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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 16 mai 2025, n° 22/17700

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agence Full Content (SARL)

Défendeur :

Plebicom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Neveu, Me Teytaud, Me Lecussan

T. com. Paris, du 12 sept. 2022, n° 2020…

12 septembre 2022

FAITS ET PROCEDURE

La SA Plebicom, qui exerce une activité de commerce électronique sur internet, est spécialisée dans les programmes de fidélisation de clients. Elle exploite notamment les sites internet www.ebuyclub.com, www.edengo.com et www.cashstore.fr, ainsi que des sites en marque blanche, qui sont des galeries marchandes virtuelles permettant aux internautes d'effectuer des achats sur les sites marchands ou enseignes affiliées en bénéficiant de réductions sous la forme de "cashback", c'est-à-dire une rétrocession d'une partie du prix payé.

La SARL Agence Fullcontent est une agence éditoriale spécialisée dans la production de contenus optimisés SEO. Elle aide ses clients à digitaliser leur communication globale.

Le 29 décembre 2015, la société Fullcontent et la société Plebicom ont signé un contrat ayant pour objet de "de déterminer les conditions techniques, financières et juridiques dans lesquelles FULLCONTENT cède au client, à titre exclusif, un ensemble de droits attachés aux contenus commandés par le Client, élaborés sur sa demande, concède à titre non exclusif les services et l'utilisation d'un système nécessaire à leur délivrance et fournit des prestations afférentes." Concrètement, la société Fullcontent devait fournir des Contenus et des prestations SEO, sur lesquels elle cédait ses droits, sur commande de la société Plebicom.

Le contrat prenait effet rétroactivement au 24 novembre 2015, pour une durée de trois ans, tacitement reconductible, la première année de contractualisation étant fixée du 24 novembre 2015 au 31 janvier 2017. Les parties étaient, par ailleurs, convenues de la possibilité de mettre un terme au contrat à l'issue de la première année, moyennant le respect d'un préavis minimum de trois mois, notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Le contrat été reconduit par périodes successives de trois ans, et pour une ultime période à compter du 1er février 2019.

Le 20 novembre 2019, les parties ont signé un avenant modifiant certaines clauses du contrat afférentes à la production éditoriale, au budget et à la facturation. Il était précisé que cet avenant entrerait en vigueur le 1er février 2020.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, datée du 23 décembre 2019, la société Plebicom a notifié à la société Fullcontent la résiliation du contrat, avec un préavis de trois mois, au motif que son client, la société Bonne Journée Up, pour le compte duquel les prestations étaient réalisées, avait cessé de lui passer des commandes.

Suivant exploit du 2 octobre 2020, la société Fullcontent a fait assigner la société Plebicom devant le tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir sa condamnation à l'indemniser de son préjudice consécutif à la résiliation fautive du contrat et, subsidiairement, d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Par jugement en date du 12 septembre 2022, le tribunal a :

- Débouté la société Fullcontent de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture contractuelle,

- Débouté la société Fullcontent de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie,

- Condamné la société Fullcontent à payer à la société Plebicom la somme de 3.000 ' en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- Condamné la société Fullcontent aux dépens.

La SARL Agence Fullcontent a formé appel du jugement, par déclaration du 13 octobre 2022.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 4 juillet 2023, elle demande à la Cour, au visa des articles 1103, 1104, 1188, 1191 et suivants, 1193, 1212, 1231-1 et 1231-2 du code civil, de l'article 442-6-5° du code de commerce, et des articles 514 et 700 du code de procédure civile, de :

"INFIRMER le jugement dont appel en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau, de

Débouter la société PLEBICOM de toutes ses demandes à toutes fins qu'elles comportent.

Recevoir et dire bien fondée, la société AGENCE FULLCONTENT en toutes ses demandes et en conséquence :

1. Recevoir l'intégralité des moyens et prétentions de la société appelante.

2. Juger que la résiliation du contrat effectuée par la société Plebicom par courrier daté du 23 décembre 2019 était fautive car prématurée par rapport au terme conventionnel fixé au 31 janvier 2021.

A titre subsidiaire,

Juger que le respect d'un préavis limité à trois mois était insuffisant pour préserver les droits de la société Agence Fullcontent et que la rupture prononcée par la société Plebicom doit s'analyser comme une rupture déloyale et brutale, constitutive de préjudices.

