CA Bourges, 1re ch., 16 mai 2025, n° 24/00600
BOURGES
Arrêt
Autre
VS/OC
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
- SELARL EDL AVOCAT
- SAS DROUOT AVOCATS
Copie par courriel :
- Maître [S] [P]
EXPÉDITION TJ
LE : 16 MAI 2025
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 16 MAI 2025
N° RG 24/00600 - N° Portalis DBVD-V-B7I-DVAA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de BOURGES en date du 13 Juin 2024
PARTIES EN CAUSE :
I - Mme [A] [X] [D] épouse [Y]
née le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 20]
[Adresse 6]
[Localité 17]
- Mme [I] [D]
née le [Date naissance 10] 1984 à [Localité 20]
[Adresse 8]
[Localité 4]
- M. [O] [D]
né le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 20]
[Adresse 1]
[Localité 5]
- M. [F] [D]
né le [Date naissance 12] 1997 à [Localité 21]
[Adresse 19]
[Adresse 19]
[Localité 16]
Représentés par Me Eric LAGUERENNE de la SELARL EDL AVOCAT, avocat au barreau de BOURGES
Plaidants par Me Estelle GARNIER, avocat au barreau D'ORLEANS
timbre fiscal acquitté
APPELANTS suivant déclaration du 01/07/2024
II - Mme [T] [D]
née le [Date naissance 11] 1961 à [Localité 20]
[Adresse 9]
[Localité 5]
- S.C.E.A. SCEA DU PRIEURE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:
[Adresse 18]
[Localité 5]
Représentés et plaidants par Me Marie MANDEVILLE de la SAS SAS DROUOT AVOCATS, avocat au barreau de BOURGES
timbre fiscal acquitté
INTIMÉS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Février 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CLEMENT, Présidente chargée du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Odile CLEMENT Présidente de Chambre
M. Richard PERINETTI Conseiller
Mme Marie-Madeleine CIABRINI Conseillère
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
***************
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
**************
EXPOSÉ
Par acte sous seings privés du 8 novembre 1988 à [Localité 5], il a été créé une société civile d'exploitation agricole, dénommée SCEA DU PRIEURE, entre six frères et soeurs, [M], [G], [L], [Z], [T] et [K] [D].
Suivant délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 28 juillet 1992, les six associés ont voté à l'unanimité la modification de l'article 23 des statuts relatif à la répartition des bénéfices de la société, ce bénéfice étant désormais réparti de façon égalitaire entre les seuls associés travaillant pour le compte de la SCEA, à savoir alors MM. [M] et [Z] [D], auxquels s'est ajoutée Mme [T] [D] en 1994.
En 2006, M. [M] [D] est tombé malade. Estimant qu'il ne travaillait plus à l'exploitation, M. [Z] [D] et Mme [T] [D] ne lui ont pas versé sa part de bénéfices, ce qu'il a contesté devant le tribunal de grande instance de Bourges, lequel a, par jugement du 10 mai 2012, considéré qu'il était, nonobstant sa maladie, en activité au sein de la SCEA et a annulé les délibérations des assemblées générales ordinaires des 5 février 2008, 22 juillet 2009 et 9 mars 2011, dit que le bénéfice des années 2007 à 2010 devait être réparti de façon égalitaire entre les trois associés exploitants, et a condamné M. [Z] [D] et Mme [T] [D] à verser à M. [M] [D] une somme de 30 000 ' à titre de dommages et intérêts.
[G] [D] est décédé le [Date décès 13] 2012.
[M] [D] est décédé le [Date décès 14] 2012.
Les statuts de la société ont été mis à jour le 13 novembre 2014 afin de tenir compte des cessions de parts et modification du capital.
[Z] [D] est décédé le [Date décès 7] 2017.
Le capital social de la SCEA du Prieuré est actuellement détenu par :
' Mmes [A] et [I] [D] et M. [O] [D], venant aux droits de leur père décédé, [Z] [D], à hauteur de 4046 parts sociales ;
' M. [F] [D], venant aux droits de son père décédé, [G] [D], à hauteur de 1902 parts sociales ;
' Mme [T] [D], à hauteur de 3804 parts sociales.
Mme [T] [D] exerce les fonctions de gérante, et est seule exploitante depuis le décès de ses deux frères.
Suivant délibération de l'assemble générale ordinaire du 28 février 2019, le résultat comptable de l'exercice clos au 31 août 2018, soit la somme de 176 845,70 ', a été 'affecté aux associés ayant travaillé dans l'exploitation conformément aux règles établies de manière dérogatoire à l'article 23 des statuts aux termes de l'AGE du 28 juillet 1992", soit au profit de Mme [T] [D].
Il en a été de même pour l'exercice clos au 31 août 2019, suivant délibération du 27 février 2020, le bénéfice de 114.675,91 ' étant affecté à Mme [T] [D].
Ces deux délibérations ont été approuvées grâce au pouvoir donné par M. [F] [D], alors très jeune, à sa tante Mme [T] [D], l'indivision [Z] [D] représentée par Mmes [A] et [I] [D] et M. [O] [D], ayant voté contre.
Mmes [A] et [I] [D] et M. [O] [D], ainsi que M. [F] [D] (ci-après les consorts [D]) ont saisi le tribunal judiciaire de Bourges aux fins de voir principalement :
- avant dire droit, désigner un mandataire ad'hoc à la SCEA du Prieuré,
Au fond,
- annuler ces deux délibérations prises en violation des statuts, la délibération du 28 juillet 1992 leur étant inopposable,
- ordonner que les deux résultats bénéficiaires seront répartis conformément aux dispositions légales et aux articles 8 et 23 des statuts au profit de l'ensemble des associés au prorata de leurs parts dans le capital social,
- enjoindre à Mme [T] [D] de rapporter la liste précise des conventions réglementées au cours des cinq derniers exercices, sous astreinte,
- condamner Mme [T] [D] à verser à Mmes [A], [I] et M. [O] [D] la somme de 137.420,87 ' au titre des exercices clos au 31 août 2018 et 31 août 2019 et les sommes provisionnelles de 30 000 ' au titre des exercices clos au 31 août 2020 et 2021 et de 15 000 ' au titre de l'exercice clos au 31 août 2022 et à M. [F] [D] la somme de 56 857,48 ', et les sommes provisionnelles de 5 000 ', 5000 ' et 2 500 ',
- vu l'article 1843-5 du code civil, condamner Mme [T] [D] à payer à la SCEA du Prieuré les sommes de 80.672,23 ' et 143.755 ' à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices matériels et financiers,
- ordonner la révocation judiciaire de Mme [T] [D] de ses fonctions de gérante de la SCEA et nommer un administrateur provisoire en vue de convoquer une assemblée générale aux fins de restatuer sur l'affectation des deux résultats bénéficiaires et désigner un nouveau gérant.
Par jugement du 13 juin 2024, le tribunal judiciaire de Bourges a :
- donné injonction aux parties de rencontrer M. [E] [R], médiateur ['],
- rejeté la demande de désignation d'un mandataire ad hoc,
- débouté Mmes [A], [I] et MM. [O] et [F] [D] de leur demande d'indemnisation,
- débouté Mmes [A], [I] et MM. [O] et [F] [D] de leur demande de révocation de Mme [T] [D], gérante de la SCEA du Prieuré,
- débouté les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné que chaque partie conservera les charges des dépens exposés,
- rappelé l'exécution provisoire de droit de la décision,
- rejeté toutes les autres demandes.
Suivant déclaration d'appel du 1er juillet 2024, les consorts [D] ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il rejette la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc, les déboute de leur demande d'indemnisation et de révocation de Mme [T] [D], gérante de la SCEA du Prieuré, les déboute de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, ordonne que chaque partie conservera la charge de ses dépens et rejette toutes les autres demandes.
Dans leurs dernières conclusions n°3 signifiées le 6 février 2025, les consorts [D] demandent à la cour de :
Avant dire droit, vu l'article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, écarter des débats et ordonner la suppression de la mention « faute pour les consorts [D] d'accepter de supporter leurs parts des frais liés à cette médiation » des conclusions adverses, en raison de sa confidentialité.
INFIRMER le jugement entrepris du 13 juin 2024 en ce qu'il :
- rejette la demande de désignation d'un mandataire ad hoc,
- déboute Mmes [A], [I] et MM [O] et [F] [D] de leur demande d'indemnisation,
- déboute Mmes [A], [I] et MM [O] et [F] [D] de leur demande de révocation de Mme [T] [D] gérante de la SCEA DU PRIEURE,
- déboute les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de
procédure civile ;
- ordonne que chaque partie conservera les charges des dépens exposés,
- rappelle l'exécution provisoire de droit de la présente décision,
- rejette toutes les autres demandes.
Et statuant à nouveau,
AVANT DIRE DROIT, désigner dès à présent un mandataire ad hoc à la SCEA DU
PRIEURE pour que celle-ci soit régulièrement représentée à la présente procédure.
ORDONNER que les honoraires du mandataire seront supportés par la SCEA DU PRIEURE.
AU FOND, et au principal,
Vu les articles 1128 et suivants, 1240, 1843-5, 1844-1, 1851 al 2 du Code civil,
vu les articles 8 et 23 des statuts, tels que mis à jour en 2014,
vu l'article 17 des statuts et l'article 1855 du code civil,
PRONONCER la nullité des délibérations prises lors des assemblées générales du 28 février 2019 et du 27 février 2020, pour abus de majorité, en violation des dispositions statutaires et légales en vigueur, au besoin après avoir constaté que toute autre délibération contraire, notamment une délibération en date du 28 juillet 1992, serait inopposable aux actuels associés de la SCEA DU PRIEURE.
ORDONNER que les 2 résultats bénéficiaires des exercices clos au 31 août 2018 et au 31 août 2019 seront donc répartis conformément aux dispositions légales et aux articles 8 et 23 des statuts actuellement en vigueur, au profit de l'ensemble des associés, au prorata de leurs parts dans le capital social,
ENJOINDRE à Mme [T] [D] de communiquer immédiatement à ses 4 associés
et au mandataire ad hoc :
' le grand livre de l'exercice 2023
' le grand livre de l'exercice 2024
' les bilans détaillés des exercices 2020 à 2024 inclus
' les rapports spéciaux détaillés de toutes les conventions spéciales la concernant au titre
des exercices 2020 à 2024 inclus
' les rapports généraux détaillés sur tous les exercices 2020 à 2024 inclus
' les déclarations de récolte des années 2020 à 2024 inclus
Et ce sous astreinte de 500 ' par document et jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants.
CONDAMNER Mme [T] [D] à verser à Mmes [A] et [I] [D] et M [O] [D], ensemble, la somme de 120.949,18 ', soit à chacun la somme de (120.949,18 ' / 3) 40.316,40 ' en remboursement des deux années de bénéfices détournés, avec intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation, y ajoutant la somme de 30.000 ', soit 10.000 ' chacun, à titre de dommages-intérêts, en réparation de leur préjudice moral et financier.
CONDAMNER Mme [T] [D] à verser à M [F] [D] la somme de 56 857,48 ', en remboursement des deux années de bénéfices détournés, avec intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation, y ajoutant la somme de 10.000 ', à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice moral et financier.
ORDONNER la révocation immédiate de Mme [T] [D] de ses fonctions de gérante de la SCEA DU PRIEURE.
COMPLÉTER la mission du mandataire ad hoc de la SCEA en lui conférant pouvoir de :
' convoquer et réunir une nouvelle assemblée générale ordinaire pour nommer un
nouveau gérant, aux lieu et place de Mme [T] [D].
