont acquis un terrain à bâtir pour y édifier une maison, laquelle a été édifiée sans que la constructibilité au plan administratif n'ait été remise en cause, et la fragilité du sol constatée par suite de la découverte de traces d'anciens drains caractérisant un défaut intrinsèque du terrain et non une erreur sur la substance.

En conséquence de tout ce qui précède, il y a lieu de confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rouen le 14 février 2024 en ce qu'il a rejeté les demandes des consorts [O]/[P].

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Les consorts [H]/[L] seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive fondée sur les articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil, dès lors qu'ils ne démontrent pas l'existence d'un préjudice distinct de ce qu'ils sollicitent au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens de première instance seront confirmés.

En application de l'article 696 du code de procédure civile les consorts [O]/[P], qui succombent, doivent être condamnés solidairement aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer aux consorts [H]/[L] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 février 2024 par le tribunal judiciaire de Rouen ;

Y ajoutant,

Déboute M. [U] [H] et Mme [B] [L] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne solidairement M. [K] [O] et Mme [T] [P] aux dépens d'appel ;

Condamne solidairement M. [K] [O] et Mme [T] [P] à payer à M. [U] [H] et Mme [B] [L] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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