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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 20 mai 2025, n° 25/00419

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

SCEA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

M. Graffin, M. Vetu

Avocats :

Me Apollis, Me Laurent

TJ Béziers, du 17 juill. 2023

17 juillet 2023

FAITS ET PROCEDURE :

Par acte authentique en date du 3 octobre 1967, [Z] [T] a constitué avec ses huit enfants une société civile d'exploitation agricole (SCEA) [Adresse 8].

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 janvier 2016 Mme [D], nouvelle gérante de la société, ainsi que les associés, ont mis en demeure M. [B] d'expliquer l'existence d'un compte courant d'associé transformé en compte débiteur-créditeur à son nom et de justifier le solde dudit compte.

Par exploit en date du 19 juin 2019 M. [B] a fait assigner la société devant le tribunal de grande instance de Béziers en paiement de ce dernier.

Par jugement en date du 10 mai 2021 confirmé par un arrêt du 4 avril 2023 devenu irrévocable, la SCEA [Adresse 8] a été condamnée à payer à M. [V] [B] la somme de 219 731,93 euros au titre du solde de son compte "débiteur-créditeur" arrêté au 31 décembre 2014 avec intérêts au taux légal et capitalisation.

Par ailleurs par jugement en date du 8 mars 2021, devenu définitif faute de recours, le tribunal judiciaire de Béziers a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [N] épouse [B], prononcé la nullité de l'assemblée générale du 27 novembre 2005, faute de convocation régulière des associés, mais déclaré la cession des parts sociales du 25 novembre 2005 entre Mmes [E] [T], cédante, et Mme [X] [N] épouse [B], cessionnaire, opposable à la SCEA [Adresse 8] et à l'ensemble des associés.

Par jugement du 17 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Béziers a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SCEA du [Adresse 8] et désigné M. [L] [G] en qualité de représentant des créanciers.

Le 10 octobre 2023, M. [V] [B] a déclaré sa créance pour un montant total de 264 507,53 euros, dont 40 775,60 euros d'intérêts échus, et Mme [X] [B] née [N] a déclaré sa créance pour un montant total de 193 518,25 euros.

Par ordonnance contradictoire en date du 9 janvier 2025 (l'ordonnance déférée), le juge-commissaire du tribunal judiciaire de Béziers a :

prononcé le rejet des créance de s n° 3 (société Cerfrance), n° 20 (Mme [O] [H]) et n° 21 (Mme [R] [A]) ;

fixé à 0 euros la créance n° 29 du Crédit Agricole du Languedoc ;

constaté l'existence d'une contestation sérieuse relativement à la créance de M. [V] [B] et de Mme [X] [B] née [N] ;

renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

invité la société du [Adresse 8] à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision, à peine de forclusion, en ce qui concerne la créance de M. [V] [B] ;

invité Mme [X] [B] née [N] à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision, à peine de forclusion, en ce qui concerne sa propre créance ;

sursis à statuer sur le sort de ces deux créances ;

dit que la société du [Adresse 8] et Mme [X] [B] née [N] devront justifier de cette saisine auprès du juge commissaire à l'audience du 20 février 2025 à laquelle l'affaire est renvoyée, l' ordonnance valant convocation ;

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;

et ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.

Par déclaration du 17 janvier 2025, M. [V] [B] et Mme [X] [B] née [N] ont relevé appel de cette ordonnance.

Par conclusions du 26 mars 2025 ils demandent à la cour, au visa des articles L. 624-2 et L. 624-5 du code de commerce, de :

rejeter toutes demandes contraires ;

infirmer l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau,

juger qu'il n'existe pas de contestation sérieuse relativement à leurs créances déclarées ;

admettre et fixer la créance de M. [V] [B] à la somme de 264 507,53 euros ou subsidiairement, admettre et fixer cette créance hypothécaire à la somme de 251 802,89 euros ;

admettre et fixer la créance de Mme [X] [B] née [N] à la somme de 193 518,25 euros ;

et condamner la société du [Adresse 8] à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction.

Par conclusions du 25 mars 2025, la SCEA du [Adresse 8] et M. [L] [G], ès qualités de mandataire au redressement judiciaire de la SCEA [Adresse 8], demandent à la cour de :

À titre principal,

confirmer l'ordonnance attaquée en toutes ses dispositions ;

À titre subsidiaire,

la réformer en ce qu'elle a renvoyé la société du [Adresse 8] à saisir la juridiction compétente de la contestation de la créance de M. [V] [B] et renvoyé Mme [X] [B] née [N] à saisir la juridiction compétente de la contestation de sa créance ;

Statuant à nouveau,

rejeter la créance déclarée par M. [V] [B] à la somme de 40 775,60 euros et admettre la créance pour la somme de 219 731,93 euros, outre intérêts au taux légal applicable au créancier autre que la personne physique n'agissant pas pour des besoins professionnels ;

rejeter la créance déclarée par Mme [X] [B] née [N] pour la somme de 82 681,24 euros et admettre la créance pour la somme de 110 837,01 euros ;

Et en tout état de cause,

les débouter de l'ensemble de leurs demandes ;

les condamner solidairement à payer la somme de 5 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par avis du 20 janvier 2025 communiqué aux parties par RPVA, le ministère public s'en rapporte à l'appréciation de la cour.