' réunir une nouvelle assemblée générale ordinaire pour restatuer dans les plus brefs délais sur l'approbation des comptes, le rapport spécial et l'affectation des résultats des exercices 2020 et suivants (puisque les résultats des exercices 2018 et 2019 auront été remboursés directement aux associés).
ORDONNER que les résultats des exercices clos au 31 août 2020 et suivants seront également répartis conformément aux dispositions légales et aux articles 8 et 23 des statuts actuellement en vigueur, au profit de l'ensemble des associés, au prorata de leurs parts dans le capital social,
ORDONNER que dans le cadre de sa mission, le mandataire ad hoc devra avoir accès à tous les documents sociaux et comptables et faire droit à toute demande de communication des associés, afin de pouvoir compléter au besoin les rapports généraux et spéciaux préalables aux assemblées.
ORDONNER que dans le cadre de sa mission, le mandataire ad hoc pourra vérifier tous documents comptables, y compris les stocks.
ORDONNER que les frais et honoraires du mandataire ad hoc seront supportés par la SCEA DU PRIEURE.
A défaut seulement du remboursement direct aux concluants de leur quote-part de bénéfices par Mme [T] [D] et de révocation de celle-ci de ses fonctions de gérante et d'extension de la mission du mandataire ad hoc, et subsidiairement :
CONDAMNER Mme [T] [D] à rapporter tous les bénéfices détournés en 2019
et 2020, soit la somme de 291.521,61 ', dans la caisse sociale de la SCEA, dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir.
Précision faite importante que ce remboursement ne pourra se faire par simple inscription au débit du compte courant de Mme [T] [D], mais par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, afin que ces résultats bénéficiaires puissent être de nouveau redistribués à l'issue de l'assemblée générale qui décidera de leur nouvelle affectation.
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de détournement des fonds.
CONDAMNER dans ce cas Mme [T] [D] à payer à ses associés la somme de
20.000 ' chacun, soit 80.000 ', à titre de dommages-intérêts, en réparation de leur préjudice moral et financier.
ENJOINDRE à Mme [T] [D] de re-convoquer une assemblée générale appelée
à restatuer sur les exercices 2018 et suivants, après avoir justifié d'une convocation régulière de cette assemblée et de l'envoi préalable aux associés du texte des projets de décisions, accompagné de chaque bilan détaillé, de chaque grand livre, de chaque déclaration de récolte, d'un rapport spécial et d'un rapport général pour chaque exercice,
Ceci afin que les associés puissent prendre une décision légitime sur l'affectation des résultats des exercices clos 2018 et suivants, conformément aux dispositions statutaires et donc au prorata de leurs parts sociales.
ORDONNER que la re-convocation de cette assemblée générale et la communication des pièces comptables et juridiques ci-avant définies qui devront y être jointes, à effectuer par Mme [T] [D], devra intervenir dans un délai de 1 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 ' par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants ou du mandataire ad hoc.
CONDAMNER dans ce cas Mme [T] [D] à débloquer, à titre provisionnel sur
les fonds de la SCEA qu'elle aura rapportés, et à verser à Mmes [A] et [I] [D]
et M [O] [D], ensemble, la somme de 40.000 ', soit 13.333 ' chacun, et à
M [F] [D], la somme de 55.000 ', à titre d'avance sur leurs bénéfices, dans
le délai de 1 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 ' par jour de retard.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants ou du mandataire ad hoc.
Et encore dans tous les cas, à titre principal :
CONDAMNER Mme [T] [D] à payer à la SCEA DU PRIEURE toutes les
sommes correspondant à des conventions spéciales et qui ne seront pas adoptées dans les conditions légales lors de la future assemblée générale, par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice financier subi par la SCEA dans le délai de 1 mois à compter de la date de l'assemblée qui en aura décidé.
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de cette assemblée.
DECLARER Mme [T] [D] et la SCEA DU PRIEURE, irrecevables, en tous cas mal fondées, en toutes leurs demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires, ainsi qu'en leur appel incident, et les en DEBOUTER.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il déboute Mme [T] [D] et la SCEA DU PRIEURE de leur demande de retrait des débats de la pièce 26 communiquée par les concluants et de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNER Mme [T] [D] à payer aux concluants, ensemble, la somme de
15.000 ' sur le fondement de l'article 700 du CPC.
CONDAMNER Mme [T] [D] aux dépens de première instance et d'appel.
ET ORDONNER que, conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile, Maître de LAGUERENNE pourra recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance, sans en avoir reçu provision.
***
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 10 février 2025, Mme [T] [D] et la SCEA du Prieuré demandent à la cour de :
Vu les articles 1832 à 1844-17, l'article 1353, l'article 1355 et l'article 724 du Code Civil;
Vu les articles 123 et 390 du Code de procédure civile ;
Vu les articles L.241-3 et L.242-6 du Code de commerce ;
Vu les statuts de la SCEA DU PRIEURE et la délibération de l'assemblée générale
extraordinaire du 28 juillet 1992 ;
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il :
«REJETTE la demande de désignation d'un mandataire ad hoc,
DEBOUTE Madame [A], [I] et Messieurs [O] et [F] [D] de leur
demande d'indemnisation,
DEBOUTE Madame [A], [I] et Messieurs [O] et [F] [D] de leur
demande de révocation de Madame [T] [D], gérante de la SCEA DU
PRIEURE »
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il :
«- DEBOUTE les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de
procédure civile,
- ORDONNE que chaque partie conserver les charges des dépense exposés,
- REJETTE toutes les autres demandes »
Statuant à nouveau,
- DECLARER Mme [A] [D], Mme [I] [D], M [O] [D], M [F] [D] irrecevables en leurs demandes.
- DEBOUTER Mme [A] [D], Mme [I] [D], M [O] [D], M [F] [D] de l'intégralité de leurs demandes.
- ORDONNER le retrait de la pièce adverse n°26 des débats.
- CONSTATER que la délibération de l'assemblée générale du 28 juillet 1992 est opposable aux demandeurs et que toute action en nullité de celle-ci est prescrite et qu'en tout état de cause doit se voir opposer l'autorité de la chose jugée conformément au jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de BOURGES le 10 mai 2012.
- CONSTATER que les délibérations des assemblées générales du 28 février 2019 et du 27 février 2020 ont été régulièrement adoptées.
- CONDAMNER, in solidum Mme [A] [D], Mme [I] [D], M [O] [D], M [F] [D] à verser à Mme [T] [D] et à la SCEA DU PRIEURE la somme à chacune de 17.000 ' en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour le développement de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 février 2025.
MOTIFS
Sur la violation du principe de confidentialité de la médiation
Selon l'article 21-3 de la loi no 95-125 du 8 février 1995, 'sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité'.
Aux termes de l'article 131-14 du code de procédure civile, les constatations du médiateur et les déclarations qu'il recueille ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure sans l'accord des parties.
Les consorts [D] demandent la suppression dans les conclusions des intimées en page 5 du paragraphe précisant que 'la médiation ordonnée par le tribunal judiciaire de Bourges n'a pas abouti malgré la tenue d'une réunion du 4 juillet 2024, faute pour les consorts [D] d'accepter de supporter leurs parts de frais liés à cette médiation'.
Mme [T] [D] et la SCEA du Prieuré répliquent qu'il n'est fait référence ni aux constatations du médiateur ni aux déclarations recueillies et qu'elles peuvent informer la juridiction de cette situation.
Si le médiateur, les avocats ou les parties ne peuvent pas préciser à la juridiction mandante les raisons pour lesquelles la médiation a échoué, il n'en est pas de même des raisons pour lesquelles la médiation n'a pas commencé.
En conséquence, les conclusions de Mme [T] [D] et de la SCEA du Prieuré ne portent pas atteinte au principe de confidentialité de la médiation, de sorte que la demande de rejet du paragraphe litigieux figurant en page 5 des conclusions des intimées sera rejetée.
Sur le caractère nouveau en appel de certaines des demandes des consorts [D]
Aux termes de l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, Mme [T] [D] et la SCEA du Prieuré demandent à la cour de déclarer irrecevables comme nouvelles les demandes suivantes :
1-« ENJOINDRE à Madame [T] [D] de communiquer immédiatement à ses 4 associés et au mandataire ad hoc :
' le grand livre de l'exercice 2023
' le grand livre de l'exercice 2024
' les bilans détaillés des exercices 2020 à 2024 inclus
' les rapports spéciaux détaillés de toutes les conventions spéciales la concernant au titre des exercices 2020 à 2024 inclus
' les rapports généraux détaillés sur tous les exercices 2020 à 2024 inclus
' les déclarations de récolte des années 2020 à 2024 inclus
Et ce sous astreinte de 500 ' par document et jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants.'
Cette demande de communication de pièces concernant les exercices postérieurs à la première instance de 2023 et 2024 est la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formulées devant le premier juge relatives à la faute de la gérante en ce qu'elle ne communique pas les documents comptables avant la date de l'assemblée générale.
En conséquence, la demande n'est pas nouvelle et doit être déclarée recevable.
2 -'CONDAMNER Madame [T] [D] à rapporter tous les bénéfices détournés en 2019 et 2020, soit la somme de 291.521,61 ', dans la caisse sociale de la SCEA, dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir. Précision faite importante que ce remboursement ne pourra se faire par simple inscription au débit du compte courant de Madame [T] [D], mais par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, afin que ces résultats bénéficiaires puissent être de nouveau redistribués à l'issue de l'assemblée générale qui décidera de leur nouvelle affectation.
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de détournement des fonds.'
Ces demandes sont précédées des termes suivants, soulignés par les appelants, omis par les intimées : ' A défaut seulement du remboursement direct aux concluants de leur quote part de bénéfices par Mme [T] [D] et de révocation de celle-ci de ses fonctions de gérante et d'extension de la mission du mandataire ad'hoc'.
Par conséquent la demande de condamnation sus-visée, sollicitée en cas de rejet de demandes de remboursement direct aux consorts [D], est le complément nécessaire de la demande présentée au premier juge.
3- 'CONDAMNER dans ce cas Madame [T] [D] à débloquer, à titre provisionnel sur les fonds de la SCEA qu'elle aura rapportés, et à verser à Mesdames [A] et [I] [D] et Monsieur [O] [D], ensemble, la somme de 40.000 ', soit 13.333 ' chacun, et à Monsieur [F] [D], la somme de 55.000 ', à titre d'avance sur leurs bénéfices, dans le délai de 1 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 ' par jour de retard.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants ou du mandataire ad hoc.'
Il est constant que les consorts [D] ont présenté des demandes de condamnation à des sommes provisionnelles en première instance qu'ils sont recevables à augmenter en cause d'appel.
4- 'CONDAMNER Mme [T] [D] à payer à la SCEA DU PRIEURE toutes les sommes correspondant à des conventions spéciales et qui ne seront pas adoptées dans les conditions légales lors de la future assemblée générale, par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice financier subi par la SCEA dans le délai de 1 mois à compter de la date de l'assemblée qui en aura décidé.
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de cette assemblée. »
Cette demande concerne les montants pris en charge par la société en vertu de conventions spéciales non adoptées dans les conditions légales lors de la future assemblée générale. Il s'agit d'une demande pour le futur, et indéterminée car non chiffrée. Elle ne peut par conséquent être déclarée recevable.
Sur la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc
- sur la recevabilité de cette demande
Mme [T] [D] et la SCEA du Prieuré soulèvent l'irrecevabilité de la demande, tout comme devant le premier juge, au motif qu'elle n'a été formulée en première instance qu'après '8 jeux de conclusions' et serait irrecevable comme se heurtant au principe de concentration des moyens.
