CA Paris, Pôle 1 - ch. 3, 15 mai 2025, n° 24/12879
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRÊT DU 15 MAI 2025
(n° 201 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/12879 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJYNP
Décision déférée à la cour : ordonnance du 26 juin 2024 - président du TC de Melun - RG n° 2024R00057
APPELANTE
S.A.S. SOCIETE DE PRODUCTION DE [Localité 4] SOPRONEM, RCS de Melun n°814762548, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Ayant pour avocats plaidants Mes Cédric CHAUMET et Yolaine ROUSSET de la SELARL NEXT STEP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
Société WILMAR EUROPE TRADING B.V, société de droit néerlandais, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3] - PAYS-BAS
Représentée par Me Hélène MOISAND FLORAND de la SELARL MOISAND BOUTIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0036
PARTIE INTERVENANTE
S.E.L.A.R.L. AJ ASSOCIES, intervenante volontaire, en qualité d'administrateur judiciaire de la société SOPRONEM, suivant jugement du tribunal de commerce de Melun rendu le 9 septembre 2024, prise en la personne de Maître [M] [O]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Ayant pour avocats plaidants Mes Cédric CHAUMET et Yolaine ROUSSET de la SELARL NEXT STEP AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 mars 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Michel RISPE, président de chambre, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Michel RISPE, président de chambre
Anne-Gaël BLANC, conseillère
Valérie GEORGET, conseillère
Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Michel RISPE, président de chambre et par Jeanne PAMBO, greffier, présent lors de la mise à disposition.
********
Courant septembre 2023 à avril 2024, la société de production de [Localité 4] Sopronem (ci-après: 'la société Sopronem') a conclu plusieurs contrats avec la société Wilmar Europe trading B.V. (ci-après: 'la société Wilmar') portant sur l'achat de divers produits.
Partie du prix demeurant impayé, les parties sont convenues d'arrêter un plan d'apurement. Cependant, les deux premières échéances n'ont pas été acquittées.
Par acte de commissaire de justice du 13 juin 2024, la société Wilmar a fait assigner la société Sopronem, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Melun, aux fins d'obtenir sa condamnation provisionnelle au paiement des sommes de 800.000 euros correspondant aux échéances qui auraient dû être acquittées les 7 et 14 juin 2024, 200.000 euros au titre de l'échéance du 21 juin 2024, 400.000 euros au titre de l'échéance du 28 juin 2024, 44.679,15 euros au titre du solde, avec intérêts au taux appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 points à compter de l'échéance des factures impayées, 1.760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement et 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par ordonnance contradictoire du 26 juin 2024, le dit juge des référés a :
au principal, renvoyé les parties a mieux se pourvoir,
condamné la société Sopronem à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Wilmar les sommes provisionnelles de :
' 800.000 euros au titre des échéances échues,
' 200.000 euros au titre de l'échéance du 21 juin 2024,
' 400.000 euros le 28 juin 2024,
' 44.679,15 euros le 5 juillet 2024, augmentée des intérêts au taux appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points à compter de l'échéance de chacune des factures impayées,
' 1.760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement(40 euros x 44 factures),
' 3.000 euros a titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Sopronem au paiement des dépens,
ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration effectuée par voie électronique le 12 juillet 2024, la société Sopronem a relevé appel de l'ensemble des chefs du dispositif de cette décision.
Par jugement prononcé le 9 septembre 2024, le tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Sopronem.
Par jugement prononcé le 2 décembre 2024, le même tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société Sopronem.
Par leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 novembre 2024, au visa des articles L.622-21, L.622-22 et L.631-14 du code de commerce, la société Sopronem et la Selarl AJ associés prise en la personne de Me [O] ont demandé à la cour de :
recevoir la Selarl AJ associés prise en la personne de Me [O], en qualité d'administrateur judiciaire de la société Sopronem en son intervention volontaire,
juger l'appel recevable et bien fondé,
constater l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Sopronem,
infirmer l'ordonnance du 26 juin 2024 rendue par le président du tribunal de commerce de Melun, et statuant à nouveau,
juger qu'il n'y lieu à référé,
rejeter toutes demandes, fins et prétentions de la société Wilmar,
condamner la société Wilmar aux dépens d'instance.
