CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 15 mai 2025, n° 24/15095
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Paradis Des Gourmands (SAS)
Défendeur :
Matteoti (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mme Chopin, M. Najem
Avocats :
Me Lahmi, Me Thierry-Leufroy
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat en date du 1er février 2007, la SCI Matteoti a donné à bail commercial à M. [F] et à Mme [E] épouse [F] des locaux situés [Adresse 2], [Localité 3] (Seine-et-Marne), moyennant un loyer annuel de 21.000 euros, hors charges et hors taxes, payable mensuellement par avance.
Par contrat en date du 15 mars 2016, le bail commercial conclu le 1er février 2007 a été renouvelé et le montant du loyer annuel a été fixé à 25.060,08 euros hors taxes.
Par acte authentique du 31 décembre 2020, les époux [F] ont cédé leur fonds de commerce ainsi que leur droit au bail à la SAS Paradis des gourmands.
Le bailleur a fait délivrer au preneur un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail, par acte de commissaire de justice du 23 novembre 2023, pour une somme de 10.316,94 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 30 novembre 2023.
Exposant que les causes du commandement sont demeurées impayées, la SCI Matteoti a, par acte du 5 février 2024, fait assigner la société Paradis des gourmands devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux aux fins de, notamment :
constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail ;
ordonner l'expulsion de la société Paradis des gourmands et celle de tous occupants de son chef des lieux loués avec le concours de la force publique si besoin est ;
condamner la société par Paradis des gourmands à lui payer la somme provisionnelle de 5.505,45 euros arrêtée au mois de juin 2024 ;
condamner la société Paradis des gourmands à lui payer une indemnité d'occupation provisionnelle égale au quadruple du montant du loyer augmenté des charges, jusqu'à la libération des locaux qui se matérialisera par la remise des clés ou l'expulsion du défendeur ; et
condamner la société Paradis des gourmands au paiement d'une pénalité égale à 10% des sommes dues.
Par ordonnance contradictoire du 31 juillet 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux a notamment :
constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 24 décembre 2023 ;
débouté la société Paradis des gourmands de sa demande de suspension des effets de la clause résolutoire ;
ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la société Paradis des gourmands et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 2], [Localité 3] (Seine-et-Marne) avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de deux mois à l'expiration duquel il sera procédé à la mise en vente aux enchères publiques des biens paraissant avoir une valeur marchande, les autres biens étant réputés abandonnés, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;
fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la société Paradis des gourmands, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;
dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de provision au titre du solde des loyers ;
condamné la société Paradis des gourmands à régler les intérêts légaux sur la somme du commandement de payer à compter de sa date et jusqu'à parfait paiement ;
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande formée au titre de la clause pénale ;
débouté la société Paradis des gourmands de sa demande de provision ;
condamné la société Paradis des gourmands aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer au 23 novembre 2023 ;
condamné la société Paradis des gourmands à payer la SCI Matteoti la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
rejeté les autres demandes des parties ;
rappelé que la décision est exécutoire à titre provisoire.
Par déclaration du 13 août 2024, la société Paradis des gourmands a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 24 octobre 2024, elle demande à la cour, sur le fondement des articles 700, 834 et 835 du code de procédure civile et L. 145-41 du code de commerce, de :
infirmer l'ordonnance du 31 juillet 2024 en ce qu'elle :
a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 24 décembre 2023 ;
l'a déboutée de sa demande de suspension des effets de la clause résolutoire ;
a ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, son expulsion et celle de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 2], [Localité 3] (Seine-et-Marne) avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
a dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de deux mois à l'expiration duquel il sera procédé à la mise en vente aux enchères publiques des biens paraissant avoir une valeur marchande, les autres biens étant réputés abandonnés, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;
a fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation qu'elle doit, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;
l'a condamnée à régler les intérêts légaux sur la somme du commandement de payer à compter de sa date et jusqu'à parfait paiement ;
l'a condamnée aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer du 23 novembre 2023 ainsi qu'au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
a rejeté les autres demandes des parties ;
a rappelé que la présente décision est exécutoire à titre provisoire ;
en conséquence et statuant de nouveau,
à titre principal,
juger qu'il existe une cause de nullité du commandement de payer du 23 novembre 2023 ;
juger que cette cause de nullité constitue une contestation sérieuse au titre de l'article 834 du code de procédure civile ;
en conséquence,
juger qu'il n'y a lieu à référé ;
débouter la société Matteoti de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre de l'acquisition de la clause résolutoire et des demandes subséquentes ;
à titre subsidiaire,
juger qu'elle a fait preuve de bonne foi et s'est acquittée de l'intégralité des sommes réclamées par la société Matteoti ;
en conséquence,
suspendre les effets de la clause résolutoire visée au commandement du 23 novembre 2023 ;
débouter la société Matteoti de ses demandes subséquentes relatives à son expulsion et la fixation d'une indemnité d'occupation au quadruple du montant du loyer ;
en tout état de cause,
débouter la société Matteoti du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;
confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la société Matteoti de sa demande de fixation d'une indemnité d'occupation au quadruple du montant du loyer ;
confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la société Matteoti de sa demande au titre de la clause pénale ;
condamner la société Matteoti à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
condamner la société Matteoti aux entiers dépens.
