CA Caen, 1re ch. civ., 20 mai 2025, n° 22/00094
CAEN
Arrêt
Autre
AFFAIRE : N° RG 22/00094 - N° Portalis DBVC-V-B7G-G476
ARRÊT N°
ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAEN du 29 Novembre 2021
RG n° 19/00415
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 20 MAI 2025
APPELANTE :
La CAISSE MUTUELLE COMPLEMENTAIRE ET D'ACTION SOCIALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUE ET GAZIERE CENTRE [Localité 9]
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 5]
[Adresse 3]
[Localité 9]
représentée et assistée de Me Vanessa BOUTHORS, avocat au barreau de CAEN
INTIMÉE :
La SELARL [14] anciennement dénommée SELARL [Y] - [N] - [R]- [U]
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 4]
[Adresse 2]
[Localité 9]
représentée et assistée de Me Christophe VALERY, avocat au barreau de CAEN
DÉBATS : A l'audience publique du 13 mars 2025, sans opposition du ou des avocats, Mme GAUCCI-SCOTTE, Conseillère, a entendu seul les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme BARTHE-NARI, Président de chambre,
Mme DELAUBIER, Conseillère,
Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 20 Mai 2025 et signé par Mme BARTHE-NARI, président, et Mme COLLET, greffier
FAITS ET PROCEDURE
Par acte authentique en date du 31 mars 2008 reçu par Me [F] [R], notaire associé à [Localité 9], la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] (ci-après la CMCAS) a vendu à l'Etablissement Public Foncier de Normandie (ci-après EPFN) (habilité dans le département du Calvados à procéder à toutes les opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l'aménagement au sens de l'article L.300-1 du Code de l'urbanisme), sollicité par la Communauté d'Agglomération de [Adresse 11] pour l'acquisition de parcelles, un terrain de football avec tribune situé sur le territoire de la commune de [Localité 16], lieu-dit '[Adresse 15]', ledit immeuble figurant au cadastre sous les références suivantes :
Section AK n°[Cadastre 1], pour une contenance de 1 a 58 ca,
Section AK n°[Cadastre 6], pour une contenance de 77 a 81 ca,
Section AK n°[Cadastre 7], pour une contenance de 1 ha 97 a 55 ca,
Section AK n°[Cadastre 8], pour une contenance de 28 a 11 ca,
Soit une contenance totale de 3 ha 05 a 05 ca.
La vente des quatre parcelles susmentionnées est intervenue moyennant le prix de 446 345 euros, l'acte notarié du 31 mars 2008 ne comportant aucune indication sur la valeur de chacune des parcelles (prix exprimé globalement, sans aucune ventilation entre les différentes parcelles).
Il s'est avéré lors des formalités de publication de l'acte de vente que la parcelle cadastrée section AK n°[Cadastre 8] n'appartenait plus à la CMCAS mais à la ville de [Localité 9], à laquelle elle l'avait revendue par acte notarié en date du 20 mars 1984.
Si les parties se sont accordées sur le principe de la nullité de la vente relative à la parcelle AK [Cadastre 8] appartenant à autrui, elles se sont en revanche opposées sur le montant du prix devant être restitué consécutivement.
Dès lors, faute d'accord amiable trouvé sur le montant du prix devant être restitué, l'EPFN a, par acte en date du 3 mars 2011, fait assigner la CMCAS devant le tribunal de grande instance de Caen, sur le fondement de l'article 1599 du code civil, à l'effet de voir :
prononcer la nullité de la vente reçue le 31 mars 2008 en ce qu'elle porte sur la parcelle cadastrée section AK n°[Cadastre 8] lieu-dit '[Adresse 15]' d'une contenance de 28 a 11 ca,
condamner la CMCAS à lui rembourser la somme de 281 000 euros (soit 100 euros/m2 X 2 811 m2) avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2008, date de règlement effectif du prix de vente,
condamner la CMCAS à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de son conseil conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 10 décembre 2012, le tribunal de grande instance de Caen a :
prononcé la nullité de la vente intervenue le 31 mars 2008 en ce qu'elle porte sur la cession de la parcelle AK n°[Cadastre 8] sise lieudit [Adresse 15] à [Localité 16] d'une contenance de 28 ares 11 centiares,
déclaré l'offre de la CMCAS [Localité 9] satisfactoire,
condamné la CMCAS [Localité 9] en tant que de besoin à rembourser à l'EPF de Normandie la somme de 42 165 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
condamné l'EPF de Normandie à régler à la CMCAS [Localité 9] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné l'EPF de Normandie à payer les entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Marc Touchard conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Suite à l'appel interjeté par l'EPFN, la cour d'appel de Caen, par arrêt en date du 9 juin 2015, a réformé le jugement entrepris en condamnant la CMCAS à payer à l'EPFN la somme de 281 000 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 10 décembre 2012, outre celle de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, a confirmé le jugement pour le surplus et a condamné la CMCAS aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Rousseau en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Statuant sur le pourvoi formé par la CMCAS, la Cour de cassation en sa troisième chambre civile, par arrêt en date du 27 octobre 2016, a cassé et annulé 'mais seulement en ce qu'il condamne la caisse mutuelle complémentaire et d'action sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] à payer à l'Etablissement public foncier de Normandie la somme de 281 000 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 10 décembre 2012, l'arrêt rendu le 9 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Caen' et a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Rouen. Le contrat de vente de la parcelle AK [Cadastre 8] ayant été annulé pour vente de la chose d'autrui en application de l'article 1599 du code civil, la Cour de cassation a reproché à la cour d'appel de Caen d'avoir violé l'article 1599 du code civil par refus d'application et l'article 1637 du même code par fausse application.