Par ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 novembre 2024, la société Wilmar a demandé à la cour de :
déclarer irrecevable la société Sopronem en son appel, ainsi qu'en toutes ses demandes, fins et conclusions qu'il comporte pour défaut d'intérêt à agir,
déclarer irrecevable la Selarl AJ associés en son intervention volontaire,
en tant que de besoin, débouter la société Sopronem et la Selarl AJ associés de leurs demandes,
juger ce que de droit sur les dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 février 2025.
Sur ce,
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Sur la fin de non-recevoir tirée du prétendu défaut d'intérêt à agir de la société Sopronem
La société Wilmar soutient qu'au moment où la société Sopronem a interjeté appel de l'ordonnance de référé du 26 juin 2024, elle n'avait aucun intérêt à agir. Elle précise que l'intérêt à agir doit s'apprécier au jour de l'appel et que dès lors, la société Sopronem ne peut valablement se prévaloir de circonstances postérieures, telles que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son encontre pour tenter de justifier de son intérêt à agir. Elle souligne qu'en effet, la société Sopronem ne bénéficiait d'aucun moyen pour faire obstacle à l'exécution provisoire de plein droit de l'ordonnance de référé, alors que la saisine du premier président est exclue par l'article 514-1 du code de procédure civile.
Elle ajoute que la société Sopronem ne bénéficiait d'aucun moyen pour infirmer ou réformer l'ordonnance entreprise, puisqu'elle n'avait émis aucune contestation sur sa dette en première instance et que la dette comme l'échéancier de paiement étaient convenus entre les parties. Enfin, selon la société Wilmar, la société Sopronem ne justifie pas davantage d'un intérêt à agir au jour où elle conclut, alors que l'exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 26 juin 2024 est paralysée depuis l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du 9 septembre 2024 par l'effet de l'arrêt des poursuites individuelles. Elle en déduit que l'appel de la société Sopronem et l'intervention volontaire de la Selarl AJ associés sont irrecevables.
La cour rappelle que l'article 546 du code de procédure civile dispose que le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n'y a pas renoncé.
Selon l'article 122 du code de procédure civile 'constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée'.
Il résulte de l'article 30 du même code que 'l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention'. En outre, en vertu de l'article 31 du même code, 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé'.
Il en découle que l'intérêt à agir n'est dès lors pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.
Au cas présent, force est de constater que la société Wilmar conteste en réalité le bien fondé de l'appel interjeté par la société Sopronem, sans qu'elle soit fondée à en déduire que celle-ci serait dépourvue de qualité ou d'intérêt à agir. Au demeurant, il sera relevé que selon la décision entreprise, devant le premier juge, la société Sopronem avait sollicité 'les plus larges délais de paiement', ce qui lui a été refusé. Il s'ensuit que l'appel de la société Sopronem doit être déclaré recevable, comme l'intervention volontaire de la Selarl AJ associés, organe désigné pour représenter cette société dans le cadre de la procédure collective.
Sur l'incidence de la procédure collective en cours d'instance
La société Sopronem et la Selarl AJ associés se prévalent de l'existence de la procédure collective concernant la société Sopronem, ouverte par le jugement précité du 9 septembre 2024. Elles font valoir qu'au jour de l'ouverture du redressement judiciaire, l'ordonnance de référé n'avait pas acquis force de chose jugée et que par l'effet du jugement d'ouverture et des dispositions des articles L.622-21 et suivants du code de commerce, applicables à la procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L.631-14 du code de commerce, l'action en référé initiée par l'intimée ne peut plus être poursuivie. Dans ces conditions, elles demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de juger qu'il n'y a lieu à référé.
La cour rappelle que selon l'article L. 622-21 du code de commerce, applicable en procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code :
'Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant:
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
II.-Sans préjudice des droits des créanciers dont la créance est mentionnée au I de l'article L. 622-17, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.
III.-Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus.