En conséquence, dans tous les cas, principal et subsidiaire,

3. Condamner dans tous les cas, la société Plebicom à payer à la société Agence Fullcontent, des dommages et intérêts à hauteur de 13.733 '.

4. Ordonner que les condamnations soient augmentées des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 24 février 2020, dont la capitalisation par année entière sera ordonnée.

5. Condamner la société Plebicom à payer à la société Agence Fullcontent, la somme de 7.000 ' au titre des frais irrépétibles de 1ère instance et d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

6. Condamner la société Plebicom aux entiers dépens donc distraction au profit de Me Pascaline NEVEU, Avocat aux offres de droit en vertu de l'article 699 du Code de procédure civile."

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 5 avril 2023, la SA Plebicom demande à la Cour, sur le fondement des articles 1103, 1188, 1210, 1211, 1214 et 1215 du code civil et de l'article L.442-1, II (ancien article L.442-6-I, 5°) du code de commerce, de :

"- JUGER que Plebicom a résilié le contrat conformément aux prévisions contractuelles ;

- JUGER que la rupture du contrat par Plebicom n'est ni abusive, ni brutale ;

- JUGER que la demande d'indemnisation du prétendu préjudice subi par Fullcontent n'est pas établie dans son principe, ni justifiée dans son montant et qu'il n'y a pas de lien de causalité entre le préjudice allégué et la résiliation ;

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 12 septembre 2022 en

toutes ses dispositions ;

- DEBOUTER Fullcontent de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

- CONDAMNER Fullcontent à payer à Plebicom la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER Fullcontent aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître François Teytaud, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile."

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 décembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la résiliation abusive du contrat

Enoncé des moyens

La société Fullcontent prétend que la résiliation du contrat est abusive, en raison de la mauvaise foi de la société Plebicom, dont le comportement a été déloyal.

Elle fait valoir, en premier lieu, que le motif invoqué par la société Plebicom selon lequel son client, la société Bonne Journée Up, a cessé de lui passer des commandes, est mensonger. Elle souligne, à cet égard, que le contrat ne fait mention d'aucun client spécifique de la société Plebicom, et que celle-ci était, en tout état de cause, en mesure de contraindre la société Bonne Journée Up de respecter ses propres obligations contractuelles, de sorte qu'elle n'est pas fondée à soutenir que le contrat litigieux était devenu sans objet. Elle conteste, de surcroît, l'affirmation de la société Plebicom selon laquelle son contrat avec la société Bonne Journée Up aurait été rompu, et soutient inversement que leur partenariat s'est poursuivi jusqu'en 2020, voire jusqu'à l'année 2021.

Elle prétend, en second lieu, que les parties s'étaient engagées, aux termes de l'avenant du 20 novembre 2019, à poursuivre leurs relations contractuelles sur la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021, ce qui excluait que la société Pleblicom puisse y mettre fin seulement un mois plus tard. Plus précisément, selon elle, le droit de résilier le contrat moyennant le respect d'un préavis de trois mois ne trouvait pas à s'appliquer avant l'écoulement de la période supplémentaire d'un an prévue par l'avenant. Elle explique qu'elle avait accepté, dans le cadre de cet avenant, de faire des concessions, en contrepartie d'un engagement de la société Pleblicom sur la durée.

La société Plebicom réplique qu'elle a respecté les conditions de résiliation prévues par l'article 9 du contrat, prévoyant le respect d'un délai de préavis de trois mois. Elle estime, pour sa part, que l'avenant du 20 novembre 2019 ne modifie en rien la durée et les conditions relatives à la résiliation, prévues par le contrat initial, faute de stipulation contraire. Elle prétend que celui-ci a ainsi poursuivi son cours, et que les parties étaient libres d'y mettre fin à tout moment, à compter du 1er février 2017, soit après la première année de contractualisation.

Elle expose que l'application du contrat était conditionnée aux contenus commandés pour le compte de son client, la société Bonne Journée Up, qui lui avait demandé, lors d'une réunion du 18 décembre 2019, de réduire le périmètre global des prestations à compter du 1er janvier 2020, avant de mettre un terme à leur partenariat, cette décision étant intervenue postérieurement à la signature de l'avenant. Elle explique que le contrat était, dès lors, devenu sans objet et qu'elle a dû prendre en charge le coût des prestations de la société Fullcontent réalisées au cours de la période de préavis. Elle soutient qu'elle était, en tout état de cause, libre de rompre le contrat pour convenance, en usant de la faculté de résiliation qui lui était offerte, sans avoir à motiver sa décision. Elle en conclut qu'aucun abus ne saurait lui être reproché.