Aux termes d'un arrêt en date du 14 mars 2018, la cour d'appel de Rouen, après avoir rappelé à titre préliminaire que 'l'arrêt de la cour d'appel de Caen est devenu définitif en ce qu'il a confirmé la nullité de la vente intervenue le 31 mars 2008 portant sur la cession de la parcelle AK[Cadastre 8] prononcée par le jugement du 10 décembre 2012, de telle sorte que le litige subsistant ne concerne que la détermination du montant des dommages et intérêts dus par la CMCAS de [Localité 9] à l' EPF de Normandie sur le fondement de cette annulation', a :
infirmé le jugement rendu le 10 décembre 2012 par le tribunal de grande instance de Caen en ce qu'il a déclaré l'offre de la CMCAS satisfactoire, en ce qu'il a condamné cette dernière à rembourser à l'EPFN la somme de 42 165 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement rendu, en ce qu'il a condamné l'EPFN à régler à la CMCAS une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens,
condamné la CMCAS à payer à l'EPFN la somme de 182 715 euros en réparation du préjudice causé par l'annulation de la vente de la parcelle AK [Cadastre 8], avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2008,
débouté la CMCAS de ses demandes faites tant en première instance qu'en cause d'appel sur renvoi après cassation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la CMCAS à payer à l'EPFN une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la CMCAS à payer les dépens de première instance et d'appel sur renvoi après cassation, avec droit de recouvrement direct au profit des avocats en ayant fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La CMCAS indique avoir payé la somme de 210 024,82 euros en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen.
Par acte en date du 24 janvier 2019, la CMCAS a fait assigner la SELARL [Y]-[N]-[R]-[U] devant le tribunal de grande instance de Caen aux fins de la voir condamner à lui payer les sommes suivantes :
164 145,05 euros en réparation de son préjudice financier correspondant aux sommes versées en sus des 42 165 euros initialement proposés à l'EPFN, suite à l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 14 mars 2018,
18 034,14 euros correspondant aux honoraires d'avocats réglés par ses soins dans le cadre des différentes instances l'ayant opposée à l'EPFN,
2 323 euros correspondant aux frais d'hypothèque judiciaire réglés par ses soins dans le cadre du contentieux l'ayant opposée à l'EPFN,
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre la mise à la charge de la défenderesse aux dépens.
La SELARL [Y]-[N]-[R]-Robillar a été renommée SELARL [10] par arrêté du 22 mars 2019.
Le 30 mars 2019, la SELARL [10] a fusionné avec la SELARL [M] et est devenue la SELARL [14].
Par jugement du 29 novembre 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a :
déclaré irrecevable, comme étant prescrite, l'action en responsabilité et en indemnisation entreprise par la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] à l'encontre de la SELARL [14], anciennement dénommée SELARL [Y] - [N] - [R] - [U] ;
débouté la SELARL [14] anciennement dénommée SELARL [Y] - [N] - [R] - [U], de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] aux dépens.
Par déclaration du 14 janvier 2022, l'Organisme Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des Industries Electriques et Gazière Centre [Localité 9] a formé appel de ce jugement, le critiquant en ce qu'il a déclaré son action prescrite et rejeté ses demandes indemnitaires.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 février 2023, l'Organisme Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des Industries Electriques et Gazière Centre [Localité 9] (ci-après dénommée CMCAS) demande à la cour de :
infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Caen en date du 29 novembre 2021 en ce qu'il:
a déclaré irrecevable, comme étant prescrite, l'action en responsabilité et en indemnisation entreprise par elle à l'encontre de la SELARL [14], anciennement dénommée SELARL [Y]-[N]-[R]-[U],
l'a condamnée aux dépens,
Et statuant de nouveau,
déclarer recevable et bien fondée son action en responsabilité délictuelle à l'encontre de la SELARL [13],
condamner la SELARL [14] à lui verser 164 145,05 euros en réparation de son préjudice financier correspondant aux sommes versées en sus des 42 165 euros initialement proposés à l'EPFN, suite à l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen en date du 14 mars 2018,
condamner la SELARL [14] à lui verser la somme de 18 034,14 euros correspondant aux honoraires d'avocats réglés par elle dans le cadre des différentes instances l'ayant opposé à l'Etablissement public foncier de Normandie (EPFN),
condamner la SELARL [14] à lui verser la somme de 2 323 euros correspondant aux frais d'hypothèque judiciaire réglés par elle dans le cadre du contentieux l'ayant opposé à l'Etablissement public foncier de Normandie (EPFN),
débouter la SELARL [14] de l'intégralité de ses prétentions présentées en appel dont notamment la demande de limitation de ses demandes indemnitaires présentée à titre subsidiaire,
débouter la SELARL [14] de ses demandes tendant au versement de 6 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile et des dépens,
condamner la SELARL [14] à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 décembre 2022, la SELARL [14] demande à la cour de :
A titre principal,
confirmer purement et simplement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Caen le 29 novembre 2021 dans toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la CMCAS pour cause de prescription,
A titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement,
débouter la CMCAS de ses demandes à son encontre,
A titre infiniment subsidiaire,
limiter les demandes indemnitaires de la CMCAS de [Localité 9] à la somme de 163 241,60 euros,
dire que la CMCAS de [Localité 9] ne démontre pas l'existence d'une perte de chance liée à ses prétendues fautes,
débouter la CMCAS de [Localité 9] de toutes ses demandes indemnitaires à son encontre,
En toute hypothèse,
condamner la CMCAS de [Localité 9] à lui payer une indemnité de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la CMCAS de [Localité 9] aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 6 novembre 2024.