Ainsi que l'a pertinemment retenu le tribunal, la demande de désignation d'un administrateur ad'hoc est une prétention et non un moyen et pouvait être présentée dans les dernières conclusions. Le jugement est confirmé en ce qu'il a écarté l'irrecevabilité de la demande fondée sur le principe de concentration des moyens, inapplicable en l'espèce.
- sur le bienfondé de la demande
Les consorts [D] invoquent un conflit d'intérêt entre Mme [T] [D], représentant légal de la société et la SCEA du Prieuré, qui ne peuvent donc être représentées par le même avocat.
Ils font valoir que le conflit d'intérêt découle de la nature même des demandes formulées, qu'il s'agisse de celles fondées sur l'action ut singuli, qui tend à la condamnation de Mme [T] [D] au profit de la SCEA, ou celle tendant à la révocation du gérant.
Ils ajoutent que les honoraires de l'avocat de Mme [D] ne peuvent être supportés par la SCEA, ce qui constituerait une charge supplémentaire pour la société au détriment des consorts [D], associés majoritaires.
Par ailleurs, les consorts [D] font grief à Mme [T] [D] de ne pas communiquer les documents comptables, le rapport spécial annuel sur les conventions réglementées et les déclarations de récolte. Ils indiquent être dans l'impossibilité de prendre connaissance des avantages que la gérante s'octroie avec la trésorerie de la société et partant de pouvoir refuser ces avantages par un vote.
Ils fondent leur demande sur l'article 1843-5 du code civil selon lequel 'un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société; en cas de condamnation, les dommages et intérêts sont alloués à la société'.
En vertu de ces dispositions, les consorts [D] demandent la condamnation de Mme [T] [D] à payer à la SCEA la somme de 80.672,23 '.
Une telle demande tend à révéler l'existence d'un éventuel conflit d'intérêt entre la gérante et la société, contrairement à ce que s'en défend Mme [T] [D]. Dès lors la désignation d'un mandataire ad'hoc doit être envisagée.
Il ressort en outre des pièces produites que depuis 2018, Mme [T] [D], en qualité de gérante, représente à chaque assemblée générale la même résolution lui attribuant la totalité des bénéfices de la société en se référant à une modification des statuts de 1992, résolution rejetée chaque année par l'indivision [A], [I] et [O] [D] puis depuis 2020 également par M. [F] [D].
Depuis le rejet de la résolution en 2020, les bénéfices ne sont pas attribués, de sorte qu'ils devraient rester sur le compte de la société, ce sur quoi la gérante est taisante, dans l'attente de la décision à intervenir. La situation de la société est ainsi figée depuis 2020, ce qui ne peut davantage perdurer.
Il est de jurisprudence que la mésentente entre associés et l'absence d'accès aux documents comptables justifient la désignation d'un mandataire ad'hoc (Civ 3ème, 21 juin 2018, 17-13.212).
Les pièces produites révèlent une mésentente entre associés depuis 7 ans, des difficultés dans la communication des documents comptables et sociaux et une absence d'issue de la situation. Il convient donc, infirmant le jugement, de faire droit à la demande, parfaitement justifiée.
Sur la nullité des assemblées générales d'approbation des comptes
Aux termes de l'article 1844-1 du code civil, ' la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social [...].
La stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes, sont réputées non écrites.'
Selon l'article 8 des statuts de la société : « Chaque part sociale confère à son propriétaire un droit égal dans les bénéfices de la société et dans tout l'actif social, ainsi que dans les parts pour lesquelles il est responsable sur ses biens personnels. »
Aux termes de l'article 23 des statuts de la SCEA, « le bénéfice dégagé pour la période de référence est réparti entre les associés, en proportion de leur participation dans le capital. Les associés peuvent cependant décider qu'une partie ou la totalité du bénéfice, sera portée au crédit d'un compte bloqué au nom de la société. Les associés supportent la perte, s'il en a été constaté une, dans la même proportion que le bénéfice ».
Les consorts [D] demandent le prononcé de la nullité des délibérations prises lors des assemblées générales des 28 février 2019 et 27 février 2020 aux termes desquelles :
« L'assemblée générale décide d'affecter le résultat bénéficiaire comptable de l'exercice clos le 31 août 2018, soit la somme de 176 845,70 ', entre les associés ayant travaillé au sein de l'exploitation durant l'exercice clos le 31 août 2018, cela conformément aux règles établies de manière dérogatoire aux dispositions de l'article 23 des statuts, aux termes de l'assemblée générale extraordinaire des associés en date du 28 juillet 1992, ce qui donnera la répartition suivante : au bénéfice de Madame [T] [D] : 176 845,70 '.
Elle prend acte du fait que le résultat fiscal positif de 80 860 ' sera affecté aux revenus imposables de la seule associée exploitante soit, conformément aux règles appliquées jusqu'à ce jour au sein de la société, à savoir en totalité au revenu imposable de Madame [T] [D] ».
« L'assemblée générale décide d'affecter le résultat bénéficiaire comptable de l'exercice clos le 31 août 2019, soit la somme de 114 675,91 ', entre les associés ayant travaillé au sein de l'exploitation durant l'exercice clos le 31 août 2019, cela conformément aux règles établies de manière dérogatoire aux dispositions de l'article 23 des statuts, aux termes de l'assemblée générale extraordinaire des associés en date du 28 juillet 1992, ce qui donnera la répartition suivante : au bénéfice de Madame [T] [D] : 114 675,91 ' ».
Les consorts [D] soutiennent que la résolution adoptée en assemblée générale extraordinaire du 28 juillet 1992 prévoyant que 'le bénéfice dégagé pour la période de référence est réparti de façon égalitaire entre les seuls associés travaillant pour le compte de la SCEA' leur est inopposable.
Mme [T] [D] et la SCEA font valoir au contraire que cette délibération leur est opposable en ce qu'ils viennent aux droits de leur père, [Z] [D], et que la circonstance que les statuts mis à jour en 2014 ne reprennent pas cette stipulation sur la répartition des bénéfices est indifférente dès lors que les statuts sont destinés aux tiers.
Sur le premier point, il est en effet exact qu'en vertu de l'article 724 du code civil, les héritiers sont saisis de plein droit des biens, droits et actions de leur auteur. Ils ne sauraient dès lors soutenir que toute délibération antérieure au décès de leur père leur serait inopposable.
Sur le second point, bien que les statuts mis à jour en 2014 ne reprennent pas la délibération de 1992, il convient de constater qu'aucune autre délibération d'une assemblée générale extraordinaire n'est venue la modifier depuis lors et qu'elle a continué à s'appliquer après 2014 jusqu'au décès du dernier des frères de Mme [T] [D].
Le jugement du 10 mai 2012 a dit qu'en vertu de la délibération du 28 juillet 1992, les bénéfices étaient répartis entre les seuls associés exploitants. Il a considéré qu'[Z] [D] était associé exploitant malgré sa maladie et a annulé les décisions de l'assemblée générale répartissant les bénéfices entre Mme [T] [D] et [G] [D] seulement, décision prise dans le seul intérêt des associés majoritaires.
Il est constaté que la délibération de 1992 ne contrevient pas à l'article 1844-1 du code civil qui interdit 'toute stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes', dès lors qu'elle prévoit une répartition égalitaire entre les associés qui travaillent, interprété par le jugement du 10 mai 1992 comme 'associés exploitants', mais non une attribution intégrale à un seul associé, ce qui est advenu dans les faits à la suite du décès d'[Z] [D] en 2017, laissant Mme [T] [D] seule exploitante.
Face à cette nouvelle situation, il incombait aux associés majoritaires de provoquer une assemblée générale pour modifier la délibération de 1992 en proposant notamment la fixation d'une rémunération de gérante au profit de Mme [T] [D].
Le premier juge a pu considérer que la délibération ayant continué à être appliquée, même après la mise à jour des statuts, l'absence de modification de l'article 8 desdits statuts prévoyant que chaque part confère à son propriétaire un droit égal dans le bénéfice de la société procédait d'un oubli.
Il convient en effet de constater que les statuts ont été mis à jour pour tenir compte des décès d'associés et mentionner les noms et parts de leurs héritiers.
C'est donc à juste titre que le premier juge a dit que la délibération de 1992, prise à l'unanimité des associés, avait valeur contractuelle et valait modification statutaire.
Les consorts [D] invoquent en outre l'abus de majorité.
Constitue un abus de majorité une décision prise contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité (cass. com., 18 avril 1961, no 59-11.394).
En l'espèce, Mme [T] [D] est associée minoritaire et l'approbation des délibérations des 28 et 27 février 2020 du fait qu'elle détenait le pouvoir d'un autre associé, qu'il lui ait ou non donné des consignes de vote, ne constitue pas un abus de majorité, celui-ci ne pouvant être constitué qu'à l'égard des associés minoritaires, ce que ne sont pas les consorts [D], par des associés majoritaires, ce que n'est pas devenue Mme [T] [D], même si un autre associé a voté la délibération, laquelle ne lui profitait nullement.
En conséquence de ces observations, les délibérations litigieuses de 2018 et 2019, prises sur la base de la délibération de 1992 ne sont pas nulles, ce en quoi il sera ajouté au jugement qui n'a pas statué sur ce point, en déboutant les consorts [D] de leur demande en annulation des délibérations prises lors des assemblées générales des 28 février 2019 et 27 février 2020.
Sur la demande de 'remboursement' des bénéfices aux associés
La demande d'annulation des délibérations précitées étant rejetée, il en sera de même des demandes de remboursement de leur part de bénéfices aux consorts [D], qui constituaient les points 2 et 3 des demandes figurant au paragraphe sur les demandes 'nouvelles ' en appel.
Sur l'action intentée par les associés à l'encontre de la gérante
L'article 1850, alinéa 1 du code civil prévoit que chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.
Sur la communication de documents
L'article 1855 du code civil dispose que les associés ont le droit d'obtenir, au moins une fois par an, communication des livres et des documents sociaux, et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale auxquelles il devra être répondu par écrit dans le délai d'un mois.
L'article 1856 du même code prévoit que les gérants doivent, au moins une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés. Cette reddition de compte doit comporter un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société au cours de l'année ou de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues.
Les consorts [D] soutiennent qu'ils ne peuvent avoir accès aux documents comptables et sociaux de la SCEA, qu'il leur est répondu par la gérante qu'ils peuvent les consulter au siège de la société mais qu'ils se voient refuser tout accès à ces documents lors de la tenue des assemblées générales.
Mme [D] et la SCEA du Prieuré répliquent qu'en effet, les associés peuvent consulter les documents au siège de la société et ne rapportent aucune preuve des refus allégués, que ces documents leur ont été adressés.
Selon la pièce 9 des intimées, le bilan et le compte de résultat synthétique et détaillé de la SCEA du Prieuré concernant l'exercice clos au 31 août 2018 ont été transmis par l'expert -comptable au conseil des consorts [D] par mail du 21 mai 2019.
Cependant, les documents comptables relatifs aux exercices suivants ont été adressés par mail des 28 février 2023, 1er mars 2023 et 16 mars 2023, en cours de procédure, ce qui établit un manquement dans cette communication avant chaque assemblée générale, ce que confirme Maître [B] qui était alors le conseil des consorts [D] dans une attestation qu'elle a été autorisée à produire par le bâtonnier.
Il ne peut qu'être constaté la tardiveté de ces communications.