Réponse de la Cour

En application de l'article 1192 du code civil, on ne peut interpréter les clauses claires et précises d'un contrat à peine de dénaturation.

En l'occurrence, l'avenant signé le 20 novembre 2019 expose en préambule que les parties ont souhaité "modifier certaines clauses du contrat". Il prévoit que durant la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021, la prestation vidéo sera annulée (article 1 - Production éditoriale), et que sera alloué un budget total de 20.400 ' HT (article 2.1 ' Budget).

Il précise, sans autre indication de durée, que la facturation mensuelle des prestations s'élèvera à 1.700 ' HT par mois (article 2.2 ' Facturation).

L'article 3, relatif à la date d'effet de l'avenant, stipule qu'il entrera en vigueur à compter du 1er février 2020.

Enfin, il est indiqué à l'article 4 que "Les autres dispositions du Contrat qui n'ont pas été modifiées par le présent avenant demeurent inchangées."

L'article 10.1 du contrat signé initialement le 29 décembre 2015 est lui-même libellé dans les termes suivants :

"Le présent contrat prend effet rétroactivement au 24 novembre 2015 pour une durée de 3 ans avec tacite reconduction. La 1e année est fixée du 24 novembre 2015 au 31 janvier 2017. Une sortie est possible avec un préavis de 3 mois en RAR au bout de la 1e année de contractualisation."

Il résulte de ces stipulations que l'avenant modifie les clauses du contrat afférentes au contenu de la production éditoriale ainsi qu'aux montants du budget et de la facturation mensuelle, applicables à compter de son entrée en vigueur, le 1er février 2020, pour une période d'un an, jusqu'au 31 janvier 2021.

Cependant, faute de stipulation contraire, il ne remet pas en cause les stipulations du contrat initial, relatives à sa durée et aux conditions de sa résiliation. Aussi, c'est de manière erronée que la société FullContent prétend que les parties se seraient engagées pour une période irrévocable d'une année supplémentaire.

En tout état de cause, comme l'a relevé le tribunal de commerce, au jour où la société Plebicom a notifié la résiliation du contrat, le 23 décembre 2019, l'avenant n'était pas encore entré en vigueur, de sorte que les conditions initiales prévues par le contrat avaient seules vocation à s'appliquer.

Passée la première année de "contractualisation", soit à compter du 1er février 2017, la société Plebicom était donc en droit de résilier librement le contrat, quand bien même il avait été tacitement reconduit pour trois années supplémentaires, à compter du 1er février 2019, sous réserve de notifier sa décision par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, et de respecter un préavis de trois mois.

Les formes de la notification et le délai de préavis ayant été respectés, il ne saurait donc être reproché à la société Plebicom de ne pas s'être conformée aux stipulations contractuelles.

En application de l'article 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable à la date de la signature du contrat, auquel se substitue l'actuel article 1104, les conventions doivent être exécutées de bonne foi.

La lettre du 23 décembre 2019, adressée par la société Plebicom, précise que la résiliation du contrat est motivée par l'arrêt des commandes de prestations par sa cliente, la société Bonne Journée Up.

Le contrat du 29 décembre 2015 ne précise pas explicitement que les prestations commandées par la société Plebicom devaient être réalisées pour le compte de cette société ni d'un autre client final. En préambule, le contrat stipule, cependant, que "Le Client (la société Plebicom), qui exerce l'activité principale de services de fidélisation et de monétisation en ligne, s'est déclaré intéressé par les prestations de FULLCONTENT dont il entend notamment faire bénéficier son client (')". Et la société Fullcontent n'ignorait pas que, dans les faits, les commandes étaient passées pour le compte de la société Bonne Journée Up, ce dont témoignent les courriels des 16 et 17 février 2016.

La société Plebicom justifie, au vu des échanges mails avec la société Bonne Journée Up des 23 et 24 décembre 2019, que la nouvelle direction de sa cliente avait défini un nouveau cadre stratégique, depuis le mois de juillet précédent, ce qui avait donné lieu à des entretiens, le 6 septembre 2019, au cours desquels la société Bonne Journée Up avait notamment exprimé sa volonté de diminuer le montant des prestations.

