CA Versailles, ch civ.. 1-4 construction, 19 mai 2025, n° 22/05067
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 54G
Ch civ. 1-4 construction
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 MAI 2025
N° RG 22/05067
N° Portalis DBV3-V-B7G-VLIA
AFFAIRE :
S.A.S. BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE
C/
SAS ANTUNES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Juin 2022 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° RG : 2020F00485
Expéditions exécutoires, Copies certifiées conforme délivrées le :
à :
Me Asma MZE
Me Anne-laure DUMEAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF MAI DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANTE
S.A.S. BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699
Plaidant : Me Joseph BENILLOUCHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J100
****************
INTIMÉE
SAS ANTUNES
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU de la SELASU ANNE-LAURE DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
Plaidant : Me Virginie MIRÉ de la SELAS Virginie Miré et Jérôme Blanchetière, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0156
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Mars 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine ROMI, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Fabienne TROUILLER, Présidente,
Madame Séverine ROMI, Conseillère,
Madame Marie-Cécile MOULIN-ZYS, Conseillère,
Greffière, lors des débats : Madame Jeannette BELROSE,
FAITS ET PROCÉDURE
L'Office public de l'habitat de [Localité 6] (ci-après dénommée « OPH ») a fait réaliser un ensemble immobilier comprenant 45 logements sociaux, situé [Adresse 2] à [Localité 6] (92).
La réalisation des travaux a notamment été confiée à la société Bouygues bâtiment Île-de-France (ci-après dénommée « Bouygues »), en qualité d'entreprise générale.
La société Bouygues a confié la réalisation du lot façades du marché à la société Antunes, une société spécialisée dans la réalisation de façades d'immeuble.
Ces travaux consistaient à la mise en place, sur certaines façades, d'une sous-couche associée à une finition badigeon fournies par la société Saint-Gobain Weber France (ci-après « Weber »).
Le 8 juillet 2011, la réception des travaux a été prononcée avec réserves, levées le 26 septembre 2011.
En juin 2012, le tableau de suivi des réclamations mis en place entre l'OPH et la société Bouygues a fait état de réclamations relatives à l'effritement et le décollage de la peinture ainsi que l'apparition de tâches, ce à quoi la société Bouygues a répondu que le phénomène était normal et tendait à disparaître avec le temps.
La société Bouygues a transmis à l'OPH un courrier du fabricant d'enduit Weber expliquant que ces particules s'élimineraient par l'eau de pluie.
La façade continuant à se dégrader, une réunion entre les sociétés Bouygues, Antunes et Weber a eu lieu en février 2015 afin de trouver des solutions relatives au problème d'encrassement des façades.
Le 19 juin 2017, l'OPH a mis en demeure la société Bouygues de mettre un terme aux problèmes constatés.
Par actes d'huissier des 2 et 4 août 2017, la société Bouygues a assigné les sociétés Antunes et Weber devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir désigner un expert judiciaire pour examiner les travaux de façade réalisés.
Par ordonnance du 12 septembre 2017, M. [H] a été désigné en qualité d'expert judiciaire.
Il a déposé son rapport le 30 octobre 2018.
Parallèlement, l'OPH et la société Bouygues ont conclu un protocole transactionnel aux termes duquel cette dernière s'est engagée à réaliser sans contrepartie financière les travaux de réfection des façades objets des réclamations de l'OPH.
Par acte d'huissier du 9 mars 2020, la société Bouygues a assigné la société Antunes devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de la voir condamner à lui payer, sur le fondement des articles 1217 et1231-1 du code civil, la somme de 409 500 euros, sauf à parfaire, au titre de la réparation du préjudice subi du fait des désordres affectant les façades de l'immeuble sis [Adresse 2] à Gennevilliers.
Par jugement du 7 juin 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- déclaré irrecevable la société Bouygues, son action étant prescrite,
- condamné la société Bouygues à payer à la société Antunes la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.
Le tribunal a retenu, au visa de l'article 2224 du code civil, que l'assignation délivrée le 9 mars 2020 à la demande de la société Bouygues était irrecevable, que le point de départ du délai de prescription était le 4 avril 2012, cette dernière ayant eu connaissance des faits lui permettant d'engager l'action à l'égard de son sous-traitant depuis cette date, mais qu'elle l'avait assigné hors délai légal.
Il a relevé que la pièce n°1 de la société Bouygues intitulée « tableau de suivi des réclamations après-réception » datée du 4 avril 2012, mentionnait les réclamations de l'OPH, et que suite à ces réclamations, la société Bouygues avait adressé de nombreuses correspondances à la société Antunes et au fabricant d'enduits pour y remédier et organisé de nombreuses réunions de chantier.
Il a également rappelé que dès juillet 2012, la société Weber avait adressé un courrier à la société Antunes pour diagnostiquer et remédier aux réclamations formulées par OPH.