IV.-Le même jugement interdit également de plein droit, tout accroissement de l'assiette d'une sûreté réelle conventionnelle ou d'un droit de rétention conventionnel, quelle qu'en soit la modalité, par ajout ou complément de biens ou droits, notamment par inscription de titres ou de fruits et produits venant compléter les titres figurant au compte mentionné à l'article L. 211-20 du code monétaire et financier, ou par transfert de biens ou droits du débiteur.
Toute disposition contraire, portant notamment sur un transfert de biens ou droits du débiteur non encore nés à la date du jugement d'ouverture, est inapplicable à compter du jour du prononcé du jugement d'ouverture.
Toutefois, l'accroissement de l'assiette peut valablement résulter d'une cession de créance prévue à l'article L. 313-23 du code monétaire et financier lorsqu'elle est intervenue en exécution d'un contrat-cadre conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure. Cet accroissement peut également résulter d'une disposition contraire du présent livre ou d'une dérogation expresse à son application prévue par le code monétaire et financier ou le code des assurances.'
L'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte que la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par ce dernier contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par l'article L.622-21 du code de commerce.
Au cas présent, il est constant que les créances dont le paiement est réclamé à titre provisionnel sont nées avant le jugement d'ouverture.
Il convient, en conséquence, au vu de l'évolution du litige, d'infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à référé sur les demandes tendant au paiement de provisions.
Sur les demandes accessoires
L'infirmation de l'ordonnance intervient en raison de l'évolution de la situation de la société Sopronem placée en redressement puis en liquidation judiciaire. L'ordonnance sera donc confirmée des chefs relatifs aux frais irrépétibles et aux dépens.
A hauteur d'appel, les dépens seront partagés par moitié entre les parties et pris en frais privilégiés de la procédure collective pour la part incombant à la société Sopronem.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevables l'appel interjeté par la société Sopronem et l'intervention volontaire de la Selarl AJ associés ;
Infirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour sauf des chefs concernant les dépens et les frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Wilmar tendant au paiement de provisions de la part de la société Sopronem ;
Dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties et pris en frais privilégiés de la procédure collective pour la part incombant à la société Sopronem.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRÊT DU 15 MAI 2025
(n° 201 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/12879 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJYNP
Décision déférée à la cour : ordonnance du 26 juin 2024 - président du TC de Melun - RG n° 2024R00057
APPELANTE
S.A.S. SOCIETE DE PRODUCTION DE [Localité 4] SOPRONEM, RCS de Melun n°814762548, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Ayant pour avocats plaidants Mes Cédric CHAUMET et Yolaine ROUSSET de la SELARL NEXT STEP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
Société WILMAR EUROPE TRADING B.V, société de droit néerlandais, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3] - PAYS-BAS
Représentée par Me Hélène MOISAND FLORAND de la SELARL MOISAND BOUTIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0036
PARTIE INTERVENANTE
S.E.L.A.R.L. AJ ASSOCIES, intervenante volontaire, en qualité d'administrateur judiciaire de la société SOPRONEM, suivant jugement du tribunal de commerce de Melun rendu le 9 septembre 2024, prise en la personne de Maître [M] [O]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Ayant pour avocats plaidants Mes Cédric CHAUMET et Yolaine ROUSSET de la SELARL NEXT STEP AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 mars 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Michel RISPE, président de chambre, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Michel RISPE, président de chambre
Anne-Gaël BLANC, conseillère
Valérie GEORGET, conseillère
Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Michel RISPE, président de chambre et par Jeanne PAMBO, greffier, présent lors de la mise à disposition.
********
Courant septembre 2023 à avril 2024, la société de production de [Localité 4] Sopronem (ci-après: 'la société Sopronem') a conclu plusieurs contrats avec la société Wilmar Europe trading B.V. (ci-après: 'la société Wilmar') portant sur l'achat de divers produits.
Partie du prix demeurant impayé, les parties sont convenues d'arrêter un plan d'apurement. Cependant, les deux premières échéances n'ont pas été acquittées.
