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CA Lyon, 3e ch. a, 15 mai 2025, n° 21/01424

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 21/01424

15 mai 2025

N° RG 21/01424 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NNST

Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 20 janvier 2021

RG : 2019j01353

ch n°

S.A.S. LEA TRADE FINANCE

C/

S.A.S. VEOLIA PROPRETE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 15 Mai 2025

APPELANTE :

La société LEA TRADE FINANCE,

Société par actions simplifiée, au capital de 3.733.497,00 euros, Immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le numéro 510 342 769 RCS LYON, Représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Sis [Adresse 3]

([Localité 2]

Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547, avocat postulant et Me DE BUSSY Claire, avocate au barreau de LYON, avocat plaidant.

INTIMEE :

La société VEOLIA PROPRETE,

Société par actions simplifiée, au capital de 143.483.200,00 euros,Immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le numéro 572 221 034 RCS PARIS, Représentée par ses représentants légaux domiciliés ès qualité audit siège

Sis [Adresse 1]

([Localité 4]

Représentée par Me Yves-marie GUILLAUD, avocat au barreau de LYON, toque : 331, avocat postulant, substitué par Me HUSTACHE Solenne, avocate au barreau de LYON, avocat plaidant.

******

Date de clôture de l'instruction : 02 Juin 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Mars 2025

Date de mise à disposition : 15 Mai 2025

Audience tenue par Sophie DUMURGIER, présidente, et Aurore JULLIEN, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Sophie DUMURGIER, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Veolia Propreté a pour activité le recyclage et la valorisation des déchets.

Dans le cadre de son activité, elle commercialise du vieux papier.

La société Lea Trade Finance ( ci après LTF ) offre des solutions de financement aux entreprises, notamment dans le cadre d'opérations d'achat de marchandises pour compte de tiers.

Le 19 janvier 2017, un contrat de commissionnaire a été signé entre la société LTF et la société Greenfield, pour couvrir les approvisionnements de la société Greenfield en vieux papiers auprès de la société Veolia Propreté.

Au terme de ce contrat, la société LTF s'est engagée à procéder à des achats de marchandises pour le compte de la société Greenfield auprès de Veolia, désignée comme fournisseur dans le contrat.

Ce contrat était conclu pour une durée initiale d'un an, renouvelable annuellement par tacite reconduction.

Par courriel du 8 janvier 2019, la société Lea Trade Finance a demandé à la société Veolia Propreté de suspendre immédiatement toutes les commandes et livraisons relatives aux opérations en cours de la société Greenfield sur le point de déposer une demande d'ouverture de procédure collective.

La société Greenfield a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 8 janvier 2019.

Par acte d'huissier du 18 juillet 2019, la société Veolia Propreté a fait assigner la société Lea Trade Finance devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir le paiement de la somme de 893 978,65 euros, avec intérêts de retard et capitalisation des intérêts, correspondant à des commandes livrées à la société Greenfield entre les mois d'octobre et décembre 2018, et les sommes de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts et de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 20 janvier 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

- condamné la société Lea Trade Finance au paiement de la somme de 893 978,65 euros à la société Veolia Propreté ainsi qu'aux intérêts de retard à compter de l'échéance de chaque facture, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage,

- alloué à la société Lea Trade Finance le bénéfice d'un délai d'une année à compter de la date du présent jugement pour procéder au paiement des factures référencées VS 1806019, VS 1805107, VS 1805401 et VS 1805402 d'un montant total de 893 978,65 euros,

- dit que les intérêts échus des capitaux dus produiront eux-mêmes des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,

- condamné la société Veolia Propreté au paiement de la somme de 50 000 euros à la société Lea Trade Finance au titre des dommages et intérêts,

- ordonné la compensation judiciaire entre ces condamnations,

- condamné la société Lea Trade Finance au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- prononcé l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution,

- condamné la société Lea Trade Finance aux entiers dépens de l'instance.