Initialement fixée à l'audience collégiale du 3 décembre 2024 devant la cour autrement composée, l'affaire a été mise en délibéré au 25 février 2025. A cette date, les débats ont été rouverts par mention au dossier et l'affaire de nouveau fixée à l'audience du 13 mars 2025 tenue par le magistrat rapporteur.
L'affaire a été mise en délibéré au 20 mai 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription de l'action en responsabilité engagée par la CMCAS :
La CMCAS forme appel du jugement rendu le 29 novembre 2021 en ce qu'il a déclaré son action en responsabilité dirigée contre la SELARL [14] prescrite.
Au soutien de son appel, la CMCAS affirme que, en application de l'article 2234 du Code civil, le délai de prescription qui lui est opposable ne pouvait commencer à courir dès la date de l'assignation délivrée le 3 mars 2011 par l'EPFN à la CMCAS, alors qu'à cette date les préjudices de la CMCAS et la faute du notaire n'étaient pas connus.
Elle soutient que son préjudice n'a été connu qu'à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 14 mars 2018, notamment s'agissant du préjudice financier.
La CMCAS considère également qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'agir à l'encontre de la SELARL [14] jusqu'à la remise en cause définitive du jugement du tribunal de grande instance de Caen du 10 décembre 2012, dans la mesure où cette décision avait validé sa proposition d'indemnisation.
En réplique, la SELARL [14] sollicite la confirmation du jugement déféré, en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de la CMCAS à son encontre.
Elle rappelle que le délai de prescription applicable est le délai quinquennal, et soutient que ce délai a commencé à courir dès le 3 mars 2011, date de l'assignation délivrée par l'EPFN aux fins de nullité partielle de la vente et de restitution du prix à hauteur de 281 000 euros.
La SELARL [14] relève que dès cette date la CMCAS savait qu'elle serait tenue à une restitution du prix de vente, et qu'elle disposait de tous les éléments pour agir en garantie contre le notaire, son préjudice n'étant pas alors hypothétique.
A tout le moins, la SELARL [14] considère que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au 10 décembre 2012, date du jugement du tribunal de grande instance de Caen qui a prononcé une condamnation à paiement à l'encontre de la CMCAS et qui permettait alors à cette dernière d'agir en garantie contre le notaire.
La SELARL [14] conteste que le point de départ du délai de prescription puisse être l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 9 juin 2015, au seul motif que c'est la première décision qui aurait prononcé une condamnation supérieure à la proposition de remboursement présentée par la CMCAS.
Pour déclarer l'action en responsabilité engagée par la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14] irrecevable comme prescrite, le tribunal judiciaire de Caen a constaté que la CMCAS avait été assignée en justice dès le 3 mars 2011 par l'EPFN aux fins de voir prononcer la nullité de la vente du 31 mars 2008, sur le fondement de l'article 1599 du Code civil, et d'obtenir remboursement de la somme de 281 000 euros.
Le tribunal a estimé que dès cette date la CMCAS avait connaissance de l'étendue de la réclamation de son cocontractant et des motifs de cette réclamation, et qu'elle disposait par ailleurs de l'ensemble des informations utiles pour introduire une action en responsabilité et indemnisation à l'encontre du notaire.
De ce fait, le tribunal a fixé le point de départ du délai de prescription quinquennale au 3 mars 2011 et a constaté la prescription de l'action de la CMCAS.
Aux termes de l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
Lorsque le dommage invoqué par une partie dépend d'une procédure contentieuse l'opposant à un tiers, la Cour de cassation retient qu'il ne se manifeste qu'au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée ou devenue irrévocable et que, son droit n'étant pas né avant cette date, la prescription de son action ne court qu'à compter de cette décision.
Ces actions sont des actions principales en responsabilité tendant à l'indemnisation du préjudice subi par le demandeur, né de la reconnaissance d'un droit contesté au profit d'un tiers. Seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable établissant ce droit met l'intéressé en mesure d'exercer l'action en réparation du préjudice qui en résulte. Il s'en déduit que cette décision constitue le point de départ de la prescription.
En revanche, en matière d'action récursoire, il est jugé que la prescription applicable au recours d'une personne assignée en responsabilité, contre un tiers qu'il estime coauteur du même dommage, a pour point de départ l'assignation qui lui a été délivrée, même en référé, si elle est accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit.
Ces actions récursoires tendent à obtenir la garantie d'une condamnation prononcée ou susceptible de l'être en faveur d'un tiers victime. De telles actions sont fondées sur un préjudice unique causé à ce tiers par une pluralité de faits générateurs susceptibles d'être imputés à différents coresponsables. Or, une personne assignée en responsabilité civile a connaissance, dès l'assignation, des faits lui permettant d'agir contre celui qu'elle estime responsable en tout ou partie de ce même dommage, sauf si elle établit qu'elle n'était pas, à cette date, en mesure d'identifier ce responsable.
En l'espèce, l'EPFN a fait assigner le 3 mars 2011 la CMCAS aux fins de voir prononcer la nullité partielle de la vente conclue le 31 mars 2008 et d'obtenir remboursement d'une somme de 281 000 euros. Son action était fondée sur les dispositions de l'article 1599 du Code civil, soit sur la nullité de la vente de la chose d'autrui.
Il est constant que, dès l'origine de la procédure entre la CMCAS et l'EPFN, les parties ne discutaient pas le bien-fondé de la nullité partielle de la vente sollicitée, mais s'opposaient sur le quantum du prix de restitution.