Par déclaration du 29 juillet 2022, la société Bouygues a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions n°1 remises au greffe le 14 février 2023 (23 pages), la société Bouygues bâtiment Île-de-France demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée irrecevable car prescrite en ses demandes,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a accordé à la société Antunes la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la déclarer la recevable et bien fondée en ses demandes,
- de condamner la société Antunes à lui payer la somme de 388 215 euros au titre de la réparation du préjudice subi du fait des désordres affectant les façades de l'immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 6], augmentée du montant des intérêts légaux à compter de la délivrance de l'assignation,
- condamner la société Antunes à lui payer la somme de 30 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, en ce compris les frais et honoraires d'expertise de M. [H],
- débouter la société Antunes de toutes demandes contraires et de sa demande d'article 700 formulée à hauteur de 5 000 euros devant la cour.
La société Bouygues estime son action recevable en ce que le point de départ de la prescription des désordres relevant de la garantie de parfait achèvement est le mois de décembre 2012 date du tableau de suivi des réclamations (et non le 4 avril 2012) et que l'assignation en référé a interrompu ce délai. De plus elle soutient que seule la demande du maître de l'ouvrage en recherche de responsabilité peut faire débuter la prescription, or ici il n'y a pas eu de réclamation judiciaire de ce dernier.
Sur le fond, elle s'appuie sur le rapport de l'expert pour affirmer que les désordres relevés par lui incombent à la société Antunes chargée du lot façade.
Aux termes de ses conclusions n°1 remises au greffe le 20 janvier 2023 (22 pages), la société Antunes demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes de la société Bouygues irrecevables et l'a indemnisée de ses frais irrépétibles,
- et sur le fond, déclarer les demandes de la société Bouygues irrecevables, car prescrites,
- en conséquence, la débouter de l'ensemble de ses prétentions,
- si de besoin,
- fixer sa propre responsabilité à 50 %
- fixer le montant des travaux de réparation à la somme de 220 000 euros
- débouter la société Bouygues de toutes demandes,
- en tout état de cause, rejeter les demandes de la société Bouygues supérieures à la somme globale de 386 745 euros,
- ramener la demande formée par la société Bouygues au titre des frais irrépétibles exposés par ses soins à de beaucoup plus justes proportions,
- condamner la société Bouygues à lui verser 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens en ce inclus les frais d'expertise.
La société Antunes reconnaît que le maître de l'ouvrage n'a pas fait de réclamation puisqu'il a conclu un protocole d'accord avec la société Bouygues mais affirme que la jurisprudence dont la partie adverse réclame l'application n'est pas applicable. Elle ajoute, se référant à sa pièce n°1, que c'est le tableau de réclamation du 15 juin 2012 qui doit être la date de début de la prescription, or même la procédure de référé du mois d'août 2017 ne pouvait interrompre un délai de prescription déjà expiré.
Sur le fond du litige, elle estime que l'expert a investigué au-delà de sa mission et que la réparation qui était d'un coût beaucoup plus modique pour un simple décrassage au départ est devenue au fil de la procédure totalement exagérée du fait de la société Bouygues qui réclame une reprise totale des façades sans justifier de cette nécessité.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2024. L'affaire a été appelée à l'audience du 17 mars 2025 et mise en délibéré au 19 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action de la société Bouygues
En application de l'article 2219 du code civil, la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.
En application des articles 2224 du code civil et L. 110-4 I du code de commerce les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer.
Il en est ainsi du recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou de son sous-traitant.
Il est admis que le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution d'une obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l'application de la prescription extinctive, avant l'introduction de la demande principale du maître de l'ouvrage.
En l'espèce, par courrier du 19 juin 2017, le maître de l'ouvrage a mis en demeure l'entreprise générale de mettre un terme aux problèmes constatés.
Cependant, il n'y a pas eu finalement de recours en justice exercé par le maître de l'ouvrage contre la société Bouygues, puisque les parties se sont rapprochées pour conclure un accord afin de reprendre les malfaçons notamment sur la façade. Aux termes de ce protocole des 19 septembre et 6 octobre 2017, ces travaux de réfection ont été mis à la charge de la société Bouygues sans aucune contrepartie financière de la part de l'OPH.
Faute de recours indemnitaire du maître de l'ouvrage, ce n'est pas un recours en garantie, au sens strict, que la société Bouygues exerce contre la société Antunes mais une action en responsabilité contractuelle contre son sous-traitant soumise à la prescription quinquennale à compter du jour où elle a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Toutefois, les agissements du maître de l'ouvrage ne peuvent être considérés comme sans incidence sur la procédure de la société Bouygues envers son sous-traitant, car il est évident que tant que l'OPH n'avait pas actionné la société Bouygues pour les désordres litigieux, cette dernière n'avait pas d'intérêt à assigner son sous-traitant ayant effectué lesdits travaux.