Il est justifié au dossier (pièce 24) que le bilan de l'exercice clos au 31 août 2021 mentionnait un montant négatif de réserves (ainsi d'ailleurs que pour les deux exercices précédents). Il ressort de l'attestation de Maître [B] que l'expert-comptable a indiqué qu'il y avait eu une erreur de présentation, laquelle a été rectifiée par la suite, rectification qui n'aurait pas été effectuée selon les intimées. Cette erreur ne saurait cependant constituer une faute imputable à la gérante.
Concernant la demande d'injonction de communication de pièces, il sera fait droit à la demande des appelants de communication des documents comptables relatifs aux exercices clos le 31 août 2023 et 31 août 2024.
En revanche, ils ne justifient pas d'une obligation légale de produire les 'déclarations de récoltes', demande à laquelle il ne sera pas fait droit.
Sur le non-apurement des pertes antérieures
Les consorts [D] font encore grief à la gérante de ne pas avoir apuré les pertes des exercices précédents avant d'appréhender les bénéfices ultérieurs, faisant valoir qu'elle s'est attribué les bénéfices de l'exercice 2017/2018 s'élevant à 176.845,70 ' alors qu'il existait un déficit antérieur de 143.755 '.
Mme [T] [D] et la SCEA répliquent que pour l'exercice clos au 31 août 2017, les pertes ont été affectées en diminution du compte courant des associés, en accord avec ceux-ci, [Z] [D] étant décédé le [Date décès 7] 2017.
Elles précisent (p. 34 de leurs conclusions) que les pertes de 143.755 ' correspond à une opération de réduction du capital à la suite du décès d'un associé.
Il y a lieu de constater que les appelants ne démontrent pas l'irrégularité des opérations comptables effectuées et partant la faute de la gérante.
Sur les conventions spéciales et la demande formée par les consorts [D] au nom de la SCEA
L'article 1843-5, alinéa 1, du code civil dispose qu'outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société.
Aux termes de l'article L. 612-5 du code de commerce, le représentant légal ou, s'il en existe un, le commissaire aux comptes d'une personne morale de droit privé non commerçante ayant une activité économique ou d'une association visée à l'article L. 612-4 présente à l'organe délibérant ou, en l'absence d'organe délibérant, joint aux documents communiqués aux adhérents un rapport sur les conventions passées directement ou par personne interposée entre la personne morale et l'un de ses administrateurs ou l'une des personnes assurant un rôle de mandataire social.
Il est de même des conventions passées entre cette personne morale et une autre personne morale dont un associé indéfiniment responsable, un gérant, un administrateur, le directeur général, un directeur général délégué, un membre du directoire ou du conseil de surveillance, un actionnaire disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % est simultanément administrateur ou assure un rôle de mandataire social de ladite personne morale.
L'organe délibérant statue sur ce rapport.
Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles le rapport est établi.
Une convention non approuvée produit néanmoins ses effets. Les conséquences préjudiciables à la personne morale résultant d'une telle convention peuvent être mises à la charge, individuellement ou solidairement selon le cas, de l'administrateur ou de la personne assurant le rôle de mandataire social.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux conventions courantes conclues à des conditions normales qui, en raison de leur objet ou de leurs implications financières, ne sont significatives pour aucune des parties.
Les conventions courantes sont celles qui sont effectuées par la société d'une manière habituelle dans le cadre de son activité, et conclues à des conditions normales, c'est-à-dire aux conditions habituellement pratiquées par la société dans ses rapports avec les tiers.
Les consorts [D] reprochent à Mme [T] [D] de ne pas présenter un rapport spécial complet sur les conventions réglementées dans les conditions prévues à l'article L 612-5 du code du commerce, seule figurant la mention du bail, alors qu'ils allèguent que la SCEA prendrait en charge des dépenses personnelles de la gérante : cotisations MSA, téléphone, voyage et frais de déplacement, réceptions taxe foncière, CSG déductible patronale, retraite complémentaire et honoraires d'avocat.
Mme [T] [D] et la SCEA répliquent que les conventions passées entre la société et son gérant relèvent de conventions courantes conclues à des conditions normales.
Ils soutiennent ainsi que le poste voyage et déplacements correspond aux déplacements pour la livraison du vin et la prospection, que le poste missions et réceptions correspond aux repas pris par le personnel pendant les vendanges et que le poste taxes foncières correspond à l'imposition des biens non bâtis appartenant à la SCEA et à la part d'impôts fonciers dus par la SCEA au titre du bail rural dont elle est bénéficiaire. Elles ajoutent que certaines dépenses figurent au débit du compte courant d'associé de Mme [T] [D].
Le premier juge a exactement retenu que la prise en charge par la société des dépenses de téléphone, de réceptions et déplacements, auxquels la cour ajoute le poste taxes foncières constituaient des dépenses courantes, au surplus d'un montant non excessif mais a indiqué que la CSG déductible et les cotisations MSA ne constituaient pas des conventions courantes et que ces dépenses auraient dû faire l'objet d'une mention spécifique dans le rapport de gérance, de sorte que la responsabilité de la gérante était susceptible d'être engagée.
Or, selon les intimées, non contredites par les appelants, il est d'usage que la SCEA s'acquitte des charges sociales de leurs associés exploitants, puisque cela profite à la société.
Quant aux honoraires d'avocat, sur lequel le tribunal ne s'est pas prononcé, il convient de considérer que la SCEA et Mme [D] assignées toutes deux par les autres associés, ont pu avoir le même avocat dont les honoraires pouvaient être pris en charge par la société.
Dès lors, en l'absence de faute de la gérante quant à l'omission de conventions réglementées, la demande de dommages et intérêts présentée à hauteur de 80 672,23' au titre des exercices 2019/2020, 2020/2021 et 2021/2022, à parfaire au vu des comptes ultérieurs, sera rejetée, le jugement étant confirmé.
Sur la révocation de la gérante
Aux termes de l'article 1851 du code civil, sauf disposition contraire des statuts le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts.
Le gérant est également révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.
Sauf clause contraire, la révocation d'un gérant, qu'il soit associé ou non, n'entraîne pas la dissolution de la société. Si le gérant révoqué est un associé, il peut, à moins qu'il n'en soit autrement convenu dans les statuts, ou que les autres associés ne décident la dissolution anticipée de la société, se retirer de celle-ci dans les conditions prévues à l'article 1869 (2ème alinéa).
Constitue un juste motif de révocation l'existence entre le gérant et les associés d'une société familiale d'une mésentente de nature à compromettre l'objet social.
En l'espèce, les fautes retenues à l'encontre de Mme [T] [D], à savoir la tardiveté et le défaut de communication de pièces comptables et sociales ne sont pas d'une gravité suffisante pour entraîner sa révocation en qualité de gérante, pas plus que la mésentente entre elle et les autres associés, dans la mesure où il ne peut qu'être constaté que Mme [T] [D] est seule exploitante et que sa révocation serait contraire à l'intérêt de la société qui ne pourrait plus fonctionner.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement ayant débouté les consorts [D] de leur demande de révocation de Mme [T] [D].
Il sera donné mission à l'administrateur ad'hoc de rechercher une solution afin que la SCEA puisse continuer à exister, si tel est le souhait des associés, soit en organisant des cessions de parts, soit en prévoyant une répartition des bénéfices au prorata des parts
sociales des associés tout en faisant voter une délibération fixant la rémunération de la gérante.
Du fait du rejet de la demande en nullité des délibérations de février 2018 et 2019, les demandes subsidiaires, relatives au rapport des bénéfices dans la caisse sociale de la SCEA, aux dommages-intérêts pour préjudices moral et financier, à l'injonction à reconvoquer une assemblée générale et à la demande de provision sont mal fondées.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les parties succombant partiellement en leurs demandes, les dépens seront partagés par moitié.
Aucune considération d'équité ne conduit à faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dispositions du jugement sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
REJETTE la demande de suppression du paragraphe 9 de la page 5 des conclusions de Mme [T] [D] et de la SCEA du Prieuré signifiées le 10 février 2025 ;
DECLARE irrecevable comme nouvelle en appel la demande des consorts [D] tendant à voir : 'CONDAMNER Mme [T] [D] à payer à la SCEA DU PRIEURE toutes les sommes correspondant à des conventions spéciales et qui ne seront pas adoptées dans les conditions légales lors de la future assemblée générale, par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice financier subi par la SCEA dans le délai de 1 mois à compter de la date de l'assemblée qui en aura décidé,
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de cette assemblée » ;
DECLARE recevables les autres demandes dont l'irrecevabilité a été soulevée ;
CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc ;
Statuant du chef infirmé et ajoutant au jugement,
DEBOUTE Mmes [A] et [I] [D] et MM. [O] et [F] [D] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité des délibérations prises lors des assemblées générales des 28 février 2019 et 27 février 2020 ;
DEBOUTE les consorts [D] de leur demande de communication des déclarations de récoltes ;
ENJOINT à Mme [T] [D] de communiquer à Mmes [A] et [I] [D] et MM. [O] et [F] [D] les documents comptables et sociaux relatifs aux exercices clos le 31 août 2023 et 31 août 2024 ;
DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;
DEBOUTE Mmes [A] et [I] [D] et MM. [O] et [F] [D] de leurs plus amples demandes ;
DESIGNE la SELAS AJ UP (Maître [S] [P] [Courriel 22] ),[Adresse 15], en qualité d'administrateur provisoire de la SCEA du Prieuré pour une durée de 18 mois à compter du 1er jour du mois suivant la signification de l'arrêt aux intimées ;
ORDONNE en conséquence le dessaisissement provisoire de Mme [T] [D] en qualité de gérante à compter de ce même jour et pendant la durée de la mission de l'administrateur provisoire ;
DIT que l'administrateur aura les pouvoirs conférés par la loi aux gérants de societés civiles, avec la mission de gérer et d'administrer la SCEA du Prieuré, tant activement que passivement, ayant préalablement obtenu communication par les associés de toutes pièces utiles à sa mission, consistant notamment à :
- Se faire communiquer tous documents utiles par les parties ;
- Rechercher une solution concertée sur l'affectation des bénéfices et la rémunération de la gérante ;
- Convoquer une assemblée générale aux fins d'approbation des comptes des exercices clos depuis le 31 août 2020, les rapports spéciaux et les éventuelles modifications sur l'affectation des bénéfices et la rémunération de la gérante ;
- Missionner en tant que de besoin un expert-comptable, distinct de celui de la société, aux fins de mettre en oeuvre comptablement les délibérations relatives à l'affectation des bénéfices de la SCEA depuis 2020, de procéder le cas échéant à l'apurement des pertes et d'une manière générale de répondre aux questions des associés sur la régularité des comptes ;
- Rechercher avec au besoin l'aide de l'expert-comptable, toutes solutions à mettre en oeuvre dans l'intérêt de la société ;
- Aviser les associés et parties de ses démarches,
- Convoquer les assemblées générales imposées par la loi, jusqu'à la fin de sa mission,
- Représenter en tant que de besoin la SCEA du Prieuré dans les procédures judiciaires en cours ;
DIT que l'administrateur pourra en référer à la juridiction en cas de difficulté ou pour étendre sa mission ;
DIT que l'administrateur provisoire adressera à la SCEA du Prieuré une note provisionnelle à valoir sur ses honoraires, à acquitter sans délai par la société ;
DIT qu'à l'issue de sa mission, l'administrateur provisoire adressera à la cour un état de ses honoraires aux fins de taxation ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
DIT que les dépens d'appel sont partagés par moitié entre les parties.
