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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. civ., 15 mai 2025, n° 24/04692

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Eskis (SAS)

Défendeur :

Liehdi (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Carlier

Conseillers :

Mme Herment, Mme Bourdon

Avocats :

Me Auché, Me Apollis

TJ Perpignan, du 4 sept. 2024, n° 24/001…

4 septembre 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 29 juin 2020, la SCI Liehdi a donné à bail à la SAS Eskis un local commercial destiné à l'usage exclusif de l'activité de restauration et de débit de boissons situé [Adresse 7] à [Localité 5], moyennant le paiement d'un loyer annuel de 21 600 euros hors charges, outre la tva au taux légal en vigueur.

Le 11 juillet 2023, la société Liehdi a fait délivrer à la société Eskis un commandement de payer la somme de 71 824, 59 euros au titre des loyers dus entre le mois de juillet 2020 et le mois de juillet 2023, visant la clause résolutoire insérée au contrat de bail.

Puis, par acte de commissaire de justice en date du 12 février 2024, la société Liehdi a fait assigner la société Eskis en référé devant le président du tribunal judiciaire de Perpignan afin qu'il constate l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail, qu'il ordonne l'expulsion de la locataire des lieux loués ainsi que de tout occupant de son chef et qu'il la condamne au paiement de la somme de 91 458, 71 euros au titre des loyers et charges impayés, ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Aux termes d'une ordonnance rendue le 4 septembre 2025, le président du tribunal judiciaire de Perpignan a :

- constaté que le bail du 29 juin 2020 se trouvait résilié par l'effet de la clause résolutoire depuis le 11 août 2023,

- condamné la société Eskis au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant des loyers prévus au contrat résilié, depuis la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux avec remise des clefs,

- dit qu'à défaut pour la société Eskis d'avoir libéré les locaux commerciaux situés à [Adresse 7], de sa personne, de ses biens et de tous occupants de son chef, il serait procédé à leur expulsion avec l'assistance de la force publique, si besoin était, et au transport des meubles laissés dans les lieux dans tel garde meuble qu'il plairait à la société Liehdi aux frais et risques des expulsés,

- condamné la société Eskis à payer à la société Liehdi à titre provisionnel la somme de 97 045,93 euros à valoir sur les loyers, charges et indemnités d'occupation échus au mois de janvier 2024,

- condamné la société Eskis aux entiers dépens,

- condamné la société Eskis à payer à la société Liehdi la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté tous les autres chefs de demande,

- rappelé que la décision bénéficiait de droit de l'exécution provisoire par application de l'article 514-1 alinéa 3 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 17 septembre 2024, la société Eskis a relevé appel de cette ordonnance.

Par ordonnance de référé du 4 décembre 2024, le premier président de la cour d'appel de Montpellier a rejeté la demande de la société Eskis tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire de la décision rendue le 4 septembre 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Perpignan, a dit n'y avoir lieu à prononcer une amende civile et a condamné la société Eskis aux dépens et à payer à la société Liedhi la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées le 10 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société Eskis demande à la cour de :

A titre principal

- juger qu'il existe une contestation sérieuse,

Par conséquent,

- débouter la société Liehdi de sa demande de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et de ses conséquences concernant l'expulsion,

- juger que l'obligation de paiement est sérieusement contestable,

Par conséquent,

- débouter la société Liehdi de ses demandes de condamnation à titre provisionnel,

A titre reconventionnel,

- juger que la délivrance n'est pas conforme à l'objet du bail commercial,

Par conséquent,

- désigner tel expert qu'il plaira avec la mission ci-dessous définie:

1° Visiter les lieux,

2° Connaissance prise du dossier, dresser un bordereau des documents produits, étudier et analyser ceux qui intéressent le litige,

3° Rechercher les conventions passées entre les parties,

4° Vérifier si les désordres allégués existent, et dans ce cas les décrire en indiquant leur nature,

