CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 22 mai 2025, n° 23/16984
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
BRENNTAG (S.A.), DEUTSCHE BAHN AG, BRENNTAG FRANCE HOLDING (S.A.S), BRACHEM FRANCE HOLDING (S.A.S.), BRENNTAG FOREIGN HOLDING (GmbH), BRENNTAG BETEILIGUNG (GmbH), BRENNTAG HOLDING (GmbH)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
I. FENAYROU
Présidents :
Gildas BARBIER, Françoise JOLLEC
ARRÊT PUBLIC :
' contradictoire,
' prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
' signé par Mme Isabelle FENAYROU, et par M. Valentin HALLOT, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
Vu la décision n° 13-D-12 du 28 mai 2013 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques ;
Vu le recours en annulation et en réformation de cette décision déposé au greffe de la Cour le 28 juin 2013 par la société DB Mobility Logistics AG devenue DEUTSCH BAHN AG ;
Vu la déclaration de recours et l'exposé des moyens déposés au greffe de la Cour le 28 juin 2013 par la société GEA Group AG ;
Vu la déclaration de recours et l'exposé des moyens déposés au greffe de la Cour le 1er juillet 2013 par les sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Holding GmbH, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire déposée au greffe de la Cour le 19 juillet 2013 par la société Gaches Chimie ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire déposée au greffe de la Cour le 23 juillet 2013 par les sociétés Solvadis France, Solvadis Holding SARL et Solvadis Gmbh, devenues la société Sojitz Solvadis GmbH, suite à une fusion du 1er novembre 2023 à effet du 1er décembre 2023, des sociétés Solvadis Deutschland Gmbh et Solvadis Distribution Gmbh ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2023 (pourvois n° 20-23.715, 20-23.582) cassant partiellement l'arrêt du 3 décembre 2020 (RG n° 13/13058) rendu par la cour d'appel de Paris, et renvoyant devant la même Cour autrement composée ;
Vu la déclaration de saisine de l'Autorité de la concurrence du 31 octobre 2023 ;
Vu les observations de l'Autorité de la concurrence du 25 avril 2024 ;
Vu les dernières écritures des sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Holding GmbH, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH du 3 octobre 2024 ;
Vu les dernières écritures de la société Deutsche Bahn AG du 2 octobre 2024 ;
Vu les observations de la société Sojitz Solvadis GmbH du 4 septembre 2024 ;
Vu les observations de la société Gaches Chimie du 4 septembre 2024 ;
Vu les observations du ministre chargé de l'économie du 4 septembre 2024 ;
Vu l'avis du ministère public du 24 octobre 2024, communiqué le même jour aux parties et à l'Autorité de la concurrence ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 21 novembre 2024, les conseils des sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Holding GmbH, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH, le conseil de la société Deutsche Bahn AG, le conseil de la société Sojitz Solvadis GmbH et le conseil de la société Gaches Chimie, ainsi que les représentants de l'Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l'économie, puis le ministère public, les parties ayant été en mesure de répliquer.
SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE
§ 1
I. LES FAITS
§ 4
II. LA DÉCISION DE L'AUTORITÉ
§ 9
III. LES RECOURS ENTREPRIS
§ 16
IV. LA DÉCLARATION DE SAISINE ET LES DEMANDES DES
PARTIES
§ 26
MOTIVATION
§ 34
I. SUR LES FINS DE NON-RECEVOIR TIRÉES DE LA PRESCRIPTION
§ 34
A. Sur la prescription quinquennale
§ 34
B. Sur la prescription décennale
§ 40
II. SUR LES FINS DE NON-RECEVOIR TIRÉES DE L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE
§ 50
A. Sur la recevabilité des demandes des sociétés Brenntag visant à contester le rang de clémence bénéficiant à la société Solvadis
§ 50
B. Sur la recevabilité de la demande des sociétés Brenntag au titre de la violation des droits de la défense
§ 67
C. Sur la recevabilité des demandes des sociétés Brenntag au titre du taux d'exonération de la sanction
§ 77
D. Sur la recevabilité des demandes des sociétés Brenntag relatives à la contestation de l'existence d'une infraction unique, complexe et continue
§ 83
E. Sur la recevabilité de la demande des sociétés Brenntag au regard du grief n° 2
§ 90
III. SUR LA PORTÉE DE LA CASSATION PARTIELLE À L'ÉGARD DE LA SOCIÉTÉ DEUTSCHE BAHN
§ 96
IV. SUR L'ALTERNATIVE ENTRE UN RENVOI DE L'AFFAIRE DEVANT L'AUTORITÉ POUR RÉDACTION D'UN NOUVEAU RAPPORT ET LE PRONONCÉ D'UNE SANCTION PLAFONNÉE
§ 113
V. SUR LA DEMANDE DES SOCIÉTÉS BRENNTAG RELATIVE À L'INJONCTION DE PUBLICATION DE LA DÉCISION ET À LA CONDAMNATION SOLIDAIRE DE LA SOCIÉTÉ DB MOBILITY LOGISTICS AG DEVENUE DEUTSCHE BAHN
§ 166
VI. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS
§ 168
PAR CES MOTIFS
§ 169
FAITS ET PROCÉDURE
1.La Cour de cassation, par un arrêt du 6 septembre 2023 (pourvois n° 20-23.715, 20-23.582), a cassé la décision rendue par la cour d'appel de Paris du 3 décembre 2020 (RG n° 13/13058) mais seulement en ce qu'elle a condamné la société Brenntag SA, conjointement et solidairement avec la société Deutsche Bahn AG, à payer la somme de 47 802 789 euros. L'affaire a été renvoyée sur ce point devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
2.L'Autorité de la concurrence a saisi la Cour par une déclaration de saisine du 31 octobre 2023.
3.Il sera rappelé brièvement les faits et la procédure.
I. LES FAITS
4.Les 20 septembre, 26 octobre et 13 décembre 2006, quatre distributeurs de commodités chimiques, les sociétés Solvadis, Quaron, Brenntag SA et Univar, opérant sur le territoire français, ont porté à la connaissance du Conseil de la concurrence des ententes portant sur des ventes de commodités chimiques et ont, successivement, demandé le bénéfice de la procédure de la clémence sur le fondement de l'article L. 464-2, IV, du code de commerce.
5.Les commodités chimiques désignent les produits chimiques de base issus principalement de la B minérale et de la pétrochimie. Elles sont constituées d'un très large éventail de références (près de 3 000) dont notamment les solvants pétroliers, les acétates, les glycols, les alcools, les éthers, la soude, les acides, la javel, le peroxyde d'hydrogène, le chlorure ferrique, le formol, les bisulfites, la potasse. Le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité »), s'est saisi d'office le 5 avril 2007 (numéro 07/0032 F).
6.Le 12 juin 2012, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié aux sociétés C France et ses sociétés mères C D, C Holding SARL ['], Brenntag SA et ses sociétés mères DB Mobility Logistics AG (ex-Stinnes AG), E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding D, Brenntag Beteiligungs D, Brenntag Holding D, Univar et ses sociétés mères Univar France SNC, Univar France BV, ['] BV, Univar NV et Caldic Est, un premier grief consistant à avoir participé à une entente complexe et continue sur le marché de la distribution des commodités chimiques en France, en mettant en 'uvre, dans plusieurs zones géographiques du territoire français, des accords et pratiques concertées participant au même objectif global visant d'une part, à fixer en commun les prix de vente de l'ensemble des commodités chimiques en répercutant simultanément les hausses tarifaires de leurs fournisseurs respectifs en matière de solvants et de B minérale et, d'autre part, à la stabilisation de leurs parts de marché par le biais de pratiques de répartition de clientèle (attribution des clients, répartition des commandes par volumes ou par périodes, offres de couverture).
7.Le grief a été notifié aux sociétés selon les périodes pour lesquelles elles étaient concernées à compter du 17 décembre 1997 et jusqu'en juin 2005.
8.Le même jour, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié un second grief aux sociétés Brenntag SA, DB Mobility Logistics AG (ex-Stinnes AG), E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding D, Brenntag Beteiligungs D, Brenntag Holding D, et Chemco France, leur reprochant d'avoir de janvier 2000 à mars 2007, période non couverte par la prescription, participé à une entente unique et continue, en mettant en 'uvre une pratique concertée visant à se répartir les livraisons des commandes de la commodité chimique méthanol de la société GKN Driveline et à fixer en commun les prix pratiqués à l'égard de ce client, ayant pour conséquence de le tromper sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles.
II. LA DÉCISION DE L'AUTORITÉ
9.Par une décision n° 13-D-12 du 28 mai 2013 (ci-après « la décision attaquée »), l'Autorité a dit établies les deux infractions reprochées.
10.Sur le premier grief, elle a considéré que les pratiques constituaient une pratique unique, complexe et continue, qu'elles avaient eu un objet anticoncurrentiel et qu'elles avaient duré de décembre 1997 à juin 2005. Elle a détaillé pour chaque entreprise, la participation et les dates de l'infraction.
11.Elle a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :
' 47 802 789 euros à la société Brenntag SA, conjointement et solidairement avec DB Mobility Logistics AG, devenue Deutsche Bahn AG ;
' 5 311 422 euros à la société DB Mobility Logistics AG, devenue Deutsche Bahn AG ;
' 1 335 036 euros à la société Caldic Est SASU ;
' 9 405 279 euros à la société GEA Group AG ;
' 15 180 461 euros à la société Univar SAS.
12.Au titre de la clémence sur ce premier grief, la société Solvadis et ses sociétés mères ont été exonérées de sanction pécuniaire et la société Brenntag SA a obtenu une réduction de la sanction de 25 %.
13.Sur le second grief, l'Autorité a infligé une sanction pécuniaire de 10 000 euros à la société Chemco France SARL et de 50 916 euros à la société DB Mobility Logistics AG, devenue Deutsche Bahn AG, en qualité de société mère.
14.Elle a exonéré la société Brenntag SA de sanction pécuniaire.
15.Enfin, l'Autorité a ordonné la publication d'un texte dans les journaux Les Echos et l'Usine nouvelle.
III. LES RECOURS ENTREPRIS
16.Les sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Holding GmbH, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH (ci-après « les sociétés Brenntag ») et Deutsche Bahn AG (anciennement DB Mobility Logistics AG) (ci-après « la société Deutsche Bahn ») ont formé contre cette décision un recours en annulation et en réformation devant la Cour (RG n° 13/13058).
17.La société Sojitz Solvadis GmbH (ci-après « la société Solvadis ») et la société Gaches Chimie sont intervenues volontairement à l'instance.