L'arrêt a été signé par O. CLEMENT, Président, et par V. SERGEANT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
V.SERGEANT O. CLEMENT
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
- SELARL EDL AVOCAT
- SAS DROUOT AVOCATS
Copie par courriel :
- Maître [S] [P]
EXPÉDITION TJ
LE : 16 MAI 2025
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 16 MAI 2025
N° RG 24/00600 - N° Portalis DBVD-V-B7I-DVAA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de BOURGES en date du 13 Juin 2024
PARTIES EN CAUSE :
I - Mme [A] [X] [D] épouse [Y]
née le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 20]
[Adresse 6]
[Localité 17]
- Mme [I] [D]
née le [Date naissance 10] 1984 à [Localité 20]
[Adresse 8]
[Localité 4]
- M. [O] [D]
né le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 20]
[Adresse 1]
[Localité 5]
- M. [F] [D]
né le [Date naissance 12] 1997 à [Localité 21]
[Adresse 19]
[Adresse 19]
[Localité 16]
Représentés par Me Eric LAGUERENNE de la SELARL EDL AVOCAT, avocat au barreau de BOURGES
Plaidants par Me Estelle GARNIER, avocat au barreau D'ORLEANS
timbre fiscal acquitté
APPELANTS suivant déclaration du 01/07/2024
II - Mme [T] [D]
née le [Date naissance 11] 1961 à [Localité 20]
[Adresse 9]
[Localité 5]
- S.C.E.A. SCEA DU PRIEURE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:
[Adresse 18]
[Localité 5]
Représentés et plaidants par Me Marie MANDEVILLE de la SAS SAS DROUOT AVOCATS, avocat au barreau de BOURGES
timbre fiscal acquitté
INTIMÉS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Février 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CLEMENT, Présidente chargée du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Odile CLEMENT Présidente de Chambre
M. Richard PERINETTI Conseiller
Mme Marie-Madeleine CIABRINI Conseillère
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
***************
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
**************
EXPOSÉ
Par acte sous seings privés du 8 novembre 1988 à [Localité 5], il a été créé une société civile d'exploitation agricole, dénommée SCEA DU PRIEURE, entre six frères et soeurs, [M], [G], [L], [Z], [T] et [K] [D].
Suivant délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 28 juillet 1992, les six associés ont voté à l'unanimité la modification de l'article 23 des statuts relatif à la répartition des bénéfices de la société, ce bénéfice étant désormais réparti de façon égalitaire entre les seuls associés travaillant pour le compte de la SCEA, à savoir alors MM. [M] et [Z] [D], auxquels s'est ajoutée Mme [T] [D] en 1994.
En 2006, M. [M] [D] est tombé malade. Estimant qu'il ne travaillait plus à l'exploitation, M. [Z] [D] et Mme [T] [D] ne lui ont pas versé sa part de bénéfices, ce qu'il a contesté devant le tribunal de grande instance de Bourges, lequel a, par jugement du 10 mai 2012, considéré qu'il était, nonobstant sa maladie, en activité au sein de la SCEA et a annulé les délibérations des assemblées générales ordinaires des 5 février 2008, 22 juillet 2009 et 9 mars 2011, dit que le bénéfice des années 2007 à 2010 devait être réparti de façon égalitaire entre les trois associés exploitants, et a condamné M. [Z] [D] et Mme [T] [D] à verser à M. [M] [D] une somme de 30 000 ' à titre de dommages et intérêts.
[G] [D] est décédé le [Date décès 13] 2012.
[M] [D] est décédé le [Date décès 14] 2012.
Les statuts de la société ont été mis à jour le 13 novembre 2014 afin de tenir compte des cessions de parts et modification du capital.
[Z] [D] est décédé le [Date décès 7] 2017.
Le capital social de la SCEA du Prieuré est actuellement détenu par :
' Mmes [A] et [I] [D] et M. [O] [D], venant aux droits de leur père décédé, [Z] [D], à hauteur de 4046 parts sociales ;
' M. [F] [D], venant aux droits de son père décédé, [G] [D], à hauteur de 1902 parts sociales ;
' Mme [T] [D], à hauteur de 3804 parts sociales.
Mme [T] [D] exerce les fonctions de gérante, et est seule exploitante depuis le décès de ses deux frères.
Suivant délibération de l'assemble générale ordinaire du 28 février 2019, le résultat comptable de l'exercice clos au 31 août 2018, soit la somme de 176 845,70 ', a été 'affecté aux associés ayant travaillé dans l'exploitation conformément aux règles établies de manière dérogatoire à l'article 23 des statuts aux termes de l'AGE du 28 juillet 1992", soit au profit de Mme [T] [D].
Il en a été de même pour l'exercice clos au 31 août 2019, suivant délibération du 27 février 2020, le bénéfice de 114.675,91 ' étant affecté à Mme [T] [D].
Ces deux délibérations ont été approuvées grâce au pouvoir donné par M. [F] [D], alors très jeune, à sa tante Mme [T] [D], l'indivision [Z] [D] représentée par Mmes [A] et [I] [D] et M. [O] [D], ayant voté contre.
Mmes [A] et [I] [D] et M. [O] [D], ainsi que M. [F] [D] (ci-après les consorts [D]) ont saisi le tribunal judiciaire de Bourges aux fins de voir principalement :
- avant dire droit, désigner un mandataire ad'hoc à la SCEA du Prieuré,
Au fond,
- annuler ces deux délibérations prises en violation des statuts, la délibération du 28 juillet 1992 leur étant inopposable,
- ordonner que les deux résultats bénéficiaires seront répartis conformément aux dispositions légales et aux articles 8 et 23 des statuts au profit de l'ensemble des associés au prorata de leurs parts dans le capital social,
- enjoindre à Mme [T] [D] de rapporter la liste précise des conventions réglementées au cours des cinq derniers exercices, sous astreinte,
- condamner Mme [T] [D] à verser à Mmes [A], [I] et M. [O] [D] la somme de 137.420,87 ' au titre des exercices clos au 31 août 2018 et 31 août 2019 et les sommes provisionnelles de 30 000 ' au titre des exercices clos au 31 août 2020 et 2021 et de 15 000 ' au titre de l'exercice clos au 31 août 2022 et à M. [F] [D] la somme de 56 857,48 ', et les sommes provisionnelles de 5 000 ', 5000 ' et 2 500 ',
- vu l'article 1843-5 du code civil, condamner Mme [T] [D] à payer à la SCEA du Prieuré les sommes de 80.672,23 ' et 143.755 ' à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices matériels et financiers,
- ordonner la révocation judiciaire de Mme [T] [D] de ses fonctions de gérante de la SCEA et nommer un administrateur provisoire en vue de convoquer une assemblée générale aux fins de restatuer sur l'affectation des deux résultats bénéficiaires et désigner un nouveau gérant.
Par jugement du 13 juin 2024, le tribunal judiciaire de Bourges a :
- donné injonction aux parties de rencontrer M. [E] [R], médiateur ['],
- rejeté la demande de désignation d'un mandataire ad hoc,
- débouté Mmes [A], [I] et MM. [O] et [F] [D] de leur demande d'indemnisation,
- débouté Mmes [A], [I] et MM. [O] et [F] [D] de leur demande de révocation de Mme [T] [D], gérante de la SCEA du Prieuré,
- débouté les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné que chaque partie conservera les charges des dépens exposés,
- rappelé l'exécution provisoire de droit de la décision,
- rejeté toutes les autres demandes.
Suivant déclaration d'appel du 1er juillet 2024, les consorts [D] ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il rejette la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc, les déboute de leur demande d'indemnisation et de révocation de Mme [T] [D], gérante de la SCEA du Prieuré, les déboute de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, ordonne que chaque partie conservera la charge de ses dépens et rejette toutes les autres demandes.
Dans leurs dernières conclusions n°3 signifiées le 6 février 2025, les consorts [D] demandent à la cour de :
Avant dire droit, vu l'article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, écarter des débats et ordonner la suppression de la mention « faute pour les consorts [D] d'accepter de supporter leurs parts des frais liés à cette médiation » des conclusions adverses, en raison de sa confidentialité.
INFIRMER le jugement entrepris du 13 juin 2024 en ce qu'il :
- rejette la demande de désignation d'un mandataire ad hoc,
- déboute Mmes [A], [I] et MM [O] et [F] [D] de leur demande d'indemnisation,
- déboute Mmes [A], [I] et MM [O] et [F] [D] de leur demande de révocation de Mme [T] [D] gérante de la SCEA DU PRIEURE,
- déboute les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de
procédure civile ;
- ordonne que chaque partie conservera les charges des dépens exposés,
- rappelle l'exécution provisoire de droit de la présente décision,
- rejette toutes les autres demandes.
Et statuant à nouveau,
AVANT DIRE DROIT, désigner dès à présent un mandataire ad hoc à la SCEA DU
PRIEURE pour que celle-ci soit régulièrement représentée à la présente procédure.
ORDONNER que les honoraires du mandataire seront supportés par la SCEA DU PRIEURE.
AU FOND, et au principal,
Vu les articles 1128 et suivants, 1240, 1843-5, 1844-1, 1851 al 2 du Code civil,
vu les articles 8 et 23 des statuts, tels que mis à jour en 2014,
vu l'article 17 des statuts et l'article 1855 du code civil,
PRONONCER la nullité des délibérations prises lors des assemblées générales du 28 février 2019 et du 27 février 2020, pour abus de majorité, en violation des dispositions statutaires et légales en vigueur, au besoin après avoir constaté que toute autre délibération contraire, notamment une délibération en date du 28 juillet 1992, serait inopposable aux actuels associés de la SCEA DU PRIEURE.
ORDONNER que les 2 résultats bénéficiaires des exercices clos au 31 août 2018 et au 31 août 2019 seront donc répartis conformément aux dispositions légales et aux articles 8 et 23 des statuts actuellement en vigueur, au profit de l'ensemble des associés, au prorata de leurs parts dans le capital social,
ENJOINDRE à Mme [T] [D] de communiquer immédiatement à ses 4 associés
et au mandataire ad hoc :
' le grand livre de l'exercice 2023
' le grand livre de l'exercice 2024
' les bilans détaillés des exercices 2020 à 2024 inclus
' les rapports spéciaux détaillés de toutes les conventions spéciales la concernant au titre
des exercices 2020 à 2024 inclus
' les rapports généraux détaillés sur tous les exercices 2020 à 2024 inclus
' les déclarations de récolte des années 2020 à 2024 inclus
Et ce sous astreinte de 500 ' par document et jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants.
CONDAMNER Mme [T] [D] à verser à Mmes [A] et [I] [D] et M [O] [D], ensemble, la somme de 120.949,18 ', soit à chacun la somme de (120.949,18 ' / 3) 40.316,40 ' en remboursement des deux années de bénéfices détournés, avec intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation, y ajoutant la somme de 30.000 ', soit 10.000 ' chacun, à titre de dommages-intérêts, en réparation de leur préjudice moral et financier.
CONDAMNER Mme [T] [D] à verser à M [F] [D] la somme de 56 857,48 ', en remboursement des deux années de bénéfices détournés, avec intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation, y ajoutant la somme de 10.000 ', à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice moral et financier.
ORDONNER la révocation immédiate de Mme [T] [D] de ses fonctions de gérante de la SCEA DU PRIEURE.
COMPLÉTER la mission du mandataire ad hoc de la SCEA en lui conférant pouvoir de :
' convoquer et réunir une nouvelle assemblée générale ordinaire pour nommer un
nouveau gérant, aux lieu et place de Mme [T] [D].
' réunir une nouvelle assemblée générale ordinaire pour restatuer dans les plus brefs délais sur l'approbation des comptes, le rapport spécial et l'affectation des résultats des exercices 2020 et suivants (puisque les résultats des exercices 2018 et 2019 auront été remboursés directement aux associés).