En effet, il était unanimement admis que l'acte authentique reçu par Maître [R] portait partiellement sur la vente d'un bien qui n'appartenait pas à la CMCAS, sans que le notaire n'ait relevé cette difficulté.
Il était alors inéluctable que la CMCAS soit condamnée, à l'issue de la procédure introduite à son encontre par l'EPFN, à lui régler une indemnisation au titre de la restitution du prix de vente.
Dès l'assignation en date du 3 mars 2011, la CMCAS a été en capacité de mesurer que la restitution du prix de vente qu'elle offrait était considérablement inférieure à celle réclamée par l'EPFN, lequel sollicitait le versement d'une somme de 281 000 euros.
En effet, dès avant l'action en justice, les parties avaient échangé sur cette question.
Aux termes d'une lettre en date du 23 octobre 2008, la CMCAS exprimait, à cet égard, sa position de la manière suivante : 'La vente s'étant effectuée sur un prix de 15 euros le m2 pour la totalité des parcelles acquises, les nouvelles conditions de vente doivent exclure la parcelle AK [Cadastre 8] de 2 811 m2 au prix de 15 euros le m2 soit la somme de 42 165 euros'.
Cette position était à mettre en relation avec le fait que, le 28 février 2007, la CMCAS avait reçu de l'EPFN la lettre suivante :
'Je fais suite à notre rendez-vous du 27 écoulé concernant les terrains vous appartenant, sis à [Localité 16], cadastrés section AK n°[Cadastre 1], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] pour 3 ha 05 a 05 ca.
Notre Etablissement, en charge d'acquérir cette propriété pour le compte de la Communauté d'Agglomération '[Localité 12]', est en mesure de vous faire l'offre de prix suivante :
* 15 euros le m2, en valeur libre de toute location ou occupation, déduction faite du coût de démolition de la tribune figurant sur le terrain, et sous réserve de toute éventuelle pollution du sol'.
Pour sa part, l'EPFN estimait être en droit d'obtenir la restitution de la somme de 281 100 euros 'correspondant à la valeur définie par l'Administration des Domaines, dans l'avis préalable à l'acquisition', faisant valoir :
'En effet, l'acquisition des quatre parcelles pour une surface totale de 3 ha 5 a 5 ca a été effectuée au prix global de 446 345 euros, mais à partir de l'avis exprimé par les services fiscaux du Calvados, les 18 septembre 2006 et 26 novembre 2007, conformément aux dispositions de l'article 3 du décret n°86-455 du 14 mars 1986.
Ce prix se décompose de la façon suivante :
* Parcelle AK n°[Cadastre 8] (zone Uba au POS - constructible)
2811 m2 X 100 euros/m2 281 100 euros
* Parcelles AK [Cadastre 1], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] (zone NA au POS - zone naturelle)
27 694 m2 X 5,30 euros/m2 146 778 euros
* Utilisation d'une partie de la marge de négociation octroyée par les Domaines 29 697 euros
TOTAL 475 575 euros
* A déduire :
(à la charge du vendeur) le coût de la démolition de la tribune selon devis [17] . 11 230 euros
TOTAL 446 345 euros
La circonstance que ce prix global divisé par la totalité de la superficie vendue, représente une valeur de 15 euros/m2, est indifférente au regard des règles auxquelles les collectivités territoriales et les établissements publics se trouvent soumis, qui permettent en l'occurrence d'identifier très précisément la partie du prix affectée à la parcelle située en zone constructible du POS.'
L'action en responsabilité aujourd'hui engagée par la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14] est une action en responsabilité extra-contractuelle fondée sur l'article 1240 du Code civil.
La CMCAS fait grief au notaire d'avoir manqué à son devoir d'information et de conseil à son égard, d'avoir commis une faute dans l'insuffisance des diligences accomplies pour assurer la sécurité de l'acte et sa bonne exécution, et une faute rédactionnelle dans l'imprécision quant aux modalités de détermination du prix.
Les griefs ainsi formulés par la CMCAS contre la SELARL [14] apparaissent en lien direct avec la procédure judiciaire l'ayant opposée à l'EPFN, et le préjudice subi par cet établissement, puisque la nullité partielle qui a été prononcée, et les conséquences financières qui en ont découlé peuvent être rattachées aux manquements reprochés au notaire.
Il s'agit donc bien d'une action récursoire engagée par la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14], qui cherche à voir imputer au notaire partie de la responsabilité du dommage causé à l'EPFN.
A ce titre, la CMCAS était en capacité de connaître les causes de responsabilité du notaire et d'identifier le dommage pouvant en résulter dès l'assignation délivrée le 3 mars 2011 par l'EPFN.
C'est donc cette date qui doit être retenue comme point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité de la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14].
Or, il ne peut qu'être constaté que la CMCAS n'a fait assigner en justice la SELARL [14] que par acte du 24 janvier 2019, soit bien au-delà du terme du délai de prescription quinquennale.
Par conséquent, le jugement déféré en date du 29 novembre 2021 doit être confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité de la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14].
Sur les frais et dépens :
Les dispositions du jugement de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
L'équité justifie que la CMCAS, qui succombe à l'instance, supporte les frais irrépétibles exposés par la partie adverse.
Une somme de 4 500 euros est allouée à ce titre à la SELARL [14].