'

Par déclaration reçue au greffe le 24 février 2021, la société Lea Trade Finance a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- condamné la société Lea Trade Finance au paiement de la somme de 893 978,65 euros à la société Veolia Propreté ainsi qu'aux intérêts de retard à compter de l'échéance de chaque facture, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage,

- alloué à la société Lea Trade Finance le bénéfice d'un délai d'une année à compter de la date du présent jugement pour procéder au paiement des factures référencées VS 1806019, VS 1805107, VS 1805401 et VS 1805402 d'un montant total de 893 978,65 euros (alors qu'elle sollicitait un délai de 2 ans),

- dit que les intérêts échus des capitaux dus produiront eux-mêmes des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,

- n'a pas fait droit à sa demande au titre de ses préjudices matériels,

- condamné la société Lea Trade Finance au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Lea Trade Finance aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 28 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, la société Lea Trade Finance demande à la cour, au visa des articles 1343-5 et 1104 du code civil, de :

- la recevoir en son appel,

- constater que le contrat de commissionnaire entre les sociétés Lea Trade Finance et Greenfield désigne uniquement la société Veolia Propreté comme fournisseur de la société Greenfield et prévoit un accord sur la chose et sur le prix des marchandises, hors de toute intervention de la société Lea Trade Finance,

- constater que la société Veolia Propreté reconnait avoir procédé à des ventes en direct au profit de Greenfield, au titre de la poursuite des livraisons au cours de la période d'observation, sans justifier des conditions dans lesquelles elle y aurait été autorisée par les organes de la procédure collective, ni des paiements reçus,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 893 978,65 euros à la société Veolia Propreté, et, statuant à nouveau, dire et juger que les ventes en direct que reconnaît avoir poursuivi la société Veolia Propreté auprès de Greenfield ont rendu caducs depuis le 9 janvier 2019 ses engagements envers la société Veolia Propreté,

Subsidiairement,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 893 978,65 euros à la société Veolia Propreté, et, statuant à nouveau, dire et juger que les impayés dont elle justifie de la part de Greenfield et la déloyauté de la société Veolia Propreté envers la concluante justifient de limiter sa condamnation à proportion du taux de recouvrement de sa propre créance sur Greenfield, tel qu'il sera déterminé à l'issue des opérations de répartition,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée aux intérêts de retard à compter de l'échéance de chaque facture, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, et statuant à nouveau, dire et juger que les intérêts de retard ne sauraient être supérieurs à 3 fois le taux d'intérêt légal, conformément aux CGV de la société Veolia Propreté figurant au verso de ses factures,

Subsidiairement,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité à un an à compter du jugement le délai qui lui a été accordé pour procéder au paiement des factures référencées VS 1806019, VS 1805107, VS 1805401 et VS 1805402 d'un montant total de 893 978,65 euros et, statuant à nouveau, lui allouer le bénéfice d'un délai de 2 ans,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée aux intérêts de retard à compter de l'échéance de chaque facture, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, et, statuant à nouveau, réduire les intérêts de retard au taux d'intérêt légal simple (pour les intérêts déjà courus), tout en rappelant que pendant le délai octroyé le cours des intérêts est suspendu,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande au titre de ses préjudices matériels (en sus de son préjudice réputationnel) en lui allouant à ce titre une somme complémentaire de 139 000 euros,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, et au contraire condamner la société Veolia Propreté à lui verser une indemnité de 12 000 euros à ce titre et aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, la société Veolia Propreté demande à la cour, au visa des articles 1101 et suivants du code civil et L.132-1, L.622-7 et L.622-13 du code de commerce, de :

- déclarer l'appel de la société Lea Trade Finance non fondé,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 20 janvier 2021 dont appel en ce qu'il a :

' condamné la société Lea Trade Finance au paiement de la somme de 893 978,65 euros à la société Veolia Propreté ainsi qu'aux intérêts de retard à compter de l'échéance de chaque facture, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage,

' dit que les intérêts échus des capitaux dus produiront eux-mêmes des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,

' condamné la société Lea Trade Finance au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamné la société Lea Trade Finance aux entiers dépens de l'instance,

- infirmer ledit jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Lea Trade Finance une somme de 50 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et réputationnel et lui a accordé des délais de paiement,

- dire et juger qu'aucun dommage-intérêt n'est dû à la société Lea Trade Finance et, en conséquence, la débouter de sa demande de condamnation à lui payer, en sus des 50 000 euros, la somme de 139 000 euros de dommages-intérêts pour préjudices matériels,

- débouter la société Lea Trade Finance de sa demande de délais de paiement et, plus particulièrement, de sa demande d'augmentation de la durée des délais de paiement et de modification de leur point de départ,

Y ajoutant,

- condamner la société Lea Trade Finance à lui payer la somme supplémentaire de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile afin de compenser ses frais exposés devant la cour d'appel et non compris dans les dépens,

- la condamner aux entiers dépens d'appel que Me Yves-Marie Guillaud sera autorisé à recouvrer directement à son encontre conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 juin 2022, les débats étant fixés au 13 mars 2025.