Quoiqu'il en soit, il faut, en application des textes précités, déterminer à quelle date les désordres dont la société Bouygues demande réparation étaient connus ou auraient dû être connus d'elle.
Le 4 avril 2012 a été dressé un « tableau de suivi des réclamations après-réception » qui indique deux réclamations, n°19 « Peintures qui s'effritent au niveau des façades » et 53 « Peinture orange de la façade qui se décolle et tâche ». Les premiers juges ont fait partir le délai de prescription de ce tableau de suivi des réclamations considérant qu'à cette date la société Bouygues connaissait l'existence des désordres.
Le courrier de mise en demeure adressé par l'OPH à la société Bouygues le 19 juin 2017 évoque « Dès le mois de juin 2012, nous vous avons alerté (') de l'apparition de salissures, de spectres et de transfert de pigment ». L'OPH ajoutait que depuis le 15 juin 2012 la peinture s'effritait au niveau des façades et la peinture orange de la façade se décollait et se tâchait.
Si, à partir de ce moment, la société Bouygues a adressé de nombreuses correspondances à la société Antunes et au fabricant d'enduits, la société Weber, pour tenter de remédier aux réclamations formées par l'OPH et a organisé des réunions sur site, il faut cependant considérer que ce n'est qu'à partir de la mise en demeure du maître de l'ouvrage, le 19 juin 2017, que la société Bouygues a pu connaître les faits lui permettant d'exercer son action à l'encontre de son sous-traitant. Le dommage ne consistant pas tant pour elle dans le fait que les désordres sur la façade étaient apparus que dans le fait que le maître de l'ouvrage la menaçait d'agir.
En effet, si la société Bouygues avait été assignée par l'OPH, la prescription aurait commencé à courir à partir de cette assignation. L'entreprise principale ne peut avoir un traitement plus défavorable pour la raison qu'elle aurait décidé de recourir à un mode alternatif des conflits en concluant un accord avec le maître de l'ouvrage.
Par suite, si besoin était, l'assignation en référé délivrée à la société Antunes le 4 août 2017 a interrompu le délai de prescription. Celle délivrée au fond le 9 mars 2020, l'a été alors que le délai de prescription n'était pas expiré.
En conséquence, l'action de la société Bouygues est recevable, le jugement est infirmé sur ce point.
Sur le fond de la demande de la société Bouygues
Le sous-traité étant un contrat d'entreprise, la responsabilité du sous-traitant à l'égard de l'entrepreneur principal est ainsi régie par le droit commun du contrat d'entreprise, les garanties légales dérivant des articles 1792 à 1792-6 du code civil n'étant susceptibles d'application que dans les rapports du maître de l'ouvrage et du locateur d'ouvrage avec lequel il a été lié contractuellement et en aucun cas dans les rapports de l'entrepreneur principal et du sous-traitant.
Il est admis de longue date que le sous-traitant est tenu à l'égard de l'entrepreneur principal d'une obligation de résultat d'exécuter un ouvrage exempt de malfaçons. La nature de l'obligation du premier à l'égard du second ne varie pas selon que la réception a ou non été prononcée, puisque la réception ne régit que les rapports de l'entrepreneur principal avec le maître de l'ouvrage. De plus, les relations entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur principal n'influent pas sur celles du sous-traitant et de son co-contractant, les contrats étant indépendants.
Il découle de cette obligation de résultat que l'entrepreneur principal n'a pas, pour engager la responsabilité de son sous-traitant, à établir l'existence d'une faute de sa part. La présomption de faute est une présomption irréfragable. De plus, l'obligation de résultat emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage.
Il incombe néanmoins à celui qui entend engager sa responsabilité d'établir que le préjudice invoqué est imputable à des travaux compris dans la sphère contractuelle sous-traitée et que le dommage s'est produit.
En l'espèce, il est constant que la société Antunes était chargée du lot façade.
La société Bouygues se fonde sur le rapport de M. [H] qui établit selon elle clairement la responsabilité de la société Antunes.
Celle-ci oppose que l'encrassement des façades et les coulures ocres sont les seuls désordres pour lesquelles l'expert a été désigné. Toujours selon elle, ce dernier s'est autosaisit des fissures en façade.
Cependant, elle reconnaît que le juge du contrôle a déclaré que l'expertise comprenait ce problème de fissures. De fait, à l'évidence, l'expert a fait ses constatations dans les limites de sa mission. La mission d'expertise s'étendait selon l'ordonnance du 15 septembre 2017 à l'ensemble des « désordres, malfaçons, non-façons et non-conformités affectant les façades de l'ensemble immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 6], mentionnés aux termes de l'assignation et des pièces qui y sont annexées » .