ORDONNER que les résultats des exercices clos au 31 août 2020 et suivants seront également répartis conformément aux dispositions légales et aux articles 8 et 23 des statuts actuellement en vigueur, au profit de l'ensemble des associés, au prorata de leurs parts dans le capital social,
ORDONNER que dans le cadre de sa mission, le mandataire ad hoc devra avoir accès à tous les documents sociaux et comptables et faire droit à toute demande de communication des associés, afin de pouvoir compléter au besoin les rapports généraux et spéciaux préalables aux assemblées.
ORDONNER que dans le cadre de sa mission, le mandataire ad hoc pourra vérifier tous documents comptables, y compris les stocks.
ORDONNER que les frais et honoraires du mandataire ad hoc seront supportés par la SCEA DU PRIEURE.
A défaut seulement du remboursement direct aux concluants de leur quote-part de bénéfices par Mme [T] [D] et de révocation de celle-ci de ses fonctions de gérante et d'extension de la mission du mandataire ad hoc, et subsidiairement :
CONDAMNER Mme [T] [D] à rapporter tous les bénéfices détournés en 2019
et 2020, soit la somme de 291.521,61 ', dans la caisse sociale de la SCEA, dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir.
Précision faite importante que ce remboursement ne pourra se faire par simple inscription au débit du compte courant de Mme [T] [D], mais par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, afin que ces résultats bénéficiaires puissent être de nouveau redistribués à l'issue de l'assemblée générale qui décidera de leur nouvelle affectation.
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de détournement des fonds.
CONDAMNER dans ce cas Mme [T] [D] à payer à ses associés la somme de
20.000 ' chacun, soit 80.000 ', à titre de dommages-intérêts, en réparation de leur préjudice moral et financier.
ENJOINDRE à Mme [T] [D] de re-convoquer une assemblée générale appelée
à restatuer sur les exercices 2018 et suivants, après avoir justifié d'une convocation régulière de cette assemblée et de l'envoi préalable aux associés du texte des projets de décisions, accompagné de chaque bilan détaillé, de chaque grand livre, de chaque déclaration de récolte, d'un rapport spécial et d'un rapport général pour chaque exercice,
Ceci afin que les associés puissent prendre une décision légitime sur l'affectation des résultats des exercices clos 2018 et suivants, conformément aux dispositions statutaires et donc au prorata de leurs parts sociales.
ORDONNER que la re-convocation de cette assemblée générale et la communication des pièces comptables et juridiques ci-avant définies qui devront y être jointes, à effectuer par Mme [T] [D], devra intervenir dans un délai de 1 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 ' par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants ou du mandataire ad hoc.
CONDAMNER dans ce cas Mme [T] [D] à débloquer, à titre provisionnel sur
les fonds de la SCEA qu'elle aura rapportés, et à verser à Mmes [A] et [I] [D]
et M [O] [D], ensemble, la somme de 40.000 ', soit 13.333 ' chacun, et à
M [F] [D], la somme de 55.000 ', à titre d'avance sur leurs bénéfices, dans
le délai de 1 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 ' par jour de retard.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants ou du mandataire ad hoc.
Et encore dans tous les cas, à titre principal :
CONDAMNER Mme [T] [D] à payer à la SCEA DU PRIEURE toutes les
sommes correspondant à des conventions spéciales et qui ne seront pas adoptées dans les conditions légales lors de la future assemblée générale, par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice financier subi par la SCEA dans le délai de 1 mois à compter de la date de l'assemblée qui en aura décidé.
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de cette assemblée.
DECLARER Mme [T] [D] et la SCEA DU PRIEURE, irrecevables, en tous cas mal fondées, en toutes leurs demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires, ainsi qu'en leur appel incident, et les en DEBOUTER.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il déboute Mme [T] [D] et la SCEA DU PRIEURE de leur demande de retrait des débats de la pièce 26 communiquée par les concluants et de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNER Mme [T] [D] à payer aux concluants, ensemble, la somme de
15.000 ' sur le fondement de l'article 700 du CPC.
CONDAMNER Mme [T] [D] aux dépens de première instance et d'appel.
ET ORDONNER que, conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile, Maître de LAGUERENNE pourra recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance, sans en avoir reçu provision.
***
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 10 février 2025, Mme [T] [D] et la SCEA du Prieuré demandent à la cour de :
Vu les articles 1832 à 1844-17, l'article 1353, l'article 1355 et l'article 724 du Code Civil;
Vu les articles 123 et 390 du Code de procédure civile ;
Vu les articles L.241-3 et L.242-6 du Code de commerce ;
Vu les statuts de la SCEA DU PRIEURE et la délibération de l'assemblée générale
extraordinaire du 28 juillet 1992 ;
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il :
«REJETTE la demande de désignation d'un mandataire ad hoc,
DEBOUTE Madame [A], [I] et Messieurs [O] et [F] [D] de leur
demande d'indemnisation,
DEBOUTE Madame [A], [I] et Messieurs [O] et [F] [D] de leur
demande de révocation de Madame [T] [D], gérante de la SCEA DU
PRIEURE »
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il :
«- DEBOUTE les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de
procédure civile,
- ORDONNE que chaque partie conserver les charges des dépense exposés,
- REJETTE toutes les autres demandes »
Statuant à nouveau,
- DECLARER Mme [A] [D], Mme [I] [D], M [O] [D], M [F] [D] irrecevables en leurs demandes.
- DEBOUTER Mme [A] [D], Mme [I] [D], M [O] [D], M [F] [D] de l'intégralité de leurs demandes.
- ORDONNER le retrait de la pièce adverse n°26 des débats.
- CONSTATER que la délibération de l'assemblée générale du 28 juillet 1992 est opposable aux demandeurs et que toute action en nullité de celle-ci est prescrite et qu'en tout état de cause doit se voir opposer l'autorité de la chose jugée conformément au jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de BOURGES le 10 mai 2012.
- CONSTATER que les délibérations des assemblées générales du 28 février 2019 et du 27 février 2020 ont été régulièrement adoptées.
- CONDAMNER, in solidum Mme [A] [D], Mme [I] [D], M [O] [D], M [F] [D] à verser à Mme [T] [D] et à la SCEA DU PRIEURE la somme à chacune de 17.000 ' en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour le développement de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 février 2025.
MOTIFS
Sur la violation du principe de confidentialité de la médiation
Selon l'article 21-3 de la loi no 95-125 du 8 février 1995, 'sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité'.
Aux termes de l'article 131-14 du code de procédure civile, les constatations du médiateur et les déclarations qu'il recueille ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure sans l'accord des parties.
Les consorts [D] demandent la suppression dans les conclusions des intimées en page 5 du paragraphe précisant que 'la médiation ordonnée par le tribunal judiciaire de Bourges n'a pas abouti malgré la tenue d'une réunion du 4 juillet 2024, faute pour les consorts [D] d'accepter de supporter leurs parts de frais liés à cette médiation'.
Mme [T] [D] et la SCEA du Prieuré répliquent qu'il n'est fait référence ni aux constatations du médiateur ni aux déclarations recueillies et qu'elles peuvent informer la juridiction de cette situation.
Si le médiateur, les avocats ou les parties ne peuvent pas préciser à la juridiction mandante les raisons pour lesquelles la médiation a échoué, il n'en est pas de même des raisons pour lesquelles la médiation n'a pas commencé.
En conséquence, les conclusions de Mme [T] [D] et de la SCEA du Prieuré ne portent pas atteinte au principe de confidentialité de la médiation, de sorte que la demande de rejet du paragraphe litigieux figurant en page 5 des conclusions des intimées sera rejetée.
Sur le caractère nouveau en appel de certaines des demandes des consorts [D]
Aux termes de l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, Mme [T] [D] et la SCEA du Prieuré demandent à la cour de déclarer irrecevables comme nouvelles les demandes suivantes :
1-« ENJOINDRE à Madame [T] [D] de communiquer immédiatement à ses 4 associés et au mandataire ad hoc :
' le grand livre de l'exercice 2023
' le grand livre de l'exercice 2024
' les bilans détaillés des exercices 2020 à 2024 inclus
' les rapports spéciaux détaillés de toutes les conventions spéciales la concernant au titre des exercices 2020 à 2024 inclus
' les rapports généraux détaillés sur tous les exercices 2020 à 2024 inclus
' les déclarations de récolte des années 2020 à 2024 inclus
Et ce sous astreinte de 500 ' par document et jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants.'
Cette demande de communication de pièces concernant les exercices postérieurs à la première instance de 2023 et 2024 est la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formulées devant le premier juge relatives à la faute de la gérante en ce qu'elle ne communique pas les documents comptables avant la date de l'assemblée générale.
En conséquence, la demande n'est pas nouvelle et doit être déclarée recevable.
2 -'CONDAMNER Madame [T] [D] à rapporter tous les bénéfices détournés en 2019 et 2020, soit la somme de 291.521,61 ', dans la caisse sociale de la SCEA, dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir. Précision faite importante que ce remboursement ne pourra se faire par simple inscription au débit du compte courant de Madame [T] [D], mais par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, afin que ces résultats bénéficiaires puissent être de nouveau redistribués à l'issue de l'assemblée générale qui décidera de leur nouvelle affectation.
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de détournement des fonds.'
Ces demandes sont précédées des termes suivants, soulignés par les appelants, omis par les intimées : ' A défaut seulement du remboursement direct aux concluants de leur quote part de bénéfices par Mme [T] [D] et de révocation de celle-ci de ses fonctions de gérante et d'extension de la mission du mandataire ad'hoc'.
Par conséquent la demande de condamnation sus-visée, sollicitée en cas de rejet de demandes de remboursement direct aux consorts [D], est le complément nécessaire de la demande présentée au premier juge.
3- 'CONDAMNER dans ce cas Madame [T] [D] à débloquer, à titre provisionnel sur les fonds de la SCEA qu'elle aura rapportés, et à verser à Mesdames [A] et [I] [D] et Monsieur [O] [D], ensemble, la somme de 40.000 ', soit 13.333 ' chacun, et à Monsieur [F] [D], la somme de 55.000 ', à titre d'avance sur leurs bénéfices, dans le délai de 1 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 ' par jour de retard.
SE RESERVER le pouvoir de liquider cette astreinte à première demande des concluants ou du mandataire ad hoc.'
Il est constant que les consorts [D] ont présenté des demandes de condamnation à des sommes provisionnelles en première instance qu'ils sont recevables à augmenter en cause d'appel.
4- 'CONDAMNER Mme [T] [D] à payer à la SCEA DU PRIEURE toutes les sommes correspondant à des conventions spéciales et qui ne seront pas adoptées dans les conditions légales lors de la future assemblée générale, par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice financier subi par la SCEA dans le délai de 1 mois à compter de la date de l'assemblée qui en aura décidé.
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de cette assemblée. »
Cette demande concerne les montants pris en charge par la société en vertu de conventions spéciales non adoptées dans les conditions légales lors de la future assemblée générale. Il s'agit d'une demande pour le futur, et indéterminée car non chiffrée. Elle ne peut par conséquent être déclarée recevable.
Sur la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc
- sur la recevabilité de cette demande
Mme [T] [D] et la SCEA du Prieuré soulèvent l'irrecevabilité de la demande, tout comme devant le premier juge, au motif qu'elle n'a été formulée en première instance qu'après '8 jeux de conclusions' et serait irrecevable comme se heurtant au principe de concentration des moyens.
Ainsi que l'a pertinemment retenu le tribunal, la demande de désignation d'un administrateur ad'hoc est une prétention et non un moyen et pouvait être présentée dans les dernières conclusions. Le jugement est confirmé en ce qu'il a écarté l'irrecevabilité de la demande fondée sur le principe de concentration des moyens, inapplicable en l'espèce.
- sur le bienfondé de la demande
Les consorts [D] invoquent un conflit d'intérêt entre Mme [T] [D], représentant légal de la société et la SCEA du Prieuré, qui ne peuvent donc être représentées par le même avocat.
Ils font valoir que le conflit d'intérêt découle de la nature même des demandes formulées, qu'il s'agisse de celles fondées sur l'action ut singuli, qui tend à la condamnation de Mme [T] [D] au profit de la SCEA, ou celle tendant à la révocation du gérant.
Ils ajoutent que les honoraires de l'avocat de Mme [D] ne peuvent être supportés par la SCEA, ce qui constituerait une charge supplémentaire pour la société au détriment des consorts [D], associés majoritaires.
Par ailleurs, les consorts [D] font grief à Mme [T] [D] de ne pas communiquer les documents comptables, le rapport spécial annuel sur les conventions réglementées et les déclarations de récolte. Ils indiquent être dans l'impossibilité de prendre connaissance des avantages que la gérante s'octroie avec la trésorerie de la société et partant de pouvoir refuser ces avantages par un vote.
Ils fondent leur demande sur l'article 1843-5 du code civil selon lequel 'un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société; en cas de condamnation, les dommages et intérêts sont alloués à la société'.
En vertu de ces dispositions, les consorts [D] demandent la condamnation de Mme [T] [D] à payer à la SCEA la somme de 80.672,23 '.
Une telle demande tend à révéler l'existence d'un éventuel conflit d'intérêt entre la gérante et la société, contrairement à ce que s'en défend Mme [T] [D]. Dès lors la désignation d'un mandataire ad'hoc doit être envisagée.
Il ressort en outre des pièces produites que depuis 2018, Mme [T] [D], en qualité de gérante, représente à chaque assemblée générale la même résolution lui attribuant la totalité des bénéfices de la société en se référant à une modification des statuts de 1992, résolution rejetée chaque année par l'indivision [A], [I] et [O] [D] puis depuis 2020 également par M. [F] [D].
Depuis le rejet de la résolution en 2020, les bénéfices ne sont pas attribués, de sorte qu'ils devraient rester sur le compte de la société, ce sur quoi la gérante est taisante, dans l'attente de la décision à intervenir. La situation de la société est ainsi figée depuis 2020, ce qui ne peut davantage perdurer.
Il est de jurisprudence que la mésentente entre associés et l'absence d'accès aux documents comptables justifient la désignation d'un mandataire ad'hoc (Civ 3ème, 21 juin 2018, 17-13.212).
Les pièces produites révèlent une mésentente entre associés depuis 7 ans, des difficultés dans la communication des documents comptables et sociaux et une absence d'issue de la situation. Il convient donc, infirmant le jugement, de faire droit à la demande, parfaitement justifiée.
Sur la nullité des assemblées générales d'approbation des comptes
Aux termes de l'article 1844-1 du code civil, ' la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social [...].
La stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes, sont réputées non écrites.'
Selon l'article 8 des statuts de la société : « Chaque part sociale confère à son propriétaire un droit égal dans les bénéfices de la société et dans tout l'actif social, ainsi que dans les parts pour lesquelles il est responsable sur ses biens personnels. »
Aux termes de l'article 23 des statuts de la SCEA, « le bénéfice dégagé pour la période de référence est réparti entre les associés, en proportion de leur participation dans le capital. Les associés peuvent cependant décider qu'une partie ou la totalité du bénéfice, sera portée au crédit d'un compte bloqué au nom de la société. Les associés supportent la perte, s'il en a été constaté une, dans la même proportion que le bénéfice ».
Les consorts [D] demandent le prononcé de la nullité des délibérations prises lors des assemblées générales des 28 février 2019 et 27 février 2020 aux termes desquelles :
« L'assemblée générale décide d'affecter le résultat bénéficiaire comptable de l'exercice clos le 31 août 2018, soit la somme de 176 845,70 ', entre les associés ayant travaillé au sein de l'exploitation durant l'exercice clos le 31 août 2018, cela conformément aux règles établies de manière dérogatoire aux dispositions de l'article 23 des statuts, aux termes de l'assemblée générale extraordinaire des associés en date du 28 juillet 1992, ce qui donnera la répartition suivante : au bénéfice de Madame [T] [D] : 176 845,70 '.
Elle prend acte du fait que le résultat fiscal positif de 80 860 ' sera affecté aux revenus imposables de la seule associée exploitante soit, conformément aux règles appliquées jusqu'à ce jour au sein de la société, à savoir en totalité au revenu imposable de Madame [T] [D] ».
« L'assemblée générale décide d'affecter le résultat bénéficiaire comptable de l'exercice clos le 31 août 2019, soit la somme de 114 675,91 ', entre les associés ayant travaillé au sein de l'exploitation durant l'exercice clos le 31 août 2019, cela conformément aux règles établies de manière dérogatoire aux dispositions de l'article 23 des statuts, aux termes de l'assemblée générale extraordinaire des associés en date du 28 juillet 1992, ce qui donnera la répartition suivante : au bénéfice de Madame [T] [D] : 114 675,91 ' ».
Les consorts [D] soutiennent que la résolution adoptée en assemblée générale extraordinaire du 28 juillet 1992 prévoyant que 'le bénéfice dégagé pour la période de référence est réparti de façon égalitaire entre les seuls associés travaillant pour le compte de la SCEA' leur est inopposable.
Mme [T] [D] et la SCEA font valoir au contraire que cette délibération leur est opposable en ce qu'ils viennent aux droits de leur père, [Z] [D], et que la circonstance que les statuts mis à jour en 2014 ne reprennent pas cette stipulation sur la répartition des bénéfices est indifférente dès lors que les statuts sont destinés aux tiers.
Sur le premier point, il est en effet exact qu'en vertu de l'article 724 du code civil, les héritiers sont saisis de plein droit des biens, droits et actions de leur auteur. Ils ne sauraient dès lors soutenir que toute délibération antérieure au décès de leur père leur serait inopposable.
Sur le second point, bien que les statuts mis à jour en 2014 ne reprennent pas la délibération de 1992, il convient de constater qu'aucune autre délibération d'une assemblée générale extraordinaire n'est venue la modifier depuis lors et qu'elle a continué à s'appliquer après 2014 jusqu'au décès du dernier des frères de Mme [T] [D].
Le jugement du 10 mai 2012 a dit qu'en vertu de la délibération du 28 juillet 1992, les bénéfices étaient répartis entre les seuls associés exploitants. Il a considéré qu'[Z] [D] était associé exploitant malgré sa maladie et a annulé les décisions de l'assemblée générale répartissant les bénéfices entre Mme [T] [D] et [G] [D] seulement, décision prise dans le seul intérêt des associés majoritaires.
Il est constaté que la délibération de 1992 ne contrevient pas à l'article 1844-1 du code civil qui interdit 'toute stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes', dès lors qu'elle prévoit une répartition égalitaire entre les associés qui travaillent, interprété par le jugement du 10 mai 1992 comme 'associés exploitants', mais non une attribution intégrale à un seul associé, ce qui est advenu dans les faits à la suite du décès d'[Z] [D] en 2017, laissant Mme [T] [D] seule exploitante.
Face à cette nouvelle situation, il incombait aux associés majoritaires de provoquer une assemblée générale pour modifier la délibération de 1992 en proposant notamment la fixation d'une rémunération de gérante au profit de Mme [T] [D].
Le premier juge a pu considérer que la délibération ayant continué à être appliquée, même après la mise à jour des statuts, l'absence de modification de l'article 8 desdits statuts prévoyant que chaque part confère à son propriétaire un droit égal dans le bénéfice de la société procédait d'un oubli.
Il convient en effet de constater que les statuts ont été mis à jour pour tenir compte des décès d'associés et mentionner les noms et parts de leurs héritiers.
C'est donc à juste titre que le premier juge a dit que la délibération de 1992, prise à l'unanimité des associés, avait valeur contractuelle et valait modification statutaire.
Les consorts [D] invoquent en outre l'abus de majorité.
Constitue un abus de majorité une décision prise contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité (cass. com., 18 avril 1961, no 59-11.394).
En l'espèce, Mme [T] [D] est associée minoritaire et l'approbation des délibérations des 28 et 27 février 2020 du fait qu'elle détenait le pouvoir d'un autre associé, qu'il lui ait ou non donné des consignes de vote, ne constitue pas un abus de majorité, celui-ci ne pouvant être constitué qu'à l'égard des associés minoritaires, ce que ne sont pas les consorts [D], par des associés majoritaires, ce que n'est pas devenue Mme [T] [D], même si un autre associé a voté la délibération, laquelle ne lui profitait nullement.
En conséquence de ces observations, les délibérations litigieuses de 2018 et 2019, prises sur la base de la délibération de 1992 ne sont pas nulles, ce en quoi il sera ajouté au jugement qui n'a pas statué sur ce point, en déboutant les consorts [D] de leur demande en annulation des délibérations prises lors des assemblées générales des 28 février 2019 et 27 février 2020.
Sur la demande de 'remboursement' des bénéfices aux associés
La demande d'annulation des délibérations précitées étant rejetée, il en sera de même des demandes de remboursement de leur part de bénéfices aux consorts [D], qui constituaient les points 2 et 3 des demandes figurant au paragraphe sur les demandes 'nouvelles ' en appel.
Sur l'action intentée par les associés à l'encontre de la gérante
L'article 1850, alinéa 1 du code civil prévoit que chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.
Sur la communication de documents
L'article 1855 du code civil dispose que les associés ont le droit d'obtenir, au moins une fois par an, communication des livres et des documents sociaux, et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale auxquelles il devra être répondu par écrit dans le délai d'un mois.
L'article 1856 du même code prévoit que les gérants doivent, au moins une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés. Cette reddition de compte doit comporter un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société au cours de l'année ou de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues.
Les consorts [D] soutiennent qu'ils ne peuvent avoir accès aux documents comptables et sociaux de la SCEA, qu'il leur est répondu par la gérante qu'ils peuvent les consulter au siège de la société mais qu'ils se voient refuser tout accès à ces documents lors de la tenue des assemblées générales.
Mme [D] et la SCEA du Prieuré répliquent qu'en effet, les associés peuvent consulter les documents au siège de la société et ne rapportent aucune preuve des refus allégués, que ces documents leur ont été adressés.
Selon la pièce 9 des intimées, le bilan et le compte de résultat synthétique et détaillé de la SCEA du Prieuré concernant l'exercice clos au 31 août 2018 ont été transmis par l'expert -comptable au conseil des consorts [D] par mail du 21 mai 2019.
Cependant, les documents comptables relatifs aux exercices suivants ont été adressés par mail des 28 février 2023, 1er mars 2023 et 16 mars 2023, en cours de procédure, ce qui établit un manquement dans cette communication avant chaque assemblée générale, ce que confirme Maître [B] qui était alors le conseil des consorts [D] dans une attestation qu'elle a été autorisée à produire par le bâtonnier.
Il ne peut qu'être constaté la tardiveté de ces communications.