Au surplus, la CMCAS est condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par décision contradictoire, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 29 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Caen,
Y ajoutant,
Condamne la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] à payer à la SELARL [14] une somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET Hélène BARTHE-NARI
ARRÊT N°
ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAEN du 29 Novembre 2021
RG n° 19/00415
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 20 MAI 2025
APPELANTE :
La CAISSE MUTUELLE COMPLEMENTAIRE ET D'ACTION SOCIALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUE ET GAZIERE CENTRE [Localité 9]
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 5]
[Adresse 3]
[Localité 9]
représentée et assistée de Me Vanessa BOUTHORS, avocat au barreau de CAEN
INTIMÉE :
La SELARL [14] anciennement dénommée SELARL [Y] - [N] - [R]- [U]
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 4]
[Adresse 2]
[Localité 9]
représentée et assistée de Me Christophe VALERY, avocat au barreau de CAEN
DÉBATS : A l'audience publique du 13 mars 2025, sans opposition du ou des avocats, Mme GAUCCI-SCOTTE, Conseillère, a entendu seul les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme BARTHE-NARI, Président de chambre,
Mme DELAUBIER, Conseillère,
Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 20 Mai 2025 et signé par Mme BARTHE-NARI, président, et Mme COLLET, greffier
FAITS ET PROCEDURE
Par acte authentique en date du 31 mars 2008 reçu par Me [F] [R], notaire associé à [Localité 9], la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] (ci-après la CMCAS) a vendu à l'Etablissement Public Foncier de Normandie (ci-après EPFN) (habilité dans le département du Calvados à procéder à toutes les opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l'aménagement au sens de l'article L.300-1 du Code de l'urbanisme), sollicité par la Communauté d'Agglomération de [Adresse 11] pour l'acquisition de parcelles, un terrain de football avec tribune situé sur le territoire de la commune de [Localité 16], lieu-dit '[Adresse 15]', ledit immeuble figurant au cadastre sous les références suivantes :
Section AK n°[Cadastre 1], pour une contenance de 1 a 58 ca,
Section AK n°[Cadastre 6], pour une contenance de 77 a 81 ca,
Section AK n°[Cadastre 7], pour une contenance de 1 ha 97 a 55 ca,
Section AK n°[Cadastre 8], pour une contenance de 28 a 11 ca,
Soit une contenance totale de 3 ha 05 a 05 ca.
La vente des quatre parcelles susmentionnées est intervenue moyennant le prix de 446 345 euros, l'acte notarié du 31 mars 2008 ne comportant aucune indication sur la valeur de chacune des parcelles (prix exprimé globalement, sans aucune ventilation entre les différentes parcelles).
Il s'est avéré lors des formalités de publication de l'acte de vente que la parcelle cadastrée section AK n°[Cadastre 8] n'appartenait plus à la CMCAS mais à la ville de [Localité 9], à laquelle elle l'avait revendue par acte notarié en date du 20 mars 1984.
Si les parties se sont accordées sur le principe de la nullité de la vente relative à la parcelle AK [Cadastre 8] appartenant à autrui, elles se sont en revanche opposées sur le montant du prix devant être restitué consécutivement.
Dès lors, faute d'accord amiable trouvé sur le montant du prix devant être restitué, l'EPFN a, par acte en date du 3 mars 2011, fait assigner la CMCAS devant le tribunal de grande instance de Caen, sur le fondement de l'article 1599 du code civil, à l'effet de voir :
prononcer la nullité de la vente reçue le 31 mars 2008 en ce qu'elle porte sur la parcelle cadastrée section AK n°[Cadastre 8] lieu-dit '[Adresse 15]' d'une contenance de 28 a 11 ca,
condamner la CMCAS à lui rembourser la somme de 281 000 euros (soit 100 euros/m2 X 2 811 m2) avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2008, date de règlement effectif du prix de vente,
condamner la CMCAS à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de son conseil conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 10 décembre 2012, le tribunal de grande instance de Caen a :
prononcé la nullité de la vente intervenue le 31 mars 2008 en ce qu'elle porte sur la cession de la parcelle AK n°[Cadastre 8] sise lieudit [Adresse 15] à [Localité 16] d'une contenance de 28 ares 11 centiares,
déclaré l'offre de la CMCAS [Localité 9] satisfactoire,
condamné la CMCAS [Localité 9] en tant que de besoin à rembourser à l'EPF de Normandie la somme de 42 165 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
condamné l'EPF de Normandie à régler à la CMCAS [Localité 9] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné l'EPF de Normandie à payer les entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Marc Touchard conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Suite à l'appel interjeté par l'EPFN, la cour d'appel de Caen, par arrêt en date du 9 juin 2015, a réformé le jugement entrepris en condamnant la CMCAS à payer à l'EPFN la somme de 281 000 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 10 décembre 2012, outre celle de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, a confirmé le jugement pour le surplus et a condamné la CMCAS aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Rousseau en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Statuant sur le pourvoi formé par la CMCAS, la Cour de cassation en sa troisième chambre civile, par arrêt en date du 27 octobre 2016, a cassé et annulé 'mais seulement en ce qu'il condamne la caisse mutuelle complémentaire et d'action sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] à payer à l'Etablissement public foncier de Normandie la somme de 281 000 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 10 décembre 2012, l'arrêt rendu le 9 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Caen' et a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Rouen. Le contrat de vente de la parcelle AK [Cadastre 8] ayant été annulé pour vente de la chose d'autrui en application de l'article 1599 du code civil, la Cour de cassation a reproché à la cour d'appel de Caen d'avoir violé l'article 1599 du code civil par refus d'application et l'article 1637 du même code par fausse application.