La société Fullcontent avait ainsi été avertie par la société Plebicom, dès le 30 septembre 2019, que sa cliente souhaitait arrêter la production vidéo à compter du 1er février 2020, tandis que la prestation d'articles était maintenue en l'état.

Des échanges de mails entre la société Fullcontent et la société Plebicom ayant pour objet la modification du périmètre des prestations ont eu lieu, ensuite, jusqu'au 12 novembre 2019. Ils ont abouti à la signature de l'avenant du 20 novembre 2019, aux termes duquel les parties sont convenues de restreindre le contenu de la production éditoriale, en supprimant notamment la prestation vidéo, et de réviser les conditions financières du contrat, à compter du 1er février 2020.

Les prévisions d'approvisionnement devaient, néanmoins, être rapidement remises en cause. La société Plebicom démontre, en effet, avoir tenu une nouvelle réunion avec la société Bonne Journée Up, le 18 décembre 2019, dont les comptes-rendus retranscrits dans les mails des 23 et 24 décembre 2019 révèlent que sa cliente, faisant état de l'arrivée à échéance du contrat au 31 décembre 2019, avait exprimé encore une fois sa volonté de diminuer le montant des prestations, pour ne conserver que les plus essentielles d'entre elles, et lui avait demandé d'établir de nouvelles propositions budgétaires.

Comme le fait valoir la société Plebicom, c'est la raison pour laquelle celle-ci a résilié le contrat quelques jours après cette réunion, le 23 décembre 2019, avant même l'entrée en vigueur de l'avenant.

Il est, par ailleurs, justifié que la relation contractuelle entre la société Plebicom et la société Bonne Journée Up a pris fin à l'issue des négociations, celle-ci ayant réaffirmé son souhait, dans un mail du 18 décembre 2020, de mettre un terme à leur partenariat. Contrairement à ce que soutient l'appelante, il n'est pas pour autant établi que la relation aurait duré jusqu'en 2020 ou 2021. Les termes du courriel, bien qu'il soit daté seulement du mois de décembre 2020, sont en effet explicites : ils portent sur les modalités de clôture du partenariat, telles que la récupération des cagnottes ou encore l'effacement de données, et font allusion à une collaboration d'une durée de quatre années, ce qui suppose que celle-ci se soit achevée à la fin de l'année 2019, les premières commandes ayant été passées au mois de novembre 2015, concomitamment à la conclusion du contrat entre la société Plebicom et la société Fullcontent.

Bien que la signature de l'avenant ait pu laisser espérer à cette dernière que la relation contractuelle avait vocation à être poursuivie, au moins dans l'immédiat, il apparaît que le motif de la résiliation du contrat n'avait ainsi rien de fallacieux et que la société Plebicom, qui était dans l'ignorance des intentions de sa cliente, n'a pas fait preuve de déloyauté. Comme il a été dit, l'avenant n'avait pas lui-même valeur d'engagement irrévocable de la société Plebicom, et celle-ci n'avait pas non plus incité la société Fullcontent à procéder à des investissements supplémentaires.

En tout état de cause, il n'est pas démontré que la société Plebicom aurait été en mesure de contraindre la société Bonne Journée Up à prolonger leur partenariat, alors que le contrat conclu avec celle-ci arrivait à échéance, ou qu'elle aurait pu fournir les prestations à un autre client étant souligné que la société Fullcontent ne conteste pas qu'elles n'avaient jamais eu d'autre destinataire.

Il ne saurait donc être reproché à la société Plebicom d'avoir manqué à la bonne foi contractuelle et commis un quelconque abus.

Le jugement sera, dès lors, confirmé en ce qu'il a débouté la société Fullcontent de sa demande de dommages et intérêts.

Sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie

Enoncé des moyens

La société Fullcontent allègue, à titre subsidiaire, avoir été victime d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, 5°, du code de commerce. Elle prétend ainsi que le délai de préavis de trois mois qui lui a été accordé était insuffisant au regard de la durée de cinq années de la relation, du caractère reconductible du contrat et de l'avenant du 20 novembre 2019 valant engagement pour une année supplémentaire. Elle se prévaut de la résiliation abusive du contrat et estime son préjudice à un montant équivalent à sa perte de marge brute sur une durée de dix mois.