18.Par un premier arrêt du 27 novembre 2014 (RG n° 14/18420 et 14/04209), la Cour a renvoyé devant la Cour de cassation, à la demande des sociétés Brenntag et DB Mobility Logistics AG, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 464-2 du code de commerce relatif à la procédure de clémence. Par un arrêt du 4 mars 2015 (pourvoi n° 14-40.052), la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel.
19.Par un deuxième arrêt du 22 octobre 2015, interprété le 12 janvier 2016, la Cour a déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Gaches Chimie.
20.Par un troisième arrêt partiellement avant-dire droit du 2 février 2017, la Cour, après avoir constaté une atteinte grave aux droits de la défense des sociétés Brenntag, a annulé le rapport établi par la rapporteure de l'Autorité et la décision attaquée en ses dispositions relatives aux sociétés Brenntag, a rejeté les demandes d'annulation de l'auto-saisine de l'Autorité, de l'avis de clémence accordée à la société Solvadis France et de la notification de griefs, et a ordonné la réouverture des débats sur les griefs notifiés aux sociétés Brenntag.
21.Le pourvoi formé contre cet arrêt par les sociétés Brenntag a été déclaré irrecevable par un arrêt du 10 juillet 2018 (Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 17-13.973).
22.Par un quatrième arrêt partiellement avant-dire droit du 18 avril 2019, la Cour a rejeté les fins de non-recevoir visant à déclarer irrecevables les interventions volontaires des sociétés Solvadis, a déclaré irrecevables les demandes des sociétés Brenntag tendant à ce que soient écartées des débats certaines pièces contenant des propos prétendument attentatoires à la vie privée, injurieux ou diffamatoires et a joint à l'examen au fond du dossier l'incident relatif à l'origine illicite de certaines autres pièces.
23.Par un cinquième arrêt du 3 décembre 2020, la Cour a statué sur les griefs notifiés aux sociétés en cause et a :
' rejeté les demandes des sociétés Brenntag tendant à l'annulation de l'entière procédure ;
' rejeté la demande des sociétés Brenntag tendant à écarter des débats l'Autorité, les observations de cette dernière du 20 janvier 2020 et les conclusions des sociétés Gaches Chimie, Solvadis Deutschland GmbH et Solvadis Distribution GmbH et la demande des sociétés Brenntag tendant à l'annulation de l'entière procédure ;
' déclaré irrecevable la demande des sociétés Brenntag d'annulation de la procédure suivie devant l'Autorité en ce qu'elle est fondée sur une atteinte irrémédiable des droits de la défense née des propos calomnieux tenus à l'encontre de leur conseil ;
' rejeté la demande des sociétés Brenntag d'annulation de la procédure suivie devant l'Autorité en ce qu'elle est fondée sur une atteinte irrémédiable des droits de la défense née de la perte d'un double degré de juridiction et du recours à la procédure de non contestation des griefs ;
' déclaré irrecevables les demandes d'annulation du procès-verbal de clémence de la société Solvadis France du 20 septembre 2006 et de l'avis de clémence n° 07-AC-01 du 7 février 2007, formées par les sociétés Brenntag ;
' rejeté la demande en inopposabilité de la notification des griefs présentée par la société Deutsche Bahn, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG ;
' rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription des pratiques visées au grief n° 1 ;
' dit que la société Brenntag SA, en tant qu'auteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce ainsi que celles de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en mettant en 'uvre une entente anticoncurrentielle unique et complexe visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires ;
' faisant application de l'article L. 464-2, IV du code de commerce, fixé à 25 % le taux d'exonération partielle de la sanction encourue par la société Brenntag SA au titre de cette entente ;
' rejeté la demande de la société Deutsche Bahn, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, tendant à l'extension à son profit du bénéfice de l'exonération partielle ainsi accordée à la société Brenntag SA ;
' prononcé, en conséquence, au titre de l'entente précitée, une sanction pécuniaire de 47 043 774 euros à la société Brenntag SA conjointement et solidairement avec la société Deutsche Bahn en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, et de 5 224 995 euros à la société Deutsche Bahn, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG ;
' dit que les sociétés Brenntag en tant qu'auteures des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en mettant en 'uvre une entente anticoncurrentielle consistant en une répartition des livraisons et en une fixation de prix ;
' dit que la société Brenntag SA est exonérée de sanction pécuniaire au titre de cette entente en application de l'article L. 464-2, IV, du code de commerce ;
' rejeté la demande de la société Deutsche Bahn, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, tendant à l'extension à son profit du bénéfice de l'exonération totale ainsi accordée à la société Brenntag SA ;
' prononcé, au titre de cette entente, une sanction pécuniaire de 50 916 euros à la société Deutsche Bahn, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG ;
' rejeté les autres demandes de la société Deutsche Bahn, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG tendant à la diminution des sanctions pécuniaires prononcées à son encontre ;
' rejeté toute autre demande, plus ample ou contraire ;
' rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamné les sociétés Brenntag SA, Deutsche Bahn en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS aux dépens.
24.Les sociétés Brenntag, d'une part, et la société Deutsche Bahn, d'autre part, ont respectivement formé des pourvois contre les arrêts des 2 février 2017, 18 avril 2019 et 3 décembre 2020.
25.Par un arrêt du 6 septembre 2023 (pourvoi n° 20-23.715, 20-23.582), la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a joint les trois pourvois en raison de leur connexité, rejeté le pourvoi de la société Deutsche Bahn, mais sur le pourvoi de la société Brenntag SA, a cassé l'arrêt du 3 décembre 2020 en ce qu'il a prononcé une sanction pécuniaire de 47 043 774 euros à l'encontre de la société Brenntag SA, conjointement et solidairement avec la société Deutsche Bahn, et a renvoyé l'affaire, sur ce point, devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
IV. LA DÉCLARATION DE SAISINE ET LES DEMANDES DES PARTIES
26.L'Autorité a saisi la Cour par une déclaration du 31 octobre 2023.
27.Aux termes de ses observations, l'Autorité demande, à titre principal, de lui renvoyer l'affaire pour rédaction d'un nouveau rapport, et, à titre subsidiaire, de prononcer une sanction de 750 000 euros.
28.Aux termes de leurs dernières écritures, les sociétés Brenntag demandent à la Cour de statuer elle-même sur l'entier litige, y compris sur le prononcé de l'amende éventuelle, sans renvoyer l'affaire devant l'Autorité et de :
« Sur le grief n° 1 :
À titre principal
Sur la violation irrémédiable des droits de la défense
' Écarter toute amende à l'encontre des sociétés Brenntag, en conséquence de la violation irrémédiable de leurs droits de la défense ;
Sur les irrégularités affectant le rang de clémence de Solvadis France et Quaron
' Juger Brenntag recevable à contester le rang de clémence de Solvadis France et Quaron ;
' Annuler le procès-verbal de clémence des sociétés Solvadis France et Quaron du 20 septembre 2006 et l'avis de clémence 07-AC-01 du 7 février 2007 ;
' Ordonner l'exemption totale d'amende au bénéfice des sociétés Brenntag, premières demanderesses de clémence au sens de l'article L. 464-2 IV du code de commerce ;
À titre subsidiaire
' Écarter toute amende à l'encontre des sociétés Brenntag, dès lors que les pratiques infractionnelles reprochées sont prescrites à la date à laquelle la cour d'appel statue ;
À titre infiniment subsidiaire : sur l'amende et l'injonction de publication
' Fixer à 50 %, ou à tout le moins à 35 %, le taux d'exonération partielle de la sanction encourue par les sociétés Brenntag, au titre du second rang de clémence ;
' Fixer, en tout état de cause, à 25 % le taux de réduction de la sanction encourue par les sociétés Brenntag, à l'instar de l'ensemble des sociétés sanctionnées par l'Autorité ;
' Limiter, en toute hypothèse, l'amende à l'encontre des sociétés Brenntag au montant de 750 000 euros, auquel il conviendra d'appliquer le taux de la réduction consentie au titre de la procédure de clémence ;
' Condamner solidairement la société DBML [DB Mobility Logistics AG] au paiement de l'amende éventuelle ;
' Juger qu'il n'y a pas lieu à imposer une injonction de publication de l'arrêt à venir ou, si par extraordinaire une telle injonction devait être ordonnée, enjoindre la publication par l'ensemble des parties prenantes aux ententes anticoncurrentielles et aux frais partagés entre elles de manière égale ;
Sur le grief n° 2 :
' Juger que les sociétés Brenntag sont immunisées de toute sanction, en raison du bénéfice du premier rang de clémence pour dénonciation des pratiques ;
En tout état de cause :
' Condamner l'Autorité au paiement de la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au profit des sociétés Brenntag ;
' Condamner in solidum les sociétés Gaches Chimie, Solvadis au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, au profit des sociétés Brenntag ;
' Rejeter les demandes de la société Gaches Chimie en versement de sommes en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Rejeter les demandes de la société Solvadis tendant au versement de sommes en application de l'article 700 du code de procédure civile. ».
29.Aux termes de ses dernières écritures, la société Deutsche Bahn demande à la Cour de :
' Constater le lien d'indivisibilité ou à tout le moins de dépendance nécessaire entre l'amende de 47 043 774 euros imposée conjointement et solidairement aux sociétés Brenntag et Deutsche Bahn et celle de 5 224 995 euros imposée à la société Deutsche Bahn seule au titre du grief 1.
' Annuler par voie de conséquence, la sanction pécuniaire de 5 224 995 euros prononcée à l'encontre de la société Deutsche Bahn.
' Ordonner le remboursement à la société Deutsche Bahn de l'amende de 5 224 995 euros, avec capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil, à compter de la date de paiement de cette amende par Deutsche Bahn le 17 mai 2021 et en tout état de cause et au plus tard à compter du 6 septembre 2023, date de l'arrêt de la Cour de cassation.
' Se prononcer directement, sans renvoi aux services d'instruction de l'Autorité pour rédaction d'un nouveau rapport, sur le montant de l'amende à infliger aux sociétés Brenntag et Deutsche Bahn au titre du grief 1, dans la limite du plafond légal de 750 000 euros.
' En tout état de cause, octroyer à la société Deutsche Bahn, dont la responsabilité n'est que dérivée et accessoire à celle des sociétés Brenntag, le bénéfice de toute conséquence attachée aux moyens soulevés par les sociétés Brenntag, si l'un ou l'autre devait être accueilli, et ce quand bien même la société Deutsche Bahn n'aurait pas elle-même soulevé ce(s) même(s) moyens.