L'ordonnance de clôture est datée du 27 mars 2025.

MOTIFS :

Les époux [B] appelants font valoir les moyens suivants :

'les frères et s'urs associés dans la SCEA [Adresse 8] ont demandé à M. [B], l'époux de la fille de Mme [E] [T], d'officier en qualité de conseiller financier non rémunéré en raison des liens familiaux unissant les parties ; faute de ressources consacrées par la société pour ce faire, il a dû acheter sur sa cassette personnelle des outils élémentaires pour travailler ou financer du matériel ou honorer des notes normalement à charge de la société sans en demander le remboursement ;

' à compter de l'année 1998 face à la multiplication des frais, M. [B] a demandé à la gérante le remboursement de ceux-ci laquelle l'a autorisé à établir des notes de frais ;

' il a établi ces notes de frais de secrétariat et de déplacement dont le règlement effectif était en attente d'un redressement financier de la société, ce que chacun des membres de la société a pu analyser à l'occasion de chaque assemblée générale en validant les comptes d'année en année et ce, par le biais de la ligne comptable correspondante ;

' le 28 novembre 2005 Mme [E] [T], par acte authentique, a transféré ses comptes courants et autres parts sociales au bénéfice de Mme [N] épouse [B] suite à une assemblée générale du 25 novembre 2005 autorisant la cession, de même M. [S] [T], ecclésiastique, a abandonné le 28 juillet 2005 ses propres comptes-courants au profit de Mme [B] ;

' aux termes d'un testament du 20 décembre 2014, [E] [T], décédée en [Date décès 9] 2015, a désigné les époux [B] exécuteurs testamentaires et légataires particuliers de tel ou tel bien lui appartenant;

' faute d'accord amiable en ce sens, M. [B] a proposé au nouveau conseil de gérance de désigner un expert-comptable pour procéder à des vérifications et éventuels rétablissements comptables ; le tribunal a rejeté sa demande présentée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile tendant à la désignation d'un expert, par ordonnance du 18 décembre 2018, confirmée par un arrêt du 18 mars 2021 ;

' M. [B] avait déjà pris l'initiative de saisir le tribunal judiciaire de Béziers pour obtenir la condamnation de la SCEA [Adresse 8] à lui régler les sommes dues au titre des avances consenties à la société jusqu'à l'assemblée du 8 mai 2015 approuvant les comptes du 21 décembre 2014 sous le libellé « débiteur-créditeur » de M. [B] autrefois qualifié " compte-courant d'associé dans la comptabilité de la SCEA [Adresse 8] " ;

' par jugement du 10 mai 2021 le tribunal judiciaire de Béziers, confirmé par un arrêt du 4 avril 2023 de la chambre commerciale de la cour d'appel de ce siège a déclaré l'action de M. [B] non prescrite, et condamné la SCEA [Adresse 8] à payer à M. [V] [B] la somme de 219 731,93 euros au titre de son compte débiteur créditeur arrêté au 31 décembre 2014 avec intérêts à taux légal à compter du jugement et exécution provisoire et anatocisme

[la société ayant refusé le paiement par lettre recommandée du 14 janvier 2016 et l'action ayant été introduite le 19 juin 2019,le tribunal retient que les opérations comptables inscrites dans le grand livre de la société ont été approuvées par les associés lors des assemblées générales du 16 août 2014 en ce compris le solde du compte courant débiteur-créditeur de M. [B] qui présentait au 31 décembre 2014 un solde créditeur de 219 731,93 euros dans les livres comptables correspondent à des opérations comptables définitives]

' M. [B] a déclaré cette créance le 10 octobre 2023, en rappelant son caractère hypothécaire et en ajoutant au principal les intérêts et le montant de l'article 700 du code de procédure civile soit le montant total de 264 507,53 ' dont 40 775, 60 'd' intérêts échus ;

' le juge-commissaire ne pouvait pas retenir l'existence d'une contestation sérieuse au motif que selon la SCEA [Adresse 8] les intérêts devraient être calculés au taux applicable aux professionnels, ce qui relèverait de l'analyse de la mission effectivement confiée à M. [B], alors que la décision rendue sur le fond qui profite à M. [B] fixe sa créance dans tous les éléments nécessaires ; et que de surcroît en aucun cas M. [B] n'a agi pour les besoins de sa profession.

* La SCEA [Adresse 8] répond qu'elle a saisi dans le délai d'un mois la juridiction compétente, soit le tribunal judiciaire de Lyon ; qu'elle conteste le calcul des intérêts au taux légal, dans la mesure où M. [B] l'a calculé comme une personne physique n'agissant pas pour des besoins professionnels, alors que la créance déclarée par M. [B] au passif de la procédure de redressement judiciaire a uniquement pour origine ses fonctions de conseiller financier de la SCEA [Adresse 8] ; et qu'il ne peut donc prétendre au tarif des intérêts applicables aux personnes physiques.