5° En rechercher les causes,

6° Décrire le principe des travaux nécessaires pour y remédier ; évaluer le coût et la durée de remise en état du local commercial,

7° Evaluer les chefs de préjudice constatés, et, notamment, la perte d'exploitation et sa durée, de quelque nature qu'ils soient, et proposer l'apurement des comptes entre parties, au regard des pièces contractuelles, des factures et des règlements effectués par le concluante,

8° Dire que pour l'exécution de sa mission, l'expert commis s'entourera de tous renseignements utiles à charge d'en indiquer l'origine, recueillera toutes informations orales ou écrites de toutes personnes, sauf à préciser dans son rapport leurs noms, prénoms, demeure et profession ainsi que, s'il y a lieu leur lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles et qu'il pourra recueillir l'avis d'un autre technicien dans un spécialité distincte de la sienne,

9° Dire que l'expert devra dès la première réunion des parties dresser un rapport de ses investigations et évaluera de manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et ses débours en fonction des éléments dont il disposera alors,

10° Dire que l'expert devra déposer, dans un délai qui ne saurait excéder trois mois, à dater de la saisine, sauf prorogation dûment autorisée par le juge chargé du contrôle des expertises, son rapport auquel sera joint, le cas échéant, l'avis du technicien qu'il s'est adjoint et qu'il délivrera lui-même copie de tout ou chacune des parties en cause,

11° Dire que l'expert une fois ses opérations terminées, et au moins un mois avant le dépôt de son rapport définitif, communiquera à chacune des parties, sous forme de pré-rapport le résultat de ses constatations ainsi que les conclusions auxquelles il sera parvenu, et recevra et répondra aux observations que les parties auront jugé utiles de lui adresser sous forme de dires à annexer au rapport définitif,

En toutes hypothèses,

- condamner la société Liehdi au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, la société Eskis invoque les dispositions de l'article 1719 du code civil et précise que la mise à disposition d'un bien conforme à sa destination contractuelle suppose que le bailleur s'assure que le locataire puisse y exercer son activité.

Elle indique qu'en l'espèce, s'il résulte de l'état des lieux du 8 juillet 2020 qu'une extraction existe au sein de la cuisine, elle s'est aperçue au moment de l'installation de la hotte qu'il n'y avait en réalité pas d'extraction, qu'elle a essayé de trouver une solution pour exercer l'activité conformément au bail, mais qu'aucune solution amiable n'a pu être trouvée. Elle ajoute qu'ayant effectué des travaux et acquis des équipements et du mobilier, elle subit une perte matérielle, ainsi qu'une perte d'exploitation.

Elle en déduit que la bailleresse a manqué à son obligation de délivrance conforme. De plus, elle souligne que même en l'absence d'une procédure préalable, le bailleur demeure tenu de son obligation de délivrance paisible du local.

En outre, elle rappelle les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile et précise qu'une mesure d'expertise permettra en l'espèce de vérifier s'il existe un défaut de délivrance conforme et le cas échéant, d'apurer les comptes entre les parties.

En ce qui concerne la demande tendant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire et des demandes relatives au paiement de la dette locative et de l'indemnité d'occupation, elle invoque les dispositions des articles 834 et 835 du code de procédure civile, de l'article L. 145-41 du code de commerce et des articles 1219 et 1220 du code civil et fait valoir que tenant l'absence de délivrance conforme, il existe une contestation sérieuse sur le fait de savoir si les loyers sont dus, dans la mesure où elle n'a pu exploiter le local commercial conformément à sa destination.

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées le 10 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société Liehdi demande à la cour de:

- confirmer l'ordonnance déférée en date du 4 septembre 2024,

Y ajoutant,

- condamner la société Eskis à lui payer la somme supplémentaire de 21 522,33 euros au titre des indemnités d'occupation, arrêtée à la date de reprise, soit le 21 novembre 2024,

- condamner la société Eskis à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle souligne que l'appelante ne produit aucune facture attestant des travaux et des équipements qu'elle prétend avoir réalisés. Elle relève également que la société Eskis ne lui a pas adressé le moindre courrier pour se plaindre d'une quelconque non-conformité et notamment de l'absence de conduite d'extraction.