' Condamner l'Autorité au paiement de la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H avocats en la personne de Maître Schwab, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
30.Aux termes de ses écritures, la société Solvadis demande à la Cour de :
À titre d'exceptions d'irrecevabilité et avant tout examen au fond :
' déclarer irrecevables les demandes des sociétés Brenntag tendant à la remise en cause de la position de Solvadis en tant que primo demandeur de clémence et tendant à faire prononcer l'avis de clémence dont a bénéficié Solvadis :
' constater le caractère définitif des arrêts de la cour d'appel de Paris du 2 février 2017 et du 3 décembre 2020 concernant la validité de l'avis de clémence de Solvadis du fait de l'arrêt prononcé par la Cour de cassation le 6 septembre 2023 ;
' Reconnaître le défaut d'intérêt à agir des sociétés Brenntag sur ce point ;
' Rappeler l'absence de recours contre les avis conditionnels de clémence ;
Par extraordinaire si ces irrecevabilités n'étaient pas retenues :
' Rejeter l'ensemble des demandes des sociétés Brenntag tendant à la contestation de la régularité du dépôt de la demande de clémence effectuée par Maître Fourgoux le 20 septembre 2006 en tant que représentant de Solvadis ;
' Rejeter l'ensemble des demandes des sociétés Brenntag tendant à la démonstration d'une rupture d'égalité de traitement entre demandeurs successifs de clémence lors de l'octroi de marqueur par le Conseil de la concurrence ;
' Rejeter l'ensemble des demandes des sociétés Brenntag tendant à la démonstration d'une violation des règles du droit probatoire ;
' Constater que Solvadis n'a en aucun cas violé le principe Fraus Omnia Corrumpit et a respecté en tout point le cadre légal applicable à la procédure de clémence ;
' Constater que les sociétés Brenntag ne sauraient tirer aucun avantage sur l'avis de clémence dont a bénéficié Solvadis de la prétendue utilisation de la notion d'infraction complexe pour la première fois dans l'avis de clémence dont Brenntag est bénéficiaire ;
Et ainsi :
' Confirmer l'avis de clémence n° 07-AC-01 en date du 7 février 2007 du Conseil de la concurrence dans son entier ;
Enfin :
' Condamner solidairement les sociétés Brenntag à verser à Solvadis la somme de 45 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
31.Aux termes de ses écritures, la société Gaches Chimie demande à la Cour de renvoyer le dossier à l'Autorité pour l'établissement d'un nouveau rapport et de condamner solidairement les sociétés Brenntag à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner solidairement aux dépens.
32.Le ministre chargé de l'économie considère qu'il y a lieu de renvoyer le dossier à l'Autorité pour rédaction d'un rapport permettant une sanction proportionnée à la gravité des pratiques et à leur durée.
33.Le ministère public invite, à titre principal, la Cour à statuer dans le même sens que son arrêt du 3 décembre 2020 en ce qu'il a prononcé au titre du premier grief une sanction pécuniaire de 47 043 774 euros à l'encontre de la société Brenntag, conjointement et solidairement avec la société Deutsche Bahn, et une sanction de 5 224 995 euros à l'encontre de la société Deutsche Bahn, considérant que la cour d'appel n'est pas tenue par le plafond de 750 000 euros, qui s'imposait, sous l'empire de la loi ancienne, à l'Autorité lorsque celle-ci se prononçait dans le cadre d'une procédure simplifiée sans établissement de rapport, et de rejeter pour le surplus les moyens des sociétés Brenntag relatifs à la clémence, à la qualification des pratiques, au quantum de la sanction et aux injonctions de publication, de juger en tout état de cause que le plafond de 750 000 euros ne lui est pas applicable et en conséquence de rejeter les demandes subsidiaires de l'Autorité et du ministre, et les demandes principales des sociétés Brenntag et Deutsche Bahn relatives au plafonnement de la sanction de 750 000 euros. À titre subsidiaire, il demande le renvoi de l'affaire à l'Autorité pour rédaction d'un nouveau rapport permettant le prononcé de la sanction de l'entente complexe et continue de dimension multirégionale sur les commodités chimiques d'ores et déjà établies par l'arrêt du 3 décembre 2020, confirmé sur ce point par l'arrêt de la chambre commerciale du 6 septembre 2023, et de dire que l'immunité des sociétés Brenntag en raison de leur bénéfice de premier rang de clémence pour dénonciation des pratiques s'agissant du grief n° 2 n'est pas remise en cause.
MOTIVATION
I. SUR LES FINS DE NON-RECEVOIR TIRÉES DE LA PRESCRIPTION
A. Sur la prescription quinquennale
34.Les sociétés Brenntag invoquent la prescription quinquennale des pratiques sur le fondement de l'article L. 426-7 I du code de commerce. Elles font valoir que le délai a commencé à courir du jour de la cessation des faits d'entente allégués soit, selon l'arrêt du 3 décembre 2020, en juin 2015 pour le grief n° 1 et en mars 2007 pour le grief n° 2 et qu'il a été interrompu notamment par la décision de l'Autorité du 28 mai 2013. Elles indiquent que l'interruption produit ses effets jusqu'à la date à laquelle la décision de l'Autorité ne peut plus faire l'objet d'une voie de recours ordinaire, soit en l'espèce à compter de l'arrêt du 2 février 2017. Elles en déduisent que le délai de prescription ayant expiré le 2 février 2022, les pratiques sont donc prescrites et le renvoi devant l'Autorité irrecevable.
Sur ce, la Cour :
35.L'article L. 426-7, I, pris en ses trois premiers alinéas, du code de commerce dispose :
« L'Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction.
Les actes interruptifs de la prescription de l'action publique en application de l'article L. 420-6 sont également interruptifs de la prescription devant l'Autorité de la concurrence.
Tout acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction de pratiques anticoncurrentielles par l'Autorité de la concurrence, une autorité nationale de concurrence d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou la Commission européenne interrompt la prescription de l'action devant l'Autorité de la concurrence ainsi que la prescription de l'action civile et de l'action indemnitaire engagée devant une juridiction administrative sur le fondement de l'article L. 481-1. L'interruption résultant d'un tel acte produit ses effets jusqu'à la date à laquelle la décision de l'autorité de concurrence compétente ou de la juridiction de recours ne peut plus faire l'objet d'une voie de recours ordinaire. La prescription de l'action devant l'Autorité de la concurrence est également interrompue par la transmission mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 462-6. ».
36.En l'espèce, les sociétés Brenntag soutiennent que le délai de prescription quinquennal a été interrompu par la décision de l'Autorité du 28 mai 2013, mais que cette interruption a pris fin avec l'arrêt de la Cour du 2 février 2017.
37.Or, l'arrêt du 2 février 2017 ne peut pas être considéré comme la décision de la juridiction de recours ne pouvant plus faire l'objet d'une voie de recours ordinaire. Cet arrêt est, en effet, un arrêt avant-dire droit, ayant rouvert les débats et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure qui a abouti à l'arrêt du 3 décembre 2020, lequel a été cassé partiellement. La présente instance a précisément pour objet de statuer sur ce renvoi après cassation.
38.Dès lors, en l'absence d'une décision ne pouvant plus faire l'objet d'un recours ordinaire, l'interruption du délai de prescription continue de produire ses effets.
39.La fin de non-recevoir sera donc rejetée.
B. Sur la prescription décennale
40.Les sociétés Brenntag opposent la prescription décennale dans l'hypothèse où une infraction unique, complexe et continue serait reconnue. Elles soutiennent que la décision d'annulation du 2 février 2017 a fait disparaître la décision de l'ordonnancement juridique et les circonstances procédurales postérieures à l'acte en question ne peuvent pas être prises en compte. Elles font valoir qu'en juin 2015 (10 ans après la fin des pratiques qualifiées d'infraction unique et continue) ou le 16 novembre 2018, soit 10 ans après l'adoption de l'ordonnance du 15 novembre 2008 ayant institué le délai de prescription décennale, aucune décision sanctionnant les sociétés Brenntag pour des pratiques anticoncurrentielles ne peut être considérée comme ayant été rendue, alors même que les griefs ont été notifiés le 12 juin 2012. Elles en déduisent que la prescription décennale est donc nécessairement acquise a minima en juin 2015, voire au plus tard au 16 novembre 2018. Elles excluent que la règle de suspension de la prescription prévue à l'article L. 462-7 du code de commerce s'applique puisque cette règle de procédure a été introduite par une loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, soit postérieurement aux griefs notifiés le 12 juin 2012. Elles en concluent que dans le contentieux de la concurrence, l'annulation d'une décision entraîne avec elle la disparition rétroactive de la suspension de la prescription et les autorités, tout comme la Cour, doivent, dans le délai qui leur reste avant que la prescription ne soit acquise, adopter une nouvelle décision conforme au droit applicable. Elles indiquent que l'application d'une solution contraire se heurterait à l'obligation du respect du délai raisonnable garanti tant aux articles 41, paragraphe 1, et 47, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qu'à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme (ci-après « la CSDH »).
41.L'Autorité fait valoir que, dès lors que le délai de prescription n'était pas acquis au 20 novembre 2012, le délai est suspendu jusqu'à la notification d'une décision juridictionnelle irrévocable, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
42.Le ministre chargé de l'économie estime que l'arrêt du 3 décembre 2020 a retenu que les recours devant l'Autorité avaient suspendu le délai de prescription jusqu'à ce qu'une décision juridictionnelle soit rendue, ce qui est toujours le cas.
43.Le ministère public considère que la loi n° 2012-1270 du 20 septembre 2012 est d'application immédiate et que le fait générateur, à savoir le recours déposé le 28 juin 2013, est postérieur à cette loi, de sorte que celle-ci s'applique.
Sur ce, la Cour :
44.L'article L. 462-7, alinéa 4, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, applicable au litige, dispose :
« Le délai mentionné au troisième alinéa est suspendu jusqu'à la notification à l'Autorité de la concurrence d'une décision juridictionnelle irrévocable lorsque :
1° L'ordonnance délivrée en application de l'article L. 450-4 fait l'objet d'un appel ou lorsque le déroulement des opérations mentionnées au même article fait l'objet d'un recours, à compter du dépôt de cet appel ou de ce recours ;
2° La décision de l'Autorité de la concurrence fait l'objet d'un recours en application de l'article L. 464-8, à compter du dépôt de ce recours. ».
