CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 16 mai 2025, n° 24/12876
PARIS
Arrêt
Autre
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Par acte du 4 avril 2023, la société VDMH immobilier a donné à bail commercial à la société Les trois marches des locaux commerciaux situés [Adresse 1], à [Localité 4] (Essonne), pour l'exercice d'une activité de restauration et moyennant un loyer annuel de 14.254,68 euros hors taxes et hors charges.
Le 28 novembre 2023, la société VDMH immobilier a fait délivrer à la société Les trois marches un commandement, visant la clause résolutoire, de lui payer une dette locative d'un montant de 9.903,71 euros en principal, puis, ce commandement de payer étant resté infructueux, l'a fait assigner, par acte du 29 février 2024, devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail, expulsion et condamnation au paiement, à titre provisionnel, d'une indemnité d'occupation et de l'arriéré locatif.
Par ordonnance réputée contradictoire rendue le 30 avril 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry a :
- constaté l'acquisition, à la date du 29 décembre 2023, de la clause résolutoire du bail portant sur les locaux commerciaux situés [Adresse 1], à [Localité 4] ;
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier, l'expulsion immédiate de la société Les trois marches et/ou de tous occupants de son chef des locaux loués ;
- rappelé que le sort des meubles et objets se trouvant dans les lieux loués sera régi par les dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
- fixé, à titre provisionnel, l'indemnité mensuelle d'occupation due par la société Les trois marches à une somme égale au montant du loyer contractuel mensuel, outre les taxes, charges et accessoires que la société VDMH immobilier aurait perçu si le bail ne s'était pas trouvé résilié, à compter du 29 décembre 2023 ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur la majoration de l'indemnité d'occupation sollicitée par la société VDMH immobilier ;
- condamné la société Les trois marches à payer à la société VDMH immobilier, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation à compter du 1er mars 2024 et ce, jusqu'à la libération effective des lieux caractérisée par la reprise des lieux ou la restitution des clefs ;
- condamné la société Les trois marches à payer à la société VDMH immobilier, à titre provisionnel, la somme de 13.394,40 euros au titre des loyers, charges, indemnités d'occupation et accessoires impayés arrêtés au mois de février 2024 inclus, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2023 à hauteur de 9.903,71 euros et de l'assignation pour le surplus ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande formée au titre de la clause pénale ;
- condamné la société Les trois marches aux dépens, comprenant notamment les frais de commissaire de justice, et à payer à la société VDMH immobilier la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 12 juillet 2024, la société Les trois marches a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble des chefs du dispositif.
Par dernières conclusions remises et notifiées le 4 mars 2025, elle demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance entreprise en ses dispositions dont elle a relevé appel ;
statuant à nouveau,
- constater qu'elle a apuré les causes du commandement du 28 novembre 2023 dans le délai accordé ainsi que le montant de la condamnation provisionnelle prononcée en première instance ;
- lui accorder un délai de paiement rétroactif permettant de régler l'intégralité de l'arriéré locatif, suspendre les effets de la clause résolutoire et constater que la clause résolutoire est réputée ne pas avoir joué ;
- ordonner sa réintégration dans les locaux loués et ce, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et lui remettre un jeu de clés sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- débouter la société VDMH immobilier de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, en ce qui concerne l'application de la clause pénale et l'acquisition du dépôt de garantie, et à tout le moins, fixer la clause pénale à la somme d'un euro ;
- la condamner au paiement d'une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises et notifiées le 4 mars 2025, la société VDMH immobilier demande à la cour de :
- débouter la société Les trois marches de ses demandes ;
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Les trois marches au paiement, à titre provisionnel, d'une indemnité d'occupation et de l'arriéré locatif à hauteur de 13.394,40 euros et dit n'y avoir lieu à référé sur la demande formée au titre de la clause pénale et de la majoration de l'indemnité d'occupation ;
statuant à nouveau,
- dire que la société Les trois marches devra payer une indemnité mensuelle d'occupation égale à la valeur d'un quart d'une annuité de loyer ;
- condamner la société Les trois marches à lui payer, à titre provisionnel, les sommes de 9.973,94 euros au titre des arriérés de loyers et charges arrêtés à fin décembre 2023, 31.446,16 euros au titre de l'indemnité d'occupation due de janvier 2024 jusqu'au 4 juillet 2024, 2.689,54 euros au titre de la régularisation des charges locatives ;
à titre subsidiaire, si la cour estimait n'y avoir lieu à majoration de l'indemnité d'occupation,
- condamner la société Les trois marches à lui payer, à titre provisionnel, les sommes de 9.973,94 euros au titre des arriérés de loyers et charges arrêtés à fin décembre 2023, 10.565,05 euros au titre de l'indemnité d'occupation due de janvier 2024 jusqu'au 4 juillet 2024, 2.689,54 euros au titre de la régularisation des charges locative ;
en tout état de cause,
- dire que le dépôt de garantie lui restera acquis ;
- condamner la société Les trois marches à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2025.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
La société Les trois marches fait valoir qu'elle a réglé la totalité des causes du commandement de payer, ayant provisionné la somme de 20.000 euros sur le compte CARPA de son avocat, de sorte que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail ne sont pas réunies.