L'expert remarque trois types de désordres affectant les façades de l'ensemble immobilier litigieux :
- un encrassement de couleur noire qui met en relief les traces de brossage et badigeon et qui affecte de manière très importante les façades sud et est, et de manière moins importante, la façade nord, imputé à des salissures biologiques favorisées par un aspect rugueux de l'enduit dû au non-respect des préconisations du fabricant lors de l'application,
- des microfissures dues à un non-respect des règles de l'art et des préconisations du fabricant
- des traînées de couleur ocre.
Selon lui, l'encrassement résulte tant d'une mauvaise préparation de la surface que d'un défaut de mise en 'uvre des produits utilisés. Alors que le fabriquant de l'enduit préconise l'application d'une couche de 6 à 8 mm d'épaisseur, les sondages réalisés par l'expertise montre une épaisseur de 12 à 14 mm. En outre, d'après l'avis technique, l'application de l'enduit de base de marque Weber doit être soignée, ne doit présenter aucun défaut d'aspect puisque le revêtement de finition choisi ne masque aucune irrégularité. De plus, l'expert remarque que ceci a été aggravé par une application pendant la période hivernale, le séchage de l'enduit étant plus important lorsque les températures sont très basses, ce qui a été le cas eu égard aux bulletins météorologiques produits. Tout ceci a favorisé la rétention d'eau et la fixation des poussières et des micro-organismes à l'origine de l'encrassement observé.
Concernant les traînées de couleur ocre remarquées sur des zones couvertes d'un badigeon de couleur ocre, elles s'expliquent par un mauvais choix des produits car les pigments qu'ils contiennent sont inéluctablement drainés avec le ruissellement des eaux.
Pour les fissures sur les façades, l'expert a constaté une micro-fissuration au départ des angles de fenêtres généralisée à tous les angles des baies. L'expert, après sondages suffisants en attribue la cause à :
- l'absence de renfort sur les angles de baie alors même que ceci est préconisé pour le traitement des points singuliers
- un mauvais découpage du polystyrène de l'isolant de façade au droit des baies
- un retrait généré par les surépaisseurs d'enduit (12 à 14 mm au lieu des 6 à 8 mm préconisés dans la fiche technique), cause d'aggravation du phénomène.
Il ressort ainsi que la société Antunes, chargée de ces travaux, n'a ni exécuté ni livré un ouvrage exempt de malfaçons. Sa responsabilité envers la société Bouygues, pleine et entière, est engagée.
Sur le montant du préjudice, dont la réparation doit être intégrale sans pertes ni profits pour la victime, il faudra reprendre selon les règles de l'art l'ensemble des façades affectées, le simple dépoussiérage étant totalement inefficace à remédier aux problèmes. L'expert chiffre, après que seront effectués des tests d'adhérence, sur présentation des devis, les travaux de réfaction à la somme comprise entre 289 380 euros HT et 397 500 euros HT, c'est deux sommes incluant 6 % d'honoraires de maîtrise d''uvre.
Or les tests effectués par la société Bouygues, conformément aux conclusions de l'expert et information donnée à la société Antunes, se sont finalement révélés négatifs quant à l'adhérence des façades. La société Bouygues a dû faire effectuer les travaux de réfection par pelage pour une somme de 353 715 euros avec application d'un enduit armé après correction des défauts et d'une finition Webermaxilin SILT, sur la base du devis de la société Tene soumis à l'expert qui s'élevait à 375 000 euros HT.
Elle demande finalement la somme de 388 215 euros HT se décomposant ainsi :
- 353 715 euros pour les travaux de réfection des zones de façades revêtues du procédé Prodexor
- 5 560 euros pour les tests d'adhérence
- 3 440 euros pour la mission de contrôle technique
- 22 500 euros pour l'encadrement et le suivi des travaux
- 3 000 euros pour les frais d'occupation de la voirie
La société Antunes accepte de prendre en charge 353 715 euros pour les travaux de réfection des zones de façade, 5 560 euros pour les tests d'adhérence et 3 440 euros pour la mission de contrôle technique. Elle demande une diminution du montant pour l'encadrement et le suivi des travaux à 21 222 euros et à 2 808 euros, soit la somme totale de 386 745 euros. Ces deux dernières sommes ne sont pas retenues, eu égard au principe de la réparation intégrale.
En conséquence, la société Antunes est condamnée à payer la somme de 388 215 euros HT à la société Bouygues. S'agissant d'une indemnité compensatoire, les intérêts sont dus à compter de la présente décision.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société Antunes, qui succombe, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Le jugement est infirmé également sur ce point, les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société Antunes à payer à la société Bouygues une indemnité de 10 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Dit recevable la société Bouygues bâtiment Île-de-France en ses demandes ;
Condamne la société Antunes à payer à la société Bouygues bâtiment Île-de-France la somme de 388 215 euros HT avec intérêts à compter de la présente décision, en réparation de son préjudice ;
Condamne la société Antunes à payer les entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire ;
Condamne la société Antunes à payer à la société Bouygues bâtiment Île-de-France une indemnité de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Fabienne TROUILLER, Présidente et par Madame Jeannette BELROSE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
DE
VERSAILLES
Code nac : 54G
Ch civ. 1-4 construction
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 MAI 2025
N° RG 22/05067
N° Portalis DBV3-V-B7G-VLIA
AFFAIRE :
S.A.S. BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE
C/
SAS ANTUNES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Juin 2022 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° RG : 2020F00485
Expéditions exécutoires, Copies certifiées conforme délivrées le :
à :
Me Asma MZE
Me Anne-laure DUMEAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF MAI DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANTE
S.A.S. BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699
Plaidant : Me Joseph BENILLOUCHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J100
****************
INTIMÉE
SAS ANTUNES
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU de la SELASU ANNE-LAURE DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
Plaidant : Me Virginie MIRÉ de la SELAS Virginie Miré et Jérôme Blanchetière, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0156
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Mars 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine ROMI, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Fabienne TROUILLER, Présidente,
Madame Séverine ROMI, Conseillère,
Madame Marie-Cécile MOULIN-ZYS, Conseillère,
Greffière, lors des débats : Madame Jeannette BELROSE,
FAITS ET PROCÉDURE
L'Office public de l'habitat de [Localité 6] (ci-après dénommée « OPH ») a fait réaliser un ensemble immobilier comprenant 45 logements sociaux, situé [Adresse 2] à [Localité 6] (92).
La réalisation des travaux a notamment été confiée à la société Bouygues bâtiment Île-de-France (ci-après dénommée « Bouygues »), en qualité d'entreprise générale.
La société Bouygues a confié la réalisation du lot façades du marché à la société Antunes, une société spécialisée dans la réalisation de façades d'immeuble.
Ces travaux consistaient à la mise en place, sur certaines façades, d'une sous-couche associée à une finition badigeon fournies par la société Saint-Gobain Weber France (ci-après « Weber »).
Le 8 juillet 2011, la réception des travaux a été prononcée avec réserves, levées le 26 septembre 2011.
En juin 2012, le tableau de suivi des réclamations mis en place entre l'OPH et la société Bouygues a fait état de réclamations relatives à l'effritement et le décollage de la peinture ainsi que l'apparition de tâches, ce à quoi la société Bouygues a répondu que le phénomène était normal et tendait à disparaître avec le temps.
La société Bouygues a transmis à l'OPH un courrier du fabricant d'enduit Weber expliquant que ces particules s'élimineraient par l'eau de pluie.
La façade continuant à se dégrader, une réunion entre les sociétés Bouygues, Antunes et Weber a eu lieu en février 2015 afin de trouver des solutions relatives au problème d'encrassement des façades.
Le 19 juin 2017, l'OPH a mis en demeure la société Bouygues de mettre un terme aux problèmes constatés.
Par actes d'huissier des 2 et 4 août 2017, la société Bouygues a assigné les sociétés Antunes et Weber devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir désigner un expert judiciaire pour examiner les travaux de façade réalisés.
Par ordonnance du 12 septembre 2017, M. [H] a été désigné en qualité d'expert judiciaire.
Il a déposé son rapport le 30 octobre 2018.
Parallèlement, l'OPH et la société Bouygues ont conclu un protocole transactionnel aux termes duquel cette dernière s'est engagée à réaliser sans contrepartie financière les travaux de réfection des façades objets des réclamations de l'OPH.
Par acte d'huissier du 9 mars 2020, la société Bouygues a assigné la société Antunes devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de la voir condamner à lui payer, sur le fondement des articles 1217 et1231-1 du code civil, la somme de 409 500 euros, sauf à parfaire, au titre de la réparation du préjudice subi du fait des désordres affectant les façades de l'immeuble sis [Adresse 2] à Gennevilliers.
Par jugement du 7 juin 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- déclaré irrecevable la société Bouygues, son action étant prescrite,
- condamné la société Bouygues à payer à la société Antunes la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.
Le tribunal a retenu, au visa de l'article 2224 du code civil, que l'assignation délivrée le 9 mars 2020 à la demande de la société Bouygues était irrecevable, que le point de départ du délai de prescription était le 4 avril 2012, cette dernière ayant eu connaissance des faits lui permettant d'engager l'action à l'égard de son sous-traitant depuis cette date, mais qu'elle l'avait assigné hors délai légal.
Il a relevé que la pièce n°1 de la société Bouygues intitulée « tableau de suivi des réclamations après-réception » datée du 4 avril 2012, mentionnait les réclamations de l'OPH, et que suite à ces réclamations, la société Bouygues avait adressé de nombreuses correspondances à la société Antunes et au fabricant d'enduits pour y remédier et organisé de nombreuses réunions de chantier.
Il a également rappelé que dès juillet 2012, la société Weber avait adressé un courrier à la société Antunes pour diagnostiquer et remédier aux réclamations formulées par OPH.