45.Comme l'arrêt du 3 décembre 2020 l'a retenu, ce quatrième alinéa de l'article L. 462-7, issu de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, entre en vigueur le 22 novembre 2012, qui est une loi de procédure, est d'application immédiate en l'absence de disposition contraire et si cette application ne conduit pas à faire produire un effet rétroactif en remettant en cause une prescription acquise. Or, tel est bien le cas en l'espèce puisque le grief n° 1, visant une entente de juillet 1997 à juin 2005, a été notifié le 12 juin 2012 et que le délai de prescription décennale a commencé à courir à compter du 15 novembre 2008 pour expirer le 15 novembre 2018. À la date de l'entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2012, le délai de prescription n'était donc pas acquis. Le quatrième alinéa de l'article L. 462-7 s'applique donc.
46.Il en résulte que les recours des 28 juin et 1er juillet 2013 contre la décision de l'Autorité ont produit un effet suspensif de prescription à compter de leurs dates et qu'à défaut de décision juridictionnelle irrévocable, le délai est toujours suspendu et n'est donc pas prescrit.
47.Concernant le respect du délai raisonnable, la Cour européenne des droits de l'homme, par un arrêt du 2 juillet 2019 (CEDH « [B] c. Belgique », req. n° 29119/13, § 32), a jugé que la prescription est un concept juridique objectif et que si la prescription est étroitement liée à l'écoulement du temps, elle n'emporte pas formellement la reconnaissance d'une violation du droit à une décision dans un délai raisonnable.
48.C'est donc à tort que les sociétés Brenntag affirment que, de manière générale, la suspension du délai de prescription se heurte à l'obligation de respecter un délai raisonnable.
49.La fin de non-recevoir tirée de la prescription décennale sera donc écartée.
II. SUR LES FINS DE NON-RECEVOIR TIRÉES DE L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE
A. Sur la recevabilité des demandes des sociétés Brenntag visant à contester le rang de clémence bénéficiant à la société Solvadis
50.La société Solvadis invoque l'irrecevabilité des demandes des sociétés Brenntag tendant à la remise en cause de sa position en tant que primo demandeur de clémence et tendant à faire prononcer l'avis de clémence dont a bénéficié la société Solvadis.
51.Elle soutient, d'abord, que les arrêts des 2 février 2017 et 3 décembre 2020 ont un caractère définitif en raison de la cassation partielle qui a laissé intact le chef de dispositif de l'arrêt du 3 décembre 2020 ayant déclaré « Irrecevables les demandes d'annulation du procès-verbal de clémence de la société Solvadis France du 20 septembre 2006 et de l'avis de clémence n° 07-AC-01 du 7 février 2007, formées par les sociétés Brenntag ».
52.Elle fait valoir, ensuite, que les sociétés Brenntag sont dépourvues d'intérêt à agir, dès lors que la perte de clémence ne conduirait pas à un réaménagement du rang des clémences de deuxième rang ou ultérieur (Décision de la Commission européenne du 20 octobre 2005 Affaire COMP/C.38.281/B.2 - Tabac brut - Italie).
53.Enfin, elle expose que les décisions de clémence ne peuvent pas faire l'objet de recours, et que seule la procédure de clémence aurait pu être contestée mais uniquement par la société l'ayant sollicitée et qu'en l'espèce, les sociétés Brenntag sont des tiers à l'égard de l'avis de clémence.
54.Les sociétés Brenntag soutiennent être recevables à contester le rang de clémence de la société Solvadis. Elles précisent que le motif de la cour d'appel dans son arrêt rendu le 2 février 2017, ayant conduit la Cour à déclarer la demande des sociétés Brenntag irrecevable, avait été relevé d'office et s'avère inexact.
55.Le ministère public partage l'analyse de la société Solvadis et conclut à l'irrecevabilité de la demande des sociétés Brenntag.
Sur ce, la Cour :
56.Aux termes de l'article 631 du code de procédure civile, « devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation. ».
57.L'article 638 du même code énonce : « L'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation. ».
58.L'article 1355 du code civil dispose : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. ».
59.Enfin, l'article 122 du code de procédure civile énonce que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. ».
60.Il résulte de ces textes que la censure partielle qui s'attache à un arrêt de cassation laisse subsister tous les chefs de dispositifs de l'arrêt non atteints par la cassation. Dans le cadre de l'instance devant la cour d'appel de renvoi, toute demande relative à des chefs de dispositif devenus irrévocables est donc irrecevable.
61.En l'espèce, le dispositif de l'arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2023 est le suivant :
« Rejette le pourvoi de la société Deutsche Bahn AG ;
Casse et annule, mais seulement en ce qu'il prononce, au titre de l'entente anticoncurrentielle unique et complexe ayant visé à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de conditions tarifaires, une sanction pécuniaire de 47 043 774 euros à l'encontre de la société Brenntag SA, solidairement avec la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, l'arrêt rendu, entre les parties, par la cour d'appel de Paris, le 3 décembre 2020 ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée. ».
62.Seul le chef de dispositif relatif à la sanction de 47 043 774 euros a été cassé, l'ensemble des autres chefs de dispositif étant donc irrévocable, sous réserve d'une cassation par voie de conséquence du chef de dispositif ayant condamné la société Deutsche Bahn à payer la somme de 5 224 995 euros, qui sera examinée au III du présent arrêt.
63.Toute demande portant sur les autres chefs de dispositifs est donc irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée des arrêts du 2 février 2017 et du 3 décembre 2020.
64.Tel est le cas de la demande des sociétés Brenntag relative au rang de clémence de la société Solvadis.
65.En effet, l'arrêt du 3 décembre 2020 a déclaré dans son dispositif irrecevables les demandes formées par les sociétés Brenntag d'annulation du procès-verbal de clémence de la société Solvadis France du 20 septembre 2006 et de l'avis de clémence n° 07-AC-01 du 7 février 2007. Ce chef de dispositif n'a pas été cassé et est donc irrévocable.
66.Les demandes identiques des sociétés Brenntag formées dans le cadre de la présente instance sont, par conséquence, irrecevables.
B. Sur la recevabilité de la demande des sociétés Brenntag au titre de la violation des droits de la défense
67.Les sociétés Brenntag soutiennent que la violation de leurs droits de la défense reconnue par l'arrêt du 2 février 2017 a eu des conséquences irrémédiables qui affectent l'ensemble de la procédure, et ce même si la Cour devait considérer que cette violation n'est intervenue qu'au stade du rapport. Elles soutiennent qu'en conséquence, aucune sanction ne peut leur être infligée.
68.Le ministre chargé de l'économie fait valoir que la cour d'appel s'est déjà prononcée sur la violation des droits de la défense alléguée par les sociétés Brenntag au paragraphe 74 de l'arrêt du 2 février 2017 et relève que la Cour a constaté l'irrecevabilité de cette demande dans son arrêt du 3 décembre 2020.
69.Le ministère public considère que les sociétés Brenntag sont irrecevables à invoquer la violation des droits de la défense pour justifier de l'absence de condamnation à une amende, dès lors que l'arrêt du 3 décembre 2020 a retenu que la violation des droits de la défense était irrecevable pour partie et l'a rejeté pour l'autre partie, et que ces chefs de dispositif n'ont pas fait l'objet d'une cassation.
Sur ce, la Cour :
70.Comme il l'a été dit au II. A du présent arrêt, tous les chefs de dispositifs des arrêts du 2 février 2017 et 3 décembre 2020, qui n'ont pas été cassés, sont devenus irrévocables. Toute demande portant sur ces chefs de dispositif est donc irrecevable, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée.
71.Tel est le cas de la demande relative à la violation irrémédiable des droits de la défense des sociétés Brenntag, née des propos calomnieux tenus à l'encontre de leur conseil, violation qui interdirait toute sanction au titre des pratiques reprochées.
72.En effet, la Cour a déjà statué, dans son arrêt du 2 février 2017, sur la demande tendant à mettre fin aux poursuites contre les sociétés Brenntag et à l'annulation de l'entière procédure, demande qu'elle n'a accueillie que partiellement en annulant le rapport et la décision attaquée motif pris d'une violation des droits de la défense, mais en retenant que l'atteinte aux droits de la défense n'était pas irrémédiable (paragraphe 80 de l'arrêt du 2 février 2017).
73.La Cour a encore statué dans son arrêt du 3 décembre 2020 sur cette même demande portant sur une violation irrémédiable des droits de la défense. Cette demande des sociétés Brenntag consistait à « juger que leurs droits de la défense ont été violés dès le début de l'instruction de manière irrémédiable, de sorte qu'est entachée d'irrégularité non seulement le rapport et la décision rendue par l'Autorité mais également l'ensemble des actes de la procédure, et de dire, qu'en conséquence, aucune sanction ne peut leur être infligée » (paragraphes 90, 91, 92), demande que la Cour a jugée irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 2 février 2017.
74.Ce chef de dispositif n'a pas été cassé.
75.Dans le cadre de la présente instance, la demande des sociétés Brenntag au titre de la violation irrémédiable des droits de la défense a le même objet et tend aux mêmes fins que celle formée le 3 décembre 2020 entre les mêmes parties.
76.Elle est donc irrecevable.
C. Sur la recevabilité des demandes des sociétés Brenntag au titre du taux d'exonération de la sanction
77.Les sociétés Brenntag demandent à la Cour de fixer le taux d'exonération partielle de la sanction au titre du second rang de clémence à 50 % ou à tout le moins à 35 % et de fixer, en tout état de cause, à 25 % le taux de réduction de la sanction encourue à l'instar de l'ensemble des sociétés sanctionnées par l'Autorité.
78.L'Autorité fait valoir que le chef du dispositif de l'arrêt du 3 décembre 2020 fixant à 25 % du taux d'exonération partielle de la sanction encourue par la société Brenntag SA, non atteint par la cassation, est irrévocable et que les pouvoirs de la Cour de renvoi étant limités aux chefs de l'arrêt ayant fait l'objet de la cassation et du renvoi, il en découle que toutes contestations qui seraient de nature à remettre en cause ces éléments, et tous autres chefs du dispositif de l'arrêt du 3 décembre 2020 non atteints par la cassation, heurteraient l'autorité de la chose jugée et seraient, par conséquent, irrecevables.
79.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
80.Comme il l'a été énoncé au point II. A du présent arrêt, toute demande se heurtant à l'autorité de la chose jugée des chefs de dispositif de l'arrêt du 3 décembre 2020 est irrecevable.
81.En l'espèce, l'un des chefs de dispositif de cet arrêt dit que : « Faisant application de l'article L. 464-2, IV du code de commerce, fixe à 25 % le taux d'exonération partielle de la sanction encourue par la société Brenntag SA au titre de cette entente. ».