Aux termes d'un arrêt en date du 14 mars 2018, la cour d'appel de Rouen, après avoir rappelé à titre préliminaire que 'l'arrêt de la cour d'appel de Caen est devenu définitif en ce qu'il a confirmé la nullité de la vente intervenue le 31 mars 2008 portant sur la cession de la parcelle AK[Cadastre 8] prononcée par le jugement du 10 décembre 2012, de telle sorte que le litige subsistant ne concerne que la détermination du montant des dommages et intérêts dus par la CMCAS de [Localité 9] à l' EPF de Normandie sur le fondement de cette annulation', a :
infirmé le jugement rendu le 10 décembre 2012 par le tribunal de grande instance de Caen en ce qu'il a déclaré l'offre de la CMCAS satisfactoire, en ce qu'il a condamné cette dernière à rembourser à l'EPFN la somme de 42 165 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement rendu, en ce qu'il a condamné l'EPFN à régler à la CMCAS une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens,
condamné la CMCAS à payer à l'EPFN la somme de 182 715 euros en réparation du préjudice causé par l'annulation de la vente de la parcelle AK [Cadastre 8], avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2008,
débouté la CMCAS de ses demandes faites tant en première instance qu'en cause d'appel sur renvoi après cassation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la CMCAS à payer à l'EPFN une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la CMCAS à payer les dépens de première instance et d'appel sur renvoi après cassation, avec droit de recouvrement direct au profit des avocats en ayant fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La CMCAS indique avoir payé la somme de 210 024,82 euros en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen.
Par acte en date du 24 janvier 2019, la CMCAS a fait assigner la SELARL [Y]-[N]-[R]-[U] devant le tribunal de grande instance de Caen aux fins de la voir condamner à lui payer les sommes suivantes :
164 145,05 euros en réparation de son préjudice financier correspondant aux sommes versées en sus des 42 165 euros initialement proposés à l'EPFN, suite à l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 14 mars 2018,
18 034,14 euros correspondant aux honoraires d'avocats réglés par ses soins dans le cadre des différentes instances l'ayant opposée à l'EPFN,
2 323 euros correspondant aux frais d'hypothèque judiciaire réglés par ses soins dans le cadre du contentieux l'ayant opposée à l'EPFN,
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre la mise à la charge de la défenderesse aux dépens.
La SELARL [Y]-[N]-[R]-Robillar a été renommée SELARL [10] par arrêté du 22 mars 2019.
Le 30 mars 2019, la SELARL [10] a fusionné avec la SELARL [M] et est devenue la SELARL [14].
Par jugement du 29 novembre 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a :
déclaré irrecevable, comme étant prescrite, l'action en responsabilité et en indemnisation entreprise par la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] à l'encontre de la SELARL [14], anciennement dénommée SELARL [Y] - [N] - [R] - [U] ;
débouté la SELARL [14] anciennement dénommée SELARL [Y] - [N] - [R] - [U], de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] aux dépens.
Par déclaration du 14 janvier 2022, l'Organisme Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des Industries Electriques et Gazière Centre [Localité 9] a formé appel de ce jugement, le critiquant en ce qu'il a déclaré son action prescrite et rejeté ses demandes indemnitaires.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 février 2023, l'Organisme Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des Industries Electriques et Gazière Centre [Localité 9] (ci-après dénommée CMCAS) demande à la cour de :
infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Caen en date du 29 novembre 2021 en ce qu'il:
a déclaré irrecevable, comme étant prescrite, l'action en responsabilité et en indemnisation entreprise par elle à l'encontre de la SELARL [14], anciennement dénommée SELARL [Y]-[N]-[R]-[U],
l'a condamnée aux dépens,
Et statuant de nouveau,
déclarer recevable et bien fondée son action en responsabilité délictuelle à l'encontre de la SELARL [13],
condamner la SELARL [14] à lui verser 164 145,05 euros en réparation de son préjudice financier correspondant aux sommes versées en sus des 42 165 euros initialement proposés à l'EPFN, suite à l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen en date du 14 mars 2018,
condamner la SELARL [14] à lui verser la somme de 18 034,14 euros correspondant aux honoraires d'avocats réglés par elle dans le cadre des différentes instances l'ayant opposé à l'Etablissement public foncier de Normandie (EPFN),
condamner la SELARL [14] à lui verser la somme de 2 323 euros correspondant aux frais d'hypothèque judiciaire réglés par elle dans le cadre du contentieux l'ayant opposé à l'Etablissement public foncier de Normandie (EPFN),
débouter la SELARL [14] de l'intégralité de ses prétentions présentées en appel dont notamment la demande de limitation de ses demandes indemnitaires présentée à titre subsidiaire,
débouter la SELARL [14] de ses demandes tendant au versement de 6 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile et des dépens,
condamner la SELARL [14] à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 décembre 2022, la SELARL [14] demande à la cour de :
A titre principal,
confirmer purement et simplement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Caen le 29 novembre 2021 dans toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la CMCAS pour cause de prescription,
A titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement,
débouter la CMCAS de ses demandes à son encontre,
A titre infiniment subsidiaire,
limiter les demandes indemnitaires de la CMCAS de [Localité 9] à la somme de 163 241,60 euros,
dire que la CMCAS de [Localité 9] ne démontre pas l'existence d'une perte de chance liée à ses prétendues fautes,
débouter la CMCAS de [Localité 9] de toutes ses demandes indemnitaires à son encontre,
En toute hypothèse,
condamner la CMCAS de [Localité 9] à lui payer une indemnité de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la CMCAS de [Localité 9] aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 6 novembre 2024.