Il est justifié au dossier (pièce 24) que le bilan de l'exercice clos au 31 août 2021 mentionnait un montant négatif de réserves (ainsi d'ailleurs que pour les deux exercices précédents). Il ressort de l'attestation de Maître [B] que l'expert-comptable a indiqué qu'il y avait eu une erreur de présentation, laquelle a été rectifiée par la suite, rectification qui n'aurait pas été effectuée selon les intimées. Cette erreur ne saurait cependant constituer une faute imputable à la gérante.
Concernant la demande d'injonction de communication de pièces, il sera fait droit à la demande des appelants de communication des documents comptables relatifs aux exercices clos le 31 août 2023 et 31 août 2024.
En revanche, ils ne justifient pas d'une obligation légale de produire les 'déclarations de récoltes', demande à laquelle il ne sera pas fait droit.
Sur le non-apurement des pertes antérieures
Les consorts [D] font encore grief à la gérante de ne pas avoir apuré les pertes des exercices précédents avant d'appréhender les bénéfices ultérieurs, faisant valoir qu'elle s'est attribué les bénéfices de l'exercice 2017/2018 s'élevant à 176.845,70 ' alors qu'il existait un déficit antérieur de 143.755 '.
Mme [T] [D] et la SCEA répliquent que pour l'exercice clos au 31 août 2017, les pertes ont été affectées en diminution du compte courant des associés, en accord avec ceux-ci, [Z] [D] étant décédé le [Date décès 7] 2017.
Elles précisent (p. 34 de leurs conclusions) que les pertes de 143.755 ' correspond à une opération de réduction du capital à la suite du décès d'un associé.
Il y a lieu de constater que les appelants ne démontrent pas l'irrégularité des opérations comptables effectuées et partant la faute de la gérante.
Sur les conventions spéciales et la demande formée par les consorts [D] au nom de la SCEA
L'article 1843-5, alinéa 1, du code civil dispose qu'outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société.
Aux termes de l'article L. 612-5 du code de commerce, le représentant légal ou, s'il en existe un, le commissaire aux comptes d'une personne morale de droit privé non commerçante ayant une activité économique ou d'une association visée à l'article L. 612-4 présente à l'organe délibérant ou, en l'absence d'organe délibérant, joint aux documents communiqués aux adhérents un rapport sur les conventions passées directement ou par personne interposée entre la personne morale et l'un de ses administrateurs ou l'une des personnes assurant un rôle de mandataire social.
Il est de même des conventions passées entre cette personne morale et une autre personne morale dont un associé indéfiniment responsable, un gérant, un administrateur, le directeur général, un directeur général délégué, un membre du directoire ou du conseil de surveillance, un actionnaire disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % est simultanément administrateur ou assure un rôle de mandataire social de ladite personne morale.
L'organe délibérant statue sur ce rapport.
Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles le rapport est établi.
Une convention non approuvée produit néanmoins ses effets. Les conséquences préjudiciables à la personne morale résultant d'une telle convention peuvent être mises à la charge, individuellement ou solidairement selon le cas, de l'administrateur ou de la personne assurant le rôle de mandataire social.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux conventions courantes conclues à des conditions normales qui, en raison de leur objet ou de leurs implications financières, ne sont significatives pour aucune des parties.
Les conventions courantes sont celles qui sont effectuées par la société d'une manière habituelle dans le cadre de son activité, et conclues à des conditions normales, c'est-à-dire aux conditions habituellement pratiquées par la société dans ses rapports avec les tiers.
Les consorts [D] reprochent à Mme [T] [D] de ne pas présenter un rapport spécial complet sur les conventions réglementées dans les conditions prévues à l'article L 612-5 du code du commerce, seule figurant la mention du bail, alors qu'ils allèguent que la SCEA prendrait en charge des dépenses personnelles de la gérante : cotisations MSA, téléphone, voyage et frais de déplacement, réceptions taxe foncière, CSG déductible patronale, retraite complémentaire et honoraires d'avocat.
Mme [T] [D] et la SCEA répliquent que les conventions passées entre la société et son gérant relèvent de conventions courantes conclues à des conditions normales.
Ils soutiennent ainsi que le poste voyage et déplacements correspond aux déplacements pour la livraison du vin et la prospection, que le poste missions et réceptions correspond aux repas pris par le personnel pendant les vendanges et que le poste taxes foncières correspond à l'imposition des biens non bâtis appartenant à la SCEA et à la part d'impôts fonciers dus par la SCEA au titre du bail rural dont elle est bénéficiaire. Elles ajoutent que certaines dépenses figurent au débit du compte courant d'associé de Mme [T] [D].
Le premier juge a exactement retenu que la prise en charge par la société des dépenses de téléphone, de réceptions et déplacements, auxquels la cour ajoute le poste taxes foncières constituaient des dépenses courantes, au surplus d'un montant non excessif mais a indiqué que la CSG déductible et les cotisations MSA ne constituaient pas des conventions courantes et que ces dépenses auraient dû faire l'objet d'une mention spécifique dans le rapport de gérance, de sorte que la responsabilité de la gérante était susceptible d'être engagée.
Or, selon les intimées, non contredites par les appelants, il est d'usage que la SCEA s'acquitte des charges sociales de leurs associés exploitants, puisque cela profite à la société.
Quant aux honoraires d'avocat, sur lequel le tribunal ne s'est pas prononcé, il convient de considérer que la SCEA et Mme [D] assignées toutes deux par les autres associés, ont pu avoir le même avocat dont les honoraires pouvaient être pris en charge par la société.
Dès lors, en l'absence de faute de la gérante quant à l'omission de conventions réglementées, la demande de dommages et intérêts présentée à hauteur de 80 672,23' au titre des exercices 2019/2020, 2020/2021 et 2021/2022, à parfaire au vu des comptes ultérieurs, sera rejetée, le jugement étant confirmé.
Sur la révocation de la gérante
Aux termes de l'article 1851 du code civil, sauf disposition contraire des statuts le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts.
Le gérant est également révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.
Sauf clause contraire, la révocation d'un gérant, qu'il soit associé ou non, n'entraîne pas la dissolution de la société. Si le gérant révoqué est un associé, il peut, à moins qu'il n'en soit autrement convenu dans les statuts, ou que les autres associés ne décident la dissolution anticipée de la société, se retirer de celle-ci dans les conditions prévues à l'article 1869 (2ème alinéa).
Constitue un juste motif de révocation l'existence entre le gérant et les associés d'une société familiale d'une mésentente de nature à compromettre l'objet social.
En l'espèce, les fautes retenues à l'encontre de Mme [T] [D], à savoir la tardiveté et le défaut de communication de pièces comptables et sociales ne sont pas d'une gravité suffisante pour entraîner sa révocation en qualité de gérante, pas plus que la mésentente entre elle et les autres associés, dans la mesure où il ne peut qu'être constaté que Mme [T] [D] est seule exploitante et que sa révocation serait contraire à l'intérêt de la société qui ne pourrait plus fonctionner.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement ayant débouté les consorts [D] de leur demande de révocation de Mme [T] [D].
Il sera donné mission à l'administrateur ad'hoc de rechercher une solution afin que la SCEA puisse continuer à exister, si tel est le souhait des associés, soit en organisant des cessions de parts, soit en prévoyant une répartition des bénéfices au prorata des parts
sociales des associés tout en faisant voter une délibération fixant la rémunération de la gérante.
Du fait du rejet de la demande en nullité des délibérations de février 2018 et 2019, les demandes subsidiaires, relatives au rapport des bénéfices dans la caisse sociale de la SCEA, aux dommages-intérêts pour préjudices moral et financier, à l'injonction à reconvoquer une assemblée générale et à la demande de provision sont mal fondées.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les parties succombant partiellement en leurs demandes, les dépens seront partagés par moitié.
Aucune considération d'équité ne conduit à faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dispositions du jugement sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
REJETTE la demande de suppression du paragraphe 9 de la page 5 des conclusions de Mme [T] [D] et de la SCEA du Prieuré signifiées le 10 février 2025 ;
DECLARE irrecevable comme nouvelle en appel la demande des consorts [D] tendant à voir : 'CONDAMNER Mme [T] [D] à payer à la SCEA DU PRIEURE toutes les sommes correspondant à des conventions spéciales et qui ne seront pas adoptées dans les conditions légales lors de la future assemblée générale, par un versement de trésorerie dans la caisse sociale, à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice financier subi par la SCEA dans le délai de 1 mois à compter de la date de l'assemblée qui en aura décidé,
ORDONNER que la somme rapportable sera assortie d'un intérêt au taux légal, à compter de la date de cette assemblée » ;
DECLARE recevables les autres demandes dont l'irrecevabilité a été soulevée ;
CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc ;
Statuant du chef infirmé et ajoutant au jugement,
DEBOUTE Mmes [A] et [I] [D] et MM. [O] et [F] [D] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité des délibérations prises lors des assemblées générales des 28 février 2019 et 27 février 2020 ;
DEBOUTE les consorts [D] de leur demande de communication des déclarations de récoltes ;
ENJOINT à Mme [T] [D] de communiquer à Mmes [A] et [I] [D] et MM. [O] et [F] [D] les documents comptables et sociaux relatifs aux exercices clos le 31 août 2023 et 31 août 2024 ;
DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;
DEBOUTE Mmes [A] et [I] [D] et MM. [O] et [F] [D] de leurs plus amples demandes ;
DESIGNE la SELAS AJ UP (Maître [S] [P] [Courriel 22] ),[Adresse 15], en qualité d'administrateur provisoire de la SCEA du Prieuré pour une durée de 18 mois à compter du 1er jour du mois suivant la signification de l'arrêt aux intimées ;
ORDONNE en conséquence le dessaisissement provisoire de Mme [T] [D] en qualité de gérante à compter de ce même jour et pendant la durée de la mission de l'administrateur provisoire ;
DIT que l'administrateur aura les pouvoirs conférés par la loi aux gérants de societés civiles, avec la mission de gérer et d'administrer la SCEA du Prieuré, tant activement que passivement, ayant préalablement obtenu communication par les associés de toutes pièces utiles à sa mission, consistant notamment à :
- Se faire communiquer tous documents utiles par les parties ;
- Rechercher une solution concertée sur l'affectation des bénéfices et la rémunération de la gérante ;
- Convoquer une assemblée générale aux fins d'approbation des comptes des exercices clos depuis le 31 août 2020, les rapports spéciaux et les éventuelles modifications sur l'affectation des bénéfices et la rémunération de la gérante ;
- Missionner en tant que de besoin un expert-comptable, distinct de celui de la société, aux fins de mettre en oeuvre comptablement les délibérations relatives à l'affectation des bénéfices de la SCEA depuis 2020, de procéder le cas échéant à l'apurement des pertes et d'une manière générale de répondre aux questions des associés sur la régularité des comptes ;
- Rechercher avec au besoin l'aide de l'expert-comptable, toutes solutions à mettre en oeuvre dans l'intérêt de la société ;
- Aviser les associés et parties de ses démarches,
- Convoquer les assemblées générales imposées par la loi, jusqu'à la fin de sa mission,
- Représenter en tant que de besoin la SCEA du Prieuré dans les procédures judiciaires en cours ;
DIT que l'administrateur pourra en référer à la juridiction en cas de difficulté ou pour étendre sa mission ;
DIT que l'administrateur provisoire adressera à la SCEA du Prieuré une note provisionnelle à valoir sur ses honoraires, à acquitter sans délai par la société ;
DIT qu'à l'issue de sa mission, l'administrateur provisoire adressera à la cour un état de ses honoraires aux fins de taxation ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
DIT que les dépens d'appel sont partagés par moitié entre les parties.
L'arrêt a été signé par O. CLEMENT, Président, et par V. SERGEANT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
V.SERGEANT O. CLEMENT