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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 15 mai 2025, n° 24/01491

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

LNC Upsilon Promotion (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de Rocquigny du Fayel

Conseillers :

Mme Igelman, M. Henrion

Avocats :

Me Mir, Me Le Buzulier, Me Lepeu, Me Pierrot-Woake, Me Ravassard

T. com. Nanterre, du 20 févr. 2024, n° 2…

20 février 2024

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Alric avait son siège social à [Localité 7] et pour activité le « gros 'uvre » de bâtiments et travaux publics.

La SNC LNC Upsilon Promotion (ci-après la société Upsilon) a pour activité à [Localité 6], la promotion immobilière.

Dans le cadre d'un programme immobilier de réalisation de 87 logements à [Localité 5], la société Upsilon, en qualité de maître de l'ouvrage, a, suivant lettre d'intention en date du 28 février 2019 signée entre les parties, confié à la société Alric le lot n°3 gros 'uvre/maçonnerie, moyennant le prix global et forfaitaire de 3 285 000 euros HT, soit 3 942 000 euros TTC, prix ferme, définitif et non révisable comprenant 2% de frais de compte prorata, le compte prorata devant être géré par l'entreprise de gros 'uvre.

La fin des travaux de gros 'uvre était prévue pour le 16 juin 2020.

La société Alric a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Evry en date du 10 juillet 2023, converti en liquidation judiciaire par jugement du même tribunal le 30 octobre 2023, Maître [N] [O] [G], étant en dernier lieu désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte de commissaire de justice délivré le 16 novembre 2023, Maître [G], ès qualités, a fait assigner en référé la société LNC Upsilon Promotion aux fins d'obtenir principalement sa condamnation au paiement de la somme de 72 073 euros TTC à titre de provision à valoir sur les sommes dont elle lui est redevable, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation et la capitalisation des intérêts.

Par ordonnance contradictoire rendue le 20 février 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :

- condamné la société LNC Upsilon Promotion à payer à titre de provision à Maître [G], mandataire judiciaire, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Alric en liquidation judiciaire, la somme de 72 073 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2023, et en outre la somme de 5 176 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 février 2024,

- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions et délai de l'article 1343-2 du code civil,

- condamné la société LNC Upsilon Promotion à payer à Me [G], mandataire judiciaire, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Alric en liquidation judiciaire, la comme de 3 500 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société LNC Upsilon Promotion aux dépens,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,

- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à somme de 40,66 euros, dont TVA 6,78 euros.

Par déclaration reçue au greffe le 1er mars 2024, la société LNC Upsilon Promotion a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 10 octobre 2024 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Upsilon demande à la cour, au visa des articles 872, 873 du code de procédure civil et 1103 du code civil, de :

'- déclarer la société LNC Upsilon Promotion recevable en son appel et bien fondée en l'ensemble de ses demandes,

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

- juger que les demandes de Me [G] se heurtent à plusieurs contestations sérieuses,

- débouter Me [G] de sa demande de condamnation par provision,

- renvoyer Me [G] à mieux se pourvoir devant le juge du fond,

- condamner Me [G] à verser à la société LNC Upsilon Promotion, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Me [G] aux entiers dépens.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 29 janvier 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Maître [G], ès qualités, demande à la cour, au visa de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, de :

'- confirmer l'ordonnance de référé rendue par le juge du tribunal de commerce de Nanterre le 20 février 2024,

- rejeter toutes les demandes de la société LNC Upsilon Promotion,

subsidiairement, si la cour devait infirmer l'ordonnance :

- condamner la société LNC Upsilon Promotion à produire à Me [G] es qualité de liquidateur judiciaire de la société Alric la garantie de paiement visée à l'article 1799-1 du code civil sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et jusqu'à parfaite exécution,

en tout état de cause :

- condamner la société LNC Upsilon Promotion à verser à Me [G] es qualité de liquidateur judiciaire de la société Alric la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Lnc Upsilon Promotion aux dépens de l'instance.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 février 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La société Upsilon sollicite l'infirmation de l'ordonnance querellée en soutenant qu'il existe des contestations sérieuses s'agissant des sommes réclamées par la société Alric, représentée par Maître [G], tant en ce qui concerne les travaux supplémentaires visés que les retenues à opérer au titre du compte inter-entreprises.

Maître [G], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Alric, demande la confirmation de l'ordonnance qui a fait droit à sa demande de provision au titre du règlement de l'appel de fonds n° 3 et du décompte général définitif (DGD), ainsi que sur le remboursement de la retenue de garantie.

Aux termes de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle et la cour est tenue d'appliquer les clauses claires du contrat qui lui est soumis, si aucune interprétation n'en est nécessaire. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Aux termes de l'article du 1353 du code civil, c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En vertu de l'article L. 110-3 du code de commerce, la preuve en matière commerciale peut se faire par tous moyens.

Afin de déterminer si les sommes réclamées par Maître [G] sont ou pas dues par la société Upsilon avec l'évidence requise en référé, il convient d'analyser successivement chacun des postes.