Par ordonnance du 4 mars 2025, le président de la présente chambre a déclaré irrecevables les conclusions et pièces de la SCI Matteoti, intimée.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de l'appelante pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mars 2025.
SUR CE,
A titre liminaire, il sera rappelé que la SCI Matteoti intimée dont les conclusions ont été déclarées irrecevables est assimilée à un intimé qui n'a pas conclu, de sorte que l'article 954 du code de procédure civile trouvera à s'appliquer et qu'elle est réputée s'approprier les motifs de la décision déférée (Cass. 2e civ., 10 janv. 2019, n° 17-20.018, publié).
Il en résulte également, conformément à l'article 906 du code de procédure civile en son troisième alinéa et dans sa version applicable au litige, que les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables.
La cour n'est donc pas saisie d'un quelconque appel incident et la décision n'est pas critiquée en ce qu'elle a rejeté les demandes au titre de la clause pénale et constaté que la dette avait été apurée. La société Paradis des gourmands n'a été condamnée qu'aux seuls intérêts légaux sur la somme du commandement de payer à compter de sa date et jusqu'au parfait paiement - sans aucune précision sur la date de ce parfait paiement, ce qui était au demeurant de nature à créer une difficulté d'exécution de la première décision.
Enfin, la société Paradis des gourmands n'a pas repris à hauteur de cour sa demande provisionnelle au titre d'un trop-payé.
L'article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
L'expulsion d'un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d'une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.
Un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due. Il n'appartient pas à la cour, statuant comme juge des référés, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, sachant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du magistrat des référés de prononcer une telle nullité ; le juge des référés ne peut que déterminer si les éventuelles irrégularités, invoquées à l'encontre du commandement, sont susceptibles de constituer un moyen de contestation sérieuse l'empêchant de constater la résolution du bail.
En outre, aux termes des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, allouer une provision au créancier.
En l'espèce, le commandement de payer délivré le 23 novembre 2023 vise un bail commercial conclu par acte sous seing privé en date du 1er février 2007.
La société Paradis des gourmands reproche à cet acte de se fonder sur un bail auquel elle n'est pas partie, puisqu'elle est titulaire d'un droit au bail dans le local au titre de l'acte de renouvellement du 15 mars 2016, droit acquis dans le cadre d'une cession du fonds de commerce.
Il sera relevé que l'acte de renouvellement du 15 mars 2016 vise expressément le bail conclu le 1er février 2007 et qu'en son article 5 - Obligations des parties, il est stipulé : « L'ensemble des autres articles figurant dans le bail initial sont et resteront applicables pendant toute la durée du bail renouvelé, sauf disposition contraire d'ordre public. »
Le bail de 1er février 2007 fonde nécessairement les droits et obligations des parties ; à la suite de la cession du droit au bail à son profit, la société Paradis des gourmands y est tenue.
Le commandement de payer devait dès lors nécessairement viser ce bail de 2007 puisque c'est dans cet acte et dans cet acte seulement que figure la clause résolutoire dont le bailleur a entendu se prévaloir. Au demeurant, si le bailleur n'avait invoqué que l'acte de renouvellement, le locataire aurait pu légitimement lui reprocher de ne pas se fonder sur le contrat contenant ladite clause et de ne pas lui permettre de pouvoir utilement s'y reporter.
Si la société Paradis des gourmands fait valoir qu'elle était à jour de ces loyers et charges à la date du commandement, elle reconnaît devoir l'impôt foncier (5030,52 euros) et le premier juge a retenu à juste titre qu'il est à la charge du locataire conformément au bail.