S'agissant des titres de Mme [N] épouse [B], la SCEA [Adresse 8] fait valoir que le tribunal par jugement devenu irrévocable en date du 8 mars 2021 a prononcé la nullité de l'assemblée générale du 25 novembre 2005 et déclaré la cession des parts sociales intervenues entre [E] [T] et Mme [N] opposable à la SCEA [Adresse 8].

Mais Mme [B] a déclaré sa créance le 10 octobre 2023, rectifiée le 14 novembre 2023, en demandant d'ajouter au montant de son compte courant celui qu'elle détient du chef de [E] [T] selon acte de cession régularisé le 28 novembre 2005, soit le montant total de 193 518,25 ' selon la comptabilité de la SCEA [Adresse 8] ;

Or le premier juge ne pouvait pas considérer à tort que la créance de Mme [B] nécessiterait l'analyse du contrat de cession de parts sociales, alors que le titre résulte d'un acte authentique valant jugement et qu'il a été déclaré opposable à la SCEA [Adresse 8] par voie judiciaire, de sorte qu'aucune contestation sérieuse ne justifie que soit saisie une autre juridiction.

SUR CE, la cour

Aux termes de l'article L.624-2 du code de commerce, « Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission.

L'article R.624-5 du même code dispose que lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.

Le jugement de mai 2021 confirmé par arrêt du 4 avril 2023 de la présente cour devenu irrévocable a condamné en son dispositif la SCEA [Adresse 8] à payer à M. [B] la somme de 219 731,93 euros outre la somme de 2000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision.

Or M. [B] n'a manifestement pas agi pour des besoins professionnels au sens de l'article L313-2 du code monétaire et financier qui distingue les deux situations invoquées par chacune des parties, dans la mesure où les missions ou avances effectuées par M. [B] au profit de la SCEA [Adresse 8] ont été accomplies gracieusement et pour des motifs familiaux.

Faute de contestation sérieuse, il convient donc d'admettre la créance à titre hypothécaire de M. [B] à hauteur de la somme principale de 219 731,93 euros outre celle de 40 715,60 ' au titre des intérêts légaux applicables à une personne physique, et non sur la base du taux applicable aux professionnels, arrêtés à la date du 17 juillet 2023 et de fixer la créance de M. [V] [B] à cette dernière date à la somme de 264 507,53 euros.

En revanche le juge-commissaire du tribunal de commerce de Béziers a exactement retenu,

s'agissant de la créance de Mme [N] épouse [B], que celle-ci était l'objet d'une contestation sérieuse.

En effet si par jugement devenu irrévocable du 8 mars 2021 l'assemblée générale du 25 novembre 2005 a été annulée et la cession des parts sociales intervenues entre Mme [B] et Mme [T] a été déclarée opposable à la SCEA [Adresse 8], l'acte de cession du 28 novembre 2005 jugé opposable à la SCEA dit qu'à compter de sa date, le cessionnaire dispose de la créance sur la SCEA [Adresse 8] cédée, soit la donation des parts et la donation du compte-courant.

Or Mme [N] épouse [B] soutient que le compte-courant de sa tante décédée lui appartient et qu'elle est bien fondée en sa production de ce chef (82 681,24 euros) outre son propre compte courant d'associé (110 837,01 euros) soit au total 193 518,25 ', alors que la SCEA [Adresse 8] lui oppose une l'attestation comptable aux termes de laquelle la somme de 110 837,01 euros inclurait en réalité déjà celle de 81 681,24 euros selon les comptes, Mme [B] rétorquant que ce montant avait été recrédité "en plus", et non inclus.

Une telle discussion nécessite une analyse ou une interprétation de l'acte authentique de cession et l'appréciation des preuves des parties ; elle constitue une contestation sérieuse qui excède la compétence du juge commissaire.

Mme [X] [N] épouse [B], a donc été exactement renvoyée à saisir le juge du fond dans le délai d'un mois en application de l'article R.624-5 du code de commerce supra, le juge-commissaire devant statuer par la suite sur l' admission ou le rejet de la créance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l'ordonnance déférée e ce qu'elle a :

constaté l'existence d'une contestation sérieuse relativement à la créance de M. [V] [B] ;

invité la société du [Adresse 8] à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision, à peine de forclusion, en ce qui concerne la créance de M. [V] [B] ;

- et sursis à statuer sur le sort de la créance de ce dernier ;

Confirme pour le surplus l'ordonnance déférée ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Fixe la créance de M. [V] [B] au passif de la SCEA du [Adresse 8] à la somme de 219 731,93 euros en principal outre celle de 40 715,60 ' au titre des intérêts légaux échus au 17 juillet 2023 , soit le montant total arrêté à la date du 7 juillet 2023 de 264 507,53 euros avec capitalisation annuelle des intérêts à compter du présent arrêt ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;

Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective.

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