En ce qui concerne la facture de l'appel de fonds n° 3 ' compte prorata

L'appelante est taisant sur le sujet de l'appel de fonds n° 3 du 31 janvier 2023 d'un montant de 10 131,91 euros.

Maître [G] justifie par la communication de sa pièce numéro 3 que cet appel de fond a été signé, et donc validé, par la société Upsilon, de sorte qu'il convient de confirmer l'ordonnance querellée sur ce point.

En ce qui concerne le décompte général définitif (DGD)

Maître [G] sollicite l'allocation d'une provision de 61 941,39 euros au titre du DGD établi le 14 avril 2023.

Sur le montant des travaux supplémentaires

La société Upsilon, indiquant que l'intimé poursuit le paiement de travaux supplémentaires au titre de 5 ordres de service/et ou devis pour un montant total de 20 531,65 euros, soutient qu'il ne produit toutefois aucun ordre de service qu'elle aurait signé, comme l'imposent pourtant les articles 1.9 et 6.3 du CCAP en cas de modification des prestations du marché initial.

Maître [G] fait observer que la société Upsilon conteste, non pas l'existence de ces travaux, mais le fait qu'elle soit tenue à leur paiement, alors qu'elle en avait déjà réglé une très grande partie à hauteur de la somme de 76 000 euros sans discussion.

Elle ajoute, s'agissant des travaux contestés pour un montant total de 20 531,65 euros, démontrer qu'ils ont été ordonnés par la société Upsilon elle-même.

L'article 6.3 du CCAP stipule que :

« Tout ouvrage exécuté non conformément au marché ou sans ordre de service pourra être refusé même s'il est conforme aux règles de l'art. L'entrepreneur ne pourra entreprendre l'exécution de travaux supplémentaires qu'à la stricte condition de la signature de l'ordre de service afférent. Aucun autre document ne sera de nature à se substituer à la signature dudit ordre de service ou de l'avenant (devis, bon de commande, etc). »

Maître [G] fait tout d'abord observer que la société Upsilon ne conteste pas le poste de travaux relatif à l'OS n° 11-1648 pour 8 274,75 euros, faisant suite à l'observation n° 122 indiquant : « JLB demande à Alric de lui transmettre un devis pour reprendre le parking sur 5 mètres ».

Il est exact que l'appelante ne formule pas de contestation à ce titre, de sorte qu'il convient de confirmer l'ordonnance attaquée qui a fait droit à cette demande.

S'agissant de l'OS n° 11-1707 d'un montant de 7 420 euros qui a trait à des travaux demandés par le bureau de contrôle, l'appelante fait valoir qu'il s'agit de travaux demandés par le bureau de contrôle et que l'article 1.7 du CCAP indique que de tels travaux ne sauraient provoquer une reconsidération du prix global et forfaitaire du marché.

Maître [G] rétorque que s'il apparaît bien que le devis a été établi « à la demande du bureau de contrôle », il n'est nullement établi qu'il s'agisse d'une observation ou d'une prescription imposée par lui dans le cadre de ses rapports initiaux ou finaux, suite à l'examen des plans ou du descriptif détaillé de l'ouvrage, et/ou lors du contrôle de l'exécution des travaux.

Il s'agit de la pièce n° 8 versée par Maître [G], soit d'un devis daté du 12 avril 2022, signé par la société Alric, portant comme désignation « à la demande du bureau de contrôle, création d'encoffrements staff des réseaux PVC ».

L'examen de cette pièce fait apparaître qu'elle ne comporte aucune autre signature que celle de la société Alric, de sorte qu'elle n'a pas été établie conformément aux stipulations du CCAP.

Par ailleurs, il ressort de la pièce de l'intimé n° 7, soit du compte-rendu de la réunion de chantier du 19 juillet 2022, qu'elle est la résultante d'une demande du cabinet JLB, maître d'oeuvre d'exécution, intervenue en fin de chantier, quelques jours avant le procès-verbal de réception des travaux, ce qui corrobore le fait qu'il ait été demandé par le bureau de contrôle dans le cadre des dispositions de l'article 1.7 du CCAP relatif au contrôle des travaux.

Dans ces conditions, une contestation sérieuse existe quant au fait que cette somme devrait être supportée par la société Upsilon et il sera dit n'y avoir lieu à référé la concernant.

S'agissant du devis n° 11-1713 d'un montant de 1 515 euros, l'appelante indique qu'il concerne le déplacement de la base vie (baraques de chantier) et qu'il est expressément prévu à l'article 1.7 du CCAP que :

« l'entrepreneur de gros 'uvre sera tenu de réaliser à ses frais, et dans les délais impartis par le maître d'oeuvre d'exécution, les prestations de chantier suivants :

(')

. Les déménagements éventuels des installations de chantier imposés par le déroulement des travaux. »,

de sorte que la société Alric n'était pas fondée à facturer des travaux supplémentaires à ce titre.

En réponse à l'argumentation adverse, elle rétorque que rien sur un chantier n'est fait par commodité et que si la base vie a été déplacée à la demande du maître d'oeuvre, c'est nécessairement pour les besoins des travaux.