Initialement fixée à l'audience collégiale du 3 décembre 2024 devant la cour autrement composée, l'affaire a été mise en délibéré au 25 février 2025. A cette date, les débats ont été rouverts par mention au dossier et l'affaire de nouveau fixée à l'audience du 13 mars 2025 tenue par le magistrat rapporteur.
L'affaire a été mise en délibéré au 20 mai 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription de l'action en responsabilité engagée par la CMCAS :
La CMCAS forme appel du jugement rendu le 29 novembre 2021 en ce qu'il a déclaré son action en responsabilité dirigée contre la SELARL [14] prescrite.
Au soutien de son appel, la CMCAS affirme que, en application de l'article 2234 du Code civil, le délai de prescription qui lui est opposable ne pouvait commencer à courir dès la date de l'assignation délivrée le 3 mars 2011 par l'EPFN à la CMCAS, alors qu'à cette date les préjudices de la CMCAS et la faute du notaire n'étaient pas connus.
Elle soutient que son préjudice n'a été connu qu'à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 14 mars 2018, notamment s'agissant du préjudice financier.
La CMCAS considère également qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'agir à l'encontre de la SELARL [14] jusqu'à la remise en cause définitive du jugement du tribunal de grande instance de Caen du 10 décembre 2012, dans la mesure où cette décision avait validé sa proposition d'indemnisation.
En réplique, la SELARL [14] sollicite la confirmation du jugement déféré, en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de la CMCAS à son encontre.
Elle rappelle que le délai de prescription applicable est le délai quinquennal, et soutient que ce délai a commencé à courir dès le 3 mars 2011, date de l'assignation délivrée par l'EPFN aux fins de nullité partielle de la vente et de restitution du prix à hauteur de 281 000 euros.
La SELARL [14] relève que dès cette date la CMCAS savait qu'elle serait tenue à une restitution du prix de vente, et qu'elle disposait de tous les éléments pour agir en garantie contre le notaire, son préjudice n'étant pas alors hypothétique.
A tout le moins, la SELARL [14] considère que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au 10 décembre 2012, date du jugement du tribunal de grande instance de Caen qui a prononcé une condamnation à paiement à l'encontre de la CMCAS et qui permettait alors à cette dernière d'agir en garantie contre le notaire.
La SELARL [14] conteste que le point de départ du délai de prescription puisse être l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 9 juin 2015, au seul motif que c'est la première décision qui aurait prononcé une condamnation supérieure à la proposition de remboursement présentée par la CMCAS.
Pour déclarer l'action en responsabilité engagée par la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14] irrecevable comme prescrite, le tribunal judiciaire de Caen a constaté que la CMCAS avait été assignée en justice dès le 3 mars 2011 par l'EPFN aux fins de voir prononcer la nullité de la vente du 31 mars 2008, sur le fondement de l'article 1599 du Code civil, et d'obtenir remboursement de la somme de 281 000 euros.
Le tribunal a estimé que dès cette date la CMCAS avait connaissance de l'étendue de la réclamation de son cocontractant et des motifs de cette réclamation, et qu'elle disposait par ailleurs de l'ensemble des informations utiles pour introduire une action en responsabilité et indemnisation à l'encontre du notaire.
De ce fait, le tribunal a fixé le point de départ du délai de prescription quinquennale au 3 mars 2011 et a constaté la prescription de l'action de la CMCAS.
Aux termes de l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
Lorsque le dommage invoqué par une partie dépend d'une procédure contentieuse l'opposant à un tiers, la Cour de cassation retient qu'il ne se manifeste qu'au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée ou devenue irrévocable et que, son droit n'étant pas né avant cette date, la prescription de son action ne court qu'à compter de cette décision.
Ces actions sont des actions principales en responsabilité tendant à l'indemnisation du préjudice subi par le demandeur, né de la reconnaissance d'un droit contesté au profit d'un tiers. Seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable établissant ce droit met l'intéressé en mesure d'exercer l'action en réparation du préjudice qui en résulte. Il s'en déduit que cette décision constitue le point de départ de la prescription.
En revanche, en matière d'action récursoire, il est jugé que la prescription applicable au recours d'une personne assignée en responsabilité, contre un tiers qu'il estime coauteur du même dommage, a pour point de départ l'assignation qui lui a été délivrée, même en référé, si elle est accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit.
Ces actions récursoires tendent à obtenir la garantie d'une condamnation prononcée ou susceptible de l'être en faveur d'un tiers victime. De telles actions sont fondées sur un préjudice unique causé à ce tiers par une pluralité de faits générateurs susceptibles d'être imputés à différents coresponsables. Or, une personne assignée en responsabilité civile a connaissance, dès l'assignation, des faits lui permettant d'agir contre celui qu'elle estime responsable en tout ou partie de ce même dommage, sauf si elle établit qu'elle n'était pas, à cette date, en mesure d'identifier ce responsable.
En l'espèce, l'EPFN a fait assigner le 3 mars 2011 la CMCAS aux fins de voir prononcer la nullité partielle de la vente conclue le 31 mars 2008 et d'obtenir remboursement d'une somme de 281 000 euros. Son action était fondée sur les dispositions de l'article 1599 du Code civil, soit sur la nullité de la vente de la chose d'autrui.
Il est constant que, dès l'origine de la procédure entre la CMCAS et l'EPFN, les parties ne discutaient pas le bien-fondé de la nullité partielle de la vente sollicitée, mais s'opposaient sur le quantum du prix de restitution.