En outre, elle fait valoir que l'absence de conduite d'extraction n'est pas établie, et qu'il n'est pas justifié d'une quelconque intervention auprès du syndic de copropriété ou des services municipaux, ni des frais d'installation d'un conduit extérieur, et ce alors que le local a été exploité pendant plusieurs années en activité de restauration, qu'en tant que professionnelle de la restauration, la société Eskis a déclaré avoir une parfaite connaissance des lieux qu'elle a accepté de prendre en l'état et qu'elle s'est engagée à prendre à sa charge tous les aménagements nécessaires à son activité, dont la liste a été détaillée au bail.

Elle soutient que l'appelante ne justifie pas de la non-conformité du local, ni de l'engagement d'une procédure lui permettant d'opposer une exception d'inexécution, et ce alors qu'un état des lieux d'entrée a été établi sans réserve sur les questions d'extraction.

Elle en déduit que la société Eskis ne justifie pas d'un intérêt légitime au regard des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile. Elle ajoite qu'au regard de l'état catastrophique dans lequel elle a retrouvé les lieux, aucune mesure d'expertise ne peut avoir lieu.

En outre, elle indique que la société Eskis ne peut invoquer une exception d'inexécution, alors qu'elle ne justifie d'aucune réclamation durant la durée d'exécution du bail et que les courriers qu'elle produit, datés des mois de janvier ou de mars 2023, ne sont étayés par aucune pièce. Elle ajoute que l'état des lieux mentionne l'absence de réserve et que l'appelante ne justifie pas avoir réalisé les travaux qu'elle s'était engagée à faire.

Du reste, elle précise que la reprise des lieux a pu intervenir le 21 novembre 2024, de sorte qu'est due une somme de 21 522, 33 euros au titre des indemnités d'occupation.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes tendant au constat de la résiliation du bail, à l'expulsion de la locataire et à sa condamnation au paiement d'un arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou qui justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 alinéa 2 du même code prévoit que le président du tribunal judiciaire peut dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Selon le premier alinéa de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Du reste, en application de l'article 1219 du code civil, une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Il s'ensuit que le locataire n'est pas tenu de payer le loyer quand il se trouve dans l'impossibilité d'utiliser les lieux loués comme le prévoit le bail.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que le 11 juillet 2023, la société Liehdi a fait délivrer à la société Eskis un commandement de payer la somme de 71 824, 59 euros au titre des loyers dus entre le mois de juillet 2020 et le mois de juillet 2023, visant la clause résolutoire insérée au contrat de bail.

Toutefois, il est stipulé au contrat de bail conclu entre les parties le 29 juin 2020 que les locaux loués sont destinés à l'exercice exclusif de l'activité de restaurant et de débit de boissons.

Or, la société Eskis verse aux débats un procès-verbal de constat, établi le 10 octobre 2024 par un commissaire de justice à sa demande, dans lequel ce dernier indique avoir constaté l'absence de tout conduit pouvant permettre l'extraction vers l'extérieur des odeurs, graisses et fumées des cuisines.

En outre, elle produit une attestation de M. [C] [O], propriétaire de l'immeuble sis [Adresse 7] à [Localité 5], qui indique avoir constaté, dans le local commercial loué par la société Liehdi, l'absence d'extraction de fumée à l'endroit où une ancienne hotte était installée.

De son côté, la société Liehdi ne verse aux débats aucune pièce susceptible de remettre en cause ces observations.

Certes, il était prévu au contrat de location que le bailleur accordait au locataire une franchise de loyer en contrepartie de la réalisation du divers travaux d'aménagement.