Il en résulte que le commandement de payer visait au moins pour partie une dette non apurée.
La société Paradis des gourmands verse des relevés de compte qui comportent des centaines d'opérations, sans que les éléments pertinents ne soient suffisamment mis en exergue. En tout état de cause, les relevés des mois de novembre et décembre 2023 ne font pas la preuve du règlement des sommes portées sur le commandement de payer daté du 23 novembre 2023. Les virements enregistrés le 23 mars 2024 et 2 et 24 juillet 2024, 6 août 2024 ne sont pas davantage pertinents : ils ne sont pas intervenus dans le mois de la délivrance des effets de la clause résolutoire.
Il apparaît en tout état de cause que le paiement de l'impôt foncier figurant sur le relevé annexé au commandement n'est intervenu que le 26 mars 2024, au-delà du délai d'un mois rappelé par l'acte.
Dès lors, aucune contestation sérieuse ne remet en cause la validité du commandement de payer et c'est à bon droit que le premier juge a constaté l'acquisition de la clause résolutoire.
L'ordonnance entreprise qui a retenu qu'au jour de l'audience la dette était apurée a cependant rejeté la demande de suspension des effets de la clause résolutoire en ce que les différents décomptes versés démontraient que les retards de paiement étaient récurrents et que depuis avril 2023, la société Paradis des gourmands n'avait jamais réglé mensuellement son loyer tel que stipulé par le bail. Elle n'avait produit en première instance aucun élément pour expliquer ses retards et justifier d'une situation économique temporairement obérée.
L'article 1343-5 du code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Aux termes des dispositions de l'article L.145-41 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
A hauteur d'appel, la société Paradis des gourmands renouvelle sa demande de suspension des effets de la clause résolutoire.
Une telle demande, si elle est accueillie, impose qu'il lui soit alloué des délais des paiements, même rétroactifs : la suspension des effets de la clause est nécessairement conditionnée à l'octroi de délais.
La date exacte à laquelle le parfait paiement est intervenu n'est pas précisée et la première décision ne l'indique pas. Dès lors la décision sera infirmée en ce qu'elle a condamné la société Paradis des gourmands à payer les intérêts légaux sur la somme du commandement de payer à compter de sa date jusqu'au parfait paiement.
La société Paradis des gourmands avait réglé l'arriéré avant l'audience devant le premier juge.
En outre, s'agissant de nouveaux retards de paiement, entre avril et juin 2024, elle justifie des problèmes de santé d'une employée chargée de la gestion administrative du fonds de commerce pendant cette période.
Compte tenu des efforts de paiement importants, du fait que la dette avait été payée à la date de l'audience devant le premier juge et des explications et pièces justificatives fournies au titre des impayés de 2024, il convient d'accorder à la société Paradis des gourmands, sur le fondement des articles 1343-5 du code civil et L.145-41 du code de commerce, des délais de paiement à titre rétroactif qui, dès lors qu'ils ont été respectés, ont pour effet de suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire en application de ce dernier texte.
Il sera donc constaté que la clause résolutoire n'a pas joué.
C'est à bon droit que le premier juge a condamné la société Paradis des gourmands aux dépens et au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile : le commandement de payer était valable et l'arriéré locatif n'a été soldé qu'avec retard, rendant légitime l'action du bailleur. L'ordonnance sera confirmée sur ce point.
A hauteur d'appel, l'équité commande de laisser les dépens à la charge de la société Paradis des gourmands ainsi que ses frais irrépétibles, le fait qu'il ait été fait droit à une demande de suspension de la clause résolutoire, démontre l'existence d'un arriéré locatif régularisé au-delà du délai rappelé dans le commandement visant la clause résolutoire.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme la décision en ce qu'elle a :
dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de provision au titre du solde de loyer ;
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande formée au titre de la clause pénale ;
condamné la société Paradis des gourmands aux dépens, en ce compris le coût du commandement et à payer à la société Matteoti la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme la décision pour le surplus ;
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Constate que la clause résolutoire visée au commandement de payer délivré le 23 novembre 2023 n'a pas joué par suite du respect par la société Paradis des gourmands des délais de paiement qui lui sont rétroactivement accordés par la cour ;
Condamne la société Paradis des gourmands aux dépens de l'instance d'appel ;
La déboute de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes, y compris au titre des intérêts légaux.