En effet, il était unanimement admis que l'acte authentique reçu par Maître [R] portait partiellement sur la vente d'un bien qui n'appartenait pas à la CMCAS, sans que le notaire n'ait relevé cette difficulté.
Il était alors inéluctable que la CMCAS soit condamnée, à l'issue de la procédure introduite à son encontre par l'EPFN, à lui régler une indemnisation au titre de la restitution du prix de vente.
Dès l'assignation en date du 3 mars 2011, la CMCAS a été en capacité de mesurer que la restitution du prix de vente qu'elle offrait était considérablement inférieure à celle réclamée par l'EPFN, lequel sollicitait le versement d'une somme de 281 000 euros.
En effet, dès avant l'action en justice, les parties avaient échangé sur cette question.
Aux termes d'une lettre en date du 23 octobre 2008, la CMCAS exprimait, à cet égard, sa position de la manière suivante : 'La vente s'étant effectuée sur un prix de 15 euros le m2 pour la totalité des parcelles acquises, les nouvelles conditions de vente doivent exclure la parcelle AK [Cadastre 8] de 2 811 m2 au prix de 15 euros le m2 soit la somme de 42 165 euros'.
Cette position était à mettre en relation avec le fait que, le 28 février 2007, la CMCAS avait reçu de l'EPFN la lettre suivante :
'Je fais suite à notre rendez-vous du 27 écoulé concernant les terrains vous appartenant, sis à [Localité 16], cadastrés section AK n°[Cadastre 1], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] pour 3 ha 05 a 05 ca.
Notre Etablissement, en charge d'acquérir cette propriété pour le compte de la Communauté d'Agglomération '[Localité 12]', est en mesure de vous faire l'offre de prix suivante :
* 15 euros le m2, en valeur libre de toute location ou occupation, déduction faite du coût de démolition de la tribune figurant sur le terrain, et sous réserve de toute éventuelle pollution du sol'.
Pour sa part, l'EPFN estimait être en droit d'obtenir la restitution de la somme de 281 100 euros 'correspondant à la valeur définie par l'Administration des Domaines, dans l'avis préalable à l'acquisition', faisant valoir :
'En effet, l'acquisition des quatre parcelles pour une surface totale de 3 ha 5 a 5 ca a été effectuée au prix global de 446 345 euros, mais à partir de l'avis exprimé par les services fiscaux du Calvados, les 18 septembre 2006 et 26 novembre 2007, conformément aux dispositions de l'article 3 du décret n°86-455 du 14 mars 1986.
Ce prix se décompose de la façon suivante :
* Parcelle AK n°[Cadastre 8] (zone Uba au POS - constructible)
2811 m2 X 100 euros/m2 281 100 euros
* Parcelles AK [Cadastre 1], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] (zone NA au POS - zone naturelle)
27 694 m2 X 5,30 euros/m2 146 778 euros
* Utilisation d'une partie de la marge de négociation octroyée par les Domaines 29 697 euros
TOTAL 475 575 euros
* A déduire :
(à la charge du vendeur) le coût de la démolition de la tribune selon devis [17] . 11 230 euros
TOTAL 446 345 euros
La circonstance que ce prix global divisé par la totalité de la superficie vendue, représente une valeur de 15 euros/m2, est indifférente au regard des règles auxquelles les collectivités territoriales et les établissements publics se trouvent soumis, qui permettent en l'occurrence d'identifier très précisément la partie du prix affectée à la parcelle située en zone constructible du POS.'
L'action en responsabilité aujourd'hui engagée par la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14] est une action en responsabilité extra-contractuelle fondée sur l'article 1240 du Code civil.
La CMCAS fait grief au notaire d'avoir manqué à son devoir d'information et de conseil à son égard, d'avoir commis une faute dans l'insuffisance des diligences accomplies pour assurer la sécurité de l'acte et sa bonne exécution, et une faute rédactionnelle dans l'imprécision quant aux modalités de détermination du prix.
Les griefs ainsi formulés par la CMCAS contre la SELARL [14] apparaissent en lien direct avec la procédure judiciaire l'ayant opposée à l'EPFN, et le préjudice subi par cet établissement, puisque la nullité partielle qui a été prononcée, et les conséquences financières qui en ont découlé peuvent être rattachées aux manquements reprochés au notaire.
Il s'agit donc bien d'une action récursoire engagée par la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14], qui cherche à voir imputer au notaire partie de la responsabilité du dommage causé à l'EPFN.
A ce titre, la CMCAS était en capacité de connaître les causes de responsabilité du notaire et d'identifier le dommage pouvant en résulter dès l'assignation délivrée le 3 mars 2011 par l'EPFN.
C'est donc cette date qui doit être retenue comme point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité de la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14].
Or, il ne peut qu'être constaté que la CMCAS n'a fait assigner en justice la SELARL [14] que par acte du 24 janvier 2019, soit bien au-delà du terme du délai de prescription quinquennale.
Par conséquent, le jugement déféré en date du 29 novembre 2021 doit être confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité de la CMCAS à l'encontre de la SELARL [14].
Sur les frais et dépens :
Les dispositions du jugement de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
L'équité justifie que la CMCAS, qui succombe à l'instance, supporte les frais irrépétibles exposés par la partie adverse.
Une somme de 4 500 euros est allouée à ce titre à la SELARL [14].
Au surplus, la CMCAS est condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par décision contradictoire, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 29 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Caen,
Y ajoutant,
Condamne la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] à payer à la SELARL [14] une somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la Caisse Mutuelle Complémentaire et d'Action Sociale des industries électrique et gazière du centre de [Localité 9] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET Hélène BARTHE-NARI