La société intimée réplique que le délai de préavis concédé présentait un caractère suffisant pour permettre à la société Fullcontent de se réorganiser, compte tenu de la durée de la relation, de quatre ans et quatre mois, de la nature du marché et de l'absence de dépendance économique de son partenaire commercial. Elle fait valoir que le préjudice allégué n'est, en tout état de cause, pas démontré.

Réponse de la Cour

Le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, qui interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir à l'égard du débiteur des règles propres de la responsabilité délictuelle, n'empêche pas la victime d'invoquer alternativement le droit des contrats et les dispositions du code de commerce sanctionnant la rupture brutale d'une relation commerciale établie, dont le fondement tiré des pratiques commerciales restrictives prohibées est autonome.

L'article L. 442-1, II, du code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable au jour de la rupture de la relation, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

Ce texte précise qu'en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

- Sur l'existence d'une relation commerciale établie

Une relation commerciale établie présente un caractère suivi, stable et habituel et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité

Dans le cas présent, le caractère établi de la relation n'est pas discuté. Le contrat signé initialement entre les parties est entré en vigueur rétroactivement à compter du 24 novembre 2015, de sorte qu'à la date de la résiliation, notifiée le 23 décembre 2019, la relation durait depuis quatre ans et un mois.

Compte tenu de l'ancienneté de cette relation, la société Fullcontent pouvait ainsi espérer que celle-ci se poursuivrait au cours de l'année 2020, cela d'autant plus que les parties avaient conclu un avenant, le 20 novembre 2019, organisant l'avenir de leur partenariat, encore qu'il ne valait aucun engagement sur la durée.

- Sur le caractère brutal de la rupture

Le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte notamment de la durée de la relation commerciale, mais également des autres circonstances notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée (Com., 20 mai 2014, n° 13-16.398, publié au Bulletin).

Il vise à permettre au partenaire évincé de préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement.

En tout état de cause, l'existence d'une stipulation contractuelle de préavis ne dispense pas le juge, s'il en est requis, de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de l'ensemble de ces éléments.

Comme exposé, la durée de la relation commerciale établie était, en l'espèce, de quatre années et un mois, au jour où de la rupture, de telle sorte qu'il doit être tenu compte de cette ancienneté.

Il n'en demeure pas moins que la société Fullcontent, qui sollicite le bénéfice d'un préavis de dix mois supplémentaires, n'explique aucunement en quoi elle n'aurait pas été en mesure de se réorganiser durant la durée du préavis contractuel.

Elle n'apporte ainsi aucune précision concernant la part de chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la société Plebicom.

La Cour relève que le contrat inclut une obligation de non-concurrence, la société Fullcontent s'étant engagée à ne pas contracter avec une société du même secteur d'activité que la société Plebicom, à savoir les chèques cadeaux et tickets restaurants, pendant la durée du contrat et les trois années suivant son expiration.

Il ne prévoit, pour autant, aucune clause d'exclusivité, de sorte que la société Fullcontent restait en capacité de diversifier ses activités pour s'implanter sur un marché plus vaste, couvrant le secteur général des prestations informatiques, celui-ci étant à la fois ouvert et concurrentiel.

Il résulte de ce qui précède que la société Fullcontent ne se trouvait pas dans l'impossibilité de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente à la relation nouée avec la société Plebicom.

Il y a lieu d'estimer, dans ces conditions, que l'état de dépendance économique de la société Fullcontent n'est pas caractérisé et que, nonobstant l'ancienneté de la relation commerciale, le préavis d'une durée de trois mois concédé par la société Plebicom était suffisant.

Le jugement sera corrélativement confirmé du chef du rejet de la demande d'indemnisation de la société Fullcontent.

Sur les autres demandes

La société Fullcontent succombant au recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d'appel, la Cour la condamnera aux dépens, dont distraction au profit de maître François Teytaud ainsi qu'à payer à la société Plebicom une indemnité de 3.500 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à Cour,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SARL Agence Fullcontent aux dépens de l'appel, dont distraction au profit de maître François Teytaud,

CONDAMNE la SARL Agence Fullcontent à payer à la SA Plebicom la somme de 3.500 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

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