Mais aucun des travaux mis à la charge du locataire ne concernait l'extraction de fumée.

De plus, s'il était stipulé au bail que le preneur déclarait avoir une parfaite connaissance des locaux et les accepter dans l'état où ils se trouvaient, sans recours contre le bailleur, cette stipulation ne devait pas s'appliquer en cas de vices cachés, de vices de construction ou de travaux à la charge du bailleur.

De surcroît, il était également prévu que le bailleur conserverait à sa seule charge les dépenses de grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil.

Au demeurant, si à l'état des lieux d'entrée du 8 juillet 2020, l'existence d'une hotte apparaissait sur les photographies portant les numéros 20 et 26, les parties ne mentionnaient pas en avoir vérifié le fonctionnement. En outre, comme cela est indiqué au procès-verbal de constat établi par un commissaire de justice le 10 octobre 2024, seule une découpe partielle du faux plafond rendait possible le constat de l'absence de tout conduit pouvant permettre l'extraction vers l'extérieur des odeurs, graisses et fumées des cuisines.

Au surplus, le seul fait que la locataire ne produise pas de courriers adressés à la bailleresse pour l'aviser de la difficulté résultant de l'absence d'extraction avant le 30 janvier 2023, ne saurait à défaut de tout autre élément suffire à empêcher cette dernière d'invoquer l'exception d'inexécution de sa bailleresse de son obligation de délivrance. En effet, il ressort du courriel daté du 30 janvier 2023 de la société Eskis que celle-ci avait discuté avec sa bailleresse de la difficulté antérieurement à cette date. En outre, il n'est également justifié d'aucune demande en paiement des loyers de la part de la société Liehdi adressée à sa locataire avant le commandement de payer délivré le 11 juillet 2023, et ce alors qu'il résulte des décomptes produits par l'intimée qu'aucun loyer n'aurait été réglé depuis le mois de juillet 2020.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'absence de tout conduit pouvant permettre l'extraction vers l'extérieur des odeurs, graisses et fumées des cuisines, constatée par un commissaire de justice, et non remise en cause par les pièces produites par l'intimée, étant susceptible de constituer un obstacle à l'utilisation du local commercial conformément à la destination de restaurant et débit de boisson prévue au contrat de location et de caractériser une inexécution de la part de la bailleresse de son obligation de délivrance, la société Eskis justifie d'une contestation sérieuse à son obligation de paiement du loyer.

De surcroît, la cour observe qu'au commandement de payer est réclamée la somme de 71 824, 59 euros au titre des loyers dus entre le mois de juillet 2020 et le mois de juillet 2023 et qu'au vu des décomptes produits par l'intimée, cette somme correspond à l'intégralité des loyers, outre les taxes foncières, sans qu'aucune remise ni paiement ne soient pris en considération.

Or, il était stipulé au contrat de location qu'en contrepartie des travaux d'aménagement supportés par le preneur, le bailleur lui accordait une franchise de loyer pour le mois de juillet 2020, ainsi qu'une réduction de 1 500 euros ht par mois, au titre de la première année et une réduction de 1 650 euros ht par mois, au titre de la deuxième année, et la société Eskis verse aux débats une facture datée du 20 juin 2021 émise par la société EDISIIC, dont il résulte que celle-ci a effectué à sa demande divers travaux d'aménagement dans le local commercial sis [Adresse 7] à [Localité 5].

De plus, la société Eskis verse aux débats les relevés d'un compte bancaire ouvert à son nom auprès de la société LCL, du 3 octobre 2020 au 4 octobre 2021, sur lesquels apparaissent divers virements effectués au bénéfice de la société Liehdi au titre des loyers ou des taxes foncières, non pris en compte par la bailleresse.

Au vu de ces éléments, la somme sollicitée par l'intimée au commandement de payer délivré le 11 juillet 2023 se heurte à une contestation sérieuse qu'il n'appartient pas au juge des référés de trancher.

Par conséquent, en l'état de ces contestations sérieuses sur le principe et le montant des loyers sollicités par la bailleresse, la décision déférée sera infirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail, ordonné l'expulsion de la locataire et prononcé sa condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation et statuant à nouveau, la cour dira n'y avoir lieu à référé sur ces demandes.

De même, la demande en paiement d'une provision au titre de l'arriéré locatif se heurte à diverses contestations tenant au manquement par la bailleresse de son obligation de délivrance et à l'absence de prise en considération de la réduction du montant des loyers prévue au contrat de bail et des paiements dont a justifié l'appelante.

Il s'ensuit que la décision déférée sera également infirmée en ce qu'elle a condamné la société Eskis au paiement d'une provision au titre de l'arriéré locatif et la cour dira n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant au paiement de la somme supplémentaire de 21 522, 33 euros.

Sur la demande d'expertise formée par la société Eskis

En vertu de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

La demande d'une mesure d'instruction doit reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables qui permettent de projeter le litige futur, qui peut n'être qu'éventuel, comme plausible et crédible.

Le motif légitime est caractérisé dès lors qu'il existe un litige susceptible d'opposer les parties devant le juge du fond, dans le cadre d'un procès non manifestement voué à l'échec et à la résolution duquel la mesure d'instruction est utile.

Il appartient donc aux appelants de rapporter le preuve d'éléments suffisants à rendre crédibles leurs allégations, et de démontrer que le résultat de l'expertise à ordonner présente un intérêt probatoire.

En l'espèce, il ressort du procès-verbal de constat établi le 10 octobre 2024 qu'à cette date, le commissaire de justice a constaté l'absence de tout conduit pouvant permettre l'extraction vers l'extérieur des odeurs, graisses et fumées des cuisines.

De plus, dans une attestation, M. [C] [O], propriétaire de l'immeuble sis [Adresse 7] à [Localité 5], confirme avoir constaté, dans le local commercial loué par la société Liehdi, l'absence d'extraction de fumée à l'endroit où une ancienne hotte était installée.

Cet élément faisant obstacle à l'utilisation du local commercial conformément à l'usage prévu au contrat et étant susceptible de fonder une exception d'inexécution s'opposant à la demande en paiement des loyers, il est justifié d'un motif légitime à l'instauration d'une mesure d'expertise.

En outre, les parties produisent des éléments contradictoires sur la réalisation par la locataire des travaux qui étaient mis à sa charge au titre du contrat de location.

Ainsi, alors que la société Eskis verse aux débats une facture émise le 20 juin 2021 par la société EDISIIC, dont il résulte que celle-ci a effectué à sa demande divers travaux d'aménagement dans le local commercial sis [Adresse 7] à [Localité 5], pour un montant total de 190 656 euros ttc, la société Liehdi produit un constat réalisé à sa demande le 21 novembre 2024 par un commissaire de justice, dans lequel il apparaît que les locaux seraient dans un état délabré.

La réalisation des travaux étant susceptible d'influer sur la somme due par la société Eskis au titre des loyers, il est également justifié de l'utilité d'une mesure d'expertise à ce titre.

Par conséquent, l'existence d'un motif légitime étant démontrée, il convient d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande d'expertise et de faire droit à cette demande selon les modalités prévues au dispositif.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

En l'état du litige, la société Eskis, demanderesse à la mesure d'expertise, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il ne paraît pas inéquitable en l'état du litige de laisser à la charge de chacune des parties les frais par elle engagés en marge des dépens. La décision déférée sera infirmée en ce qu'elle a condamné la société Eskis à verser à la société Liehdi la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau la cour déboutera les parties des demandes formées à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme la décision déférée en l'ensemble de ses dispositions sauf en ce qu'elle a condamné la société Eskis aux dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes tendant au constat de la résiliation du bail, à l'expulsion de la locataire et à sa condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation,

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en paiement au titre de l'arriéré locatif,

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant au paiement de la somme supplémentaire de 21 522, 33 euros,

Ordonne une expertise et commet pour y procéder M. [D] [P], [Adresse 3], tel [XXXXXXXX01], mel [Courriel 8]@live.fr, lequel pourra prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne, et aura pour mission, les parties régulièrement convoquées et connaissance prise des documents et pièces par elles produits de :

- entendre les parties, recueillir leurs dires et explications ;

- entendre tous sachants et se faire communiquer tous documents qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;

- dresser un bordereau des documents communiqués, étudier et analyser ceux en rapport avec le litige ;

- visiter et décrire les lieux litigieux situés [Adresse 7] à [Localité 5] ;

- rechercher et décrire le désordre allégué, afférent à l'absence d'extraction du local donné en location à la société Eskis ;

- en rechercher la cause ;

- dire s'il affecte l'activité de restauration et de débit de boissons prévue contractuellement, et dans quelle mesure ;

- donner tous éléments permettant de déterminer si ce désordre était apparent au jour de la réalisation de l'état des lieux d'entrée et s'il pouvait être décelé ;

- décrire les travaux nécessaires pour y remédier ;

- après avoir pris connaissance de l'état des lieux d'entrée réalisé le 8 juillet 2020, le contrat de location conclu entre les parties et la facture produite par la société Eskis, décrire les travaux réalisés par la société Eskis et indiquer si ces travaux sont conformes aux travaux mis contractuellement à sa charge ;

- fournir tous éléments de fait de nature à caractériser l'existence et l'évaluation d'un trouble de jouissance subi par la locataire et tous éléments permettant de faire les comptes entre les parties ;

- analyser les préjudices invoqués et rassembler les éléments propres à en établir le montant ;

- fournir toute précision technique et de fait utile à la solution du litige ;

- s'expliquer techniquement dans le cadre de ces chefs de missions sur les dires et observations des parties qu'il aura recueillis après leur avoir fait part au moins un mois auparavant de sa note de synthèse qui devra comporter son chiffrage des travaux de reprise et de réfection ;

Dit que si les parties viennent à se concilier, l'expert constatera que sa mission est devenue sans objet et qu'il nous en fera rapport,

Dit que l'expert se conformera pour l'exécution de sa mission aux dispositions des articles 232 à 248 et 263 à 284 du code de procédure civile,

Dit que l'expertise aura lieu aux frais avancés de la société Eskis qui consignera au greffe avant le 15 juillet 2025 la somme de QUATRE MILLE EUROS (4 000€) à titre de provision à valoir sur les honoraires de l'expert,

Dit que l'expert commencera ses opérations dès qu'il sera averti par le greffe que les parties ont consigné la provision mise à leur charge,

Rappelle qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis la désignation de l'expert sera caduque, un relevé de caducité ne pouvant être accordé que sur justification de motifs légitimes,

Dit que, s'il estime insuffisante la provision ainsi fixée, l'expert devra, lors de la première ou, au plus tard, lors de la deuxième réunion, dresser un programme de ses investigations et évaluer de manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours,

Dit qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître aux parties et au magistrat chargé du contrôle de l'expertise la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire,

Dit que préalablement au dépôt de son rapport, l'expert devra déposer un pré rapport susceptible de recueillir les observations des parties et y répondre dans le cadre de son rapport définitif,

Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe de la cour dans le délai de cinq mois à compter du jour où il aura été saisi de sa mission par le greffe sauf prorogation des opérations dûment autorisée,

Rappelle que l'article 173 du code de procédure civile fait obligation à l'expert d'adresser copie du rapport à chacune des parties, ou pour elles à leur avocat,

Dit que le dessaisissement de la Cour interviendra dès le dépôt du rapport d'expertise,

Déboute la société Liehdi et la société Eskis de leurs demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Eskis aux dépens de première instance et d'appel.

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