Par déclaration du 29 juillet 2022, la société Bouygues a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions n°1 remises au greffe le 14 février 2023 (23 pages), la société Bouygues bâtiment Île-de-France demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée irrecevable car prescrite en ses demandes,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a accordé à la société Antunes la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la déclarer la recevable et bien fondée en ses demandes,
- de condamner la société Antunes à lui payer la somme de 388 215 euros au titre de la réparation du préjudice subi du fait des désordres affectant les façades de l'immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 6], augmentée du montant des intérêts légaux à compter de la délivrance de l'assignation,
- condamner la société Antunes à lui payer la somme de 30 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, en ce compris les frais et honoraires d'expertise de M. [H],
- débouter la société Antunes de toutes demandes contraires et de sa demande d'article 700 formulée à hauteur de 5 000 euros devant la cour.
La société Bouygues estime son action recevable en ce que le point de départ de la prescription des désordres relevant de la garantie de parfait achèvement est le mois de décembre 2012 date du tableau de suivi des réclamations (et non le 4 avril 2012) et que l'assignation en référé a interrompu ce délai. De plus elle soutient que seule la demande du maître de l'ouvrage en recherche de responsabilité peut faire débuter la prescription, or ici il n'y a pas eu de réclamation judiciaire de ce dernier.
Sur le fond, elle s'appuie sur le rapport de l'expert pour affirmer que les désordres relevés par lui incombent à la société Antunes chargée du lot façade.
Aux termes de ses conclusions n°1 remises au greffe le 20 janvier 2023 (22 pages), la société Antunes demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes de la société Bouygues irrecevables et l'a indemnisée de ses frais irrépétibles,
- et sur le fond, déclarer les demandes de la société Bouygues irrecevables, car prescrites,
- en conséquence, la débouter de l'ensemble de ses prétentions,
- si de besoin,
- fixer sa propre responsabilité à 50 %
- fixer le montant des travaux de réparation à la somme de 220 000 euros
- débouter la société Bouygues de toutes demandes,
- en tout état de cause, rejeter les demandes de la société Bouygues supérieures à la somme globale de 386 745 euros,
- ramener la demande formée par la société Bouygues au titre des frais irrépétibles exposés par ses soins à de beaucoup plus justes proportions,
- condamner la société Bouygues à lui verser 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens en ce inclus les frais d'expertise.
La société Antunes reconnaît que le maître de l'ouvrage n'a pas fait de réclamation puisqu'il a conclu un protocole d'accord avec la société Bouygues mais affirme que la jurisprudence dont la partie adverse réclame l'application n'est pas applicable. Elle ajoute, se référant à sa pièce n°1, que c'est le tableau de réclamation du 15 juin 2012 qui doit être la date de début de la prescription, or même la procédure de référé du mois d'août 2017 ne pouvait interrompre un délai de prescription déjà expiré.
Sur le fond du litige, elle estime que l'expert a investigué au-delà de sa mission et que la réparation qui était d'un coût beaucoup plus modique pour un simple décrassage au départ est devenue au fil de la procédure totalement exagérée du fait de la société Bouygues qui réclame une reprise totale des façades sans justifier de cette nécessité.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2024. L'affaire a été appelée à l'audience du 17 mars 2025 et mise en délibéré au 19 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action de la société Bouygues
En application de l'article 2219 du code civil, la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.
En application des articles 2224 du code civil et L. 110-4 I du code de commerce les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer.
Il en est ainsi du recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou de son sous-traitant.
Il est admis que le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution d'une obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l'application de la prescription extinctive, avant l'introduction de la demande principale du maître de l'ouvrage.
En l'espèce, par courrier du 19 juin 2017, le maître de l'ouvrage a mis en demeure l'entreprise générale de mettre un terme aux problèmes constatés.
Cependant, il n'y a pas eu finalement de recours en justice exercé par le maître de l'ouvrage contre la société Bouygues, puisque les parties se sont rapprochées pour conclure un accord afin de reprendre les malfaçons notamment sur la façade. Aux termes de ce protocole des 19 septembre et 6 octobre 2017, ces travaux de réfection ont été mis à la charge de la société Bouygues sans aucune contrepartie financière de la part de l'OPH.
Faute de recours indemnitaire du maître de l'ouvrage, ce n'est pas un recours en garantie, au sens strict, que la société Bouygues exerce contre la société Antunes mais une action en responsabilité contractuelle contre son sous-traitant soumise à la prescription quinquennale à compter du jour où elle a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Toutefois, les agissements du maître de l'ouvrage ne peuvent être considérés comme sans incidence sur la procédure de la société Bouygues envers son sous-traitant, car il est évident que tant que l'OPH n'avait pas actionné la société Bouygues pour les désordres litigieux, cette dernière n'avait pas d'intérêt à assigner son sous-traitant ayant effectué lesdits travaux.
Quoiqu'il en soit, il faut, en application des textes précités, déterminer à quelle date les désordres dont la société Bouygues demande réparation étaient connus ou auraient dû être connus d'elle.
Le 4 avril 2012 a été dressé un « tableau de suivi des réclamations après-réception » qui indique deux réclamations, n°19 « Peintures qui s'effritent au niveau des façades » et 53 « Peinture orange de la façade qui se décolle et tâche ». Les premiers juges ont fait partir le délai de prescription de ce tableau de suivi des réclamations considérant qu'à cette date la société Bouygues connaissait l'existence des désordres.
Le courrier de mise en demeure adressé par l'OPH à la société Bouygues le 19 juin 2017 évoque « Dès le mois de juin 2012, nous vous avons alerté (') de l'apparition de salissures, de spectres et de transfert de pigment ». L'OPH ajoutait que depuis le 15 juin 2012 la peinture s'effritait au niveau des façades et la peinture orange de la façade se décollait et se tâchait.
Si, à partir de ce moment, la société Bouygues a adressé de nombreuses correspondances à la société Antunes et au fabricant d'enduits, la société Weber, pour tenter de remédier aux réclamations formées par l'OPH et a organisé des réunions sur site, il faut cependant considérer que ce n'est qu'à partir de la mise en demeure du maître de l'ouvrage, le 19 juin 2017, que la société Bouygues a pu connaître les faits lui permettant d'exercer son action à l'encontre de son sous-traitant. Le dommage ne consistant pas tant pour elle dans le fait que les désordres sur la façade étaient apparus que dans le fait que le maître de l'ouvrage la menaçait d'agir.
En effet, si la société Bouygues avait été assignée par l'OPH, la prescription aurait commencé à courir à partir de cette assignation. L'entreprise principale ne peut avoir un traitement plus défavorable pour la raison qu'elle aurait décidé de recourir à un mode alternatif des conflits en concluant un accord avec le maître de l'ouvrage.
Par suite, si besoin était, l'assignation en référé délivrée à la société Antunes le 4 août 2017 a interrompu le délai de prescription. Celle délivrée au fond le 9 mars 2020, l'a été alors que le délai de prescription n'était pas expiré.
En conséquence, l'action de la société Bouygues est recevable, le jugement est infirmé sur ce point.
Sur le fond de la demande de la société Bouygues
Le sous-traité étant un contrat d'entreprise, la responsabilité du sous-traitant à l'égard de l'entrepreneur principal est ainsi régie par le droit commun du contrat d'entreprise, les garanties légales dérivant des articles 1792 à 1792-6 du code civil n'étant susceptibles d'application que dans les rapports du maître de l'ouvrage et du locateur d'ouvrage avec lequel il a été lié contractuellement et en aucun cas dans les rapports de l'entrepreneur principal et du sous-traitant.
Il est admis de longue date que le sous-traitant est tenu à l'égard de l'entrepreneur principal d'une obligation de résultat d'exécuter un ouvrage exempt de malfaçons. La nature de l'obligation du premier à l'égard du second ne varie pas selon que la réception a ou non été prononcée, puisque la réception ne régit que les rapports de l'entrepreneur principal avec le maître de l'ouvrage. De plus, les relations entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur principal n'influent pas sur celles du sous-traitant et de son co-contractant, les contrats étant indépendants.
Il découle de cette obligation de résultat que l'entrepreneur principal n'a pas, pour engager la responsabilité de son sous-traitant, à établir l'existence d'une faute de sa part. La présomption de faute est une présomption irréfragable. De plus, l'obligation de résultat emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage.
Il incombe néanmoins à celui qui entend engager sa responsabilité d'établir que le préjudice invoqué est imputable à des travaux compris dans la sphère contractuelle sous-traitée et que le dommage s'est produit.
En l'espèce, il est constant que la société Antunes était chargée du lot façade.
La société Bouygues se fonde sur le rapport de M. [H] qui établit selon elle clairement la responsabilité de la société Antunes.
Celle-ci oppose que l'encrassement des façades et les coulures ocres sont les seuls désordres pour lesquelles l'expert a été désigné. Toujours selon elle, ce dernier s'est autosaisit des fissures en façade.
Cependant, elle reconnaît que le juge du contrôle a déclaré que l'expertise comprenait ce problème de fissures. De fait, à l'évidence, l'expert a fait ses constatations dans les limites de sa mission. La mission d'expertise s'étendait selon l'ordonnance du 15 septembre 2017 à l'ensemble des « désordres, malfaçons, non-façons et non-conformités affectant les façades de l'ensemble immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 6], mentionnés aux termes de l'assignation et des pièces qui y sont annexées » .
L'expert remarque trois types de désordres affectant les façades de l'ensemble immobilier litigieux :
- un encrassement de couleur noire qui met en relief les traces de brossage et badigeon et qui affecte de manière très importante les façades sud et est, et de manière moins importante, la façade nord, imputé à des salissures biologiques favorisées par un aspect rugueux de l'enduit dû au non-respect des préconisations du fabricant lors de l'application,
- des microfissures dues à un non-respect des règles de l'art et des préconisations du fabricant
- des traînées de couleur ocre.
Selon lui, l'encrassement résulte tant d'une mauvaise préparation de la surface que d'un défaut de mise en 'uvre des produits utilisés. Alors que le fabriquant de l'enduit préconise l'application d'une couche de 6 à 8 mm d'épaisseur, les sondages réalisés par l'expertise montre une épaisseur de 12 à 14 mm. En outre, d'après l'avis technique, l'application de l'enduit de base de marque Weber doit être soignée, ne doit présenter aucun défaut d'aspect puisque le revêtement de finition choisi ne masque aucune irrégularité. De plus, l'expert remarque que ceci a été aggravé par une application pendant la période hivernale, le séchage de l'enduit étant plus important lorsque les températures sont très basses, ce qui a été le cas eu égard aux bulletins météorologiques produits. Tout ceci a favorisé la rétention d'eau et la fixation des poussières et des micro-organismes à l'origine de l'encrassement observé.
Concernant les traînées de couleur ocre remarquées sur des zones couvertes d'un badigeon de couleur ocre, elles s'expliquent par un mauvais choix des produits car les pigments qu'ils contiennent sont inéluctablement drainés avec le ruissellement des eaux.
Pour les fissures sur les façades, l'expert a constaté une micro-fissuration au départ des angles de fenêtres généralisée à tous les angles des baies. L'expert, après sondages suffisants en attribue la cause à :
- l'absence de renfort sur les angles de baie alors même que ceci est préconisé pour le traitement des points singuliers
- un mauvais découpage du polystyrène de l'isolant de façade au droit des baies
- un retrait généré par les surépaisseurs d'enduit (12 à 14 mm au lieu des 6 à 8 mm préconisés dans la fiche technique), cause d'aggravation du phénomène.
Il ressort ainsi que la société Antunes, chargée de ces travaux, n'a ni exécuté ni livré un ouvrage exempt de malfaçons. Sa responsabilité envers la société Bouygues, pleine et entière, est engagée.
Sur le montant du préjudice, dont la réparation doit être intégrale sans pertes ni profits pour la victime, il faudra reprendre selon les règles de l'art l'ensemble des façades affectées, le simple dépoussiérage étant totalement inefficace à remédier aux problèmes. L'expert chiffre, après que seront effectués des tests d'adhérence, sur présentation des devis, les travaux de réfaction à la somme comprise entre 289 380 euros HT et 397 500 euros HT, c'est deux sommes incluant 6 % d'honoraires de maîtrise d''uvre.
Or les tests effectués par la société Bouygues, conformément aux conclusions de l'expert et information donnée à la société Antunes, se sont finalement révélés négatifs quant à l'adhérence des façades. La société Bouygues a dû faire effectuer les travaux de réfection par pelage pour une somme de 353 715 euros avec application d'un enduit armé après correction des défauts et d'une finition Webermaxilin SILT, sur la base du devis de la société Tene soumis à l'expert qui s'élevait à 375 000 euros HT.
Elle demande finalement la somme de 388 215 euros HT se décomposant ainsi :
- 353 715 euros pour les travaux de réfection des zones de façades revêtues du procédé Prodexor
- 5 560 euros pour les tests d'adhérence
- 3 440 euros pour la mission de contrôle technique
- 22 500 euros pour l'encadrement et le suivi des travaux
- 3 000 euros pour les frais d'occupation de la voirie
La société Antunes accepte de prendre en charge 353 715 euros pour les travaux de réfection des zones de façade, 5 560 euros pour les tests d'adhérence et 3 440 euros pour la mission de contrôle technique. Elle demande une diminution du montant pour l'encadrement et le suivi des travaux à 21 222 euros et à 2 808 euros, soit la somme totale de 386 745 euros. Ces deux dernières sommes ne sont pas retenues, eu égard au principe de la réparation intégrale.
En conséquence, la société Antunes est condamnée à payer la somme de 388 215 euros HT à la société Bouygues. S'agissant d'une indemnité compensatoire, les intérêts sont dus à compter de la présente décision.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société Antunes, qui succombe, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Le jugement est infirmé également sur ce point, les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société Antunes à payer à la société Bouygues une indemnité de 10 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Dit recevable la société Bouygues bâtiment Île-de-France en ses demandes ;
Condamne la société Antunes à payer à la société Bouygues bâtiment Île-de-France la somme de 388 215 euros HT avec intérêts à compter de la présente décision, en réparation de son préjudice ;
Condamne la société Antunes à payer les entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire ;
Condamne la société Antunes à payer à la société Bouygues bâtiment Île-de-France une indemnité de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Fabienne TROUILLER, Présidente et par Madame Jeannette BELROSE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,