'

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour observe que les demandes qui tendent à ce qu'elle ' dise et juge' ou qu'elle 'constate', qui ne font que reprendre des moyens, ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile. En application de l'article 954 du code de procédure civile, il ne sera donc pas statué sur ces « demandes ».

Sur la demande en paiement des quatre factures impayées

Si la société Lea Trade Finance sollicite l'infirmation du jugement qui l'a condamnée à payer la somme de 893 978,65 euros avec intérêts à la société intimée, elle ne conclut pas pour autant au débouté de la demande en paiement formée à son encontre.

Elle prétend que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle a clairement contesté devoir quelque somme que ce soit à la société Veolia Propreté, non seulement en raison de la nature des relations et des défauts de paiement de la société Greenfield mais également de la faute d'une particulière gravité commise par la société intimée, qui a conduit à son éviction d'un contrat non résilié.

Elle soutient, à titre principal, que ses engagements sont devenus caducs le 9 janvier 2019 en faisant valoir que le droit positif reconnaît l'existence de relations contractuelles interdépendantes et leurs conséquences et qu'il n'est pas nécessaire, pour qu'une relation tripartite soit reconnue avec des obligations subséquentes pour l'ensemble des parties, qu'un contrat soit formalisé entre toutes les parties concourant à la réalisation d'une même opération économique.

Elle ajoute qu'en application de l'article 1186 du code civil, lorsque plusieurs contrats concourent à une même opération et que l'un d'eux disparaît, l'autre devient caduc, et qu'aucune des commandes qu'elle a passées auprès de Veolia n'existait sans une négociation préalable entre Greenfield et Veolia sur la chose et sur le prix et l'engagement de Greenfield de la payer.

Elle affirme ainsi que ses engagements envers Veolia s'inscrivaient nécessairement dans le cadre des engagements pris par la société Greenfield à son égard, de sorte que la perte brutale de la raison d'être de son contrat de commissionnaire, par le fait même des sociétés Greenfield et Veolia, et son éviction en qualité d'intermédiaire dans les achats de vieux papiers de la société Greenfield à la société Veolia, alors que ces achats avaient vocation à se poursuivre durant la période d'observation, a rendu ses engagements caducs.

Elle ajoute que son intermédiation avait pour seule finalité de préfinancer les opérations d'achat-vente de marchandises entre les sociétés Greenfield et Veolia, de sorte que, dès lors qu'elle ne recevait plus de commandes de Veolia du fait d'opérations d'achat-vente intervenues en direct entre ces deux sociétés, le contrat de commissionnaire a perdu sa raison d'être.

Elle en déduit que c'est à tort que la société intimée considère que la situation d'impayés qu'elle subit de la part de la société Greenfield ainsi que la déloyauté dont elle fait preuve à son égard ne la priveraient pas du paiement des factures qu'elles a établies au titre des marchandises dont les conditions d'achat et de livraison avaient été convenues entre elle et la société Greenfield, avant de transiter par la commissionnaire.

La société Veolia Propreté objecte que les factures dont elle sollicite le paiement correspondent à des commandes émises par la société appelante portant la référence Greenfield en relevant que le contrat cadre de commission dont se prévaut l'appelante stipule que le commettant donne mission à la société Lea Trade Finance d'acheter en son nom propre mais pour le compte du commettant des produits choisis par ce dernier auprès du fournisseur qu'il désigne, le commettant restant libre du choix du fournisseur pour lequel il entend recourir aux services du commissionnaire.

