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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 20 mai 2025, n° 24/00487

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Blue Motors (SARL)

Défendeur :

E U

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vet

Conseillers :

Mme Gaumet, M. Balista

Avocats :

Me Faivre, Me Dartier, Me Sammartano

TJ Albi, JEX, du 9 janv. 2024, n° 23/014…

9 janvier 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Par bon de commande du 5 mars 2021, M. [E] [U] a acquis auprès de la SARL Blue Motors un véhicule BMW Série 3 pour la somme de 15 550 euros incluant les frais de carte grise et de livraison, de laquelle était déduite celle de 4 000 euros au titre de la reprise d'un ancien véhicule (soit 11 550 euros au total).

Un contrôle technique effectué le 1er mars 2021, relevait une défaillance mineure relative au réglage des feux de brouillard avant, mal orientés.

La mise à disposition du véhicule est intervenue le 15 mars 2021.

Par courrier recommandé en date du 9 juin 2022, M. [E] [U] a informé la SARL Blue Motors de la rupture de la chaîne de distribution rendant nécessaire le remplacement du moteur, pour un coût de 10 087,75 euros. M. [U] a sollicité l'anéantissement de la vente au motif d'un vice caché, ainsi que le remboursement du prix de vente et des frais occasionnés.

Par courrier recommandé en date du 5 octobre 2022, la société Covea, assureur de protection juridique de M. [U], indiquant faire suite à une expertise amiable du 06 septembre 2022 à laquelle la SARL Blue Motors ne s'était pas présentée, a mis cette société en demeure de procéder sous quinze jours à l'annulation de la vente, en reprenant à ses frais le véhicule, et au remboursement de la somme de 16 116,44 euros au titre du prix de vente et des frais supportés.

Par acte du 25 juillet 2023, M. [E] [U] a fait assigner la SARL Blue Motors devant le tribunal judiciaire d'Albi aux fins de voir :

- à titre principal, juger que la vente conclue entre la SARL Blue Motors et M. [E] [U] le 15 mars 2021 est entachée d'un vice caché,

En conséquence,

- annuler la vente conclue entre la SARL Blue Motors et M. [E] [U] le 15 mars 2021 au tire d'un vice caché,

- condamner la SARL Blue Motors à payer à M. [E] [U] la somme de 15 550 euros à titre de remboursement du prix payé,

- condamner la SARL Blue Motors à payer à M. [E] [U] la somme de 566,44 euros à titre de remboursement des frais occasionnés pour M. [U],

- condamner la SARL Blue Motors à payer à M. [E] [U] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudicie moral subi,

À titre subsidiaire,

- ordonner une expertise judiciaire avec mission habituelle,

En tout état de cause,

- condamner la SARL Blue Motors à payer à M. [E] [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SARL Blue Motors aux entiers dépens.

Par jugement réputé contradictoire en date du 9 janvier 2024, le tribunal, devant lequel la SARL Blue Motors n'avait pas constitué avocat a :

- prononcé l'annulation de la vente intervenue le 15 mars 2021 portant sur le véhicule de marque BMW série 3 n° de châssis WBA3D11000J626502 entre M. [E] [U] et la SARL Blue Motors,

- condamné la SARL Blue Motors à restituer la somme de 15 550 euros à M. [E] [U]

- ordonné à la SARL Blue Motors de reprendre possession, à ses frais, du véhicule litigieux,

- condamné la SARL Blue Motors à payer à M. [E] [U] la somme de :

* 566, 44 euros à titre de dommages et intérêts,

* 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [E] [U] du surplus de ses demandes,

- condamné la SARL Blue Motors aux dépens de l'instance,

- rappelé que le jugement était exécutoire par provision de plein droit.

Par déclaration en date du 12 février 2024, la SARL Blue Motors a relevé appel de la décision en critiquant l'ensemble des dispositions.

L'affaire a fait l'objet d'une fixation à bref délai.