Par acte de commissaire de justice du 13 juin 2024, la société Wilmar a fait assigner la société Sopronem, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Melun, aux fins d'obtenir sa condamnation provisionnelle au paiement des sommes de 800.000 euros correspondant aux échéances qui auraient dû être acquittées les 7 et 14 juin 2024, 200.000 euros au titre de l'échéance du 21 juin 2024, 400.000 euros au titre de l'échéance du 28 juin 2024, 44.679,15 euros au titre du solde, avec intérêts au taux appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 points à compter de l'échéance des factures impayées, 1.760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement et 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par ordonnance contradictoire du 26 juin 2024, le dit juge des référés a :
au principal, renvoyé les parties a mieux se pourvoir,
condamné la société Sopronem à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Wilmar les sommes provisionnelles de :
' 800.000 euros au titre des échéances échues,
' 200.000 euros au titre de l'échéance du 21 juin 2024,
' 400.000 euros le 28 juin 2024,
' 44.679,15 euros le 5 juillet 2024, augmentée des intérêts au taux appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points à compter de l'échéance de chacune des factures impayées,
' 1.760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement(40 euros x 44 factures),
' 3.000 euros a titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Sopronem au paiement des dépens,
ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration effectuée par voie électronique le 12 juillet 2024, la société Sopronem a relevé appel de l'ensemble des chefs du dispositif de cette décision.
Par jugement prononcé le 9 septembre 2024, le tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Sopronem.
Par jugement prononcé le 2 décembre 2024, le même tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société Sopronem.
Par leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 novembre 2024, au visa des articles L.622-21, L.622-22 et L.631-14 du code de commerce, la société Sopronem et la Selarl AJ associés prise en la personne de Me [O] ont demandé à la cour de :
recevoir la Selarl AJ associés prise en la personne de Me [O], en qualité d'administrateur judiciaire de la société Sopronem en son intervention volontaire,
juger l'appel recevable et bien fondé,
constater l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Sopronem,
infirmer l'ordonnance du 26 juin 2024 rendue par le président du tribunal de commerce de Melun, et statuant à nouveau,
juger qu'il n'y lieu à référé,
rejeter toutes demandes, fins et prétentions de la société Wilmar,
condamner la société Wilmar aux dépens d'instance.
Par ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 novembre 2024, la société Wilmar a demandé à la cour de :
déclarer irrecevable la société Sopronem en son appel, ainsi qu'en toutes ses demandes, fins et conclusions qu'il comporte pour défaut d'intérêt à agir,
déclarer irrecevable la Selarl AJ associés en son intervention volontaire,
en tant que de besoin, débouter la société Sopronem et la Selarl AJ associés de leurs demandes,
juger ce que de droit sur les dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 février 2025.
Sur ce,
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Sur la fin de non-recevoir tirée du prétendu défaut d'intérêt à agir de la société Sopronem
La société Wilmar soutient qu'au moment où la société Sopronem a interjeté appel de l'ordonnance de référé du 26 juin 2024, elle n'avait aucun intérêt à agir. Elle précise que l'intérêt à agir doit s'apprécier au jour de l'appel et que dès lors, la société Sopronem ne peut valablement se prévaloir de circonstances postérieures, telles que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son encontre pour tenter de justifier de son intérêt à agir. Elle souligne qu'en effet, la société Sopronem ne bénéficiait d'aucun moyen pour faire obstacle à l'exécution provisoire de plein droit de l'ordonnance de référé, alors que la saisine du premier président est exclue par l'article 514-1 du code de procédure civile.
Elle ajoute que la société Sopronem ne bénéficiait d'aucun moyen pour infirmer ou réformer l'ordonnance entreprise, puisqu'elle n'avait émis aucune contestation sur sa dette en première instance et que la dette comme l'échéancier de paiement étaient convenus entre les parties. Enfin, selon la société Wilmar, la société Sopronem ne justifie pas davantage d'un intérêt à agir au jour où elle conclut, alors que l'exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 26 juin 2024 est paralysée depuis l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du 9 septembre 2024 par l'effet de l'arrêt des poursuites individuelles. Elle en déduit que l'appel de la société Sopronem et l'intervention volontaire de la Selarl AJ associés sont irrecevables.