Elle souligne que ce contrat a été appliqué à plusieurs fournisseurs puisque le montant de la créance déclarée par la société Lea Trade Finance est de plus du double de sa créance envers cette dernière au titre des marchandises fournies à la société Greenfield.

Elle affirme que le contrat produit par l'appelante est un contrat de commission régi par les dispositions de l'article L. 132-1 du code de commerce qui prévoit que le commissionnaire agit en son nom propre ou sous un nom social qui n'est pas celui de son commettant et qu'il importe peu que le commissionnaire révèle au contractant le nom du commettant pour le compte duquel il agit.

Elle rappelle que le contrat de commission signé avec la société Greenfield était destiné à lui procurer une solution de financement de ses achats auprès de ses fournisseurs et qu'elle était libre d'acheter des marchandises auprès de ses fournisseurs en dehors de ce contrat, dès lors qu'elle bénéficiait de la trésorerie suffisante ou qu'elle bénéficiait de concours bancaires, ou encore qu'elle pouvait revendre les marchandises avant d'avoir à les payer.

Elle en déduit qu'il n'y avait aucune interdépendance entre les contrats, sauf à considérer abusivement que tout contrat de commissionnement créerait une relation tripartite, ce qui constituerait une dénaturation des dispositions de l'article L. 132-1 du code de commerce, ce que confirme le montant de la créance déclarée par la société appelante qui démontre que le contrat de commission a également été appliqué à d'autres fournisseurs.

Il résulte du contrat conclu le 19 janvier 2017 entre les sociétés Lea Trade Finance et Greenfield, que la société Greenfield a donné mission à LTF d'acheter en son nom propre mais pour le compte du commettant, des produits choisis par le commettant auprès du fournisseur désigné par ce dernier aux conditions d'achat et de prix définies et acceptées par le commettant, le contrat écartant tout mandat du commettant à LTF de négocier des produits au nom et pour le compte du commettant.

Il résulte également de ce contrat que pour chaque opération commerciale, le commettant adressera au commissionnaire un bon de commande dont les termes auront été préalablement arrêtés et confirmés entre le fournisseur et le commettant.

En annexe 2, Veolia Propreté France Recycling était mentionnée en qualité de fournisseur de vieux papier.

Par courrier du 8 janvier 2019, le commissionnaire a demandé à la société Veolia Propreté de suspendre immédiatement toutes les commandes et livraisons relatives aux opérations en cours.

Les factures dont la société intimée réclame le paiement correspondent à des marchandises livrées entre le 11 octobre et le 28 décembre 2018 et facturées entre le 31 octobre 2018 et le 31 décembre 2018, à échéances des 15 décembre 2018, 15 janvier 2019 et 15 février 2019.

Or, à la date à laquelle la société Lea Trade Finance a acheté au fournisseur les marchandises livrées et facturées par la société Veolia Propreté, le contrat de commissionnement n'avait pas pris fin.

C'est donc bien en exécution de ce contrat que les marchandises livrées ont été facturées à la société Lea Trade Finance qui les avait commandées en son nom propre et l'appelante est mal fondée à se prévaloir de la caducité de ses engagements envers la société intimée du fait de la prétendue disparition du contrat la liant à la société Greenfield pour soutenir que l'exécution de son obligation est devenue impossible et s'opposer au paiement des factures.

A titre subsidiaire, la société Lea Trade Finance prétend que les impayés dont elle justifie de la part de la société Greenfield et la déloyauté de la société Veolia Propreté envers elle sont des exceptions opposables à l'intimée qui justifient de limiter sa condamnation à proportion du taux de recouvrement de sa propre créance sur son commettant.

Elle fait valoir, qu'en l'évinçant de son contrat de commissionnaire, qui avait vocation à être poursuivi pendant la période d'observation, la société Veolia Propreté l'a privée de la possibilité d'obtenir un accord de paiement dans le cadre de la poursuite d'activité et de toute chance de recouvrement rapide de sa créance.

Cependant, si la société Veolia Propreté a reconnu, dans un courrier du 31 janvier 2019 adressé à l'appelante, avoir exécuté des commandes de papiers récupérés passées directement par la société Greenfield, ces commandes ont été passées avec l'accord des organes de la procédure collective, alors que la société Lea Trade Finance avait demandé au fournisseur de suspendre immédiatement toutes les commandes et rien n'établit par ailleurs que l'administrateur judiciaire aurait exigé la poursuite de ce contrat de commissionnement générant une commission s'élevant à 1 000 euros par opération commerciale et à 20 000 euros par année contractuelle.