82.Ce chef de dispositif étant devenu irrévocable à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2023, qui n'a cassé que partiellement l'arrêt, la demande des sociétés Brenntag de fixation d'un autre taux d'exonération est, dès lors, irrecevable.
D. Sur la recevabilité des demandes des sociétés Brenntag relatives à la contestation de l'existence d'une infraction unique, complexe et continue
83.Les sociétés Brenntag soutiennent que la qualification juridique des faits visés par le grief n° 1 est erronée et font valoir l'absence d'infraction unique et complexe.
84.L'Autorité réplique, sur le fond, que l'infraction unique, complexe et continue au titre du grief n° 1 est bien caractérisée.
85.Le ministère public oppose à la demande des sociétés Brenntag relative à leur contestation d'une infraction unique, complexe et continue, son irrecevabilité, motif pris de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 3 décembre 2020.
Sur ce, la Cour :
86.Comme il l'a été jugé au II.A du présent arrêt, toute demande se heurtant à l'autorité de la chose jugée des arrêts des 2 février 2017 et 3 décembre 2020 est irrecevable.
87.En l'espèce, l'un des chefs de dispositif de l'arrêt du 3 décembre 2020 « dit que la société Brenntag SA, en tant qu'auteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce ainsi que celles de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en mettant en 'uvre une entente anticoncurrentielle unique et complexe visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires. ».
88.Ce chef de dispositif étant devenu irrévocable comme il l'a été dit au II.A de la présente décision, la demande des sociétés Brenntag est donc irrecevable.
89.Il n'y a donc pas lieu d'examiner les fins de non-recevoir invoquées par les sociétés Brenntag fondées sur une prétendue absence d'une infraction unique et complexe.
E. Sur la recevabilité de la demande des sociétés Brenntag au regard du grief n° 2
90.Les sociétés Brenntag rappellent que dans la décision attaquée, l'Autorité leur avait accordé le bénéfice de l'immunité totale au titre du grief n° 2. Elles demandent de juger qu'elles sont immunisées de toute sanction, en raison du bénéfice du premier rang de clémence pour dénonciation des pratiques.
91.Le ministre chargé de l'économie observe que cette demande a acquis autorité de la chose jugée.
92.Le ministère public partage cet avis, l'immunité au titre du grief n° 2 n'étant pas remise en cause par l'arrêt du 6 septembre 2023.
Sur ce, la Cour :
93.Comme il l'a été jugé au II.A du présent arrêt, toute demande se heurtant à l'autorité de la chose jugée des arrêts des 2 février 2017 et 3 décembre 2020 est irrecevable.
94.En l'espèce, l'un des chefs de dispositif de l'arrêt du 3 décembre 2020 « DIT que la société Brenntag SA est exonérée de sanction pécuniaire au titre de cette entente en application de l'article L. 464-2, IV du code de commerce. ».
95.Ce chef de dispositif, qui n'a pas été cassé, étant devenu irrévocable, la demande des sociétés Brenntag au titre du grief n° 2 est, dès lors, irrecevable.
III. SUR LA PORTÉE DE LA CASSATION PARTIELLE À L'ÉGARD DE LA SOCIÉTÉ DEUTSCHE BAHN
96.La société Deutsche Bahn soutient qu'il appartient à la Cour de définir l'étendue de la cassation en application de l'article 624 du code de procédure civile. Elle fait valoir qu'en l'espèce, le chef de dispositif relatif à la condamnation individuelle présente un lien d'indivisibilité ou à tout le moins de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif relatif à la condamnation à une amende solidaire avec les sociétés Brenntag, ce en raison, d'une part, du caractère purement dérivé et accessoire de la responsabilité de Deutsche Bahn, qui n'a été poursuivie puis condamnée qu'en sa qualité d'ancienne société mère de Brenntag, et, d'autre part, de la méthodologie de calcul appliquée par l'Autorité elle-même pour le calcul de l'amende, et repris par la Cour dans son arrêt du 3 décembre 2020, dont il résulte que le montant de l'amende individuelle de Deutsche Bahn est intégralement fondé sur le montant de l'amende de Brenntag. Elle soutient, enfin, qu'il ne serait pas justifié de maintenir l'amende individuelle alors que l'annulation de l'amende solidaire repose sur l'absence de rapport annulé par un arrêt
97.L'Autorité considère que seul le chef de dispositif ayant prononcé une sanction de 47 043 774 euros a été censuré, et que tous les autres chefs de dispositif de l'arrêt du 3 décembre 2020 sont devenus irrévocables, notamment le chef de dispositif condamnant la société Deutsche Bahn à une amende individuelle de 5 224 995 euros au titre du grief n° 1.
98.Le ministre chargé de l'économie estime que la condamnation individuelle présente un lien de dépendance nécessaire avec la condamnation solidaire en raison, d'une part, de l'absence de rapport qui empêcherait de prononcer une condamnation supérieure à 750 000 euros et en raison, d'autre part, du mode de calcul de la sanction individuelle effectuée à partir du montant de la sanction solidaire.
99.Le ministère public fait valoir que les demandes de la société Deutsche Bahn sont recevables, car elles sont indissociablement liées à celles des sociétés Brenntag.
Sur ce, la Cour :
100.L'article 624 du code de procédure civile dispose que « La portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire. ».
101.Il en résulte que, même si le dispositif de l'arrêt de cassation ne vise que certaines dispositions, la cassation peut en atteindre d'autres, dès lors qu'elles se trouvent avec les premières dans un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire (3e Civ., 28 septembre 2023, pourvoi n° 22-17.389, 22-17.082).
102.En l'espèce, il est donc indifférent que l'arrêt du 6 septembre 2023, au paragraphe « Portée et conséquence de la cassation », ne se soit pas prononcé sur le sort de la condamnation individuelle. Le fait, par ailleurs, que l'arrêt de la Cour de cassation ait rejeté le pourvoi de la société Deutsche Bahn, qui attaquait le chef de dispositif relatif à la condamnation individuelle, n'emporte également aucune conséquence, la saisine de la cour d'appel de renvoi n'étant pas réduite au regard des moyens mais au regard du seul dispositif de l'arrêt de cassation.
103.La seule question qui se pose est donc de déterminer si la disposition relative à la condamnation individuelle de la société Deutsche Bahn présente un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif cassé relatif à la condamnation solidaire.
104.Il résulte des motifs de l'arrêt du 3 décembre 2020 (paragraphe 402) que le montant de cette condamnation individuelle a été déterminé en fonction du montant de la condamnation solidaire : en effet, le montant de la condamnation individualisée de la société Brenntag SA et de la société Deutsche Bahn a été fixé à un total de 62 725 032 euros. A cette somme ont été appliqués deux taux, d'abord, le taux de 83 % pour la société Deutsche Bahn, au motif qu'elle n'avait formé une entreprise unique avec la société Brenntag SA que 83 % du temps infractionnel et, ensuite, le taux de 25 % pour la société Brenntag SA, correspondant au taux d'exonération retenu par l'arrêt, étant précisé que ce dernier a retenu que la société mère ne pouvait bénéficier de la réduction accordée à la société Brenntag SA au titre de la clémence.
105.Le premier taux a donc été appliqué à la somme de 62 725 032 euros, ce dont il a résulté la somme de 52 268 769 euros (62 725 032 X 83 %) à la charge de la société Deutsche Bahn AG. Le second taux a été appliqué à la même somme, ce dont il est résulté une condamnation à la somme de 47 043 774 euros (62 725 032 X 25 %) à la charge de la société Brenntag SA. L'arrêt en a déduit que la société Deutsche Bahn AG n'était tenue au paiement solidaire avec sa filiale qu'à hauteur de cette somme, de sorte qu'elle devait seule payer la différence (52 268 769 - 47 040 774), soit 5 224 995 euros.
106.Formalisés de manière mathématique, les calculs sont ainsi les suivants :
' montant de la condamnation individualisée : 62 725 032 euros (A),
' montant de la condamnation de la société Brenntag SA, par suite de la clémence, dont elle est seule bénéficiaire, à l'exclusion de la société mère : (A) x 0.25 = 47 043 774 euros (B),
' montant de la condamnation solidaire de la société Deutsche Bahn, qui a formé une entreprise unique avec la société Brenntag SA pendant 83 % du temps infractionnel : (A) x 0.83 = 52 268 769 euros (C)
' montant de la somme due par la société Deutsche Bahn, seule : (C) - (B) = 5 224 995 euros
107.Il s'ensuit que les sanctions prononcées respectivement contre les sociétés Brenntag SA et Deutsche Bahn, condamnée en qualité de société mère de Brenntag, ont la même assiette de calcul et dépendent l'une de l'autre.
108.Ces deux condamnations ont ainsi un lien de dépendance nécessaire.
109.L'arrêt du 2 février 2017 avait d'ailleurs retenu, au paragraphe 78 de sa décision, que : « Ainsi les sanctions prononcées à l'encontre de la société DB Mobility Logistics sont intégralement liées à sa qualité de société mère de la société Brenntag et ont pour assiette les sanctions prononcées à l'encontre de celle-ci. ». L'arrêt en avait déduit que l'annulation de la décision de sanction à l'égard de la société Brenntag SA s'étendait par voie de conséquence à la société DB Mobility Logistics AG.
110.Il se déduit de l'ensemble de ces constatations que le lien de dépendance nécessaire étant caractérisé, la cassation du chef de dispositif de la condamnation solidaire s'étend au chef de dispositif de l'arrêt ayant condamné la société Deutsche Bahn à une sanction de 5 224 995 euros.
111.Ce chef de dispositif sera donc annulé.
112.L'annulation de l'amende entraine de plein droit l'obligation de restituer son montant. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de la société Deutsche Bahn tendant à ce que la Cour ordonne le remboursement de l'amende. Il en va de même de la demande portant sur les intérêts moratoires.
IV. SUR L'ALTERNATIVE ENTRE UN RENVOI DE L'AFFAIRE DEVANT L'AUTORITÉ POUR RÉDACTION D'UN NOUVEAU RAPPORT ET LE PRONONCÉ D'UNE SANCTION PLAFONNÉE
113.L'Autorité demande à la Cour de lui renvoyer l'affaire pour la rédaction d'un nouveau rapport.
114.Elle soutient, en premier lieu, que la procédure simplifiée a pour objet les affaires mineures et que tel n'avait pas été le choix du rapporteur à l'époque pour une affaire concernant une infraction unique, complexe et continue portant sur des pratiques concertées dans le secteur de la distribution de produits chimiques, dans plusieurs zones géographiques distinctes. Elle fait valoir que le montant de l'amende de 750 000 euros apparaitrait sans proportion avec la gravité des faits, si le renvoi n'était pas ordonné.