Maître [G] fait valoir qu'il est acquis à la lecture du devis que le déplacement a bien été réalisé à la demande de la maîtrise d'oeuvre, mais sans en préciser la raison ; que la société Upsilon procède par affirmation et qu'en application de l'article 9 du code de procédure civile, la cour ne pourra considérer le moyen comme sérieux.

Toutefois, étant rappelé qu'en vertu de l'article 1353 du code civil c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver, il incombe à Maître [G] qui réclame un paiement de caractériser l'obligation de la société Upsilon qui en serait le support.

Ainsi, dès lors que Maître [G] n'établit pas que le déménagement de la base vie aurait en l'espèce été effectué dans un autre cadre que celui prévu à l'article 1.7 du CCAP, il existe une contestation sérieuse sur le point de savoir si son prix doit être supporté par le maître d'oeuvre.

Il sera dit n'y avoir lieu à référé à cet égard.

En ce qui concerne l'OS n° 11-1692 pour un montant de 1 500 euros, concernant différents carottages réalisés par la société Alric, il est exact que l'appelante n'invoque aucune contestation à son égard, de sorte que l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a retenu que cette somme était due par la société Upsilon.

Sur le compte inter-entreprises

Au titre du DGD, la société Upsilon considère qu'une somme de 13 350 euros aurait dû y figurer à son crédit, au titre du compte inter-entreprise présentant un crédit de 53 165 euros au lieu de la somme de 66 515 euros, correspondant aux ordres de service n° 24 et 25 relatifs à des désordres apparus postérieurement à la réception des travaux sur les ouvrages et que le maître d'oeuvre d'exécution a considéré comme imputables à la société Alric. Elle argue à cet égard de l'article 1792-4-3 du code civil en vertu duquel l'entrepreneur est tenu de la bonne exécution de ses travaux pendant une durée de 10 ans.

Maître [G] se réfère quant à lui au DGD du 14 avril 2023 faisant apparaître un solde dû à la société Alric de 61 941,39 euros et indique avoir retenu une somme de 53 165 euros HT pour le total du poste relatif au compte inter-entreprises.

Il soutient que la somme de 13 350 euros n'est nullement justifiée par le maître d'ouvrage ; que les OS n° 24 et 25 qu'il a finalement produits sont datés des 9 et 25 octobre 2023, alors que la société Alric n'était plus tenue à de quelconques reprises après la date du 24 juillet 2022 correspondant au procès-verbal de levée des réserves.

Il ressort en effet des des OS n° 24 et 25 qu'il s'agit de reprises effectuées moins de 10 après la réception des travaux, et que le maître d'oeuvre d'exécution a estimé qu'elles avaient trait aux travaux effectués par la société Alric.

Dans ces conditions cette somme fait l'objet d'une contestation suffisamment sérieuse et l'ordonnance querellée sera infirmée à hauteur de ce montant de 13 350 euros.

Au final, s'agissant d'une somme totale réclamée à hauteur de 61 941,39 euros au titre du DGD, il existe des contestations sérieuses relatives au DGD concernant :

- le devis n° 11-1707 d'un montant de 7 420 euros qui a trait à des travaux demandés par le bureau de contrôle,

- le devis n° 11-1713 d'un montant de 1 515 euros concernant le déplacement de la base vie,

- les OS n° 24 et 25 pour un montant total de 13 350 euros correspondant à des travaux de reprise,

de sorte que ces sommes devront être retranchées du montant réclamé au titre du DGD.

L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a accordé la somme de 39 656,39 euros ([61 941,39] ' [7 420 + 1 515 + 13 350]) au titre du DGD et infirmée pour le surplus.

Sur la retenue de garantie

La société Upsilon ne conteste pas que toutes les réserves ont été levées selon procès-verbal du 24 juillet 2022, de sorte que la société Alric est bien fondée à solliciter la restitution de la somme de 5 176 euros au titre de la retenue de garantie.

L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande de provision à ce titre.

Les dispositions relatives aux intérêts et à leur capitalisation en sont pas discutées et seront donc confirmées.

Enfin, il sera relevé que l'appelante prend acte dans ses conclusions que Maître [G] communique une attestation de la banque aux termes de laquelle cette dernière indique ne pas être concernée par la facture de DGD, et qu'elle n'élève plus de contestation à ce titre.

Sur les demandes accessoires :

La société Upsilon n'étant que partiellement accueillie en son recours, l'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.

L'équité commande en revanche de débouter les deux parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance du 20 février 2024, sauf sur le quantum de la provision allouée au titre du solde du compte prorata et du solde du décompte général définitif pour lesquels elle a prononcé une condamnation commune,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société LNC Upsilon Promotion à payer à titre de provision à Maître [N] [G], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Alric, la somme de 49 788,30 euros (10 131,91 euros au titre du compte prorata et 39 656,39 euros au titre du DGD) avec intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2023,

Dit que société LNC Upsilon Promotion supportera les dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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