Aucun manquement contractuel de la société Veolia Propreté n'est donc caractérisé qui justifierait que la société débitrice soit exonérée partiellement de son obligation au paiement.

Le jugement mérite ainsi d'être confirmé en ce qu'il a condamné la société Lea Trade Finance à payer à la société Veolia Propreté la somme de 893 978,65 euros.

En revanche, cette somme sera assortie des intérêts au taux conventionnel de trois fois le taux d'intérêt légal en vigueur à compter de l'échéance de chaque facture, conformément aux conditions générales de vente de la société Veolia Propreté, infirmant sur ce point le jugement déféré.

Sur la demande de délais de paiement

La société appelante sollicite, à titre subsidiaire, un délai de deux années pour s'acquitter de sa dette, en faisant valoir que le délai pour clôturer les opérations de liquidation judiciaire de la société Greenfield a été prorogé de deux ans en application de l'article L. 643-9 du code de commerce et qu'aucun paiement n'a donc été effectué à son profit.

Elle sollicite la réduction des intérêts au taux légal en application de l'article 1343-5 du code civil.

La société Veolia Propreté, appelante incidente, s'oppose à l'octroi de délais de paiement qui consistent en un report d'échéance qui interviendra, au titre de l'exécution provisoire, pendant la procédure d'appel, le chef de dispositif du jugement qui a accordé un délai de paiement d'un an étant obsolète au jour où la cour statue.

Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Le pouvoir d'accorder ou de refuser un délai de grâce est considéré comme un pouvoir souverain qui doit être motivé par les circonstances de l'espèce et notamment, s'agissant de la situation du débiteur, par ses difficultés passagères, ses offres de paiement sérieuses, et par la perspective d'un échéancier raisonnable, qui doit demeurer pertinent au regard des sommes dues, de leur ancienneté, des éventuels délais amiables déjà alloués, et plus généralement de la foi due aux contrats.

En l'espèce, l'appelante a obtenu du tribunal le bénéfice d'un délai de paiement d'un an pour s'acquitter de sa dette qui est devenue exigible depuis maintenant plus de trois ans.

Il n'y a pas lieu de lui accorder un délai supplémentaire d'un an en application des dispositions légales susvisée alors que, d'une part, elle a déjà bénéficié, de fait, d'un délai de plus de quatre années pour s'acquitter de sa dette et que, d'autre part, la liquidation judiciaire de la société Greenfield doit être clôturée prochainement pour insuffisance d'actifs, la société Lea Trade Finance ayant bénéficié de paiements provisionnels.

Le jugement mérite ainsi d'être confirmé sur ce point.

Sur les demandes indemnitaires de la société Lea Trade Finance

La société appelante prétend que les agissements déloyaux de la société Veolia Propreté lui ont occasionné un préjudice réputationnel que le tribunal a justement réparé à hauteur de 50 000 euros, mais également de graves préjudices matériels constitués de la perte des commissions qu'elle aurait dû percevoir sur la poursuite de son contrat d'intermédiation pour les achats de la société Greenfield auprès de la société Veolia Propreté puisqu'il ne peut pas être contesté que ces achats ont été poursuivis, qu'elle évalue à 32 527,22 euros au regard du montant des commandes confiées durant l'année 2018 et de la durée de la période d'observation, et de la perte de chance d'obtenir un paiement immédiat au titre des livraisons antérieures dont a bénéficié la société Greenfield, évaluée à 106 500 euros.

Elle précise que l'article L. 622-7 du code de commerce que lui oppose l'intimée permet au juge commissaire d'autoriser le débiteur à transiger et qu'il est fort probable que si la société Veolia Propreté n'avait pas court circuité ses relations avec la société en redressement judiciaire, les organes de la procédure auraient cherché à parvenir à un accord avec son créancier pour permettre la poursuite des livraisons de marchandises pour les besoins de son activité.

La société Veolia Propreté relève que la société Lea Trade Finance a réduit ses demandes indemnitaires en réparation de ses préjudices matériels de 918 277,34 euros à 139 000 euros, ce qui démontre l'absence de fiabilité de ces préjudices.

Sur les agissements fautifs qui lui sont reprochés, elle fait valoir que, par mail du 8 janvier 2019, la société appelante lui a demandé de suspendre immédiatement toutes les commandes et livraisons à la société Greenfield dont la mise en redressement judiciaire était imminente et que cette demande de suspension n'a jamais été levée, la société Lea Trade Finance ne lui ayant plus jamais passé aucune commande.

Elle ajoute, qu'en application de l'article L.622-13 du code de commerce, seul l'administrateur

judiciaire a la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur, le défaut d'exécution du débiteur antérieur au jugement d'ouverture n'ouvrant droit aux créanciers qu'à déclaration au passif.

Elle en déduit que la société appelante n'avait pas d'autre choix que de déclarer sa créance au passif du redressement judiciaire et qu'il appartenait à l'administrateur d'exiger l'exécution du contrat en cours, et, à défaut, à la société appelante de le mettre en demeure de prendre position sur la poursuite du contrat, en relevant que la société appelante est muette sur la décision de l'administrateur et sur la provocation de cette décision.

Si le contrat liant la société Lea Trade Finance à la société Greenfield devait être tacitement renouvelé pour une durée d'un an à compter du 19 janvier 2019, en l'absence de notification de son non renouvellement trois mois avant son échéance, l'appelante qui reproche à la société Veolia Propreté des agissements déloyaux ne démontre pas que, postérieurement au courrier qu'elle lui a adressé le 8 janvier 2019, aux termes duquel elle lui a demandé de suspendre immédiatement toutes les commandes et livraisons relatives aux opérations en cours, elle l'aurait informée de la reprise de sa relation commerciale avec la société en redressement judiciaire, laquelle avait interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, en application de l'article L. 622-7 du code de commerce.

La société Lea Trade Finance ne communique aucun élément sur les échanges qu'elle a pu avoir avec l'administrateur judiciaire sur la poursuite du contrat de commissionnement et ne peut dès lors sérieusement reprocher à la société intimée d'avoir accepté les commandes passées directement auprès d'elle par la société Greenfield afin de poursuivre son activité, sans opposition des organes de la procédure, la facturation de ces commandes n'étant plus majorée d'une commission.

En outre, ainsi que le relève justement la société intimée, la poursuite du contrat de commissionnement pendant la période d'observation, qui aurait pu générer des commissions au profit de la société Lea Trade Finance, n'aurait toutefois eu aucune incidence sur le montant de la créance déclarée par cette dernière puisque le jugement d'ouverture emporte interdiction de payer toutes les créances nées antérieurement au jugement.

Aucune faute de la société Veolia Propreté n'étant caractérisée, la société Lea Trade Finance sera déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires et le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué à cette dernière une somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les dépens et les frais de procédure

La société Lea Trade Finance qui succombe en son appel supportera la charge des dépens de l'instance.

Il est par ailleurs équitable de mettre à sa charge une partie des frais de procédure non compris dans les dépens exposés en cause d'appel par la société intimée.

Elle sera ainsi condamnée à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et dans les limites de l'appel,

Infirme le jugement rendu le 20 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a :

- assorti la condamnation de la société Lea Trade Finance au paiement de la somme de 893 978,65 euros d'intérêts de retard au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points,

- condamné la société Veolia Propreté à payer à la société Lea Trade Finance la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- ordonné la compensation judiciaire entre les condamnations,

Statuant à nouveau,

Dit que la condamnation de la société Lea Trade Finance au paiement de la somme de 893 978,65 euros sera majorée d'intérêts au taux conventionnel de trois fois le taux d'intérêt légal en vigueur à compter de l'échéance de chaque facture,

Déboute la société Lea Trade Finance de sa demande de dommages-intérêts,

Y ajoutant,

Condamne la société Lea Trade Finance aux dépens d'appel et dit que les dépens pourront être recouvrés directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, par Me Guillaud, avocat,

Condamne la société Lea Trade Finance à verser à la société Veolia Propreté la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, La Présidente,

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