115.Elle considère, en second lieu, que si la cour d'appel statuait sur le montant de l'amende fixée au maximum à la somme de 750 000 euros, elle irait contre les textes qui prévoient que seul le rapporteur général peut décider de la procédure simplifiée et que seule l'Autorité peut infliger une amende maximum de 750 000 euros. Elle cite à cet égard les conclusions de l'[16] générale devant la Cour de cassation qui s'opposait à l'assimilation des effets de l'annulation d'un rapport et de l'absence d'un rapport.
116.Elle estime, en toute hypothèse, qu'elle serait dans l'impossibilité de participer pleinement à la présente procédure et aux débats si le renvoi devant elle n'était pas ordonné. Elle se fonde sur l'arrêt du 6 septembre 2023 de la Cour de cassation qui a énoncé que les mémoires déposés devant la cour d'appel par le président de l'Autorité de la concurrence, en tant que partie à l'instance relative au recours contre la décision de l'Autorité, ne pouvaient se substituer au rapport des services d'instruction.
117.Les sociétés Brenntag s'opposent au renvoi de l'affaire devant l'Autorité pour l'établissement d'un nouveau rapport.
118.Elles soutiennent, en premier lieu, que le renvoi devant l'Autorité est impossible en raison de l'effet dévolutif de l'appel et de l'autorité de la chose jugée dont l'Autorité se prévaut. Elles font valoir que la cour d'appel qui annule une décision de l'Autorité a l'obligation de statuer en fait et en droit sur l'entier litige, en vertu de l'effet dévolutif prévu aux articles 561 et 562 du code de procédure civile et L. 464-8 du code de commerce et que par exception, la cour d'appel ne renvoie devant l'Autorité que lorsqu'elle ne dispose pas des éléments nécessaires pour trancher le litige, notamment en cas de l'insuffisance d'une instruction ; elle apprécie alors si elle dispose en l'état du dossier d'éléments suffisants pour statuer sur le grief notifié ou s'il convient de renvoyer l'affaire à l'Autorité pour instruction complémentaire (CA Paris 27 juin 2024 RG 20/04300 « Towercast »). Elles soutiennent que la Cour de cassation au paragraphe 33 de son arrêt a laissé la Cour apprécier si elle disposait des éléments suffisants pour prononcer une sanction. Elles affirment qu'en l'espèce, aucune mesure d'instruction n'est nécessaire, la Cour disposant de l'ensemble des éléments, comme elle l'a jugé le 2 février 2017 et le 3 septembre 2020. Elles considèrent que l'effet dévolutif n'est pas distributif et que si la cour d'appel a statué sur la qualification des pratiques, elle doit également statuer sur la sanction, ce d'autant que la partie du litige relatif aux griefs est devenue irrévocable selon l'Autorité.
119.Elles en concluent que le renvoi devant l'Autorité est impossible.
120.Elles soutiennent, en deuxième lieu, qu'un nouveau débat contradictoire en cas de renvoi ne pourrait se tenir car l'Autorité a déjà pris position sur les pratiques reprochées et sur le montant de la sanction, dans le cadre des instances devant la cour d'appel. Elle infligerait alors une sanction d'un montant équivalent et le renvoi n'aurait d'autre but que d'infliger une sanction supérieure à 750 000 euros. Elles considèrent qu'un rapport qui ne porterait que sur les sanctions serait contraire aux articles L. 463-2 et R. 463-11 du code de commerce et à la jurisprudence selon laquelle le rapport doit impérativement contenir une « analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés » et une analyse des « déterminants de la sanction », afin de permettre aux entreprises de contester ces analyses dans le cadre d'une phase contradictoire de la procédure. Elles indiquent que, même si l'affaire était renvoyée pour l'établissement d'un rapport complet, le rapport serait artificiel, le rapporteur ne pouvant dévier de ce qui a été jugé pour les griefs. Elles observent qu'en cas de renvoi, le rapporteur puis le collège ne feraient que reprendre à leur compte l'analyse des faits et les paramètres dont découle le montant de la sanction, de sorte que Brenntag n'aurait pas une possibilité réelle et effective de contester les faits et les éléments essentiels à la détermination de la sanction. Elles en concluent que le nouveau débat serait artificiel et équivaudrait en pratique à une absence de débat contradictoire. Le renvoi ne purgerait donc pas le vice de procédure ayant conduit à la censure.
121.Elles exposent, en troisième lieu, que le renvoi de l'affaire à l'Autorité ne satisferait pas les exigences de présomption d'innocence et d'impartialité. S'agissant du principe d'impartialité, elles précisent que la cour d'appel de Paris a jugé que ce principe s'opposait « à ce que les membres de l'Autorité statuent au fond sur les faits qui leur sont soumis et, le cas échéant, les sanctionnent, alors qu'ils se sont déjà prononcés sur ces mêmes points dans une précédente procédure » (CA Paris, 26 octobre 2017, RG n° 2017/01658). Elles indiquent que l'Autorité ayant déjà connu de l'affaire, elle ne remplirait ni les exigences de l'impartialité subjective, ni celle de l'impartialité objective. S'agissant de la présomption d'innocence, elles soutiennent que l'Autorité ne peut prendre position quant à la participation d'une entreprise à des comportements infractionnels, dans une déclaration officielle ou une décision adoptée avant que l'entreprise n'ait pu se défendre. Elles estiment que le renvoi à l'instruction méconnaîtrait leur droit à la présomption d'innocence puisque la décision de 2013 constitue un préjugement de la responsabilité des sociétés Brenntag et de la sanction. Elles soutiennent que les droits de la défense seraient atteints dans la mesure où il lui serait impossible de se défendre convenablement sur des pratiques survenues il y a près de 20 ans, dans un contexte où l'affaire a déjà été définitivement tranchée à l'égard des autres entreprises ayant pris part aux faits d'entente reprochés et où un risque de préjugement de l'Autorité ne pourrait être écarté. Elles en concluent que les sociétés Brenntag ne pourraient donc pas être entendues dans des conditions garantissant le respect de la présomption d'innocence.
122.En dernier lieu, elles font valoir que, même à supposer que la prescription ne soit pas acquise, la durée écoulée depuis la cessation des pratiques recherchées s'opposerait au renvoi de l'affaire devant l'Autorité. Elles indiquent que la procédure a pour origine les demandes de clémence déposées par plusieurs entreprises à compter du 20 septembre 2006, que près de six années se sont ensuite écoulées avant que les griefs ne soient notifiés aux entreprises concernées, le 12 juin 2012, et que l'Autorité a adopté sa décision près d'un an plus tard, le 28 mai 2013. Elles exposent que le délai de 7 ans pour prendre une décision apparaît d'autant plus long, que l'instruction du dossier a été facilitée par l'ensemble des informations fournies par plusieurs demandeurs de clémence et qu'il est retenu dans les rapports de la Cour de cassation et de la Cour des comptes qu'un délai de 5 ans est trop long. Elles précisent que l'exercice des voies de recours ne peut lui être reproché ainsi que la Cour européenne des droits de l'homme l'a jugé. Enfin, elles observent que, dans d'autres affaires, le renvoi à l'Autorité est apprécié au regard des délais écoulés (CA [Localité 20], 30 novembre 2023, RG n° 23/01145, § 76). Elles en concluent que ce renvoi compromettrait le délai raisonnable et serait ainsi de nature à entraîner l'annulation de l'entière procédure.
123.En réponse aux arguments de l'Autorité et du ministre en faveur d'un renvoi devant l'Autorité, elles répliquent que le motif principal est de pouvoir infliger une amende supérieure à 750 000 euros compte tenu de la gravité des faits, alors que le seul motif qui devrait présider à la décision est de déterminer si la cour d'appel a les éléments suffisants pour infliger une sanction, ce qui est le cas en l'espèce. Elles précisent également que l'Autorité ne peut invoquer le respect du contradictoire à son profit, ce principe n'ayant été conçu qu'aux profit des entreprises concernées lorsqu'une procédure simplifiée était envisagée. Enfin, elles indiquent que l'effet dévolutif permet à la cour d'appel de statuer avec les mêmes pouvoirs que l'Autorité et selon les mêmes limitations, et que l'argument selon lequel si la cour d'appel prononçait une sanction, elle agirait contrairement aux textes qui prévoient que seul le rapporteur général peut décider d'engager une procédure simplifiée est donc erroné.
124.La société Deutsche Bahn s'oppose au renvoi de l'affaire devant l'Autorité.
125.Elle fait valoir que le prononcé d'une amende limitée à 750 000 euros n'est pas l'application a posteriori de la procédure simplifiée, mais la conséquence de l'annulation du rapport. Elle précise que la censure prononcée par la Cour de cassation se justifie par l'atteinte originelle portée aux droits de la défense, les sociétés Brenntag et Deutsche Bahn étant privées d'un deuxième tour de contradictoire compte tenu de l'annulation du rapport et que la contrepartie de l'absence de ce second tour de contradictoire est, en l'état des textes applicables, le plafonnement de l'amende à 750 000 euros.
126.Elle souligne que la Cour, dans son arrêt du 2 février 2017, a jugé que le renvoi à l'instruction ne s'imposait pas et qu'elle était en mesure de prononcer une amende et que juger désormais qu'un renvoi s'impose irait à l'encontre de cet arrêt et de l'arrêt de la Cour de cassation qui a validé ce choix.
127.Elle estime que le principe de proportionnalité de la sanction s'applique pour la vérification du respect du maximum légal, qui était au jour du litige de 750 000 euros et que ce n'est qu'après avoir calculé le montant théorique de l'amende, que la Cour sera contrainte d'en réduire le montant pour tenir compte du plafond légal.
128.Elle considère que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ne peut pas constituer un objectif supérieur qui primerait sur le respect des droits de la défense, essentiel dans toute procédure mettant en 'uvre les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.
129.En réponse au moyen de l'Autorité relativement au principe du contradictoire, elle soutient que rien ne justifie le renvoi à l'instruction pour rédaction d'un nouveau rapport pour permettre à l'Autorité de participer au débat contradictoire. Elle précise que l'Autorité a longuement conclu sur les déterminants de la sanction et que le fait que la Cour de cassation ait jugé que les mémoires déposés devant la cour d'appel ne peuvent pas se substituer à un rapport est inopérant, puisque cela avait pour objet de protéger les entreprises mises en cause et non les droits de l'Autorité. Elle soutient qu'un tel renvoi constituerait une violation de ses droits de la défense.