Suivant ordonnance du 05 décembre 2024, le conseiller faisant fonction de président de chambre a déclaré irrecevables les conclusions déposées par M. [E] [U] le 18 novembre 2024, le délai qui lui était imparti pour ce faire ayant expiré le 18 avril 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La SARL Blue Motors dans ses dernières conclusions en date du 19 novembre 2024, demande à la cour au visa des articles 1641 et suivants du code civil et des articles 904-1 et suivants, 122 et suivants du code de procédure civile, de :

- rejetant toutes conclusions contraires comme étant injustes et mal fondées.

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 janvier 2024 par le tribunal judiciaire d'Albi (RG N°23/01414 ' Minute N°05/2024),

- prononcer l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé, M. [E] [U],

- déclarer M. [E] [U] irrecevable en ses demandes, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir,

et statuant à nouveau :

- débouter M. [E] [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, - condamner M. [E] [U] à payer à la SARL Blue Motors la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [E] [U] aux entiers dépens.

M. [E] [U] dans ses dernières conclusions en date du 18 novembre 2024, demandait à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement dont appel dans l'ensemble de ses dispositions,

- débouter la SARL Blue Motors de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

à titre subsidiaire,

- ordonner une expertise du véhicule litigieux avec toute mission utile,

en tout état de cause,

- condamner Blue Motors à payer à M. [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Blue Motors aux entiers dépens,

- rappeler que l'exécution provisoire est de droit.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 février 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de droit d'agir

Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En application de l'article 954 al. 6 du même code, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.

En l'espèce, la SARL Blue Motors tire de l'irrecevabilité des conclusions de M. [U] un défaut de droit d'agir et par conséquent une irrecevabilité de ses demandes dont il estime qu'elle doit conduire la cour à ne pas examiner l'affaire au fond.

La société appelante opère toutefois une confusion dans la mesure où, du fait de l'irrecevabilité de ses conclusions, l'intimé est seulement privé du droit de faire valoir des moyens de droit et de fait devant la cour ainsi que de déposer des pièces et est présumé s'approprier les motifs du jugement déféré et en solliciter la confirmation, sans que l'irrecevabilité de ses écritures influe sur son droit à agir, qui ne dépend en l'espèce que de sa qualité non contestée de propriétaire du véhicule vendu par l'appelante.

La fin de non-recevoir soulevée par la SARL Blue Motors sera en conséquence rejetée.

2. Sur la demande d'infirmation du jugement entrepris

Pour faire droit à la demande d'annulation de la vente formée par l'intimé sur le fondement de la garantie des vices cachés du vendeur, le premier juge a considéré que M. [U] établissait l'existence d'un vice caché préalable à la vente de nature à rendre le véhicule impropre à son usage en produisant une expertise extra-judiciaire que le juge ne pouvait refuser d'examiner, ainsi qu'un devis établi par le garage Pelras consécutivement à la panne du 05 mai 2022 portant sur des prestations de recherche des dérangements et chiffrage de travaux de réparation après dépose et repose de la culasse.

Pour conclure à l'infirmation de cette décision, la SARL Blue Motors soutient que le tribunal a fait une appréciation erronée des faits qui lui étaient soumis. La société appelante ne conteste pas le fait que la panne du véhicule litigieux trouve son origine dans une rupture de la chaîne de distribution du moteur, ni que cette panne ait rendu le véhicule impropre à sa destination. Elle soutient qu'en revanche il n'est pas établi que le vice ayant occasionné cette panne était antérieur à la vente ou qu'il existait lorsqu'elle a été conclue.

Elle fait valoir que :

- le rapport d'expertise établi le 07 septembre 2022 à la demande de l'assureur de protection juridique de M. [U] dans lequel il est affirmé que l'usure de la chaîne a pris naissance bien avant la vente du véhicule à l'intimé ne précise pas les causes de l'usure, ni si elle présente un caractère normal ou anormal,

- alors que le constructeur préconise un remplacement de la chaîne à 100 000 km, M. [U] n'y a pas fait procéder alors que le véhicule a atteint ce kilométrage lorsqu'il en était déjà propriétaire,

- alors que le constructeur préconise une révision tous les deux ans ou à chaque 25 000 km, M. [U] a fait procéder au premier entretien du véhicule avec un dépassement d'un an,

- l'absence de justificatif d'entretien antérieur à la vente est indifférente pour déterminer la cause de la panne, l'historique BMW permettant de déterminer les interventions effectuées sur le véhicule, ainsi que les a relevées l'expert,

- l'huile moteur 5W30 utilisée par la SAS Assistance Auto 31 lors de la vidange intervenue 14 608 km après la vente est non conforme à l'huile 0W30 préconisée par le constructeur, ce manquement aux préconisations du constructeur étant susceptible d'être à l'origine de la rupture de la chaîne de distribution,

- le contrôle approfondi de 54 points effectué le 16 avril 2022 par le garage Feu Vert n'a pas mis en évidence de désordre, alors que le dysfonctionnement de la chaîne de distribution provoque divers symptômes et notamment une perte de puissance et un démarrage difficile.

Sur ce,

L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

L'article 1644 du même code prévoit que dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

Il est de jurisprudence constante que la charge de la preuve d'un vice, antérieur à la vente et qui rend la chose impropre à sa destination pèse sur l'acquéreur.

En l'espèce, le rapport d'expertise établi le 07 septembre 2022 par l'expert mandaté par l'assureur de protection juridique de M. [U] fait apparaître que le chaîne de distribution est cassée et que le moteur présente des stigmates de cette rupture (jeu important entre les maillons de la chaîne, traces d'impacts sur les soupapes, cassure des 4 linguets de distribution, support d'arbre à came fendu au niveau du cylindre N°1). L'expert conclut que compte tenu de ses constatations et des éléments portés à sa connaissance, il estime que l'usure de la chaîne a pris naissance bien avant la vente du véhicule à M. [U]. Il justifie cette conclusion par le fait qu'il ne dispose d'aucun justificatif d'entretien avant la vente, ajoutant que selon l'historique BMW, la première révision a été effectuée avec un dépassement temporel d'un an. L'expert précise qu'une telle usure n'a pu intervenir en seulement 28 231 km depuis la vente, alors que M. [U] a fait effectuer une vidange intermédiaire 14 608 km après la vente. Il en déduit qu'un défaut d'entretien non imputable à M. [U] est à l'origine des désordres et que le garage Blue Motors doit prendre en charge le remplacement du moteur.

Les conclusions de l'expert apparaissent peu étayées techniquement et n'ont pu être soumises à la critique de la SARL Blue Motors qui n'a pu faire valoir les contestations qu'elle invoque dans ses écritures et qui contredisent avec pertinence les conclusions de l'expert.

Au surplus, il convient de relever que l'expertise extra-judiciaire confiée à M. [V], n'a pas été effectuée au contradictoire de la société appelante qui, bien que convoquée aux opérations du 06 septembre 2022 n'était pas présente. Quand bien même cette expertise a été menée par un expert inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Toulouse, il n'est pas permis d'en tirer l'existence d'un vice rédhibitoire antérieur à la vente en l'absence d'autre élément corroborant une telle antériorité. À cet égard, les devis de recherches de panne et de propositions de réparation établis par le garage Pelras à la demande de M. [U] ne peuvent être considérés comme des pièces corroborant suffisamment l'expertise en ce que notamment, ils ne permettent aucune datation sérieuse de l'apparition des désordres sur la chaîne de distribution.

Il n'est ainsi pas démontré que les conditions d'un anéantissement rétroactif de la vente telles que prévues aux dispositions sus-visées seraient réunies.

La décision entreprise sera en conséquence infirmée en toutes ses dispositions.

M. [U] perdant le procès en appel, il en supportera les dépens.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la SARL Blue Motors la charge des frais qu'elle a exposés en appel et cette société sera déboutée de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de sa saisine,

- Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de droit d'agir de M. [E] [U] soulevée par la SARL Blue Motors,

- Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Albi le 09 janvier 2024 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

- Condamne M. [E] [U] aux dépens d'appel,

- Déboute la SARL Blue Motors de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

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