La cour rappelle que l'article 546 du code de procédure civile dispose que le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n'y a pas renoncé.
Selon l'article 122 du code de procédure civile 'constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée'.
Il résulte de l'article 30 du même code que 'l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention'. En outre, en vertu de l'article 31 du même code, 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé'.
Il en découle que l'intérêt à agir n'est dès lors pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.
Au cas présent, force est de constater que la société Wilmar conteste en réalité le bien fondé de l'appel interjeté par la société Sopronem, sans qu'elle soit fondée à en déduire que celle-ci serait dépourvue de qualité ou d'intérêt à agir. Au demeurant, il sera relevé que selon la décision entreprise, devant le premier juge, la société Sopronem avait sollicité 'les plus larges délais de paiement', ce qui lui a été refusé. Il s'ensuit que l'appel de la société Sopronem doit être déclaré recevable, comme l'intervention volontaire de la Selarl AJ associés, organe désigné pour représenter cette société dans le cadre de la procédure collective.
Sur l'incidence de la procédure collective en cours d'instance
La société Sopronem et la Selarl AJ associés se prévalent de l'existence de la procédure collective concernant la société Sopronem, ouverte par le jugement précité du 9 septembre 2024. Elles font valoir qu'au jour de l'ouverture du redressement judiciaire, l'ordonnance de référé n'avait pas acquis force de chose jugée et que par l'effet du jugement d'ouverture et des dispositions des articles L.622-21 et suivants du code de commerce, applicables à la procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L.631-14 du code de commerce, l'action en référé initiée par l'intimée ne peut plus être poursuivie. Dans ces conditions, elles demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de juger qu'il n'y a lieu à référé.
La cour rappelle que selon l'article L. 622-21 du code de commerce, applicable en procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code :
'Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant:
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
II.-Sans préjudice des droits des créanciers dont la créance est mentionnée au I de l'article L. 622-17, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.
III.-Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus.
IV.-Le même jugement interdit également de plein droit, tout accroissement de l'assiette d'une sûreté réelle conventionnelle ou d'un droit de rétention conventionnel, quelle qu'en soit la modalité, par ajout ou complément de biens ou droits, notamment par inscription de titres ou de fruits et produits venant compléter les titres figurant au compte mentionné à l'article L. 211-20 du code monétaire et financier, ou par transfert de biens ou droits du débiteur.
Toute disposition contraire, portant notamment sur un transfert de biens ou droits du débiteur non encore nés à la date du jugement d'ouverture, est inapplicable à compter du jour du prononcé du jugement d'ouverture.
Toutefois, l'accroissement de l'assiette peut valablement résulter d'une cession de créance prévue à l'article L. 313-23 du code monétaire et financier lorsqu'elle est intervenue en exécution d'un contrat-cadre conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure. Cet accroissement peut également résulter d'une disposition contraire du présent livre ou d'une dérogation expresse à son application prévue par le code monétaire et financier ou le code des assurances.'
L'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte que la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par ce dernier contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par l'article L.622-21 du code de commerce.
Au cas présent, il est constant que les créances dont le paiement est réclamé à titre provisionnel sont nées avant le jugement d'ouverture.
Il convient, en conséquence, au vu de l'évolution du litige, d'infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à référé sur les demandes tendant au paiement de provisions.
Sur les demandes accessoires
L'infirmation de l'ordonnance intervient en raison de l'évolution de la situation de la société Sopronem placée en redressement puis en liquidation judiciaire. L'ordonnance sera donc confirmée des chefs relatifs aux frais irrépétibles et aux dépens.
A hauteur d'appel, les dépens seront partagés par moitié entre les parties et pris en frais privilégiés de la procédure collective pour la part incombant à la société Sopronem.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevables l'appel interjeté par la société Sopronem et l'intervention volontaire de la Selarl AJ associés ;
Infirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour sauf des chefs concernant les dépens et les frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Wilmar tendant au paiement de provisions de la part de la société Sopronem ;
Dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties et pris en frais privilégiés de la procédure collective pour la part incombant à la société Sopronem.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT