CA Lyon, 1re ch. civ. A, 15 mai 2025, n° 21/00752
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wyon
Conseillers :
M. Seitz, M. Gauthier
Avocats :
SELARL Robert, SELARL Ad Justitiam
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 1er juin 2013, la société civile immobilière (la société) de [Adresse 7] a conclu avec M. [O] [D] une convention d'occupation précaire portant sur des locaux situés [Adresse 4] à [Localité 9] (42), moyennant une indemnité d'occupation mensuelle de 900 euros, hors taxes et charges.
Le 31 juin 2017, les parties ont conclu une nouvelle convention d'occupation précaire portant sur des locaux situés à la même adresse moyennant une indemnité mensuelle de 1.000 euros, hors taxes et charges.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 juin 2018, la société de [Adresse 7] a mis en demeure M. [D] de régler les sommes dues à ce titre pour les mois de juillet 2017 à juin 2018 du fait de l'occupation des locaux. Elle a indiqué également que la convention était de ce fait dénoncée et que l'état des lieux et la remise des clés devaient intervenir le 10 juillet 2018 au plus tard.
Monsieur [D] a libéré les lieux courant février 2019. Le 27 février 2019, la société de [Adresse 7] a fait établir un état des lieux de sortie par huissier de justice.
Par acte du 9 octobre 2019, la société de [Adresse 7] a fait assigner M. [D] devant le tribunal judiciaire de Roanne qui, par jugement du 15 décembre 2020 :
- s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige,
- a condamné M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 29.612,40 euros au titre des indemnités impayées dues en exécution des conventions d'occupation précaire en date des 1er juin 2013 et 30 juin 2017,
- a condamné M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 1.874,28 euros au titre des frais d'enlèvement des fûts d'huile,
- débouté la société de [Adresse 7] de sa demande d'indemnisation pour un montant de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- condamné M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [D] aux entiers dépens,
- ordonné l'exécution provisoire .
Par déclaration du 1er février 2021, M. [D] a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance de référé en date du 25 mai 2021, le premier président de la cour d'appel de Lyon a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formée par Monsieur [D] et l'a condamné aux dépens et à verser à la société de [Adresse 7] une indemnité de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions déposées le 16 avril 2021, M. [D] demande à la cour de :
- dire régulier et bien fondé l'appel interjeté par M. [D] à l'encontre du jugement rendu le 15 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Roanne
Y faisant droit :
- réformer le jugement en ce qu'il a :
' condamné M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 29.612 euros au titre des indemnités impayées dues en exécution des conventions d'occupation précaire en date des 1er juin 2013 et 30 juin 2017
' condamné M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 1.874,28 euros au titre des frais d'enlèvement des fûts d'huile
' débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
' condamné M. [D] à payer à la SCI de [Adresse 7] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Statuant de nouveau :
- dire et juger que la convention en date du 30 juin 2017 est nulle et de nul effet pour être entachée d'un vice du consentement, en l'occurrence l'erreur commise par M. [D] sur sa nature et sa portée,
- en tirer toutes conséquences de droit et de fait et dire et juger notamment que la société de [Adresse 7] ne peut réclamer à M. [D], dont il n'est par ailleurs pas contesté qu'il a toujours réglé le montant des loyers relatifs à la première convention en date du 1er juin 2013, le paiement d'une somme quelconque au titre de prétendues indemnités impayées « en exécution des conventions d'occupation précaire en dates des 1er juin 2013 et 30 juin 2017 »
- dire et juger qu'aucune somme n'est due à la société de [Adresse 7] par M. [D] au titre de l'une ou de l'autre des conventions,
- dire et juger que la société de [Adresse 7] ne rapporte par la preuve qui lui incombe de ce que les fûts d'huile présents sur son terrain auraient été laissés en place de M. [D] et/ou lui appartiendraient,
- dire et juger que M. [D] rapporte au contraire la preuve de ce que les fûts d'huile présents sur le terrain appartenant à la société de [Adresse 7] étaient déjà en place à son arrivée,
- dire et juger en conséquence que la société de [Adresse 7] ne peut réclamer à M. [D] le règlement de la somme de 1.874,28 euros au titre des frais d'enlèvement des fûts d'huile
- condamner la société de [Adresse 7] à verser à M. [D] une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la société de [Adresse 7] de sa demande d'indemnisation pour un montant de 5.000 euros au titre de dommages et intérêts ;
- condamner la société de [Adresse 7] à verser à M. [D] une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société de [Adresse 7] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- débouter de la société de [Adresse 7] de toutes demandes qui seraient contraires à celles présentées par M. [D].
Aux termes de ses conclusions déposées le 4 mai 2021, la société de [Adresse 7] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Roanne le 15 décembre 2020 en ce qu'il a :
' condamné M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 29.612 euros au titre des indemnités impayées dues en exécution des conventions d'occupation précaire en date des 1er juin 2013 et 30 juin 2017,
' condamné M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 1.874,28 euros au titre des frais d'enlèvement des fûts d'huile,
' débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
' condamné M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamné M. [D] aux entiers dépens,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société de [Adresse 7] de sa demande d'indemnisation pour un montant de 5.000 euros à titre de dommages et interêts,
Statuant à nouveau :
- condamner M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [D] à payer à la société de [Adresse 7] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner M. [D] aux entiers dépens de l'instance,
La clôture a été ordonnée le 12 octobre 2021.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIVATION
Sur la nullité de la convention du 30 juin 2017
Monsieur [D] soutient que son consentement à la deuxième convention a été donné par erreur, déterminante et excusable. Il fait valoir que la première convention avait été conclue pour une durée maximale de 23 mois qui était dépassée lors de la signature de la seconde convention et qu'il a légitimement cru s'engager à occuper les mêmes biens, d'autant qu'aucune des deux conventions ne permet d'identifier la parcelle donnée à bail, que les locaux mis à disposition sont décrits de manière pratiquement identique dans les deux actes et que le prix des deux conventions est très proche. Il précise que dans le cadre de la première convention, le gérant de la société de [Adresse 7] l'avait laissé utiliser à titre gratuit les locaux et le terrain adjacent, et qu'il comprenait que celui-ci les fasse figurer dans la nouvelle convention moyennant une augmentation du loyer. Il indique avoir été convaincu que la seconde convention régularisait la situation tout en englobant l'ensemble du tènement immobilier propriété de la SCI et précise avoir été alerté par le gérant de la SCI que la première n'était plus valable, de sorte qu'il a signé la seconde convention pour préserver son activité professionnelle. Il ajoute que ses finances ne lui permettaient pas de doubler le prix du loyer et que le fait qu'une promesse de vente ait été établie entre les parties le 21 décembre 2017, bien après la conclusion de la seconde convention, n'a pu l'éclairer sur la consistance des lieux six mois plus tôt.
Il fait en outre valoir que l'objet de la convention du 30 juin 2017 tel que décrit par l'intimée ne justifiait pas une indemnité de 1000 euros et que la SCI de [Adresse 7] ne lui a jamais adressé de demande de règlement, de facture ou d'autre document qui aurait pu attirer son attention sur le fait qu'une indemnité d'occupation différente de celle qu'il réglait déjà allait lui être réclamée.
La SCI de [Adresse 7] soutient qu'il était évident à la lecture des actes que ceux-ci portaient sur des locaux distincts, soient la parcelle AZ n°[Cadastre 6] pour la première convention et la parcelle AZ n°[Cadastre 1] pour la seconde, bien que situés tous deux à la même adresse, que les surfaces des terrains et des locaux ainsi que la composition des locaux ne sont pas identiques, et se prévaut de l'intention de Monsieur [D] d'acquérir l'ensemble du tènement immobilier qui a donné lieu à l'établissement d'une promesse de vente le 21 décembre 2017, celle-ci portant sur des biens d'une surface totale supérieure à 5300 m². Elle ajoute que le montant de l'indemnité d'occupation prévu par la première convention d'occupation précaire était bien trop modeste pour englober l'intégralité des parcelles et que Monsieur [D] était en capacité de payer les deux indemnités d'occupation puisqu'il envisageait d'acquérir les deux immeubles. Elle précise que le règlement de l'indemnité d'occupation n'est pas conditionné à la délivrance d'une facture ou d'un autre document.
Elle conclut que Monsieur [D] ne démontre nullement avoir commis une erreur excusable sur les qualités essentielles de la prestation justifiant que soit prononcée la nullité de la convention d'occupation précaire du 30 juin 2017, ajoutant que s'il y avait eu novation, Monsieur [D] n'aurait pas continué à payer le prix fixé par la première convention mais seulement le prix fixé par la seconde, ce qu'il n'a jamais fait.
Sur ce,
Aucune des deux conventions d'occupation précaire n'indique le numéro de la [Adresse 10] auquel se trouvent les locaux loués, pas plus que les références cadastrales des parcelles.
La convention d'occupation précaire du 1er juin 2013 fait état d'un bureau de 20 m², d'un atelier de 100 m² et d'un terrain et parking de 1000 m² et la seconde, du 30 juin 2017, mentionne un magasin et bureau de 180 m², un atelier de 800 m², et un terrain et parking de 4000 m². Les deux conventions sont strictement identiques pour le surplus, tant dans leur contenu que dans leur présentation.
L'indemnité prévue à l'acte du 1er juin 2013 s'élève à 900 euros par mois outre TVA et 170 euros hors-taxes de provision sur charges.
L'indemnité prévue à l'acte du 30 juin 2017 s'élève à 1000 euros par mois outre TVA et 170 euros hors-taxes de provision sur charges.
La convention d'occupation précaire conclue entre les parties le 1er juin 2013 portait sur une durée maximale de vingt-trois mois, renouvellement compris, conformément aux dispositions de l'article L 145-5 du code de commerce dans sa rédaction alors en vigueur. C'est donc fort légitimement que Monsieur [D] a pu penser que la seconde convention remplaçait la première qui était expirée et ne pouvait être renouvelée sauf pour la propriétaire à encourir le risque de requalification en bail commercial, d'autant que les biens loués se situent à la même adresse, que la dénomination des locaux loués est extrêmement proche dans les deux actes et que l'augmentation conventionnelle des superficies dont Monsieur [D] affirme qu'il les occupait entièrement depuis la première convention sans être contredit sur ce point était corrélée à l'augmentation du loyer.
En outre, la revalorisation de l'indemnité due par Monsieur [D], pourtant non prévue contractuellement, a porté l'indemnité due au titre du premier contrat à 1277 ' par mois à compter du 1er janvier 2016 (pièce n° 2 de M. [D], attestation de son expert-comptable).
En conséquence, non seulement Monsieur [D] pouvait parfaitement croire que la seconde convention remplaçait la première et portait sur l'ensemble des immeubles de la SCI qu'il occupait déjà, mais en outre il a pu être convaincu qu'il réglait bien, et ce depuis18 mois, le loyer mensuel de 1000 euros prévu par le second acte du 30 juin 2017 et que la seconde convention ne faisait que régulariser la situation existante.
L'erreur déterminante et excusable dont il se prévaut étant ainsi suffisamment prouvée, il y a lieu d'infirmer le jugement critiqué et de prononcer la nullité de la convention conclue le 30 juin 2017 entre les parties.
En conséquence, la demande en paiement des indemnités d'occupation formée par la SCI de [Adresse 7] sera rejetée.
S'agissant des frais d'enlèvement des fûts, la convention du 1er juin 2013 prévoit à l'article 6 intitulé charges et conditions qu'il sera dressé aux frais de l'occupant, lors de l'entrée dans les lieux et en fin d'occupation, un état des lieux contradictoire. Monsieur [D], qui n'a pas satisfait à cette clause en faisant établir un état des lieux d'entrée contradictoire et qui produit des attestations ne permettant pas de justifier de la présence de fûts lorsqu'il est entré dans les lieux, est tenu de supporter les frais d'enlèvement.
En conséquence, le jugement qui l'a condamné à payer la somme de 1874,28 euros mérite confirmation sur ce point.
Au regard de ce dernier chef de condamnation, la procédure engagée par la SCI ne saurait être déclarée abusive et Monsieur [D] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a mis à la charge Monsieur une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens de première instance devant toutefois rester à sa charge.
La SCI qui succombe en appel sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts fondé sur le préjudice, au demeurant non démontré, que lui aurait occasionné la mauvaise foi de Monsieur [D].
La SCI de [Adresse 7] sera condamnée aux dépens d'appel et au paiement à M. [D] d'une somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce point étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement n°19/00797 rendu par le tribunal judiciaire de Roanne le 15 décembre 2020 en ce qu'il a condamné Monsieur [O] [D] à payer à la SCI de [Adresse 7] la somme de 1874,28 ' et à supporter les dépens;
L'infirmant sur le surplus et y ajoutant,
Annule la convention d'occupation précaire conclue entre les parties le 30 juin 2017 ;
Déboute la SCI de [Adresse 7] de sa demande en paiement d'indemnités d'occupation dues au titre de ce contrat ;
Déboute la SCI de [Adresse 7] et Monsieur [O] [D] de leurs demandes de dommages et intérêts ;
Condamne la SCI de [Adresse 7] aux dépens d'appel et au paiement à Monsieur [D] d'une somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce point étant rejetée.