La société VDMH immobilier oppose que la somme réclamée par le commandement de payer - soit la somme de 9.903,71 euros arrêtée à novembre 2023 - n'a pas été payée dans le délai prescrit et qu'en tout état de cause, si la locataire se prévaut de la consignation de la somme de 20.000 euros sur un compte Carpa, ce versement n'est pas libératoire.
Il est constant que, le 28 novembre 2023, la société VDMH immobilier a fait délivrer à la société Les trois marches un commandement, visant la clause résolutoire, de lui payer une dette locative d'un montant de 9.903,71 euros en principal.
Si la locataire invoque la consignation, en date du 29 octobre 2024, de la somme de 20.000 euros sur le compte CARPA de son avocat, cette provision, qui ne présente par elle-même aucun caractère libératoire, n'a donné lieu à aucun paiement dans le délai d'un mois imparti par le commandement. Il s'en infère que les causes du commandement de payer du 28 novembre 2023 n'ont pas été réglées dans le délai prescrit, de sorte que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies au 29 décembre 2023.
Sur la demande de provision
Selon l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut être accordé une provision au créancier, ou ordonné l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il ressort
- du relevé de compte arrêté au 8 décembre 2023 que le solde dû par la locataire au titre des arriérés de loyers et charges s'élevait, à cette date, terme de décembre inclus, à la somme de 9.973,94 euros ;
- de l'extrait du grand-livre pour l'année 2024 produit par le bailleur, que la dette s'élevait pour la période du 1er janvier au 4 juillet 2024, à la somme de 10.565,05 euros,
- des appels de fonds au titre des régularisations de charges pour 2023 et 2024, que la quote-part de charges due par la société Les trois marches s'élèvait à la somme de 2.689,54 euros, ces montants n'étant pas contestés par la locataire.
La cour condamnera dès lors la société Les trois marches à payer, à titre provisionnel, à la société VDMH immobilier la somme globale 23.228,53 euros (9.973,94 euros + 10.565,05 euros + 2.689,54 euros) et, au regard de l'évolution du litige en appel, réformera en ce sens l'ordonnance entreprise.
Sur la demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire
La société Les trois marches demande de lui accorder un délai de paiement rétroactif, de constater qu'elle a apuré les causes du commandement de payer par la consignation de la somme de 20.000 euros sur le compte CARPA de son avocat et par la saisie-attribution pratiquée sur son compte courant à hauteur de 5.635,78 euros, et de dire que l'acquisition de la clause résolutoire n'a pas joué. Elle conteste avoir restitué les clés des locaux comme le prétend la bailleresse, indique que c'est la société VDMH immobilier qui lui en a interdit l'accès en faisant changer les serrures.
La société VDMH immobilier conclut au rejet de la demande de délais en soutenant que, dans la mesure où la société Les trois marches lui a déjà restitué les clefs des locaux, elle ne peut solliciter la suspension des effets de la clause résolutoire du bail. Elle ajoute que la locataire n'a réglé ni le loyer courant, ni la somme réclamée par commandement de payer du 28 novembre 2023 et qu'en tout état de cause, la consignation de la somme de 20.000 euros sur le compte CARPA de son conseil n'est pas libératoire.
Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, 'les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Au cas présent, il est relevé, à la lecture des extraits du grand-livre produits par le bailleur (pièces 3 et 5) que la société Les trois marches, entrée dans les lieux le 3 avril 2024, ne s'est acquittée, avant la délivrance du commandement de payer, que d'un seul terme de loyer, contraignant le bailleur à pratiquer une saisie-attribution pour obtenir paiement de la somme de 5.635,78 euros, à la suite de laquelle la dette locative a été ramenée à la somme de 9.973,94 euros à fin décembre 2023, ce qu'elle ne conteste au demeurant pas.
Elle a fait le choix de procéder à la consignation de la somme de 20.000 euros sur le compte CARPA de son conseil, le 29 octobre 2024, plutôt que de régler sa dette et de régulariser pour l'avenir sa situation, et, en tout état de cause, de régler les causes du commandement de payer dans le délai qui lui était imparti.
Il est relevé que la somme de 20.000 euros ne suffit pas à couvrir le montant de la provision allouée et qu'il n'est produit aucune pièce permettant de s'assurer de la capacité de la société appelante à régler le solde de sa dette, voire, en cas de reprise des locaux, les loyers courants.
Dans ces conditions, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les circonstances de la reprise des locaux par le bailleur, intervenue le 4 juillet 2024, il n'y a pas lieu d'accorder à la société Les trois marches les délais de paiement qu'elle sollicite.
Sur les conséquences du constat de la résiliation du bail
La société les trois marche étant devenue occupante sans droit ni titre à compter du 29 décembre 2023, ce qui est constitutif d'un trouble manifestement illicite, c'est par une exacte appréciation des faits que le premier juge a ordonné son expulsion.
Son obligation au paiement d'une indemnité d'occupation n'est pas sérieusement contestable à compter de la date susvisée.
Si la société VDMH Immobilier demande que le montant mensuel de cette indemnité soit fixé, pour la période de janvier 2024 au 4 juillet 2024, au quart d'une annuité du loyer en application de l'article 10 'Clause résolutoire' du bail - lequel prévoit qu''une indemnité d'occupation mensuelle et indivisible égale à la valeur d'un quart d'une annuité du loyer en vigueur sera due au bailleur' - le montant réclamé est constitutif d'une clause pénale qui, en tant que telle, est susceptible de présenter un caractère excessif et d'être minorée par le juge du fond.
La cour confirmera en conséquence l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fixé le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer, augmenté des charges et taxes afférents que la locataire aurait dû payer si le bail n'avait pas été résilié et a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de majoration sollicitée par la bailleresse. Elle dira que cette indemnité est due au titre de la période du 29 décembre 2023 au 4 juillet 2024, réformant la décision déférée de ce chef.
Sur la demande de conservation du dépôt de garantie
La société VDMH immobilier demande que, conformément à l'article 10 du bail, le dépôt de garantie lui soit acquis.
L'article 10 'Clause résolutoire' du bail prévoit qu' 'en cas de résiliation du présent bail pour une quelconque cause imputable au preneur, le dépôt de garantie restera au bailleur à titre d'indemnité de résiliation acquis au bailleur sans préjudice du paiement des loyers dus et tous autres droits et actions en dommages et intérêts'.
Cette clause constitue une clause pénale qui, en tant que telle, est susceptible de présenter un caractère excessif et d'être minorée par le juge du fond. Il n'y a donc pas lieu à référé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.
La société Les trois marches qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés dans la procédure d'appel.
L'équité commande qu'elle soit condamnée à payer à la société VDMH Immobilier la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise, sauf sur le montant de la condamnation provisionnelle au titre de l'arriéré locatif et d'indemnité d'occuation et sur l' indemnité d'occupation ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés ;
Dit que l'indemnité d'occupation, fixée au montant du loyer, augmenté des charges et taxes afférents, est due pour la période du 29 décembre 2023 au 4 juillet 2024 ;
Condamne la société Les trois marches à payer, à titre provisionnel, à la société VDMH immobilier la somme globale de 23.228,53 euros au titre de l'arriéré locatif et d'indemnité d'occupation arrêté au 4 juillet 2024 ;
Ajoutant à l'ordonnance entreprise ;
Rejette la demande de délais de paiement formée par la société Les trois marches ;
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société VDMH immobilier tendant à ce que le dépôt de garantie lui soit acquis ;
Condamne la société Les trois marches aux dépens d'appel et à payer à la société VDMH immobilier la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.