130.Elle prétend qu'aux termes des dispositions du code de commerce, le rapport concerne à la fois les griefs et les déterminants de la sanction (article 463-11 du code de commerce) et que si en l'espèce, le rapport ne portait que sur la sanction, il serait donc incomplet et ne remédierait donc pas à l'atteinte portée aux droits de la défense.
131.Elle fait valoir qu'un tel renvoi serait artificiel puisque le débat sur la sanction a déjà eu lieu et que les observations de l'Autorité contiennent tous les développements permettant à la Cour d'apprécier le montant théorique de la sanction avant vérification du maximum légal.
132.Quant à un renvoi complet à l'instruction, comprenant les griefs et la sanction, il n'apparaît pas possible en raison de la prescription quinquennale et du fait qu'il résulte de manière irrévocable de l'arrêt du 6 septembre 2023 que les sociétés Brenntag et Deutsche Bahn ont enfreint les articles 101 du TFUE et 420-1 du code de commerce, ce qui entrainerait la violation de la règle non bis in idem et l'atteinte à la présomption d'innocence de Deutsche Bahn.
133.Enfin, dans tous les cas, elle soutient qu'un renvoi à l'instruction allongerait de manière significative la procédure et porterait atteinte au droit d'être jugé dans un délai raisonnable.
134.La société Gache Chimie sollicite le renvoi de l'affaire devant l'Autorité pour rédaction d'un rapport.
135.Elle soutient, en premier lieu, que la Cour de cassation ayant affirmé que le dossier pouvait être renvoyé devant l'Autorité, la Cour a la possibilité de le faire, d'autant plus que la Cour de cassation n'a pas statué au fond, ce qu'elle aurait fait si le renvoi devant l'Autorité n'avait pas été envisageable.
136.Elle fait valoir, en deuxième lieu, que le renvoi devant l'Autorité est justifié par la gravité et la durée des pratiques mises en 'uvre au préjudice d'entreprises et de groupes hospitaliers notamment. Elle indique que les sanctions prononcées ont été anormalement faibles eu égard aux avantages indus obtenus par les fraudeurs et que le prononcé d'une sanction de 750 000 euros serait un encouragement à la fraude. Elle rappelle que le prononcé d'une sanction proportionnée est une obligation légale et en déduit que tel ne serait pas le cas si une sanction de 750 000 euros était prononcée.
137.Elle indique, en troisième lieu, qu'un renvoi à l'instruction ne porte pas atteinte à l'effet dévolutif et qu'une précédente décision du 13 mars 2007, approuvée par la Cour de cassation, a déjà renvoyé l'affaire à l'instruction devant l'Autorité.
138.Elle considère, en quatrième lieu, que le renvoi qui ne porte que sur la sanction ne porte pas atteinte au principe du contradictoire et à l'impartialité des juges et que si tel était le cas, il faudrait alors retenir que seule l'intégralité de la décision pourrait faire l'objet d'un recours, alors que la société Brenntag a fait le choix de seulement contester le montant de la sanction. Elle précise qu'il n'y a pas d'obstacle à un débat équitable sur le rapport à intervenir.
139.Elle souligne, à titre surabondant, que le rapporteur général ayant fait le choix d'une procédure avec rapport, le renvoi devant l'Autorité est cohérent.
140.Le ministre chargé de l'économie demande le renvoi devant l'Autorité compte tenu de la disproportion de l'amende de 750 000 euros au regard de la gravité des faits.
141.Le ministère public conclut, à titre subsidiaire dans l'hypothèse où la Cour ne condamnerait pas à une sanction déplafonnée, au renvoi de l'affaire devant l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
142.La doctrine de la Cour de cassation résultant de l'arrêt du 6 septembre 2023 est de dire que : « Lorsque la cour d'appel, saisie d'un recours contre une décision de l'Autorité de la concurrence statuant sur des griefs notifiés conformément à l'article L. 463-2 du code de commerce, annule le rapport établi en application de ce texte et de l'article R. 463-11 de ce code, elle n'en demeure pas moins tenue de se prononcer sur ces griefs, dès lors que cette annulation est sans incidence sur la validité de la notification des griefs et de sa propre saisine. Cependant, dans l'hypothèse où la notification des griefs est intervenue antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, afin de préserver les droits garantis aux parties en application des articles L. 463-2, L. 463-3, L. 464-5 et R. 463-11 du code de commerce, le deuxième dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 3 décembre 2020 et le troisième dans sa rédaction abrogée par cette loi, la cour d'appel doit renvoyer l'affaire à l'Autorité de la concurrence pour rédaction d'un nouveau rapport ou, si elle décide de statuer en l'absence de rapport, ne pas prononcer de sanctions pécuniaires excédant le plafond de 750 000 euros prévu au troisième de ces textes. ».
143.À titre liminaire, la Cour considère que la garantie des droits des sociétés poursuivies, à la suite de l'annulation du rapport et de la décision attaquée, et notamment le droit de pouvoir présenter des observations après le dépôt du rapport, justifie que la Cour se conforme à la doctrine de la Cour de cassation et ne suive pas, dès lors, l'invitation du ministère public à statuer comme le 3 décembre 2020 en prononçant une amende déplafonnée, sans renvoi préalable devant l'Autorité pour l'établissement d'un nouveau rapport.
144.L'arrêt de la Cour de cassation ayant ouvert une alternative à la Cour, entre le renvoi devant l'Autorité pour rédaction d'un nouveau rapport ou le prononcé d'une amende plafonnée à 750 000 euros, la seule question qui se pose est de déterminer quelle branche de l'alternative apparaît être la réponse la plus adaptée au litige.
145.Plusieurs moyens, qui seront examinés successivement, sont invoqués par les sociétés Brenntag et Deutsche Bahn pour s'opposer à un renvoi de l'affaire devant l'Autorité.
146.S'agissant, en premier lieu, du moyen tiré de l'effet dévolutif du recours, il résulte des articles L. 464-8 du code de commerce et 561 et 562 du code de procédure civile que, lorsqu'elle annule la décision de l'Autorité, la Cour est tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties sauf à renvoyer l'affaire à l'Autorité pour instruction complémentaire (voir, notamment, Com. 26 février 2008, pourvoi n° 07 14.126, Bull. n° 44 ; Com. 22 novembre 2016, pourvois n° 14-28.224 et 14-28.862 ; Com. 6 septembre 2023, pourvois n° 20-23.715 et 20-23.582).
147.Les décisions de la Cour rendues dans la présente instance (2 février 2017, 3 décembre 2020) et l'arrêt de la Cour de cassation (paragraphe 29 de l'arrêt du 6 septembre 2023) ont rappelé ce principe.
148.L'obligation pour la Cour de statuer sur l'entier litige en vertu de l'effet dévolutif du recours n'interdit donc pas un renvoi de l'affaire à l'instruction.
149.En effet, un tel renvoi ne dessaisit pas la Cour, qui statuera après le dépôt du rapport conformément à l'obligation qui lui est faite de statuer sur l'entier litige. Le renvoi de l'affaire devant l'Autorité ne peut donc être qu'un renvoi à l'instruction et non un renvoi devant le Collège, lequel au contraire d'un renvoi à l'instruction, dessaisit la Cour et porte atteinte au principe de l'effet dévolutif du recours, la Cour n'ayant pas alors statué sur les griefs.
150.Ainsi, le renvoi à l'instruction, loin de méconnaître l'effet dévolutif qui impose à la Cour de statuer sur l'entier litige, en assure au contraire le respect.
151.Concernant, en deuxième lieu, le moyen tiré de la violation alléguée des dispositions du code de commerce relatives à l'établissement du rapport, l'article R. 463-11 du code de commerce et la jurisprudence, qui rappellent que le rapport contient une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés ainsi que des déterminants de la sanction, ne font pas obstacle à ce qu'un rapport soit rendu uniquement sur les déterminants de la sanction. Par ailleurs, c'est la Cour de cassation, au visa des articles L. 463-2, L. 463-3, L. 464-5 et R. 463-11 du code de commerce, le deuxième dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 et le troisième dans sa rédaction abrogée par cette loi, qui invite, dans l'une des branches de son alternative, la Cour à saisir l'Autorité pour la rédaction d'un nouveau rapport sur les déterminants de la sanction. Il ne peut donc être utilement soutenu que le renvoi de l'affaire à l'Autorité serait contraire aux dispositions du code de commerce visées par l'arrêt de la Cour de cassation.
152.Par ailleurs, un renvoi qui porterait sur l'établissement d'un rapport portant sur les griefs et sur la sanction heurterait l'autorité de la chose jugée des chefs de dispositif relatifs à la reconnaissance de culpabilité des sociétés poursuivies ; il est donc exclu. Quant à une annulation sur le fondement de l'article 624 du code de procédure civile, si les chefs de dispositions relatifs à la sanction ne sont pas sans lien avec ceux relatifs à la culpabilité, ils ne sont pas néanmoins dans un lien de dépendance nécessaire ou d'indivisilbité avec les chefs de dispositif relatif à la culpabilité.
153.Aucun moyen ne s'oppose donc à l'établissement d'un rapport portant seulement sur les déterminants de la sanction.
154.En troisième lieu, s'agissant du moyen tiré de l'impossibilité de faire respecter le principe du contradictoire en cas de renvoi devant l'Autorité et d'une atteinte aux droits de la défense, il est vain de prétendre que le débat à venir serait artificiel au motif que chaque partie a déjà développé ses arguments et ses moyens, la Cour de cassation ayant précisé que le débat devant la Cour ne peut se substituer à la phase du contradictoire après le dépôt du rapport. En outre, il n'est pas démontré qu'un renvoi à l'instruction rendrait impossible un tel débat, alors même que l'établissement d'un nouveau rapport est précisément justifié, dans l'arrêt du 6 septembre 2023, par la nécessité de respecter le contradictoire sur le montant de la sanction, débat qui a fait défaut après l'annulation du rapport. Même lors de l'instance devant la cour d'appel, la société Deutsche Bahn a rappelé qu'elle n'a pu débattre des déterminants de la sanction qu'aux termes d'une note en délibéré sollicitée par la Cour.
155.Il en résulte que l'atteinte aux droits de la défense des sociétés Brenntag et de la société Deutsche Bahn, et notamment l'impossibilité de respecter le principe du contradictoire, qui résulterait nécessairement du renvoi à l'instruction, n'est pas établie.
156.S'agissant, en quatrième lieu, du moyen tiré de la violation du principe d'impartialité garanti par l'article 6, § 1, de la CSDH, comme il l'a déjà été énoncé (paragraphe 149 du présent arrêt), le renvoi devant l'Autorité exclut la saisine du Collège, l'affaire ne pouvant être renvoyée que pour une instruction complémentaire. La question de l'impartialité du Collège ne se pose donc pas. Concernant celle du rapporteur général et sous son autorité des rapporteurs, qui ne sont pas un tribunal au sens de l'article 6, § 1, de la CSDH, s'ils sont tenus à un devoir d'impartialité, celui-ci consiste à instruire les affaires dont ils sont saisis de manière objective, c'est-à-dire en enquêtant à charge et à décharge (Com., 8 janvier 2025, pourvois n° 22-22.676, 22-22.610, 22-22.679, 22-22.728). Dès lors, le fait que le premier rapport ait été annulé par l'arrêt du 2 février 2017 et que, devant la cour d'appel, lors de l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 3 décembre 2020, l'Autorité ait développé un argumentaire sur le montant de la sanction, ne constituent pas des éléments de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité d'un rapporteur qui serait chargé, dans l'hypothèse d'un renvoi à l'Autorité, d'établir un nouveau rapport sur les déterminants de la sanction.
157.Concernant, en cinquième lieu, le moyen tiré de l'atteinte à la présomption d'innocence des sociétés Brenntag et de la société Deustche Bahn, les chefs de dispositif relatifs à la reconnaissance de culpabilité de ces dernières sont devenus irrévocables comme il l'a été examiné au II.A de la présente décision. Elles sont donc mal fondées à invoquer l'atteinte à leur présomption d'innocence en cas de renvoi devant l'Autorité, leur participation aux pratiques anticoncurrentielles ayant été définitivement établie.
158.S'agissant, en sixième lieu, du moyen tiré de l'autorité de la chose jugée, il résulte de l'arrêt du 2 février 2017 que la Cour s'est bornée à constater, après l'annulation du rapport et de la décision, que, par l'effet dévolutif du recours, elle avait l'obligation de statuer sur les griefs et que la réouverture des débats s'imposait pour permettre aux sociétés Brenntag de présenter leurs moyens de défense. Ainsi l'arrêt énonce au paragraphe 81 : « Il s'ensuit qu'à la suite du présent arrêt, la défense des sociétés Brenntag peut se développer sans contrainte et sans être faussée devant la cour, dans le cadre d'un nouveau débat contradictoire, permis par la réouverture des débats ordonnée selon les modalités prévues au dispositif, afin de leur permettre de présenter à nouveau leurs moyens de défense, ainsi que les moyens qu'elles estimeront devoir tirer de l'annulation de la décision en ce qui les concerne. ». Il ne peut être déduit de ce motif que la Cour a exclu tout renvoi devant l'Autorité en raison du fait qu'elle disposait des éléments pour prononcer une sanction. Tel n'était d'ailleurs pas l'objet du litige devant la Cour en 2017. En outre, en application de l'article 480 du code de procédure civile, les motifs d'une décision judiciaire ne sont pas revêtus de l'autorité de la chose jugée, seul le dispositif l'étant (Ass. Plen. 13 mars 2009, pourvoi n° 08-16.033), de sorte que, dans tous les cas, juger dans la présente instance en faveur d'un renvoi devant l'Autorité ne porterait pas atteinte à l'autorité de la chose jugée. Il en résulte qu'un renvoi devant l'Autorité ne heurte pas l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 2 février 2017.
159.S'agissant, en septième lieu, du moyen tiré du délai raisonnable de la procédure sur le fondement de l'article 6 de la CSDH, si le renvoi de l'affaire à l'Autorité pour la rédaction d'un nouveau rapport est de nature à prolonger la procédure, ce renvoi ne porte néanmoins pas atteinte au droit de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable. En effet, d'abord, ce renvoi est l'une des deux branches de l'alternative qui résulte de l'arrêt de la Cour de cassation. Ensuite, il est de jurisprudence constante que le caractère raisonnable du délai requis pour statuer sur le bien-fondé du grief s'apprécie au regard, notamment, de la particularité et de la complexité de chaque affaire. Or, en l'espèce, l'affaire est technique et complexe, porte sur des pratiques d'ententes horizontales dans le secteur des commodités chimiques comportant un nombre important d'opérateurs, une clientèle variée et sur une longue période de plusieurs années. La complexité de l'affaire est également procédurale, puisque la saisine de l'Autorité a entrainé plusieurs arrêts de la Cour, des pourvois et l'annulation du rapport par l'arrêt du 2 février 2017. Il en résulte que, dans ce présent litige, le délai raisonnable garanti par l'article 6 de la CSDH ne constitue pas un obstacle au renvoi de l'affaire devant l'Autorité pour rédaction d'un nouveau rapport.
160.Concernant, en dernier lieu, le moyen tiré du fait que la Cour dispose de tous les éléments pour statuer et que, dès lors, un renvoi à l'instruction n'est pas justifié, si la jurisprudence citée par les sociétés Brenntag et Deutsche Bahn retient effectivement que le renvoi à l'instruction est fondé lorsque la Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer, ce critère n'est pas exclusif d'un renvoi fondé sur la nécessité de l'établissement d'un nouveau rapport pour permettre le respect de la phase du contradictoire après le dépôt de ce rapport. Par ailleurs, le paragraphe 33 de l'arrêt de la Cour de cassation qui mentionne que « l'intérêt d'une bonne administration de la justice ne justifie pas que la Cour de cassation statue au fond sur les points atteints par la cassation » ne signifie pas qu'il revient à la Cour de dire si elle dispose ou non des éléments de fond nécessaires pour statuer sur la sanction ; cette mention laisse uniquement à la Cour le soin de décider du choix entre les deux branches de l'alternative, à savoir une amende plafonnée ou un renvoi devant l'Autorité pour rédaction d'un nouveau rapport, sans qu'aucun critère ne soit imposé à la Cour. Ce paragraphe 33 n'a donc pas la portée que lui prêtent les sociétés Brenntag.
161.En conséquence, l'ensemble des moyens invoqués pour s'opposer à un renvoi de l'affaire devant l'Autorité doit être rejeté.
162.Pour décider quelle branche de l'alternative retenir entre le renvoi devant l'Autorité ou une sanction plafonnée, la Cour relève, d'une part, que le fondement de l'arrêt de la Cour de cassation est la violation des droits de la défense de la société Brenntag, condamnée à une sanction en l'absence de rapport sans avoir pu faire valoir ses observations au stade du rapport.
163.La Cour observe , d'autre part, que l'arrêt de la Cour de cassation a envisagé la possibilité de réparer cette atteinte au principe du contradictoire en renvoyant l'affaire devant l'Autorité, ce qui rend inopérante l'allégation selon laquelle l'atteinte au principe du contradictoire n'était pas réparable, sauf à contester l'autorité de l'arrêt de la Cour de cassation.
164.La Cour retient, enfin, que le prononcé d'une amende plafonnée ne répond pas à l'objectif de rétablir le contradictoire, d'autant que la Cour de cassation a précisé que le débat contradictoire devant la cour d'appel ne pouvait pas remplacer le contradictoire au stade de la notification du rapport.
165.En conséquence, il résulte de l'ensemble de ces considérations que seul le renvoi devant l'Autorité est susceptible de rétablir le principe du contradictoire après le dépôt du rapport et qu'il y a donc lieu d'ordonner le renvoi de l'affaire devant l'Autorité pour rédaction d'un nouveau rapport sur les déterminants de la sanction concernant non seulement la société Brenntag SA mais également la société Deutsche Bahn compte tenu de l'annulation par voie de conséquence de sa sanction individuelle.
V. SUR LA DEMANDE DES SOCIÉTÉS BRENNTAG RELATIVE À L'INJONCTION DE PUBLICATION DE LA DÉCISION ET À LA CONDAMNATION SOLIDAIRE DE LA SOCIÉTÉ DB MOBILITY LOGISTICS AG DEVENUE DEUTSCHE BAHN
166.Les sociétés Brenntag demandent, d'une part, qu'en cas d'amende, la société DB Mobility Logistics AG soit condamnée solidairement et, d'autre part, de dire qu'il n'y a pas lieu d'imposer une injonction de publication.
167.Compte tenu du renvoi de l'affaire à l'instruction, il y a lieu de surseoir à statuer sur ces demandes, dans l'attente du dépôt du rapport.
VI. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS
168.En raison du renvoi de l'affaire à l'Autorité pour instruction complémentaire, il convient de réserver les dépens.
169.Il n'y a donc pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant en audience publique :
DÉCLARE irrecevables les demandes d'annulation du procès-verbal de clémence de la société Solvadis France du 20 septembre 2006 et de l'avis de clémence n° 07-AC-01 du 7 février 2007 formées par les sociétés, Brenntag SA, Brenntag France Holding, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding SAS, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH ;
DÉCLARE irrecevable la demande de l'absence de prononcé d'une sanction formée par les sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding SAS, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH en ce qu'elle est fondée sur une atteinte irrémédiable des droits de la défense née des propos calomnieux tenus à l'encontre de leur conseil ;
DÉCLARE irrecevables les demandes des sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding SAS, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH au titre du taux d'exonération de la sanction ;
DÉCLARE irrecevable la demande des sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding SAS, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH relative à la contestation de l'existence d'une infraction unique, complexe et continue ;
DÉCLARE irrecevable la demande des sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding SAS, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH au titre du grief n° 2 ;
ANNULE, par voie de conséquence de la cassation du chef de dispositif relatif à la condamnation de la société Brenntag SA à une sanction pécuniaire de 47 043 774 euros, conjointement et solidairement avec la société Deutsche Bahn AG, le chef de dispositif de l'arrêt du 3 décembre 2020 ayant condamné la société Deutsche Bahn AG au paiement de la somme de 5 224 995 euros ;
ORDONNE le renvoi de l'affaire à l'Autorité pour la rédaction d'un nouveau rapport sur les déterminants de la sanction concernant la société Brenntag SA et la société Deutsche Bahn AG ;
REJETTE les fins de non-recevoir tirées de la prescription ;
REJETTE la demande de remboursement de la somme de 5 224 995 euros et de la capitalisation des intérêts formée par la société Deutsche Bahn AG ;
SURSEOIT À STATUER, dans l'attente du dépôt du rapport, sur les demandes relatives à l'injonction de publication de la décision et à la condamnation solidaire de l'amende avec la société DB Mobility Logistics AG devenue Deutsche Bahn AG, formées par les sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding SAS, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH ;
DIT n'y avoir lieu à indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
RÉSERVE les dépens.